Manifestations, rencontres et signatures Index des auteurs
Jacques-Étienne Bovard est né à Morges en 1961.
Parallèlement à son métier de maître de français, il bâtit une œuvre
composée essentiellement de romans et de nouvelles, la plupart ancrés
dans les paysages et les mentalités de Suisse romande, qu’il considère
comme un terreau hautement romanesque à maints points de vue. Menant
une vie des plus ordinaires, mais passionné de beaucoup de choses,
Bovard nourrit ses livres de ses visites transfigurées dans divers
mondes, notamment l’équitation (Demi-sang suisse, 1994), l’enseignement (Les Beaux Sentiments, 1998), la photographie (Le Pays de Carole, 2002), la musique (Une leçon de flûte avant de mourir, 2000), la pêche (Ne pousse pas la rivière, 2006). Son penchant pour le comique l’a poussé aussi à commettre les nouvelles de Nains de jardin (1996), dont le succès ne faiblit pas, de la même veine que son roman La Griffe (1992), récemment réédité. Première approche autobiographique, La Pêche à rôder (2006) conjugue écriture et photographie.
Couronné de nombreux prix, Jacques-Étienne Bovard fait partie des
auteurs suisses romands les plus largement reconnus par le public. La Cour des grands (2010), a rencontré un vif succès.
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Jacques-Étienne
Bovard consacré
Le prix de l’Association vaudoise des écrivains sera remis dimanche 27 novembre 2011
Séduit par son dernier livre,
le jury de l’Association vaudoise des écrivains (Simone Collet,
Jean-Michel Olivier et Rafik ben Salah) a attribué son prix à
Jacques-Étienne Bovard. En 2010, La Cour des grands renouait en effet avec la veine sarcastique de l’auteur, ciblant le milieu littéraire romand.
Jacques-Étienne Bovard, bon Vaudois de souche et captant volontiers
l’accent du cru, est parfois «snobé» par les beaux esprits du milieu
littéraire romand. Le public romand, en revanche, a toujours bien
accueilli ses livres, qui font figure, avec ceux d’Anne Cuneo, de
«locomotives» de l’éditeur Bernard Campiche.
Au nombre de ses titres populaires, ses Nains de jardin
ont fait un tabac durable. Ces nouvelles éminemment caustiques, qui
rappellent les «gorillages» suisses d’un Hugo Loetscher ou l’humour
d’un Emil et d’une Zouc, ont introduit un élément satirique et
débonnaire dans un paysage littéraire romand souvent compassé. Par
ailleurs, Jacques-Étienne Bovard, politiquement «insituable», a traité
dans ses romans des thèmes «de société» en phase avec notre temps.
Ainsi du groupe de marcheurs positifs rompant avec la clope dans La Griffe (1992). Ainsi aussi des séquelles du suicide d’un adolescent dans un gymnase lausannois dans Les Beaux Sentiments (1999). Le Pays de Carole
(2002) modulait aussi deux thèmes actuels, avec le conflit entre ville
et campagne vécu par des trentenaires en quête d’identité.
JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures
Jacques-Étienne Bovard, Prix 2011 de l’Association vaudoise des écrivains
Dimanche dernier, près de la
place de la Riponne, l’Association vaudoise des écrivains (AVE) a remis
à Jacques-Étienne Bovard, écrivain et enseignant, son Prix de
Littérature. La fête fut belle et chaleureuse. À cette occasion, en
tant que président du jury (composé de Simone Collet et de Rafik ben
Salah), je fus chargé de faire l’éloge du lauréat.
Au début des années 90, Jacques Chessex avait pris l’habitude, au grand
désespoir de ma femme, de m’appeler tous les dimanches vers six heures
du matin. Il aimait faire causette — à l’heure où les oiseaux se
mettent à chanter et où certains sortent à peine d’une nuit blanche. Un
jour, il me dit qu’il y avait deux écrivains en Suisse romande avec qui
il fallait compter: «Bovard et moi.» J’étais surpris qu’il y en eût un
autre! Mais comme je suis curieux de nature, je suis allé lire les
œuvres de ce fameux Bovard.
D’abord, il y avait un recueil de nouvelles, Aujourd’hui, Jean,
paru en 1982 aux Éditions de l’Aire, qui donnent déjà le ton des livres
à venir. Sens de l’observation. Langue précise. Regard critique sur le
monde alentour. Il y avait aussi une belle évocation de la Venoge — qui
préfigure la passion de Bovard pour les rivières et la pêche à rôder.
Il y avait enfin La Griffe,
publié en 1992, un roman sobre et puissant qui raconte l’expédition
mémorable entreprise, à travers le Jura, par un groupe d’hommes et de
femmes décidés à se guérir de la cigarette. Solidement construit, d’une
écriture originale, ce premier roman montrait à quelle maîtrise un
jeune auteur, en travaillant le rythme et la musique de chaque phrase,
peut arriver, lorsqu’il est, comme Bovard, enraciné profondément dans
sa langue.
Deux ans plus tard, Bovard publie Demi-sang suisse,
qui fait la part belle, une fois encore, à l’une des passions de
l’auteur: la passion des chevaux. Car Bovard, qui se décrit volontiers
en écrivain du dimanche, n’écrit que par passion, et sur ses passions.
Ce qui fait la force de ses livres.
Construit en quatre parties, chacune centrée sur la figure d’un animal tutélaire qui métaphorise l’écriture, Demi-sang suisse
se présente comme une enquête policière. C’est d’abord la taupe,
maladroite et presque aveugle lorsqu’elle arrive à la lumière; c’est
ensuite le renard, dont la ruse sera indispensable au héros pour
résoudre l’énigme qu’on lui pose; puis c’est la hyène, figure de
l’abjection et de la tentation; c’est enfin le centaure, animal
fabuleux qui incarne la fusion de l’homme et du cheval, de
l’intelligence et de la force, de la ruse et de l’instinct.
Au centre du roman, l’enquête menée par un inspecteur à la dérive,
ancien responsable, à Lausanne, des fiches de sinistre mémoire, qui va
tenter de débrouiller le mystère d’un meurtre camouflé en accident
d’équitation. La force de Bovard, c’est de restituer non seulement les
progrès de l’enquête, dans son rythme incertain, mais aussi de montrer
qu’en même temps qu’il résoud son énigme l’inspecteur fait le point
sur sa vie. Et cela, grâce à l’intervention des animaux tutélaires qui
le protègent, en même temps qu’ils le conduisent vers la lumière. Cette
fascination pour la nature et les forces vitales, déjà sensible dans La Griffe, est ici magnifiée dans des pages très belles, où Bovard s’envole, littéralement, sur le cheval de l’écriture.
Nains de jardin
En 1996, Jacques-Étienne Bovard change de registre, une fois encore, pour renouer avec les textes courts.
Ainsi se présente Nains de jardin,
recueil de sept nouvelles qui toutes, à leur façon, interrogent ce
qu’on pourrait appeler les mythes de l’esprit suisse: bonheur enrobé de
silence et d’égoïsme, suspicion face à l’autre, fantasmes de
respectabilité et rêve d’un paradis couvert d’un «gazon net», avec «ses
thuyas, ses habitants paisibles à n’en plus pouvoir».
Ce paradis, peuplé d’aimables (et inquiétants) nains de jardin, Bovard
en fait une sorte de radiographie, au fil des textes qui mettent
l’accent, chacun, sur un aspect de l’esprit suisse (lequel, en
l’occurrence, serait plutôt l’esprit vaudois, si bien décrit par Michel
Thévoz). C’est tantôt une poignée de copropriétaires qui se battent
pour une antenne parabolique. Ou encore un dentiste, jouant les
garde-chiourme dans un village désert, qui épie avec fureur les
environs. Ou encore un modeste fonctionnaire qui abandonne femme et
enfants pour se livrer à sa passion des nains de jardin. Ou encore une
bande de joyeux drilles qui persécutent un camarade de la Protection
civile, etc.
Le trait est ajusté avec finesse et précision, souvent cruel, féroce.
Dans ses nouvelles, Bovard peut donner le meilleur de lui-même, qui
n’est pas seulement dans le ton acide de la satire sociale, mais
surtout dans cette intimité — si particulière et souvent fascinante —
qu’il entretient avec ses personnages. Car l’une des caractéristiques
de cet auteur à la fois divers et profondément enraciné dans sa langue,
c’est l’empathie qu’il éprouve pour ses personnages, même les moins
fréquentables, et qu’il fait partager à ses lecteurs.
Les Beaux Sentiments
Dans Les Beaux Sentiments,
publié en 1998, François Aubort, le héros du roman, est comme tétanisé
par le suicide d’un de ses élèves. Il entreprend dès lors une enquête
sur cette mort suspecte. Il reconstitue la vie de la victime. Il
interroge les membres de sa famille, ses camarades d’école, les
collègues du gymnase. On retrouve ici le goût de Bovard pour le roman
policier, déjà lisible dans Demi-sang suisse.
Mélangeant les genres et les tonalités, Bovard n’hésite pas à
reproduire dans son roman des (faux) travaux d’élèves, ainsi que le
compte rendu d’une (vraie) séance du Grand Conseil vaudois où l’on
discute très âprement (et de manière assez consternante) des économies
de bout de ficelle qu’on va faire sur le dos de l’école.
Nouveau pasteur laïc, François Aubort en vient à douter de la justesse
de sa parole. Il remet en question non seulement la légitimité des
œuvres qu’il enseigne (Céline, Sartre, Beckett: tous ces écrivains de
la mort), mais encore son statut de maîtrise face à des adolescents qui
connaissent toutes sortes de problèmes auxquels Mort à crédit ou La Nausée n’apportent aucun espoir de solution.
(Ce thème sera repris et développé par Nancy Huston dans un excellent livre, Professeurs de désespoir, paru en 2004 aux Éditions Actes Sud.)
Amené à prêcher des certitudes (n’est-ce pas là ce que nos élèves
attendent?), Aubort découvre le doute, comme Antoine Roquentin dans La Nausée.
Et ce questionnement est si radical qu’il débouche sur une complète
remise en cause: de son travail, du fonctionnement de l’école et de sa
propre vie.
C’est pourquoi le livre de Bovard s’achève sur une rupture: Aubort
décide de quitter l’enseignement et d’aborder une autre vie où il
pourra, enfin, coïncider avec lui-même. Cet épilogue se lit dans un
double registre: échec et fuite (dans le registre de la faute), mais
également progrès et indépendance (dans le registre de la régénération).
Comme les pasteurs de Chessex, Monnier ou Velan, le Maître de Bovard
incarne cette conscience malheureuse qui est sans doute l’un des traits
principaux de la littérature suisse.
Le Pays de Carole
Touffu, dense parfois jusqu’à l’étouffement, Le Pays de Carole,
paru en 2002, cherche à saisir les frontières du royaume amoureux. Dans
un style âpre, toujours au bord de l’éclatement, Bovard raconte
l’histoire d’une dépossession: Carole, gynécologue brillante, s’apprête
à quitter Paul, son mari photographe. On ne sait combien de temps va
durer cette séparation. Mais Paul ne s’y résigne pas et refuse de
lâcher prise.
Au contraire, il va mettre à profit sa nouvelle solitude pour écrire,
prendre en photo le pays de Carole, ces collines du Jorat nourries de
brumes et de fantômes, dans lequel il se sent étranger. C’est en se
promenant dans ce pays, en faisant chaque jour mieux connaissance avec
les paysans qui l’habitent, en photographiant ses forêts, ses renards
et ses ruisseaux, que Paul rassemblera en lui les vestiges de Carole.
Et parviendra, peut-être, à se réconcilier avec lui-même. Un beau
roman, grave et profond, qui dit les charmes sourds de la terre
vaudoise, ses parfums, ses couleurs, ses envoûtements.
La Cour des grands
Avec La Cour des grands, son dernier livre, paru en 2010, Bovard renoue avec l’épopée satirique de La Griffe.
Une virée de groupe qui tourne au vinaigre. À la différence près
qu’ici, dans La Cour des grands, on pénètre dans le saint des saints de
la littérature romande.
Ce roman met en scène plusieurs écrivains, suisses et français, dans
une équipée qui pourrait être celle de Lettres frontière ou des
Petites fugues. Sillonnant le terroir, en passant par Verdun et par
Reims, avant d’arriver à Paris, le roman passe en revue les rituels de
la mondanité littéraire: la foire aux livres, les fameuses séances de
dédicaces, les rencontres avec les libraires et les lecteurs, etc.
Qui sont ces écrivains?
Trois auteurs de romans de gare, d’abord, qui se trouvent invités à
cette escapade par erreur. Le premier, Xavier Chaubert, est champion de
judo, mais il écrit des bluettes pour arrondir ses fins de mois. La
deuxième, Charlène, produit une sorte de confiture sentimentale, qui
marche très fort. Quant au troisième, le transpirant Borloz, il s’est
spécialisé dans la littérature érotique. Les trois publient aux
Éditions Weekend, équivalent de la collection Arlequin.
Face à ces trois médiocres plumitifs, un roc. Que dis-je? Une péninsule!
Un monument des lettres romandes, Montavon, qui n’attend plus qu’une
consécration: celle du Prix Nobel. À la fois vaniteux et bouffi de
prétention littéraire, Montavon écrase de toute sa morgue le trio des
écrivains du dimanche.
Cette confrontation entre deux mondes antinomiques — la grande et la
petite littérature — permet à Jacques-Étienne Bovard de faire la
preuve, une fois de plus, de sa verve critique. Mais aussi empathique.
Car aucun de ces personnages — les nains comme le géant — n’est
totalement ridicule, même si l’auteur nous invite à rire de ses
travers. Chaubert, au contact de Montavon, se met à rêver, lui aussi,
d’écrire un livre qui pourrait l’élever au-dessus de lui-même. Quant à
Montavon, il incarne la parfaite maîtrise de la langue et de
l’écriture. Ce qui provoque jalousie et dépit chez ses collègues.
Pour qui connaît le monde littéraire en général, et le microcosme
romand en particulier, Montavon rappelle des figures connues. On pense
à Jacques Mercanton ou à Jacques Chessex. Deux monstres habités
totalement par leur œuvre. Deux écrivains qui brillent par l’éclat de
leur style.
Évidemment, Bovard ne cherche pas, dans son roman, à se venger ou à
régler des comptes avec ses maîtres. Montavon n’est pas Chessex, ni
Mercanton. Le portrait qu’il en fait est complexe et nuancé. Montavon
est d’abord un personnage de roman. Mais on sent, par-delà la satire,
une forme d’admiration pour cet homme tout entier dans ses livres. Qui
partage avec l’écrivain Bovard le souci du mot juste, de la langue qui
chante et le refus de trahir ses racines.
Car de La Griffe à La Cour des grands,
l’écrivain est en quête d’une langue personnelle qui s’inscrive à la
fois dans une tradition classique et réaliste (on pense à Flaubert,
bien sûr) et dans un enracinement profond à une terre et à sa langue.
D’où la présence, souvent en italiques, de mots typiquement vaudois
dans cette écriture travaillée par le rythme et l’obsession de la
phrase juste.
Écrire dans la langue française sans trahir ses racines — c’est-à-dire
se trahir soi-même: telle pourrait être la devise de Jacques-Étienne
Bovard.
Aujourd’hui, cher Jacques-Étienne Bovard, vous recevez le prestigieux
Prix de l’Association vaudoise des écrivains (ou quelques noms
illustres vous ont précédé: Philippe Jaccottet, Jacques Chessex, Janine
Massard, Rafik ben Salah) — et vous entrez, définitivement, dans la
cour des grands!
JEAN-MICHEL OLIVIER, Blogres
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