JACQUES-ÉTIENNE BOVARD

PASSÉ SOUS SILENCE  

Roman
2024. 400 pages. Prix: CHF 38.00
ISBN 978-2-88241-531-8




Biographie

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Manifestations, rencontres et signatures

Index des auteurs

La joie du retour

Sur le bandeau, l’éditeur Bernard Campiche a voulu un mot: «Retour». Et c’est peu dire qu’il fait plaisir, ce retour en librairie du Vaudois Jacques-Étienne Bovard. L’écrivain à succès de Nains de jardin (1996) n’avait rien publié depuis 2010 (La Cour des grands). Passé sous silence permet de retrouver avec bonheur son ironie, son observation délicieusement narquoise (mais jamais aigrie) des mœurs de ce pays, ainsi que son sens du récit, doublé d’une écriture limpide.
Les lieux sont fictifs, mais décrits si précisément que l’on croit les connaître… De même avec les personnages plus vrais que nature. Comme ce Borgeau, inspecteur bougon de la police de sûreté, qui se voit confier un stagiaire aux tendances de chien fou et une drôle d’enquête: des chasseurs et un pêcheur ont été frôlés par des balles de fusil, tirées de loin. Selon le spécialiste de la balistique, l’arme utilisée est un Tell 40. Mis au point par l’armée suisse pour la Mob, ce fusil d’élite équipait également Hydra, réseau de résistance ultrasecret, officiellement dissous. Au fil de l’enquête, Jacques-Éienne Bovard s’amuse avec les références de l’histoire récente de la Suisse (à la fameuse organisation P-26, notamment), confirmant une fois de plus que rien ne vaut la fiction pour éclairer la réalité.

ERIC BULLIARD,  La Gruyère

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Le 30 septembre, trois chasseurs viennent de tuer un chevreuil. Pour immortaliser l'exploit, ils posent pour une photo. Au moment où l'appareil, muni d'un retardateur, se déclenche, un tir passe au-dessus de l'un d'entre eux et fait un trou dans la portière avant de son pick-up.
La gendarmerie, débordée, a demandé à la Police de Sûreté de venir s'enquérir des faits. L'inspecteur-chef Borgeau et l'inspecteur Morisetti se rendent sur place pour enquêter et constatent que la balle a fait un trou rond dans l'oreille d'un chamois peint sur ladite portière.
L'un des chiens des chasseurs est blessé, comme s'il s'était battu avec un autre, mais le propriétaire prétend que c'est avec un barbelé, ce qui paraît invraisemblable. Les chasseurs ont-il vu quelqu'un? Non. Un couple de retraités a juste entendu un coup de feu et des cris de bête.
Le 3 octobre, un pêcheur professionnel, sur son bateau, a essuyé au moins six tirs de balles. Il n'a pas été blessé mais les tirs étaient précis, les cibles étant un disque de signalisation de son bateau, pour pêcher tranquille, et des polets, cubes en polystyrène, pour marquer ses filets.
Le 7 octobre, un Conseiller national, qui s'est prononcé contre le retour du loup dans la région, le Jura vaudois, et qui a été menacé de mort, essuie également six tirs de balle alors qu'il se trouve attablé avec six autres chasseurs: seul le chaudron au-dessus du feu a été visé.
Le point commun entre les trois affaires est le calibre de l'arme utilisée qui pourrait bien être la même et qui, compte-tenu de la précision des tirs et de la longue portée, serait une arme de guerre, le Tell 40, si bien que les deux policiers baptisent Guillaume leur tireur en série.
Pour résoudre l'énigme, l'inspecteur-chef Borgeau et l'inspecteur Morisetti, qui est son stagiaire et qui est d'une autre génération, vont devoir remonter dans le passé de la région, car le Tell 40 est une arme spéciale, produite en nombre limité dont six exemplaires se sont évaporés.
Ces six exemplaires faisaient partie d'un lot de soixante-sept qui avaient été livrés à un réseau de résistance clandestine dénommé Hydra, en allusion à l'hydre des marais de Lerne, monstre mythologique dont les têtes avaient la propriété de se multiplier quand on les coupait…
Passé sous silence peut se comprendre comme un «passé» mis «sous silence» ou comme un mobile «passé sous silence». Si le passé joue un rôle dans l'histoire, le mobile retenu qui pousserait le tireur à user de son arme de nos jours ne reste longtemps qu'une hypothèse à étayer.
Jacques-Étienne Bovard, comme la loi du genre le veut, promène le lecteur, qui ne lui en veut pas, parce que le microcosme décrit est plus vrai que nature, savoureux, et que ses personnages sont bien campés, à commencer par les deux policiers qui sont ses protagonistes.
Borgeau et Morisetti sont vraiment très dissemblables et n'ont pas la même culture... Ainsi, quand Borgeau cite Charles Ferdinand Ramuz, pour lui confirmer que «le métier entre: «Je sens que je progresse à ceci que je commence à ne rien comprendre à rien», Morisetti lui répond: «Balèze, l'idée. Je suis un surdoué, alors? J'adore. C'était qui, en fait, ce Ramuz?»

Blog de FRANCIS RICHARD,

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Les chasseurs chassés?

L’inspecteur-chef Borgeau, de la Sûreté vaudoise, se voit confier une enquête insolite: des tirs de fusil frôlent leurs cibles sans les blesser. Quels «messages» le tireur anonyme envoie-t-il ainsi? Les «victimes» semblent n’avoir aucun rapport entre elles, si ce n’est qu’elles appartiennent aux milieux de la chasse ou de la pêche. Le tireur est-il un «écoterroriste» agissant en lien avec les tensions qui s’accroissent quant au sort de la meute de loups du Mont-Siméon, dont la régulation paraît inexorable?

PATRICK MORIER-GENOUD, 
LireSuisse

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L’éternel retour

Après quatorze ans de silence, Jacques-Étienne Bovard publie un polar qui revisite les secrets de l’histoire suisse pendant la Guerre froide, en écho à notre époque contemporaine

Sur le bandeau rouge, un seul mot: «Retour». Cela faisait près de quatorze ans que Jacques-Éitenne Bovard ne publiait plus. Son dernier livre paru, La Cour des grands, chez son fidèle éditeur Bernard Campiche, remontait à 2010.
On le connaît pour ses romans populaires, creusant la veine policière et locale (Demi-sang suisse, Prix Rambert 1995; Les Beaux Sentiments, Prix des auditeurs de La Première 1998), ses nouvelles acides pointant les ridicules de ses contemporains (Nains de jardin, 1996), ou un livre plus intimiste mêlant ses propres photographies à sa passion pour la pêche à la ligne (La Pêche à rôder, 2006). Il avait annoncé, à l’âge de 50 ans, ne plus vouloir publier. Professeur de français au Gymnase de la Cité, devenu doyen, il jugeait sévèrement ses nouveaux textes et les envoyait à la corbeille les uns après les autres.


Un inspecteur à la Maigret

Et voici que Passé sous silence, inespéré, sort à point nommé pour le Salon du livre de Genève. Près de 400 pages d’enquête menée par un vieux briscard, l’inspecteur-chef Borgeau, qui nous est immédiatement sympathique et pour cause, il aime lire Ramuz et Proust, prendre son temps à table, fréquenter les auberges communales, déguster des choucroutes, des filets mignons, les arroser de grappa. Taiseux et observateur, c’est un inspecteur à la Maigret. On se croirait dans les années 1940 quand soudain surgit un smartphone, et, plus loin, une allusion à la guerre en Ukraine. Le roman se déroule donc aujourd’hui. Contre son gré, l’inspecteur est flanqué d’un stagiaire de 26 ans, l’aspirant Morisetti, beau gosse ou «tête de minet» maniant le langage 2024, fourmillant de répétitions («du coup», «cool», «pas de soucis»), de franglais et de fautes de grammaire. L’auteur dit s’être inspiré de ses élèves.
Mais le jeune homme, brillant, saura tirer son épingle du jeu. C’est cette confrontation puis cette connivence entre deux générations que raconte Bovard. Morisetti est à la recherche d’une nouvelle virilité qui aurait le droit d’exprimer ses sentiments, tout en croyant nécessaire de rappeler qu’il est bien un homme, un vrai, au cas où nous aurions des doutes. «J’ai rien contre les homos, mais quand on me traite de, désolé, je transactione pas.» Peu de femmes dans cette équipe de policiers, elles sont plutôt reléguées au rôle de secrétaires. Retour aux années 1940? Pourtant cette relation père-fils qui ne dit pas son nom, placée au cœur du roman, séduit.
Et puis il y a l’enquête. De mystérieux coups de fusil tirés par un sniper invisible, sans faire de morts ni de blessés; des impacts de balle comme des mises en garde, qui commencent à semer la panique. L’arme utilisée est un «Tell 40» imaginé par l’auteur à partir de fusils d’ordonnance de l’armée suisse datant de la première moitié du XXe siècle. La question de l’héritage déborde la relation père-fils et s’étend à l’histoire suisse. Surgit le souvenir d’un réseau de l’ombre, Hydra, inspiré de l’organisation secrète P-26, créée au moment de la Guerre froide pour préparer la résistance en cas d’invasion du pays. Sa découverte avait défrayé la chronique en automne 1990, dans la foulée du scandale des fiches: les Chambres fédérales ignoraient son existence.

Petite visite au doyen

Pour en savoir plus, rendez-vous à deux pas de la cathédrale de Lausanne. Jacques-Étienne Bovard nous reçoit dans son bureau de doyen au Gymnase de la Cité, avant de donner son cours de français du jeudi. Il a été lui-même l’élève de Jacques Chessex dans cet établissement lausannois.
Au mur, des photos en noir et blanc qu’il a prises à Londres. Et un portrait de Churchill le jour de sa nomination en tant que premier ministre. «J’admire beaucoup Churchill. Regardez son expression, fascinante, emplie de haine… Vous devinez à qui elle s’adresse?… Il semble regarder Hitler et lui dire: «J’aurai ta peau!»

Le silence des pères

L’écrivain revisite les silences des générations qui nous précèdent. «Ils étaient tous comme ça, les hommes, dans la famille, des cadenas, des coffres…» confie l’un de ses personnages. «Les Coffres» étaient le titre de travail du roman, il évoque les banques, les forts creusés dans les montagnes, le protestantisme… Et tout ce qui est généralement passé sous silence. «En Suisse, on ne parle pas d’amour, de sexe, ni d’argent. Les pères ne disaient rien, jusque sur leur lit de mort. Ou des propos de surface.»
Son inspecteur-chef Borgeau, est de ceux-là, un «coffre». Lui aussi tait ses sentiments: «Il développe une relation paternelle vis-à-vis de son adjoint, Morisetti, mais ne l’accepte pas. Au lieu de lui témoigner son affection, tout ce qu’il trouve à dire, c’est: imbécile.»
L’écriture de Passé sous silence a été déclenchée par un accident: «En janvier 2023, mon éditeur Bernard Campiche a souffert d’une embolie pulmonaire. Il a fait une chute, il est resté sur le sol pendant quatre jours sans pouvoir s’alimenter, ni en eau ni en nourriture. Il s’en est sorti après 81 jours d’hôpital. Je lui ai téléphoné aux soins intensifs et nous nous sommes parlé comme si nous nous étions quittés la veille. Je lui ai demandé s’il souhaitait que je lui apporte quelque chose. Il m’a répondu: «Un manuscrit!». Cela m’a touché. J’ai la plus grande admiration pour cet homme qui s’est dévoué corps et âme à l’édition.»

Tireur «platonique»

L’idée du sniper qui ne tue pas, d’un tireur «platonique» qui met en joue ses victimes, puis se livre à une sorte de caedes interruptus avec son arme, a été la première image du projet «Cela me fascinait, de manière presque picturale. Je voyais la lunette, le viseur, ces tirs précis, à la Lucky Luke… Mettre en scène une angoisse qui ne repose sur rien de concret me plaisait aussi. Une telle angoisse est coutumière en Suisse.» On la trouvait déjà au cœur de la nouvelle «Les Oisillons» de Nains de jardin.
Si Morisetti ne reconnaît pas le portrait du général Guisan dans une auberge, Borgeau se charge de lui remettre les pendules à l’heure. «On ne peut plus contester aujourd’hui l’importance de l’armée suisse en tant qu’élément de dissuasion face au Reich et le rôle très efficace de Guisan comme commandant en chef», soutient Bovard, très critique envers «les thèses d’historiens soucieux de peindre la Suisse comme un pays totalement asservi au IIIe Reich, publiés dans les des années 1990-2000, dans le contexte de l’affaire des fiches, de la P-26, des fonds juifs en déshérence, thèses contredites depuis par d’autres études plus sérieuses et nuancées».
Militariste, Bovard? «Je n’ai pas fait l’armée, je le regrette. Mais je ne comprends pas qu’on puisse reprocher à un pays d’avoir pris des précautions pour essayer de se défendre. Les mêmes personnes qui criaient au scandale de l’organisation P-26 encensaient la résistance française.» Au passage, on apprend que son père, avocat morgien, ne portait pas le Général Guisan dans son cœur.
Au moment où l’Europe est de nouveau déchirée par la guerre, l’écrivain embusqué a un message à faire passer. Le tireur isolé, d’une certaine manière, c’est lui. Il ne projette pas de balles, mais des mots. Il a repris la plume pour se rappeler à nous. Si vis pacem, para bellum – il faut préparer la guerre pour avoir la paix. Si on ne le fait pas, on est pris.» Une mise en garde également lancée par l’un de ses personnages, une femme. «Tout se paie, tout se défend, ou tout se perd.»


JULIEN BURRI, 
Le Temps


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