Valérie Poirier est franco-algérienne. Elle vit à Genève.
Comédienne, elle est également metteur en scène. Mais c’est l’olifant
de l’écriture qui l’appelle. Écrire pour le théâtre est presque une
évidence. L’année dernière, elle se voit décerner le prix suisse du
Théâtre. La consécration qui couronne son œuvre!
C’est une série de six pièces qui sont consignées dans le livre de
poche paru chez Bernard Campiche. Six tableaux écrits avec une plume
acérée. Des caricatures de l’âme humaine. Ses personnages sont criants
de vérité avec des lézardes du côté du cœur. La force de Valérie
Poirier réside dans son style si particulier. Des phrases courtes.
Percutantes. Parfois un seul mot. Mais qui dit tout. Un enchaînement de
mots. Le personnage est révélé par cette concision, cette épure de la
langue. Avec plus de virulence que ne le feraient de longues tirades.
Parfois la langue exulte dans des monologues superbes qui ralentissent
le rythme trépidant.
Le prétexte de ses pièces? Souvent une commande de la part d’un metteur
en scène. Lorsqu’elle choisit une maison de retraite, ce n’est
nullement dans l’intention d’en faire une étude sociologique mais pour
rendre compte d’une certaine marginalité. «Les vieux sont les derniers
mohicans; ils assistent au naufrage d’un monde en train de
disparaître». À nouveau, un univers décalé avec ce couple âgé,
magiciens au public épars et qui suscite la tendresse de l’auteur.
Dans «Palavie», l’auteur aborde deux thèmes qui lui sont chers: l’exil
et la maternité. Elle s’est intéressé à l’histoire des Pieds-Noirs
d’Algérie, en particulier celle des petites gens issues de cette
communauté. Histoire poignante que celle de Nadji, appelé Jean-Paul par
sa mère, pour faire plus suisse. Ce dernier s’adresse à sa mère défunte
ou plus précisément à l’urne qui renferme ses cendres: «Quand j’étais
petit, tu faisais venir la mer. Un jour tu as lâché ma main. Tout est
devenu silencieux. La neige a recouvert les rires et les chants.» Au
lecteur de découvrir «Un conte cruel» qui met en scène la violence
conjugale. Tout avait pourtant si bien commencé entre La Girafe et
Petit-Brun!
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus
Une précieuse trace écrite du travail de la dramaturge Valérie Poirier
Jouée en 2015 au théâtre du Grütli, la pièce de théâtre Palavie
marquait les esprits et bouleversait les cœurs. Le thème de l’exil y
était essentiellement évoqué avec une finesse et une sensibilité rares:
celles de Valérie Poirier, récompensée cette année par le Prix suisse
du Théâtre. L’auteur prolonge notre bonheur avec l’édition de cette
pièce, mais aussi de toutes celles qu’elle a écrites, au travers du
livre: Palavie et autres pièces,
paru aux Éditions Bernard Campiche. La sortie de l’ouvrage fut fêtée
fin novembre dernier, au Café-librairie Livresse, à Plainpalais
Comédienne de formation, vivant à Genève, Valérie Poirier semble
investie d’une mission qu’elle relève comme personne: toucher nos
points sensibles, parfois nos blessures, nous exhortant à les regarder
en face et à ne pas les enfouir. Ses outils? Les mots qu’elle habite si
intimement, si intensément de par sa fonction de dramaturge. «Si on ne
va pas creuser les histoires en profondeur, il n’est pas indiqué de
prendre la plume», souligne-t-elle. La magie opère aussi lorsque
Valérie Poirier prend la parole. Converser avec elle, c’est se délecter
du plaisir de l’entendre formuler minutieusement ses idées, quitte à
ponctuer ses phrases de silences. De manière évidente, Valérie Poirier
cherche toujours la parole juste, la parole vraie, au plus près des
ressentis
Résonances
Cette quête de profondeur et de vérité a pour effet de toucher en plein
coeur. Les mots de Valérie Poirier ont le pouvoir d’entrer en
résonance. Résonance avec les spectateurs, leur vie. Tel est le cas
avec «Palavie»; pièce de théâtre née d’une proposition faite à Valérie
Poirier, par le metteur en scène Julien George, d’écrire pour la
Compagnie Clair-Obscur. Deux grands thèmes y sont abordés: l’exil et la
maternité. «On vient d’une terre, d’un ventre, on grandit dans une
langue. Quelquefois, nos trajectoires sont bousculées et ce terreau
d’origine vole en éclats, il faut se reconstruire ailleurs, autrement,
se dire avec des mots nouveaux. L’exil géographique se conjugue avec
l’exil intérieur; on ne sait plus tout à fait qui l’on est, on ne se
sent plus complètement légitime. On devient un être fracturé (…)»,
écrit Valérie Poirier, rendant hommage aux trajectoires brisées et à
une forme de résilience. Entrer dans l’univers de «Palavie» marque pour
la vie. Il y a un avant et un après la pièce. On apprendrait presque
tout par cœur, tant les phrases sont belles et fortes. On retiendra la
toute dernière, celle d’un oiseau: «N’aie pas peur de la nuit, Mama,
car c’est elle qui allume les étoiles».
«Il n’y a plus d’éditeurs pour le théâtre»
— Valérie Poirier, que ressentez-vous à présent que le livre est édité?
— Un grand contentement! Voir toutes mes pièces principales réunies en un seul recueil
me procure un grand plaisir. Outre Palavie, écrite en 2012, le livre contient les pièces Les Bouches, récompensées par le Prix de la Société des Auteurs; Loin du bal; Quand la vie bégaie; Objets trouvés et Un conte cruel.
— Quelques mots à propos de la couverture?
— J’ai eu la chance de pouvoir la choisir. C’est une création d’Olivier
Garrel. On y voit une marelle dessinée dans le sable et que la mer
efface. Cela évoque un destin brisé, quelque chose qui à avoir avec
l’enfance, avec le lointain. Le fait qu’elle soit effacée revêt une
connotation un peu tragique.
— Aimeriez-vous que des passionnés de théâtre puissent rejouer vos pièces grâce à ce livre?
— Énormément. C’est d’ailleurs l’un des buts du livre, surtout
lorsqu’on sait que les gens ne lisent pas forcément beaucoup le
théâtre. Ce livre, de surcroît, est une trace de tout mon travail.
C’est une énorme satisfaction.
— Où peut-on le trouver?
— Dans les librairies, ainsi qu’auprès de l’éditeur à qui on peut le commander.
— Un dernier message?
— Aujourd’hui, il n’y a plus d’éditeurs pour le théâtre, en Suisse
romande. C’est une grande perte pour le patrimoine culturelle de notre
région. J’aimerais donc saluer ici le geste de mon éditeur Bernard
Campiche.
ESTHER ACHERMANN, Tout l'immobilier
Plonger
dans les pièces de Valérie Poirier c’est comme s’immerger dans un
kaléidoscope furibard ; mais attention : les hoquets de son écriture
déglinguée et multicolore cachent en réalité la mécanique d’une grande
complication.
Tout un petit monde soigne ses bleus au corps en se peignant des bleus
à l’âme, pantins crédules qui frôlent l’histoire des grands, tout en se
gavant des cendres de leurs morts ; ici, l’insignifiance chahute au
plus près les belles espérances.
Et pourtant, les rideaux déchirés ne sont jamais bien loin, qui
pourraient laisser filtrer les rais d’un bonheur désespéré, celui qui
nous tend les bras, avec ses mains pleines de sourires.
GILLES LAMBERT
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