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D’origne franco-algérienne, Valérie Poirier vit à
Genève. Comédienne de formation, elle réalise plusieurs mises en scène
avant de se consacrer principalement à l’écriture. Ses pièces de
théâtre sont jouées régulièrement en Suisse romande. Elle collabore
avec différents théâtres, La Comédie de Genève, le Théâtre Am Stram
Gram, le Théâtre des Marionnettes de Genève et le Théâtre de Poche. En
2013, Valérie Poirier a publié également un recueil de nouvelles, Ivre avec les escargots, aux éditions d’Autre Part, à Genève. Elle est récompensée par divers prix et reçoit, en 2017, le prix suisse du Théâtre.
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Avec Loin du bal, la dramaturge croque la vieillesse. Et sort en camPoche.
Abord d’âges
«À vrai dire, je suis toujours confuse.» Rien de honteux, pourtant, ne
cloue Valérie Poirier sur sa chaise. Juste la représentation de l’une
ou l’autre de ses pièces, ce moment où l’intime de l’écriture se voit
déculotté sur une scène. Très pudique, elle a choisi un métier
impudique, celui de dramaturge. «Autant dire que je ne suis pas sortie
de l’auberge», sourit-elle franchement, et laisse glisser à travers la
pièce ses yeux pers. Lundi dernier, pourtant, lors de la création à
Genève, au Théâtre de Poche, de son texte Loin du bal,
le trouble attendu est resté à quai. Peut-être parce que la metteure en
scène Martine Paschoud a su éviter l’une des difficultés que posent ces
textes tragicomiques, celle de basculer soit dans le boulevard soit
dans le drame, «notamment grâce à la lenteur instaurée au début». Mais
globalement, «je ne sais pas si je m’habituerai jamais à voir partir un
texte. Même si j’en ai fait la mise en scène moi-même, je suis toujours
encore trop abîmée dans mon écriture.»
Il faut dire que pour Valérie Poirier les choses ont été vite: elle publie Quand la vie bégaie en 2009 – quinze ans après la première version –, et la pièce est montée la même année au Galpon; elle termine Les Bouches
en 2004, présentées en 2006 – pièce qui revisite les lieux de
l’enfance, le canton de Neuchâtel, où la jeune femme d’origine
franco-algérienne a grandi; et Loin du bal n’a été terminée qu’en 2007.
Mais si ces succès soudains la ravissent, ils ne l’éblouissent pas:
«Vous savez, la Suisse romande est petite. Difficile ici de travailler
dans la durée sans sortir des frontières. Combien d’auteurs ont vu
leurs pièces jouées plusieurs fois?» Elle évoque le travail de
passerelle que tentent les Écrivains associés de théâtre
avec leurs collègues francophones et salue le travail de l’éditeur
Bernard Campiche, qui a entrepris de publier les textes de dramaturges
romands dans sa collection Théâtre en camPoche – où quatre des sept textes de Valérie Poirier sont sortis au début de cette semaine.
Les ratés de l’âge
Pour l’heure, Valérie Poirier a mis des pingouins sur la scène du Poche. Ils planent sur Loin du bal
comme une ombre douce et angoissante, évoquant cette grande glaciation
où s’enfonce l’existence quand elle s’achève. Dans cet EMS du
Gros-de-Vaud où le dimanche est jour de papet, la vie tourne au
ralenti. Jusqu’à l’arrivée d’un prétendu fils, qui cherche un père: ce
sera Hector, ancien rocker plus muré que d’autres dans son passé. Grâce
à cette relation inespérée, les pulsions de vie reviennent à l’EMS, la
sexualité et la violence aussi. Valérie Poirier aurait pu faire
entendre le troisième âge fringant aimé des publicitaires ou développer
un discours sur le quatrième. Elle a fait mieux en osant donner la
parole à une période taboue et caricaturée. D’une plume audacieuse et
agile, elle crée des personnages aux prises avec les ratés de l’âge (il
faut entendre la litanie des douleurs, «poème» improbable dit
magnifiquement par Jane Friedrich). Dans la fleur de l’âge, la
dramaturge et metteure en scène s’émeut pour celui qui est encore loin,
le quatrième. «C’est une façon de l’apprivoiser, clairement.» En plein
succès, elle s’intéresse aussi au ratage professionnel avec Quand la vie bégaie, qui esquisse les espoirs et désillusions de deux artistes de cabarets vieillissants.
Marginalité
C’est pour elle une façon d’enrichir le répertoire. Avec Les Bouches,
elle se réjouissait d’y ajouter quelques rôles féminins. «Entre
quarante et quatre-vingts ans, on n’est pas très représentés, surtout
les femmes. Je n’ai pas de position militante mais, à partir d’un
certain âge, les gens ont simplement plus d’épaisseur.» Écrire pour les
jeunes l’intéresse moins, même si elle aime travailler avec eux: «Je
n’ai plus envie de me pencher sur les préoccupations de cette période,
que j’aie eue aussi, bien sûr – trouver un amoureux, réussir
socialement. À vrai dire, il faut penser autrement qu’en termes d’âges
car, comme pour la vieillesse, on catégorise vite. J’aime les
personnages un peu décalés, malmenés par la vie.» Et marginaux, comme
le sont ceux du grand âge. Avec Loin du bal, elle a eu envie de
réunir des comédiens qui marquent la scène depuis longtemps déjà. «Pour
un comédien, le vieillissement n’est pas simple. Avec l’âge, les
facultés s’émoussent et notamment la mémoire, cet outil clé.» C’est
chose faite et bien faite: sur la scène du Poche, une palette de beaux
comédiens romands âgés est réunie (Erika Denzler, Monique Mani,
Jean-Charles Fontana, Maurice Aufair), et la notion d’«épaisseur»,
artistique ici, prend tout son sens. Cet après-midi, elle reçoit
chez elle car elle est de service garderie. Dans son appartement tout
simple, elle prépare le thé, accueillante. Sans élever la voix,
tranquille et ferme, elle assure le calme – avec l’aide d’un autre
Pingu, il est vrai, plus débonnaire, celui-là, que ceux de Loin du bal.
Elle répond aux questions le visage sérieux traversé de sourires
éclatants, sans fioritures: elle va à l’essentiel. Comme ses textes.
Qui n’ont pourtant rien de sec ou décharné. D’un adjectif, d’une
boursouflure, elle insuffle ironie ou poésie à une trame toujours
efficace. Cette plume est précise, elle ne l’utilise pas pour dénuder
ni écorcher. Mais pour tracer la direction du récit, pour affiner au
plus net la posture d’un personnage. À l’aise dans les formes très
courtes, la narration classique et la forme d’artisanat qu’elle
implique la fascine. «Je travaille à maîtriser cette narration… pour
mieux m’en écarter» et nouer encore mieux ses textes elliptiques entre
eux.
Cesser d’attendre
Car même si elle écrit depuis une quinzaine d’années, elle ne se
considère pas au bout de son écriture. Alors qu’on a prédit à Bernard
Campiche – décidé à publier plusieurs auteurs dans un même recueil de
sa série «Enjeux» dirigée par Philippe Morand – que les auteurs
n’aiment pas se retrouver dans les mêmes pages, Valérie Poirier a adoré
le travail mené en résidence avec Enzo Cormann. Dans le cadre de Textes-en-scènes,
la bourse à l’écriture offerte par la Société Suisse des Auteurs, le
dramaturge français a accompagné le projet des auteures d’Enjeux 4, Nadège Reveillon, Odile Cornuz, Julie Gilbert et Valérie Poirier (avec Loin du bal).
Comédienne de formation, Valérie Poirier a souffert de ces longues
périodes d’attente qu’impose ce métier. Et c’est pour «ne plus être
dépendante du désir des autres» qu’elle a pris la plume. «Que le texte
soit monté ou non, au moins, personne n’a pu m’empêcher de l’écrire.»
DOMINIQUE HARTMANN, Le Courrier
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