Manifestations, rencontres et signatures Index des auteurs
François Conod est né à Bâle en 1945. Ses vingt
premières années se partagent entre cette ville et Lausanne, où il
revient faire ses études de lettres.
Les nouvelles de Ni les ailes ni le bec
ont séduit les jurés du Prix Georges-Nicole en 1987. Aujourd’hui, on
est peut-être plus près de la vraie valeur de ces textes inventifs,
sensibles et drôles, dont la critique du moment avait par trop souligné
l’aspect stylistique. La distance permet d’autre part de remarquer
l’importance des thèmes à venir, que les livres suivants développent
plus profondément.
La Fin des Bellini-Ponte
(1989), roman très noir, à l’écriture glacée, reprend celui de la
compromission, du reniement tragique de soi-même, et avec son héros
Jacques Aliesne, Conod fait le trouble portrait d’un adolescent qui a
comme pourri sur pied, corrompant tout ce qu’il approche.
Janus aux quatre fronts
(1991) rassemble ces deux tendances, ludique et sombre, dans un
clair-obscur constant, avec quelque chose de plus subtil, de moins
montré. Ce roman a valu à François Conod le Prix des Auditeurs de « La
Première » 1992.
Le Tyrannosaure,
troisième roman de François Conod, est paru en 1993. Le Tyrannosaure,
roman de l’âge labyrinthien? Sans se départir d’un humour à toute
épreuve, François Conod nous guide dans les souterrains préhistoriques
de l’âme humaine, et nous offre un roman où chacun prendra plaisir à
s’égarer.
Étoile de papier, texte posthume de François Conod évoque son internement administratif.
François Conod a également traduit, chez Bernard Campiche Éditeur, cinq œuvres du romancier suisse alémanique Walter Vogt, Immortel Wüthrich (repris en camPoche); L’Oiseau sur la table; Boom; La Toux; Le Fort de mer. François Conod a également traduit, chez le même éditeur, la plupart des textes d’Un voyage en Suisse. Enseignant de gymnase retraité, François Conod est décédé le 17 décembre 2017 à Lausanne.
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Hommage à François Conod
Lorsque l’on me demandait ce que faisait mon père, je répondais au gré
de mon humeur: écrivain, prof, traducteur, homme au foyer, journaliste.
Il a été un peu tout ça. Dans le bottin, comme disent les gens de sa
génération, sa dernière inscription était: traducteur.
Le terme qui peut résumer tout cela serait: passeur d’histoires.
Déjà toute petite, avant que j’aie su lire, il m’initiait à Tintin, je
me souviens de ces bas de pages qui se terminaient sur un suspens
terrible. «Non, la suite demain, c’est l’heure de dormir.» Il a su
développer chez moi le goût de lire; du plus loin que je me souvienne,
il est assis sur son fauteuil un livre à la main
(cigarettes-cacahuètes-rouge inclus). Ce dont je n’avais qu’une
conscience assez floue, c’est qu’une fois sa progéniture endormie, il
passait de l’autre côté, chaque soir, assis devant sa machine à écrire,
puis son ordinateur. «Un écrivain n’écrit pas juste quand il est
inspiré, il doit se confronter à la page blanche tous les jours même si
certains ne sont pas productifs, s’il ne sait pas quoi écrire, il faut
se forcer, ne pas attendre que ça vienne, provoquer», disait-il.
Mais revenons-en à Tintin et aux bandes dessinées, ses premières
amours. Adepte tout jeune du «Journal de Spirou», il m’avouera un petit
sourire coupable en coin, à l’âge de 70 ans, qu’il s’y est réabonné.
Adolescent, c’est donc dans le neuvième art qu’il se lance, puis des
nouvelles, des romans, non publiés, jusqu’à l’éclosion avec Ni les ailes ni le bec.
S’il a attendu l’âge canonique de 43 ans pour proposer un manuscrit au
Prix Georges-Nicole, c’est qu’il avait tourné son stylo septante-sept
fois dans son capuchon. En déposant le petit paquet à la poste, il
s’est dit: «Si les membres du jury ne voient pas là qu’il s’agit de
quelque chose de nouveau, alors il s’agit d’un mauvais jury»; il ne
prétendait pas être meilleur que d’autres, mais simplement différent.
La question de la littérature romande et sa place dans le cercle des
écrivains... vaste sujet. À propos de la nouvelle «À vélo», il dit:
«C’est l’histoire d’un gamin amoureux qui finit dans le lit de sa
bien-aimée. Or, dans ma première version de l’histoire, le gamin
finissait bien entendu écrabouillé sous un camion. Pour me faire
plaisir, et me faire souffrir mille morts en même temps, je l’ai envoyé
dormir auprès de sa belle, j’ai donc déromandisé l’histoire. C’est ce
que les critiques qui m’apprécient aiment chez moi. Les pauvres, s’ils
savaient qu’à côté de moi, Amiel est un joyeux luron, Chessex la joie
de vivre et l’innocence même.»
Une part d’ombre donc, que je découvrirai à mesure que je grandis.
Suivent trois romans, dont je n’ai lu qu’un. Les enfants d’écrivains
comprendront peut-être cette pudeur qui rend difficile la lecture de
celui qui pour moi ne devait pas être un auteur «torturé», mais juste
un papa. Force est de constater que, le troisième, Janus aux quatre fronts,
est au-delà des mots un travail de titan. C’est celui pour lequel j’ai
trouvé le plus de préparations. Par exemple, le personnage de Baba fait
l’objet de tout un carnet noirci au crayon afin de lui donner vie, des
cartes de Rome avec du papier calque scotché dessus permettent de
suivre les pérégrinations de ses héros.
II s’exprime au sujet du manuscrit: «Ce manuscrit est comme la maison
dont on a repeint la porte; du coup, on s’aperçoit qu’il faudrait
refaire les volets; ensuite, la façade détonne, il faut la ravaler,
etc.» «Le narrateur a beau être un Dieu, il n’écrit hélas pas comme un
Dieu!» Il écrit aussi à propos de Janus:
«L’éloignement dans le temps, est indispensable pour écrire quel que
soit le sujet choisi. Mes romans ne sont pas autobiographiques. Je n’ai
aucune envie de raconter ma jeunesse, ceci pour deux raisons:
1) je ne l’ai pas aimée (c’est d’ailleurs pour cela que j’écris: fonction de substitution);
2) je ferais mourir d’ennui mon lecteur.
Cela dit, la distance permet d’aller à l’essentiel, montrer ce qu’il y a d’universel dans l’homme, tout ce qui ne change pas.»
À propos du choix de l’époque romaine: «J’étais à la recherches des
sources de la culpabilité en Occident, qui conditionne toute notre
littérature, la mienne aussi, tellement apparente, bien que déguisée
dans mes oeuvres précédentes. Je suis évidemment fasciné par le passage
de l’adolescence à l’âge adulte. Il me fallait une époque de passage.
Quel passage plus considérable dans l’histoire de l’Occident que la
chute de l’Empire romain?»
On retrouvera ces questionnement dans le Petit (mal)traité d’histoire des religions.
Le côté tourmenté, il le revendiquait, absolument. Et de parler des
écrivains qui se sont suicidés, avec ou sans alcool, Edgar Allan Poe,
Verlaine, Duras, de Nerval, et toute une cohorte de gens bien plus
vivants dans sont esprit que tant d’autres.
Viennent des années sans écrire, plus envie? Plus rien à dire?
Découragement face à l’accueil des ses précédents romans? Un peu de
tout cela sans doute.
Il se mue alors en journaliste. D’abord au Nouveau Quotidien,
avec la rubrique télé; il regarde une émission, la décortique, écrit le
soir même, toujours un brin cynique, puis fonce sur son fax, afin de
transmettre le précieux papier dans les temps pour le lendemain.
Il devient ensuite traducteur, ne laissant rien au hasard, on se
souvient de lui déambulant dans son appartement à la recherche DU mot
qui pouvait, lui seul, transcrire la pensée émise par l’auteur.
Articles pour La Distinction
toujours aussi mordants. Finalement, c’est à la fin de sa vie qu’il a
repris goût à l’écriture. Un jour, je m’assieds sur son canapé,
enseignante de ma fonction; le plan d’études a changé, ils veulent
désormais qu’on enseigne l’histoire des religions de manière plus
pointue. Avec mon éducation protestante, force est de constater que je
n’y connais pas grand-chose. Il se met à parler, j’écoute comme bien
souvent, prends des notes mentalement que je transcrirai immédiatement
une fois rentrée chez moi. «Tu devrais écrire un livre sur le sujet»,
que je lui demande. «Non, je n’ai plus envie.» Quelques jours plus
tard, sur ma boîte mail, le début de ce qui s’appellera Petit (mal)traité d’histoire des religions,
je le lis d’une traite, ravie, émue d’avoir provoqué en lui l’envie
d’écrire. Ce livre à mon sens essentiel, publié chez Slatkine,
n’obtiendra pas la reconnaissance auquel il aurait droit.
Mais voilà, le virus l’a repris. Il écrit! Son internement en hôpital
psychiatrique devient un livre, «Étoile de papier», publié ce printemps
chez Bernard Campiche. Un manuscrit auquel je trouvais peu d’intérêt au
départ. Tout ce qui était écrit, il me l’avait déjà dit, à maintes
reprises. Pourtant, à force de le relire pour les corrections, l’idée
s’impose à moi, oui, finalement c’est bon et ça mérite d’être publié,
entendu. Reste un ultime manuscrit que pour l’instant je n’ai pas eu le
courage ou le besoin de lire, comme un dernier témoignage; après ça, ce
sera fini. On verra bien…
ALICE CONOD, «Hommage à François Conod», La Cinquième SaisonHaut de la page
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