Le nid des vieux coucous
Décédé l’an dernier, François Conod avait encore un récit dans ses tiroirs. Court et intense, Étoile de papier
retrace son internement forcé en psychogériatrie en raison de son
alcoolisme. Dès les premières lignes, l’auteur donne le ton: alors
qu’il refuse d’être embarqué, un soignant l’exhorte à se dépêcher car
une vieille dame attend dans la fourgonette et commence à avoir froid…
Gentleman, il accepte.
Dans l’un de ces mouroirs, privé de ses antidépresseurs vineux, Conod
hait son séjour et ne manque pas de le faire savoir. Pour pallier sa
colère et son ennui, l’auteur brosse alors le portrait de cette vie
«hospitalière» au vitriol, donnant du relief à ses travers et
paradoxes. Au milieu de résidents insanes et du personnel soignant
doucereux, Conod comprendra que pour abréger son séjours, il faut
paradoxalement montrer qu’on l’apprécie…
Teintée d’une ironie dont on ne se lasse pas, son écriture désabusée
trouve les formulations justes et percutantes: «Les gens sont très
surpris de constater que je puisse lire un livre en un jour. Quelle
perte de temps! On préfère ne rien faire.» De fait, on pardonne
volontiers quelques jeux de mots faciles et des détails un peu lourds,
qui n’enlèvent rien au style mordant et à la finesse des observations;
d’ailleurs, aviez-vous déjà pensé que la musique de fond dans ces
établissements empêche peut-être la réflexion silencieuse, et donc
l’idée de la mort? Récit critique, rêveur de temps à autre et
finalement plein d’humanité, Étoile de papier est à boire cul sec, sans modération.
SIMON ROSSIER, La Liberté, 8 septembre 2018
Hommage à François Conod
Lorsque l’on me demandait ce que faisait mon père, je répondais au gré
de mon humeur: écrivain, prof, traducteur, homme au foyer, journaliste.
Il a été un peu tout ça. Dans le bottin, comme disent les gens de sa
génération, sa dernière inscription était: traducteur.
Le terme qui peut résumer tout cela serait: passeur d’histoires.
Déjà toute petite, avant que j’aie su lire, il m’initiait à Tintin, je
me souviens de ces bas de pages qui se terminaient sur un suspens
terrible. «Non, la suite demain, c’est l’heure de dormir.» Il a su
développer chez moi le goût de lire; du plus loin que je me souvienne,
il est assis sur son fauteuil un livre à la main
(cigarettes-cacahuètes-rouge inclus). Ce dont je n’avais qu’une
conscience assez floue, c’est qu’une fois sa progéniture endormie, il
passait de l’autre côté, chaque soir, assis devant sa machine à écrire,
puis son ordinateur. «Un écrivain n’écrit pas juste quand il est
inspiré, il doit se confronter à la page blanche tous les jours même si
certains ne sont pas productifs, s’il ne sait pas quoi écrire, il faut
se forcer, ne pas attendre que ça vienne, provoquer», disait-il.
Mais revenons-en à Tintin et aux bandes dessinées, ses premières
amours. Adepte tout jeune du «Journal de Spirou», il m’avouera un petit
sourire coupable en coin, à l’âge de 70 ans, qu’il s’y est réabonné.
Adolescent, c’est donc dans le neuvième art qu’il se lance, puis des
nouvelles, des romans, non publiés, jusqu’à l’éclosion avec Ni les ailes ni le bec.
S’il a attendu l’âge canonique de 43 ans pour proposer un manuscrit au
Prix Georges-Nicole, c’est qu’il avait tourné son stylo septante-sept
fois dans son capuchon. En déposant le petit paquet à la poste, il
s’est dit: «Si les membres du jury ne voient pas là qu’il s’agit de
quelque chose de nouveau, alors il s’agit d’un mauvais jury»; il ne
prétendait pas être meilleur que d’autres, mais simplement différent.
La question de la littérature romande et sa place dans le cercle des
écrivains... vaste sujet. À propos de la nouvelle «À vélo», il dit:
«C’est l’histoire d’un gamin amoureux qui finit dans le lit de sa
bien-aimée. Or, dans ma première version de l’histoire, le gamin
finissait bien entendu écrabouillé sous un camion. Pour me faire
plaisir, et me faire souffrir mille morts en même temps, je l’ai envoyé
dormir auprès de sa belle, j’ai donc déromandisé l’histoire. C’est ce
que les critiques qui m’apprécient aiment chez moi. Les pauvres, s’ils
savaient qu’à côté de moi, Amiel est un joyeux luron, Chessex la joie
de vivre et l’innocence même.»
Une part d’ombre donc, que je découvrirai à mesure que je grandis.
Suivent trois romans, dont je n’ai lu qu’un. Les enfants d’écrivains
comprendront peut-être cette pudeur qui rend difficile la lecture de
celui qui pour moi ne devait pas être un auteur «torturé», mais juste
un papa. Force est de constater que, le troisième, Janus aux quatre fronts,
est au-delà des mots un travail de titan. C’est celui pour lequel j’ai
trouvé le plus de préparations. Par exemple, le personnage de Baba fait
l’objet de tout un carnet noirci au crayon afin de lui donner vie, des
cartes de Rome avec du papier calque scotché dessus permettent de
suivre les pérégrinations de ses héros.
II s’exprime au sujet du manuscrit: «Ce manuscrit est comme la maison
dont on a repeint la porte; du coup, on s’aperçoit qu’il faudrait
refaire les volets; ensuite, la façade détonne, il faut la ravaler,
etc.» «Le narrateur a beau être un Dieu, il n’écrit hélas pas comme un
Dieu!» Il écrit aussi à propos de Janus:
«L’éloignement dans le temps, est indispensable pour écrire quel que
soit le sujet choisi. Mes romans ne sont pas autobiographiques. Je n’ai
aucune envie de raconter ma jeunesse, ceci pour deux raisons:
1) je ne l’ai pas aimée (c’est d’ailleurs pour cela que j’écris: fonction de substitution);
2) je ferais mourir d’ennui mon lecteur.
Cela dit, la distance permet d’aller à l’essentiel, montrer ce qu’il y a d’universel dans l’homme, tout ce qui ne change pas.»
À propos du choix de l’époque romaine: «J’étais à la recherches des
sources de la culpabilité en Occident, qui conditionne toute notre
littérature, la mienne aussi, tellement apparente, bien que déguisée
dans mes oeuvres précédentes. Je suis évidemment fasciné par le passage
de l’adolescence à l’âge adulte. Il me fallait une époque de passage.
Quel passage plus considérable dans l’histoire de l’Occident que la
chute de l’Empire romain?»
On retrouvera ces questionnement dans le Petit (mal)traité d’histoire des religions.
Le côté tourmenté, il le revendiquait, absolument. Et de parler des
écrivains qui se sont suicidés, avec ou sans alcool, Edgar Allan Poe,
Verlaine, Duras, de Nerval, et toute une cohorte de gens bien plus
vivants dans sont esprit que tant d’autres.
Viennent des années sans écrire, plus envie? Plus rien à dire?
Découragement face à l’accueil des ses précédents romans? Un peu de
tout cela sans doute.
Il se mue alors en journaliste. D’abord au Nouveau Quotidien,
avec la rubrique télé; il regarde une émission, la décortique, écrit le
soir même, toujours un brin cynique, puis fonce sur son fax, afin de
transmettre le précieux papier dans les temps pour le lendemain.
Il devient ensuite traducteur, ne laissant rien au hasard, on se
souvient de lui déambulant dans son appartement à la recherche DU mot
qui pouvait, lui seul, transcrire la pensée émise par l’auteur.
Articles pour La Distinction
toujours aussi mordants. Finalement, c’est à la fin de sa vie qu’il a
repris goût à l’écriture. Un jour, je m’assieds sur son canapé,
enseignante de ma fonction; le plan d’études a changé, ils veulent
désormais qu’on enseigne l’histoire des religions de manière plus
pointue. Avec mon éducation protestante, force est de constater que je
n’y connais pas grand-chose. Il se met à parler, j’écoute comme bien
souvent, prends des notes mentalement que je transcrirai immédiatement
une fois rentrée chez moi. «Tu devrais écrire un livre sur le sujet»,
que je lui demande. «Non, je n’ai plus envie.» Quelques jours plus
tard, sur ma boîte mail, le début de ce qui s’appellera Petit (mal)traité d’histoire des religions,
je le lis d’une traite, ravie, émue d’avoir provoqué en lui l’envie
d’écrire. Ce livre à mon sens essentiel, publié chez Slatkine,
n’obtiendra pas la reconnaissance auquel il aurait droit.
Mais voilà, le virus l’a repris. Il écrit! Son internement en hôpital
psychiatrique devient un livre, «Étoile de papier», publié ce printemps
chez Bernard Campiche. Un manuscrit auquel je trouvais peu d’intérêt au
départ. Tout ce qui était écrit, il me l’avait déjà dit, à maintes
reprises. Pourtant, à force de le relire pour les corrections, l’idée
s’impose à moi, oui, finalement c’est bon et ça mérite d’être publié,
entendu. Reste un ultime manuscrit que pour l’instant je n’ai pas eu le
courage ou le besoin de lire, comme un dernier témoignage; après ça, ce
sera fini. On verra bien…
ALICE CONOD, «Hommage à François Conod», La Cinquième Saison
«On
m’y a amené (de force, on m’y a consigné (de force). Le motif:
alcoolisme. On m’a déshabillé, passé une chemise d’hôpital. J’ai la
septantaine, je suis logé en section de psychogériatrie. Tout le monde
souffre, c’est la première chose qui frappe.» Et l’auteur de disséquer
les comportements des patients de l’hôpital psychiatrique. Une analyse
caustique, sans concessions.
«Cette semaine, on a livré une Alzheimer, une hystérique, un prétendu
millionnaire avec une question lancinante: qu’est-ce que je fous là?»
L’auteur décrit l’univers psychiatrique sans complaisance, avec
lucidité, mâtinée d’humour. C’est aussi l’occasion pour François Conod
de revisiter le passé, notamment mai 68 avec un constat lapidaire, sans
équivoque: «Le bilan politique est nul. Le jeu est resté le même. C’est
souvent un sale jeu.»
Dans les couloirs, un homme passe et repasse. Ce va-et-vient scande le
rythme des journées. Le narrateur s’est mis dans la tête du Zombie de
Somalie. Un portrait à l’image de tous ces candidats à l’émigration,
hantés par les rêves de l’Europe «poule aux œufs d’or». Et comme il n’a
pas de quoi payer les passeurs, il a vendu un de ses reins. «Je
cherchais la “xiddiga” du Nord, l’Étoile polaire.» En somali, «xiddiga»
signifie étoile.
Le narrateur livre au lecteur une brassée d’anecdotes, évoquant la
lecture, la télé, les selles d’un nouvel arrivant, la débrouillardise.
Il est un fin observateur. Rien ne lui échappe. Et l’auteur de
conclure: «Ceci est une œuvre, ce n’est ni un témoignage ni un roman.
C’est les deux.»
François Conod est parti le 18 décembre 2017, trop tôt pour voir la
parution de son livre, lui qui a publié chez l’éditeur urbigène,
Bernard Campiche, à de réitérées reprises. Encensé par la presse et la
critique. Né à Bâle en 1945, c’était un traducteur hors pair. Il a
traduit notamment l’écrivain suisse alémanique Walter Vogt. Il aimait à
séjourner à Rances.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus
Témoignage posthume d’un internement forcé
Après un recueil de nouvelles et trois romans marquants au tournant des
années 1990, François Conod a cessé d’écrire. Ou du moins de publier.
Brillant chroniqueur, romancier inventif, il a poursuivi une vie de
traducteur et d’enseignant dans un gymnase lausannois. Quelques mois
après sa disparition, à 72 ans, l’éditeur Bernard Campiche publie ce
poignant Étoile de papier.
«Ceci est une œuvre, ce n’est ni un témoignage ni un roman. C’est les
deux», écrit François Conod à la dernière page. Ce témoignage, c’est
celui d’un homme «amené (de force)» dans un hôpital psychiatrique.
«D’après ce que j’ai pu comprendre: essentiellement pour “alcoolisme”»,
note-t-il d’entrée. Il est «l’un des moins âgés» de la section
psychogériatrie et se retrouve entouré de malades atteints de démence
sénile, Alzheimer, schizophrénie, Parkinson… François Conod raconte ses
journées d’hôpital, «longues, très longues, trop longues», imagine le
destin d’un patient somalien qu’il appelle «le Zombie», se souvient de
ses années de jeunesse, de Mai 68 et de sa découverte de l’alcool. Avec
un sens aigu de l’observation, une intelligence acérée et un humour qui
rend le récit d’autant plus émouvant, il signe un bref texte
inclassable, à la fois délicieux et douloureux.
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
«Le présent livre n'est qu'une oeuvre littéraire qui contient notamment
des théories. En cela, ce n'est pas un roman, pas un essai non plus.
Zut alors, on aime bien les étiquettes.»
Qu'importe l'étiquette pourvu qu'on ait l'oeuvre... C'est ce que le
lecteur est tenté de dire un fois le livre refermé. Parce qu'il s'agit
bien là d'une oeuvre littéraire qui relève à la fois du roman et du
témoignage, qui dit donc «faussement la vérité», mais la dit...
Le premier chapitre donne tout de suite le ton: par son titre d'abord,
«Dans un nid de coucous», qui évoque le film de Milos Forman, par son
propos ensuite, l'internement forcé en HP de l'auteur, «essentiellement
pour “alcoolisme”», par l'ambiance enfin.
Le narrateur est «logé en section de psychogériatrie, est sans doute
l'un des moins âgés» des patients (ceux qui souffrent). Au sujet des
vieux et des malades mentaux, il pose la question, expérience faite:
«est-il judicieux de les mettre ensemble?»
Avant d'en arriver là, il observe et raconte son séjour en HP, qui aura
passé «lentement, très lentement, trop lentement.» Comme c'est observé
et raconté avec beaucoup d'humour, noir, le lecteur ne sait pas trop
s'il peut en rire ou s'il doit s'en affliger.
Comme l'auteur est lettré, les ombres d'écrivains qui buvaient beaucoup
ou qui se sont suicidés (parfois les deux) se présentent à son esprit
et, comme l'imagination se nomme aussi parfois «la folle du logis,» à
leur exemple, il se met à son tour à inventer.
Il imagine ainsi le périple de l'un des patients, qu'il a surnommé le
Zombie, depuis la Somalie jusqu'à la Suisse romande, et c'est sans
soute la partie la plus romanesque de ce livre sans étiquette. Sinon,
il raconte des anecdotes et des choses vues.
Parmi les choses entendues, il y a ce qu'il appelle «le petit lexique
infirmier-malade» où les demandes du personnel aux malades sont des
ordres qui signifient le contraire de ce qu'elles disent; lui, pour
s'en sortir, dira ce qu'on lui aura dit de dire.
En fin il confesse, humour toujours: «Je me suis amusé comme un fou à
écrire ce livre, seul un fou ne s'en rendrait pas compte.» Le lecteur
sera alors tenté de boire à la mémoire de celui qui, de mai 68, n'avait
gardé que «le goût du vin et de la parlotte»…
Tandis que son Zombie a suivi son étoile pour s'exiler, parce qu'il voulait être libre, même si ce n'était qu'une Étoile de papier,
François Conod aura suivi la sienne pour retrouver ses livres et ses
meubles, et il aura eu raison, «fût-elle de papier», elle aussi.
Blog de FRANCIS RICHARD
Un testament poignant (François Conod)
On avait perdu la trace de François Conod, brillant auteur d'une dizaine de romans et de recueil de nouvelles (dont Janus aux quatre fronts,
Prix des Auditeurs de la RTS 1992) et excellent traducteur de l'auteur
alémanique Walter Vogt (six livres parus chez Bernard Campiche). Bien
sûr, il y eut, en 2016, ce Petit Maltraité d'Histoire des religions (Slatkine), illustré par Mix et Remix. Mais Conod s'était fait oublier de la vie littéraire…
Il ressuscite aujourd'hui, grâce à son ami Bernard Campiche, qui publie un livre à la fois coup de poing et testament, Étoile de papier.
Ce récit bref et poignant raconte les quelques mois que l'auteur a
passés dans un asile psychogériatrique de Lausanne. Interné contre sa
volonté (pour des raisons aussi floues que nombreuses: alcoolisme,
dépression, obsession du suicide), Conod va tenir une sorte de journal
de bord de cette expérience douloureuse. Il raconte le quotidien de
l'institution, les repas, les promenades, l'infantilisation des
patients, la poigne de fer ou la gentillesse des infirmières, les
visites de plus en plus rares, sur un ton à la fois grave et amusé. Il
brosse le portrait de ses camarades de chambre, d'un réfugié africain
qui ne parle à personne et qui sera bientôt renvoyé en Somalie, les
horaires militaires de l'institution. Conod adresse également une
critique acerbe aux milieux médicaux (psychiatres, géropsychiatres,
etc.) qui ne prennent jamais le temps d'écouter leurs patients ou
édictent des règlements absurdes. Cette charge sonne d'autant plus
douloureusement que Conod, interné contre son gré, n'a qu'un désir :
rentrer au plus vite chez lui. Pour cela, il lui faudra ruser, mentir,
rentrer dans le jeu des soignants.
Ce cri de colère aux allures de testament laisse dans la bouche un goût
de cendres: François Conod est décédé le 18 décembre 2017 à Lausanne,
sans que l'on sache pourquoi, ni comment, à l'âge de 72 ans.
Blog de JEAN-MICHEL OLIVIER
François Conod: un rire derrière les murs de l’hôpital
Les premières lignes racontent comment l’auteur a été interné de force
dans un hôpital psychiatrique pour y soigner son alcoolisme. Elles sont
saisissantes. On est empoigné, emporté jusqu’au point final de ce livre
posthume: François Conod est décédé le 18 décembre 2017, à Lausanne.
Il avait publié quelques livres (roman et nouvelles) entre la fin des
années 1980 et le début de la décennie suivante. Puis François Conod
avait jeté l’éponge, enseignant jusqu’à l’âge de la retraite,
poursuivant la traduction des livres de Walter Vogt pour l’éditeur
Bernard Campiche, buvant bien plus que de raison. Il disait qu’un verre
dans le nez lui adoucissait la vie: «C’est tout simplement se tromper
d’antidépresseur. Cette erreur justifie-t-elle un internement?»
Dans sa cage psychogériatrique, François Conod observe et décrit.
L’atmosphère médicamenteuse. Les patients séniles. Les caprices des
uns, l’énigmatique folie des autres. Les journées vides ou simplement
remplies par l’attente des repas. Ou encore la bande-son du régime
hospitalier: roulettes des chariots, voix chevrotantes, lamentations…
C’est écrit à la pointe sèche, sans apitoiements, ni sur les autres, ni
sur soi-même. Étoile de papier
est un livre d’une vivacité singulière, porté par un humour narquois
qui contient et surmonte la souffrance. François Conod le répand sur
cette vie asilaire et mortifère. Son sarcasme, c’est le vif qui se
rebiffe.
Parmi les passages les plus drôles, ce «petit lexique infirmier malade»
qui traduit la langue paradoxale et infitilisante du personnel
soignant: si l’on vous dit «d’accord» signifie «on ne vous demande pas
votre avis»… Il y a aussi le goût de la fiction qui revient quand
François Conod se met à imaginer la vie d’un patient africain. Et des
souvenirs de lectures qui remontent à la surface du temps immobile.
Comme cette phrase de Malcolm Lowry: «Si notre civilisation devait
dessoûler deux jours de suite, elle mourrait de remords le troisième.»
MICHEL AUDÉTAT, Le Matin Dimanche
Récit
posthume de François Conod, Étoile de papier évoque l’«internement»
administratif de l’auteur dans un hôpital psychiatrique, et les
démarches entreprises pour en sortir. Avec beaucoup d’humour, l’auteur
dresse le portrait des «pensionnaires» de l’hôpital, et sa situation
d’«intellectuel» au milieu de tout ce monde…
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