Un visage humain pour les «dopés»
Hôtel des cœurs brisés
se lit d’une traite. Intrigue, suspense ou sentiments, il contient tous
les ingrédients de la recette qui fait les bons romans. Au fil des
pages, le lecteur a toutefois l’impression de dériver du récit
imaginaire au documentaire bien implanté dans la réalité. Le cœur de
l’action étant ancré à Lausanne, les nombreuses références aux places
et bistrots ne manqueront pas de réveiller des souvenirs bien réels
pour le lecteur vaudois. Et surtout, l’histoire est truffée de
citations, qu’Anne Cuneo reconnaît ne pas avoir inventées. Si les noms
sont imaginaires, les paroles des acteurs ne le sont pas. Elles
proviennent des documents et contacts que l’auteur a patiemment
récoltés durant cinq années passées dans ce monde qu’elle découvrait.
Ainsi, pour peu que l’on connaisse un peu le monde du cyclisme, on se
met à chercher quel coureur retiré de la compétition ou quel directeur
sportif pourrait bien avoir prononcé telle ou telle chose. Sous couvert
de l’anonymat, bien entendu.
Au contraire des autres ouvrages consacrés au dopage, Hôtel des cœurs brisés
ne s’attarde pas sur les termes techniques et les dosages médicaux. Par
l’entremise du roman, Anne Cuneo peut tenter d’expliquer ces
comportements jugés pourtant si irresponsables vus de l’extérieur. Elle
redonne un visage et une âme aux «dopés» et décortique la dérive qui
les conduit des premières barres énergétiques aux produits extrêmes,
qui mettent parfois leur vie en danger. Comme toujours, les choses sont
plus complexes que les médias ne veulent bien les présenter. Et si le
dopage commençait par l’innocente pastille de vitamine que vous
ingurgitez chaque matin?
Un roman écrit au cœur du peloton
«C’est marrant, vous êtes le troisième journaliste sportif qui me
téléphone.» Anne Cuneo est toute surprise de l’intérêt qu’elle suscite
au sein des rédactions sportives. Le sujet de son dernier roman, Hôtel des cœurs brisés,
suffit pourtant à justifier l’intérêt de ces «étrangers» au monde de la
littérature. «C’est avant tout l’histoire de parents qui ne peuvent se
résoudre à accepter la mort soudaine de leur fils. C’est un travail
littéraire, pas une dénonciation du dopage», avertit cependant
l’écrivain-journaliste. Pour écrire son dernier roman, Anne Cuneo
n’a pas hésité à se plonger cinq ans dans le monde du cyclisme. «L’idée
m’a été soumise par des journalistes sportifs qui se plaignaient de la
loi du silence qui règne dans le monde du vélo. Ils espéraient que mon
statut d’écrivain m’ouvre des portes.»
Et le miracle s’est produit, tout du moins en partie: «J’ai rencontré
tous les types de gens et certains m’ont raconté des bobards. Je me
suis renseignée sur leurs équipes, j’ai été regarder dans leurs
biographies et j’ai assez vite compris comment on pouvait distinguer
ceux qui ne se dopent pas. On vous raconte des histoires de cyclistes
qui ont été laissés sur place par leurs adversaires en fin de course,
comme si la fatigue n’avait pas d’emprise sur eux. Mais il ne faut pas
se faire d’illusions, tous les grands noms qu’on connaît se dopent»,
accuse la journaliste.
Au fil de ses rencontres, Anne Cuneo a commencé à comprendre les
rouages du dopage: «Je voulais expliquer cette mécanique, mais sans
juger. J’ai beaucoup de respect pour ce métier qui est très, très dur.
Certains porteurs d’eau prennent des produits simplement pour pouvoir
garder leur job. On m’a aussi expliqué comment on peut tomber dedans
par naïveté. Certains cas, comme celui de Zülle, sont presque
attendrissants. Mais par contre, je n’ai aucun respect pour les
champions comme Virenque qui s’entêtent à tout nier.»
Chiffres effrayants
Restait à mettre tout cela sur le papier et à trouver un fil
conducteur. «J’avais essayé dix intrigues différentes. Le tilt s’est
produit lorsqu’un médecin sportif m’a dit, entre deux portes, que la
mortalité par arrêt cardiaque chez les sportifs était cinq fois
supérieure à celle de la population, et même dix fois supérieure à
celle de leur catégorie d’âge!»
La parution du roman coïncide, à quelques semaines près, avec
l’éclatement au grand jour de l’affaire Phonak, mais Anne Cuneo rejette
tout lien entre les deux événements. «C’est un pur hasard. Lorsque j’ai
terminé mon manuscrit, les affaires Phonak n’existaient pas encore. Il
n’a été relu que par des amis proches. Quant à l’équipe que j’ai
inventée, elle existait déjà dans un de mes romans publié il y a quatre
ans», se défend l’auteur.
Mais que reste-t-il à Anne Cuneo de sa plongée dans ce monde dont elle
ignorait tout, il y a encore cinq ans? «Finalement, tout ce que j’ai
entrepris ne répond pas à ma perplexité première: si personne ne se
dopait, les résultats seraient les mêmes!» Oui, mais dès l’instant où
il y en a un qui commence…
SYLVAIN MULLER, La Presse Nord Vaudois
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Le dopage selon Machiavelli
Un roman palpitant éclaire certaines coulisses du vélo. Particularité:
Anne Cuneo n’a rien inventé! La quatrième aventure de la redoutable
enquêteuse l’entraîne dans le monde du cyclisme.
Raconter un polar, cela ne se fait pas. Sachez quand même que la
Lausannoise Marie Machiavelli résout une énigme mortelle et une
histoire d’amour. Sachez surtout que cette docu-fiction éclaire les
mécanismes du dopage grâce à une recherche méticuleuse.
Car elle est aussi tenace que son héroïne, Anne Cuneo, journaliste bien
connue, habituée de la Télévision romande et de notre journal, auteur
de films et surtout romancière. Elle a suivi et évoqué dans 24 Heures
le Tour de Suisse et collecté une montagne d’informations à toutes les
sources possibles, dans une tentative citoyenne de saisir le phénomène
du dopage. Comment tous ces hommes jeunes et forts mettent-ils leur vie
en péril? Pourquoi donc demeurent sans effet les avertissements les
plus criants: toutes ces vies de héros admirés détruites par les
poisons de la performance? Anne Cuneo a pris la roue de nombreux
professionnels; du coureur au directeur d’équipe, du soigneur au
journaliste, elle a approché tous les rôles du grand cirque cycliste,
avec l’obsession de savoir pour comprendre. Comme Marie Machiavelli,
Anne Cuneo a une méthode et de la chance. Et de l’obstination. L’obstination
sert à venir à bout des résistances en traquant sources et indices. La
chance, elle se la crée en suscitant des rencontres avec les
spécialistes qui vont patiemment partager leur science.
Véritable documentaire
La méthode consiste à organiser l’intrigue autour des données
objectives collectées. Dans tous ses livres, qu’elle parle de
Shakespeare, de Claude Garamond (de typographique mémoire) ou du Tour
de Suisse, l’écrivain nous entraîne dans un véritable documentaire,
rendu haletant par une intrigue bien ficelée, ici dans un décor
lausannois et alémanique finement décrit.
Un bémol toutefois: l’attachante Marie est servie par trop de
coïncidences pour que le lecteur ne se sente pas manipulé. Il a tort,
assure l’auteur: rien n’est inventé. Même l’anecdote du détective privé
qui…? Oui, même celle-là est vraie!
Ne ratez pas la postface; Anne Cuneo y raconte les coulisses du livre,
cite Festina et Ben Johnson, Voet, Menthéour et Bassons, remercie
Bertrand Duboux et Jean-Jacques Loup, Ferdy Kubler… et beaucoup de
«cyclistes, entraîneurs, soigneurs en exercice ou à la retraite», dont
la plupart ne se sont confiés qu’après qu’elle eut juré de ne pas
révéler leur nom.
Les amoureux du vélo seront reconnaissants à cette Martienne tombée
dans le monde de leur passion: elle révèle avec sympathie, dénude avec
tendresse, dénonce avec compréhension. Et en plus ça se lit comme un
roman!
JACQUES POGET, 24 Heures
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Le choix du libraire
Ce roman, sous forme d'enquête, nous emmène au cœur du cyclisme et donc
au cœur du dopage. Anne Cuneo, journaliste à la TSR et auteur de
nombreux livres, a suivi ses confrères journalistes pendant des mois,
afin de se plonger dans l'univers des fous de la petite reine. À
travers le parcours de Damien Savary, jeune cycliste prometteur de
l'équipe Stylo, le héros de ce suspense, l'auteur nous fait découvrir
le monde impitoyable des sportifs de haut niveau. Il y est question de
dopage, d'anabolisants, d'EPO, d'amphétamines et de corticoïdes. Et au
final, de mort. Très bien documenté, compréhensible et palpitant, ce
roman tente de décortiquer le pourquoi du dopage. À travers ces
portraits de jeunes héros des temps modernes, on comprend comment les
sportifs glissent vers le dopage, presque sans s'en rendre compte, en
jurant que non, eux, ils ne se dopent pas! Instructif. Et comme dans
tous les livres d'Anne Cuneo, l'écriture y est fluide et précise.
À lire, au risque d'abandonner toutes vos occupations avant d'avoir atteint la dernière page.
DOMINIQUE-ANNE PUENZIEUX, Le Temps
Les enquêtes précédentes de Marie Machiavelli:
Âme de bronze (1998); D’or et d’oublis (1999); Le Sourire de Lisa (2000).
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