camPoche 53


JACQUES-ÉTIENNE BOVARD

Une leçon de flûte avant de mourir

Roman
2011. 216 pages. Prix: CHF 16.–
ISBN 978-2-88241-301-7

Cet ouvrage est disponible en édition numérique, au prix de CHF 11.00,
auprès de notre diffuseur suisse, l'OLF. ISBN 978-2-88241-350-5



Biographie

Manifestations, rencontres et signatures
Index des auteurs


C’est une histoire ordinaire: une maison délabrée promise à la démolition, un vieux musicien que l’arthrose empêche de jouer, des locataires âgés qu’une concierge, mégère pas apprivoisée, tyrannise et l’arrivée dans ce monde clos, d’un jeune étudiant.
Mais au-delà du portrait de «l’Helvétique maniaque dans toute son horreur», des mesquineries quotidiennes passant de la querelle de voisinage au drame, l’auteur dépeint avec une fine psychologie et un humour sous-jacent la difficulté des relations humaines, où les acteurs sont face à face et pourtant séparés par des montagnes d’incompréhension.
Et c’est grâce à la musique, toujours présente en filigrane, que «tout cela aura enfin eu un sens».

JULIETTE DAVID, Suisse Magazine

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Une leçon de flûte avant de mourir, Jacques-Étienne Bovard

Environs de Lausanne. Années 2000. Gilles Vanneau, un jeune homme de vingt-trois ans, arrive au volant d’une camionnette de location devant un vieil immeuble pour y emménager. Étudiant le jour, il travaille la nuit comme chauffeur de taxi.
L’accueil réservé par la concierge est une mise en garde sèche et sans appel. Il s’agit d’une maison de «vieux». Première nuit, premiers sons. D’abord ceux d’un violon emplis de légèreté et de grâce, puis ceux d’un violoncelle, auxquels succèdent les modulations d’un téléviseur dont on a oublié de baisser le volume. Et, par intermittence, le bruit des chasses d’eau, agrémenté, au-dehors, du «ronflement continu d’un moteur diesel» provenant du chantier voisin et le crissement des pneus sur le bitume du giratoire.
Le jour suivant son emménagement, il rencontre son vis-à-vis. Débute alors une très belle histoire d’amitié, avec ce personnage peu ordinaire, Édouard Laroche, un ancien virtuose violoniste, dont la carrière n’a pu s’épanouir; âgé de plus de quatre-vingts ans, il désire, comme Socrate, prendre une leçon de flûte avant de mourir et étudier le violoncelle avant de s’en aller. L’alcool aidant, Édouard se confie: «La seule chose qui reste insurmontable – bon, il y a la solitude, le chagrin, l’ennui, l’arthrose, toute cette carcasse qui ne sert plus qu’à empêcher et à faire le mal, mais ce n’est pas cela. La peur de mourir non plus, en espérant toutefois des souffrances pas trop atroces… Non, l’insurmontable, le dernier cercle du désespoir, c’est le sentiment de n’être plus d’aucune utilité, pire encore, de n’avoir plus aucun sens pour personne…»
Aussi suggère-t-il à Gilles, qui a suivi des cours de violon, de lui prêter son «Guadagnini» et de devenir son professeur. De son côté, le jeune homme propose à Édouard de prendre ses repas avec lui et de s’occuper de son intendance. Peu à peu, une certaine douceur de vivre s’installe dans l’immeuble.
Toutefois, la concierge ne goûte guère à cette nouvelle situation. Sa première victime, M. Zbinden qui, pour avoir oublié ses clefs, passe la nuit à l’extérieur sous les assauts du froid. Édouard n’en est pas surpris:
«Mais enfin, mon petit, le sais-je assez que c’est une abominable buse perchée au-dessus de nous tous! Qu’elle n’attend que le moment de nous dépêcher dans un mouroir de sa connaissance! […] Le père Jayet, un an après Vuillod!... Et puis Tissot, Blétroz, bientôt Zbinden, enfin moi-même! …Parce que cette espèce de folle veut faire payer son veuvage à tous les hommes seuls qui tombent dans ses serres, Dieu sait quoi»!
Au travers d’une plume soucieuse du détail, franche et entière, l’auteur nous fait partager un univers particulier. Celui d’un échange empreint de générosité et d’intelligence, entre un jeune étudiant et un musicien octogénaire: le premier redonnera du «sens» à la vie du vieil homme; le second fera retrouver au premier le goût de la musique et, au final, un «sens» à sa propre existence. Celui également d’une concierge, qui, pour essayer de fausser compagnie à la conscience de sa propre décrépitude liée à son âge et à l’idée de la disparition annoncée de «son» immeuble, se défoule en râlant systématiquement sur tout et en pourrissant la vie des locataires; celui, enfin, des locataires tous âgés et diminués physiquement qui n’ont peur que d’une chose, être l’objet d’une dénonciation par la concierge aux services sociaux et terminer leur existence dans une maison de retraite.
Un ouvrage qui incite avec finesse, humour et, parfois, dureté à la réflexion sur soi-même et sur les relations avec autrui, et ce indépendamment de l’âge.

VALÉRIE DEBIEUX
, La Cause littéraire

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La musique des êtres

Belle histoire d’amitié, Une leçon de flûte avant de mourir, de Jacques-Étienne Bovard, marque une avancée de l’écrivain dans le sens de l’empathie.

Avec quatre romans et deux recueils de nouvelles, dont les très populaires Nains de jardin, Jacques-Étienne Bovard est devenu, avant le cap de la quarantaine, l’un des auteurs romands les plus appréciés du public. Cela ne fâche que les fâcheux, mais ce qui nous réjouit plus encore tient au constant élargissement des registres de l’écrivain, et à l’approfondissement de sa perception des choses. La transition des Nains de jardin au roman plus ample et plus grave que constituaient Les Beaux Sentiments fut très remarquable à cet égard, et c’est un pas de plus encore qui nous semble franchi avec Une leçon de flûte avant de mourir. De fait, le romancier parvient à y combiner son goût de la pointe satirique (avec le portrait carabiné d’une concierge acariâtre) et les éléments d’une observation plus généreusement empathique, qui s’incarnent notamment dans le très beau personnage d’un vieil homme revivant positivement dans le partage de sa passion pour la musique.

Veine caustique

Le premier attrait du nouveau roman de Jacques-Étienne Bovard tient cependant à la veine caustique de l’écrivain qui excelle à brocarder les traits et travers de comportements et de langage du Suisse moyen, proche en cela d’un Hugo Loetscher ou d’une Zouc. Sa Mme Mala­mondieu, type de la concierge régnant sur ses locataires en véritable Cerbère, symbolise (jusqu’à l’outrance) l’esprit terre à terre et même mesquin pour qui tout ce qui est artiste, étranger ou dérogeant tant soit peu à la norme ne mérite que soupçon. Gilles Vanneau, fringant étudiant de vingt-trois ans qu’elle accueille en ces lieux où il va louer un deux-pièces cuisine à trois cent quatre francs par mois («une sacrée chance, pour vous…») et qu’elle tâche de mettre dans sa poche, passera vite lui-même dans le clan de ses ennemis jurés, jusqu’au dénouement tragique (à la limite de la vraisemblance, à notre goût) dont elle fera les frais par sa propre faute.

Hommage à Mercanton

Cela étant, le personnage dominant du roman est d’une autre étoffe, que la dédicace du livre («À la mémoire de Jacques Mercanton») permet d’identifier, en partie tout au moins. De fait, ceux qui ont connu l’écrivain ne pourront que se le rappeler en découvrant le superbe personnage d’Édouard, qui en incarne une projection romanesque à valeur d’hommage.
Virtuose du violon dont la carrière n’a pu s’épanouir, l’octogénaire veuf Édouard Laroche passe des heures au violon et au violoncelle qui lui valent la vindicte de la terrible Malamondieu. Or l’arrivée de Gilles Vanneau, qui a des années de violon derrière lui et d’insoupçonnées ressources de sensibilité, va le faire repiquer dare-dare en ramenant Gilles à son instrument. D’abord un peu réticent, le jeune homme se prend au jeu, puis le duo se mue en trio après la rencontre faite par Gilles d’une craquante jeune Aude aussi charmante que douée pour le piano. Le point culminant du roman est d’ailleurs le moment où, réunis chez Édouard pour y jouer le trio dit L’Archiduc, de Beethoven, les trois amis vivent ensemble la musique de «ce bon Dieu de tellement généreux génie». Un thème du trio retentit en outre comme l’adieu d’Édouard à la vie, ainsi que le ressent son jeune compère à la reprise du premier mouvement de l’œuvre : «{...} la mort était là, le départ, la séparation, toutes les fins possibles, lucidement, sereinement vues et acceptées {...}.»

Trésor en partage


Les thèmes dominants d’Une leçon de flûte avant de mourir sont à la fois ceux de la filiation et de la reconnaissance réciproque entre générations. Le motif central est le partage d’un trésor qui relève à la fois du savoir et de l’expérience existentielle, de l’art de vivre et de l’art tout court. Rien là-dedans de la thèse, mais une façon de « jouer » des personnages, affectivement très vibrants, comme de véritables instruments de musique se révélant l’un l’autre. Cette manière concertante d’évoquer les relations humaines est d’autant plus émouvante et belle, ici, que l’atomisation et la solitude, le rejet des vieux ou l’éclatement de la communauté fondent le bruit du monde actuel. À celui-ci, Jacques-Étienne Bovard oppose la musique des êtres sans se perdre dans l’évanescence. Ainsi la pauvre Malamondieu fait-elle finalement partie du «concert» dont la résonance intime, après lecture, mêle le rire et la peine, la joie de vivre de la jeunesse et la mélancolie du grand âge, les humeurs quotidiennes et leur sublimation mélodieuse.

JEAN-LOUIS KUFFER
, 24 Heures


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