ALBERTO NESSI

MILÓ

Traduit de l’italien par Christian Viredaz et Renato Weber
2016. 304 pages. Prix CHF 32.–
ISBN 978-2-88241-407-6
Titre original: «Milò». Casagrande, 2014.
Le livre est également paru en allemand chez Limmat Verlag



Biographie

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Lumière des mots

Alberto Nessi, Grand prix suisse de Littérature 2016, compte parmi les poètes et romanciers les plus connus de Suisse italienne

«Ne dis rien si ne resplendit la lumière»: tout l’art poétique d’Alberto Nessi pourrait se résumer dans ce vers qui conclut «Non dire», le poème central de la section «Se luce non splende» qui conclut l’anthologie personnelle Ladro minuzie (Casagrande, 20101).
Lumière de l’espoir d’un monde plus juste qui naîtra, «la semaine prochaine, peut-être», d’une révolution non violente; la lumière qui transfigure le monde de tous les jours, que capte le regard fraternel du poète; «lumière inatteignable» dans le regard de la fille que le poète, adolescent, croisait dans les escaliers; lumière que le poète vieillissant voit briller dans les prunelles de la fille qui «à l’ombre d’un tilleul {…} s’émerveille»; lumière du souvenir dans le magnifique texte intitulé «Forever», évocation de la figure paternelle, qui clôt le recueil Miló (Bernard Campiche, 2016)… Mais lumière aussi des feux de la mi-août, qui rappellent à Giustina les flammes dévastatrices des bombardements d’août 1944, dans le Val d’Aoste, théâtre de la première partie du recueil (Feux d’aoüt). Et lumière de la compassion pour les enfants de Medellin (dans La Nuit et le Pétale, Empreintes, 2017) « qui donnent à même l’asphalte {…} et rêvent d’être Pelé ou Ronaldinho {…} et parfois un ange noir / les ravit pour un court vol avec des ailes de location».
«L’art c’est ça: nous faire vivre les choses comme si elles étaient sous  nos yeux», écrit encore Nessi dans La Semaine prochaine, peut-être (Bernard Campiche, 2009), qui raconte de l’intérieur l’histoire de l’émigré tessinois José (Giuseppe) Fontana (1840-1876), pionnier du mouvement ouvrier portugais. Et, un peu plus loin: «les poètes {…} ne peuvent se sauver qu’en se mettant eux-mêmes à nu.»
Nous faire vivre les choses comme si elles étaient sous nos yeux, Nessi a ce don, que ce soit dans les récits de «Miló», histoires de résistance et scènes d’hier et d’aujourd’hui, ou dans les poèmes de La Nuit et le Pétale, où plus que jamais peut-être le poète nous parle dans l’intimité.
Dans le beau texte intitulé «Où va la poésie», paru en 2016 dans la Revue de Belles-Lettres, Nessi confie aussi: «J’écris des poèmes avec l’aide des gens communs». Les gens simples dont il se sent proche et dont il fait entendre la voix dans ses récits et ses poèmes où il les fait souvent parler à la première personne. Et nous, lecteurs, les entendons et les voyons vivre encore, une fois le livre refermé. Même les amis disparus sont toujours là:
S’il est vrai que celui qui meurt ne meurt pas tout à fait,
mais séjourne dans les endroits où il a vécu
et se promène en conversant avec les arbres
tu n’es pas morte, car je te vois de temps en temps
{…}
nous nous retrouvons à mi-chemin, dans l’avant-cale
entre la mort et la vie, la nuit et le pétale.
    «S’il est vrai»

Ces poèmes nous disent aussi le sentiment de la nature qui habite le poète, comme les vers qui ouvrent «Après-midi de septembre», dédié à sa femme:
Je suis avec toi, je marche avec ton pas
je marche avec les pattes des fougères
avec l’œil de la pie voleuse de rêves
je suis ce pré brûlé en pente
cette baie heureuse de sorbier…

On retrouve aussi, dans la section «Apparitions», comme dans La Couleur de la Mauve (Empreintes, 1996). sorte d’Anthologie de Spoon River tessinoise, cette galerie de portraits de «gens d’ici», décrits d’une plume fraternelle («La serveuse», «Le vieux au tintébin») oùus’exprimant à la première personne («La toujours jeune», «Clandestine»).
En conclusion de «Où va la poésie», Nessi écrit: «La poésie ne va nulle part. Elle est là. Elle se tient cachée en attendant que quelqu’un la porte à la lumière, comme une pierre précieuse sous les cailloux. C’est une suspension du temps. C’est le très bref enchantement qui nous saisit quand l’aiguille des secondes de l’horloge de la gare, arrivée au bout de son tour, hésite un instant avant de déclencher la minute suivante. C’est dans cet intervalle entre la vie et la mort que se tient la poésie. En cet instant, tout peut arriver.» Même de rencontrer un être mystérieux pour une «Conversation avec l’ange» qui clôt le recueil presque comme un testament:
{…} Tu m’as appelé? L’heure est déjà venue?
    Quelle hâte!
Je remets mon cornet dans l’étui,
prépare ma valise: j’y vais et je salue
les femmes, les feuilles, la lumière
que j’ai aimées.

CHRISTIAN VIREDAZ,
Le Phare, Centre Culturel Suisse, Paris, janvier-avril 2017

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L’écrivain des rebelles et des démunis

Alberto Nessi. L’auteur tessinois a obtenu le Grand Prix suisse de littérature 2016. Il vient de publier Miló, recueil de de récit où il met en scène la langue et la terre du Tessin

L’écrivain tessinois Alberto Nessi, 76 ans, Grand Prix suisse de littérature 2016, publie Miló un recueil de récits paru chez Campiche

L’idée fixe d’écrire

Au téléphone, il vous demandera aimablement de ne pas le qualifier dans votre article de «grand écrivain». On lui obéit… un peu, car comment ne pas souligner la simplicité mais la rigueur, l’humilité mais la fierté d’Alberto Nessi: des qualités qui donnent à son écriture sa remarquable justesse et son émotion. Écoutez-le: «Je pense à la nuit qui tombe (…) sur les désespérés. Et un peu aussi sur la confrérie des poètes, qui avec leurs mots que nul n’entend dansent dans l’obscurité», écrit-il dans Miló.
Sous ce titre, qui rassemble plusieurs récits (dont certains déjà parus dans des revues littéraires), les «désespérés» sont tout sauf tristes. Une flamme intérieure anime leur vie. Elle éclaire doucement la plume d’Alberto, poète attaché à sa terre natale, ce Tessin «méconnu» dont il dressait le portrait il y a trente ans déjà dans «Rabbia di Vento» («Le Pays oublié»). Un témoignage d’humanité et de partage que l’on retrouvera dans de nombreux ouvrages de Nessi. Terra Matta, Le Train du soir, Le Marteau de Tchekhov

Ghania Adamo. En février dernier, vous receviez le Grand Prix suisse de littérature. Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis?
Alberto Nessi. Rien n’a changé par rapport à mon écriture qui consiste comme toujours à chercher le mot juste pour rester proche de la réalité, celle que je me représente en tout cas. Mais le prix ayant eu un impact au plan national, la situation a évolué pour moi: je me sens davantage responsable vis-à-vis de mes lecteurs. On m’invite pour des lectures et des rencontres, j’en suis très content et surtout fier pour ma langue, car avec cette récompense on a voulu rappeler que quelque part en Suisse on parle aussi l’italien.

Ghania Adamo. Giovanni Orelli, écrivain tessinois décédé le 3 décembre dernier, avait reçu en 2012 le Grand Prix Schiller. Comme vous, il avait contribué au rayonnement de l’italien. Quel rapport aviez-vous avec lui?
Alberto Nessi. Un rapport amical. Nous faisions tous les deux partie du groupe d’Olten (ancienne association d’écrivains suisses de gauche, ndlr). Ceci dit, Giovanni appartenait à une autre génération et avait une voix et une personnalité très différentes des miennes. Poète et romancier, il était un grand homme de lettres, appréciait les auteurs classiques et les citait volontiers dans son œuvre. Pour ma part, ce sont des gens ordinaires qui entrent dans mes pages.

Ghania Adamo. Les rebelles et les démunis peuplent votre œuvre. C’est le cas dans Miló comme ce fut le cas dans La Semaine prochaine, peut-être, pour ne citer que vos ouvrages les plus récents. Pourquoi toujours des insoumis?
Alberto Nessi. Les êtres qui ne craignent pas l’engagement moral et intellectuel et font des choix courageux par conviction me fascinent. J’ai de l’admiration pour quelqu’un comme José Fontana, le héros de La Semaine prochaine, peut-être, Tessinois comme moi, immigré à Lisbonne vers le milieu du XIXe siècle, où il devint révolutionnaire. Et Miló! Lui aussi je l’aime bien. Sous son nom se cache Émile Lexert, qui vécut à Vevey avec sa mère cigarière, fut chassée de Suisse et alla s’établir dans la vallée d’Aoste où il s’engagea dans la résistance contre le fascisme avant d’être tué en 1944. Je me tourne presque naturellement vers des gens libres. J’estime qu’un écrivain se doit de parler également de la condition humaine. Je suis moi-même issu d’un milieu populaire. Ma mère était elle aussi cigarière.

Ghania Adamo. Vous rappelez souvent vos origines modestes. Jusqu’à quel point ont-elles influencé votre écriture?
Alberto Nessi. Je ne sens solidaire de la classe ouvrière. Bon, il ne suffit pas d’avoir une mère cigarière ou un grand-père analphabète, comme l’était le mien, pour devenir écrivain. Encore faut-il savoir donner une voie aux pensées qui vous habitent. Mais pour revenir à ce qui influence mon écriture, je dirais qu’outre la nature dont je m’inspire, il y a ma vie d’instituteur. J’ai enseigné autrefois, et en tant qu’enseignant je n’ai pas vécu de grandes aventures. Alors je les ai inventées dans mes textes et me suis identifié à des êtres révoltés ayant réellement existé.

Ghania Adamo. Au fond, n’avez-vous pas un côté missionnaire humanitaire?
Alberto Nessi. Le mot «missionnaire» ne me plaît pas beaucoup, je n’ai aucune religion à prêcher (rires). Humanitaire… oui, peut-être. Je sais la capacité infinie de l’homme à produire le mal, mais je continue à penser que la littérature exerce, à long terme, un effet positif sur les consciences. Elle apporte un peu de lumière. Dans mon œuvre, j’aimerais bien conjuguer le désir d’aller vers l’autre et «la descente vers soi», comme cela se pratique souvent dans la littérature romande.

Ghania Adamo. Dans une autre vie, pourriez-vous vous imaginer être autre chose qu’un écrivain?
Alberto Nessi. À l’adolescence m’est venue l’idée fixe d’écrire. Peut-être que dans une autre vie me viendra l’idée fixe de peindre. J’aime la peinture.

GHANIA ADAMO
, La Liberté, 24-25-16 décembre 2016

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Alberto Nessi, une voix pour les invisibles

L’écrivain tessinois publie Miló, histoires de résistances qui racontent avec tendresse et ironie les gens dans la guerre, dans la pauvreté, dans la maladie, dans l’amour et dans la poésie

Lorsqu’on rencontre Alberto Nessi, dont un beau recueil de textes, Miló, vient de paraître aux Éditions Campiche, il vous explique qu’il n’écrit pas ses livres tout seul: qu’il y a toujours son «grand-père» analphabète» qui regarde par-dessus son épaule quand il travaille à son bureau.
Le voici, ce grand-père, qui s’avance dans l’un des textes de Miló intitulé «Forever»; le voici, le «grand-père Vicenz qui n’avait pas appris les lettres de l’alphabet» et qui «a fait carrière et est devenu cantonnier de la commune de Chiasso»… Autour de Vicenz, le père, la mère, la famille de l’écrivain, tous gens modestes, de «ceux qui n’ont pas laissé de traces», comme le dit de son père Alberto Nessi.

Cigarière

Ceux qui n’ont pas laissé de traces, ceux qui n’ont ni écrits ni paroles pour se dire, ce sont eux qui intéressent Alberto Nessi, l’écrivain tessinois, Grand Prix suisse de littérature en 2016. Pour eux, il prend la plume, il note, il observe, il invente des formes littéraires, des poèmes. Prenez Miló, dont la vie et l’histoire ouvrent le livre et qui donne son titre au recueil «Miló», c’est le surnom d’un certain Émile Lexert. À Aoste, une école et une avenue portent son nom. Il fut l’un des fondateurs de la résistance antifasciste au Val d’Aoste, un partisan. Alberto Nessi est parti sur ses traces et le raconte en soixante pages, en un envol, en un élan littéraire qui porte avec lui toute la ferveur et l’impertinence du personnage. Miló est né à Vevey, d’une cigarière du Val d’Aoste, venue chercher du travail en Suisse romande. L’enfant est adorable mais très turbulent. L’école, les études, très peu pour lui. Il s’invente en toute liberté. Vite, il rejoint les mouvements anarchiste et ouvrier en Suisse romande. Le 9 novembre 1932, il est de la manifestation antifasciste à Genève, où 13 personnes trouvent la mort sous les balles des recrues de l’armée suisse. On le retrouve à Lausanne, accusé à tort de vol, on l’enferme à Bochuz, on l’expulse vers l’Italie, patrie de sa mère. Il vit, se marie, s’engage, mène des actions contre Mussolini. Puis c’est la guerre civile. À l’automne 1943, il prend le maquis en montagne et organise un petit noyau de résistants valdôtains. Quelques mois plus tard, en avril 1944, il sera fauché sur une route par les balles fascistes.

Hasards

Une trajectoire comme un arc, tragique, mais joyeuse aussi. Alberto Nessi la raconte en sautillant, avec humour, avec ironie même. Car il n’oublie pas la vie, les instants de joie et d’amour, les hasards qui se glissent entre les lignes de l’histoire et qui disent l’humain. L’humain est au centre de tous les autres récits. Souvenirs de la guerre dans «Feux d’août», comme cette Giustina qui, devenue vieille, contemple les feux de Ferragosto en se souvenant d’autre feux d’été: villages brûlés, bombes. Il y a aussi «Salvatore», ce récit d’un «burlanda», le garde des finances qui, à force de patrouiller le long de la frontière suisse, à force d’être témoin d’injustices et de drames, devient résistant et finit sous les balles des Brigades noires. Récits de résistance, de guerre, d’émigration, de contrebande.

Témoin

Avec Alberto Nessi, on se promène presque toujours à la frontière de la Suisse d’un côté, de l’Italie de l’autre. Il a grandi à Chiasso. Mais on pousse parfois jusqu’à Genève, à Côme ou à Milan, où il écoute ce que les humbles – les malades, les incultes, les vieux, les morts aussi parfois – ont à dire. Dans la seconde partie du livre, l’œil de l’écrivain, son oreille suit les histoires des autres. Il est ce témoin généreux, attentif, qui transcris ce monde tessinois, cette Italie des marges où le souvenir des migrations et des bandits est encore vif, où les monts, les pierres, la neige, le soleil et les lacs se succèdent et se répondent. Un autre monde, qu’on ne connaît pas, qu’on ne voit pas lorsqu’on passe par là, rapidement en touriste pressé. Un monde et de gens surtout qu’il donne à voir, à connaître, à aimer. Et grâce à la poésie, aux instants suspendus qu’il capture, à la forme travaillée qu’il donne à ses récits, il brouille les pistes avec finesse et malice. «Comme autrefois, je prendrai deux billets: un pour moi et un pour l’homme invisible.»

ÉLÉONORE SULSER
, Le Temps, 15 octobre 2016

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Examen

Miló le dernier ouvrage en prose d’Alberto Nessi, contient dix-huit histoires de résistance et de la Résistance. Le livre est divisé en deux parties.
Dans le contexte des conflits idéologiques de la première moitié du XXe siècle et dans un cadre entre la Suisse et le val d’Aoste, l’histoire éponyme ouvre la voie à d’autres histoires qui transpirent le courage et la dignité. Histoires semblant marginales. «Sauveur» et «Deux femmes à Genève» anticipent une deuxième partie où le plus intime, entouré par une touche de nostalgie, devient le moteur de la narration. Ce sont les expériences et les souvenirs de l’auteur. Il y a aussi «Forever», que Nessi dédie à son père.
Tel que rapporté dans le livre, certaines de ces histoires figuraient déjà dans d’autres publications. Les notes ne le disent pas, mais Miló avait été publié, de manière partielle, dans les cahiers de la critique littéraire et de l’art suisse, Les Lettres et les arts (No 16, 2014). L’histoire de Miló a été limitée à l’enfance, et à son emprisonnement pour un crime qu’il n’a pas commis. La vitalité du jeune rebelle, serré pour un certain temps dans l’espace limité de la cellule, où prennent naissance des fantasmes de formes, d’illusions et de projets. Miló imagine être Giovanni Bassano, un maître d’Aoste qui a lancé des milliers de tracts anti-fascistes sur Milan. En réalité, Miló est expulsé de Suisse et il est forcé de retourner en Italie. Le val d’Aoste participe activement à la production de Cogne, une industrie d’armement. Miló est à la commande d’un groupe de rebelles indisciplinés.

Miló, tiré vers le haut, ne vous endormez pas.

Maintenant vient le pilote Bassanesi avec son monoplan; il vous fait gagner, vous offre une étape; il a commencé son voyage depuis la Suisse; votre mère, Joséphine-Amérique, a laissé les lions de pierre de la place pour revenir à Fénis Orient où elle était fillette, est une pièce que vous ne voyez pas, tirée vers le haut à partir d’un Miló de poussière. Elle va se changer, pour constater les faits avec le costume du dimanche.

Miló, tiré vers le haut, ne vous endormez pas.

Montrer à nouveau votre visage pour les travailleurs de Cogne; arriver avec des serpents; dans la vallée, il est usage de dire que la lutte pour l’autonomie n’est pas quelque chose qui ne concerne qu’une région, mais couvre toutes les personnes auxquelles vous avez pensé: «L’autonomie est pour chacun de nous, dans notre vie qui est libre de toute chaîne.» (Pp.43-44)
Une citation, dont la structure évoque la «Roll, Joséphine, sans perdre de temps»; dans cette histoire d’ouverture, la mère de Milò, émigrée de la vallée d’Aoste à Vevey, où elle travaille comme cigarière chez Rinsoz & Ormond.
Sons et répétitions donnent la densité des histoires, avec l’élément rythmique et choral. La voix narrative devient la lumière, sans devenir dominante, approchant désormais un caractère. Le narrateur se cache dans des phrases courtes, entrecoupées de descriptions ou de questions poétiques; Nessi est capable d’amener le lecteur, à partir des vagues du lac de Genève, à la vallée d’Aoste, et il va toujours vers l’âme du peuple.
Loin de l’arc des histoires, se manifeste également, dans la mémoire de l’auteur, l’apparition de pistes. Jean Chabloz par exemple, compagnon de Miló, est un ancien volontaire de la guerre civile espagnole. Dans «Summer», Joseph a sept doigts, comme la main gauche de Chagall (p. 145).
Dans La Semaine prochaine, peut-être, nous trouvons Le Locle, et une référence à «chaque aile de pied», si chère à José Fontana.
Une série d’échos, à travers un jeu fascinant de passages dans des contextes similaires, historiquement, va inclure cette question dans un débat plus large, soutenu par la description détaillée du paysage.
Les vicissitudes de la politique et l’idéologie de la première moitié du XXe siècle, imprègnent les histoires. Ils sont révélés par des actes de bravoure, à l’époque, ainsi que par la destruction, et par la sécheresse déterminée des conflits sociaux. Vous marchez dans un intérieur rugueux, accompagné par les confessions de ceux qui ont assisté à ces événements. Dans «Charere Tupe», le narrateur est accompagné par les chemins sombres de Virgil, un agriculteur qui, le long du ruisseau, «raconte les vivants et les morts dans la vallée.» À un certain point, Virgil sera obligé d’arrêter, non pas par la volonté de Dieu, mais parce que ses poumons ne lui permettent pas d’aller sur une montagne trop élevée. Il est l’héritage du passé, lorsque les Russes, les Américains, les Allemands, les fascistes et les partisans, dans les vallées, déchargeaient leurs bombes et leurs balles. Dans les zones où, «la seule politique était de sauver sa peau» et un peu d’espoir résidait dans les valeurs de la population.
Il convient de souligner le choix de mettre sur la couverture une photo de Roberto Donetta où sont dépeints «le Clotilde avec le cœur en carton, l’Amelia avec l’ancre, la Virginie tenant la croix... qui sont la foi et de l’espoir d’aimer» (pp. 190-191).
La sagesse, conventionnelle, est bien mélangée avec la religion, la politique, la nature et la littérature. Entre vertus théologiques, les mots de Sacco et Vanzetti, Alberto Nessi prête à nouveau sa voix au peuple vivant dans les marges de la société.
Un engagement qui agit comme une force, à partir de laquelle l’auteur se sent conduit, et ouvre les yeux.

DANIEL CUFFARO
, viceversalitterature, d’après le livre original

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Miló est «un renardeau sans père». Il a grandi au bord du Léman, élevé par une mère italienne. Le père, lui, a fui bien avant sa naissance. On est en 1934, deux ans auparavant, à Genève, la troupe a tiré sur des ouvriers, faisant de nombreux morts. Miló est en prison pour une petite histoire de recel, la justice n’est pas tendre avec les «Ritals». La mère du garçon, cigarière dans une entreprise de Vevey, se désole pour ce fils rebelle, séduit par les anarchistes. Alberto Nessi suit Miló, ses allers et retours entre la Suisse et l’Italie, entre fascisme et parti communiste.
Cet auteur tessinois a toujours manifesté une forte sensibilité sociale et politique. Son œuvre en témoigne, qui parle des ouvriers contraints à l’émigration, des petits contrebandiers, des ouvrières, des paysans de montagne, avec empathie et finesse.
Miló tient le rôle-titre d’un recueil de nouvelles, de petits portraits. Nessi sait faire entendre les voix de ceux qui n’ont pas accès à la parole. Il suit le conseil de Tchekhov: «Il faudrait que derrière la porte de chaque homme satisfait, heureux, s’en tînt un autre qui frapperait sans arrêt du marteau pour lui rappeler qu’il existe des malheureux.» Ces malheureux, ce sont aujourd’hui les migrants, les mendiants roumains, les égarés dans les asiles, les vieillards. Aucun misérabilisme chez Alberto Nessi, mais un regard fraternel et chaleureux. La Revue de Belles-Lettres 2016/1 consacre aussi un beau dossier à ce conteurs et poète généreux pour ses 80 ans.

IISABELLE RÜF
, Le Phare, Centre Culturel Suisse de Paris, No 34, septembre-décembre 2016

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Histoires de la Résistance et histoires de résistance. Passé et présent se rejoignent et donnent naissance à une mosaïque complexe dont les pièces sont des hommes et des femmes qui, entre l’Italie du Nord et la Suisse, ont vécu des existences fragiles.
La bande de Miló, les souvenirs de Giustina, le silence d’Ultimo : une note différente dans chaque histoire, mais un dénominateur commun appelé « courage ». Courage de ceux qui ont donné leur vie en échange de la liberté de l’autre, de ceux qui choisissent la fin lorsque leur vie n’a plus aucun sens de continuer.
« Il faudrait que derrière la porte de chaque homme satisfait, heureux, s’en tînt un autre qui frapperait sans arrêt du marteau pour lui rappeler qu’il existe des malheureux, que, si heureux soit-il, tôt ou tard la vie lui montrera ses griffes, qu’un malheur surviendra – maladie, pauvreté, perte – et que nul ne le verra, ne l’entendra, pas plus que maintenant il ne voit ni n’entend les autres », écrivait Tchekhov.
Le nouveau livre d’Alberto Nessi nous rappelle, avec grâce et sen­sibilité, que le monde est plein d’êtres éphémères vivant l’espace d’une journée, gardant en eux la douce lumière des lucioles, qui, dans la nuit noire de notre temps, ont le pouvoir du soleil.


Vous pouvez nous commander directement cet ouvrage par courriel.


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