Manifestations, rencontres et signatures Index des auteurs
Alberto Nessi est né à Mendrisio (TI) en 1940. Il a
grandi à Chiasso et étudié à la Scuola Magistrale de Locarno et à
l’Université de Fribourg. Alberto Nessi est l’auteur vivant de Suisse
italienne le plus connu. Il a reçu le Grand Prix suisse de littérature
2016 pour l’ensemble de son œuvre.
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«On n’écrit jamais seul»
Un Grand Prix suisse 2016
décerné par la Confédération, une invitation aux Journées de Soleure ce
samedi et un beau dossier dans La Revue de Belles-Lettres, tous saluent, en un hommage chaleureux, l’écrivain et poète tessinois Alberto Nessi
«Les mots ont leur propre vitalité, leur énergie, leur vie», nous dit
Alberto Nessi, à Ascona, il y a quelques semaines, lors des Eventi
letterari Monte Verità. «La fonction de l’écrivain de tirer les mots
des cimetières du vocabulaire pour les faire vivre. Pour moi, cela
tient du rapport amoureux. Faire vivre quelqu’un qui a disparu est
encore un rapport amoureux. Lorsqu’une personne vivante vit d’une autre
façon sur la page, c’est aussi un rapport amoureux. L’amour ne doit pas
être une affaire narcissique. L’amour, c’est prendre en compte la
présence de l’autre, que ce soit une personne ou un arbre. Il faut
toujours être deux pour écrire.»
«Soletta»! Soleure en italien.
Ce joli nom, l’écrivain tessinois le répétait avec délices et malice,
au Monte Verità, à Ascona, lors des Eventi letterari de la mi-avril,
rêvant déjà des Journées littéraires qui l’attendaient en mai, sur les
bords de l’Aar, le week-end de l’Ascension.
Le voilà aujourd’hui à Soleure, doublement fêté. D’une part pour son
Grand Prix suisse de littérature, décerné par la Confédération et reçu
en février à Berne, d’autre part par la Revue de Belles-Lettres qui lui rend hommage dans son dernier numéro.
Dans ces pages, on lit des poètes et des écrivains amis – Sylviane
Dupuis, François Debluë, Jérôme Meizoz, mais aussi Gertrud Leutenegger,
Mariella Mehr, Marco Vitale, Giovanni Giudici, Attilo Bertolucci et
Raffaello Baldini, poète romagnol aujourd’hui disparu –, des poèmes
inédits d’Alberto Nessi en langue originale et dans leur traduction
française, des extraits du journal d’un été douloureux et surtout un
texte splendide, où l’écrivain tessinois s’explique sur la poésie et sa
pratique.
La poésie, écrit Alberto Nessi, est comme une «averse qui bouleverse
les prévisions du temps,», comme une «petite cabane d’ombres légères»,
bâtie de «mots-brindilles», comme un «cadeau qui peut dissiper
l’obscurité sur la route que nous parcourons sans être ensemble et sans
savoir où nous allons».
«La poésie pour moi est un exercice d’humanité», écrit-il encore. À lire Alberto Nessi, ses récits – Terra Matta (Zoé, 1988), Le Train du soir (Zoé, 1993, La Semaine prochaine, peut-être (Campiche, 2009), à plonger dans ses poèmes, La Couleur de la mauve
(Empreintes, 1996), à l’écouter, à le rencontrer, on a le sentiment
qu’il n’a jamais cessé de s’exercer à l’humanité. C’est même là, dans
l’altérité de l’humain et du monde, toujours présente dans ses textes,
qu’il se tient. Généreux, émouvant, solide, ni naïf ni candide. Un
homme du Mendrisiotto et du monde entier, face à ses semblables, face
aux humbles, exclus, oubliés, paysages, arbres, dont il ravive et
imagine les mots.
Que représente pour vous ce Grand Prix suisse de littérature?
Nous qui écrivons de la poésie et de la prose, nous qui ne sommes pas
des auteurs de best-sellers, nous ne savons jamais si nos œuvres sont
reconnues d’une manière ou d’une autre. Un prix comme celui-ci nous
dit: oui, continue à écrire!
Je suis heureux, aussi, que la littérature italienne, que la langue
italienne en Suisse soient considérées comme nobles, non pas pour des
raisons «tessinoises» ou de partis, mais d’un point de vue littéraire.
Il me tient à cœur de défendre, de promouvoir cette langue au sein de
la Confédération. Ce n’est pas pure rhétorique, car je pense que la
littérature est importante en tant qu’expression de l’esprit. Et en
Suisse, aujourd’hui, nous avons besoin de cette dimension spirituelle
dans toutes les langues nationales.
Lors de la réception du Grand Prix, vous avez, notamment, remercié vos personnages! Quel rapport entretenez-vous avec eux?
Avec les personnages dont j’ai parlé dans mes récits, dans mes poèmes,
j’ai toujours un rapport d’empathie. Je m’identifie à eux, parfois, ou
j’éprouve de la sympathie pour eux. Au fond, je n’écris pas mes livres
tout seul, il y a toujours mon grand-père analphabète, qui regarde
par-dessus mon épaule quand je travaille à mon bureau.
Je crois que demeure en nous quelque chose de ceux qui nous ont
précédé. Ils nous transmettent certaines responsabilités. Ils nous
disent: mais qu’es-tu en train d’écrire? Fais attention, tu écris sur
des gens qui ont vécu.Fais-le avec soin! Dans mes textes, vous
trouverez aussi des paroles qui ne sont pas à moi, que j’ai volées,
parfois. Un de mes poèmes commence ainsi: «Mi guardo intorno e verdo un
gran deserto». {Je regarde utour de moi et vois un grand désert».} Si
vous comptez les pides, c’est un hendécassyllabe, le vers roi de la
poésie italienne. Et ce vers en dialecte, c’est un cheminot à la
retraite qui me l’a donné!
Comment écrire avec et pour l’autre?
Grâce à l’imagination.
Comment rencontrez-vous ces personnages?
Par hasard. Mais le hasard n’existe as, bien sûr. Pour Terra Matta,
mon premier récit, j’ai rencontré mes personnages dans des documents du
XIXe siècle. Quand j’ai parlé du bandit Mattirolo, ce n’est plus du
hasard, je suis parti à sa rencontre dans les archives.Mais parfois, je
regarde par la fenêtre du train par exemple et j’écris alors des
poèmes… qui devraient être financés par les CFF! Là, c’est du hasard
pur. Je vois une femme qui tricote et j’éccris un poème. Mais, de
nouveau, pour raconter dans Miló,
mon dernier récit (à paraître à l’automne chez Campiche), la vie
d’Émile Lexert, héros de la résistance valdotaine, je suis parti à sa
recherche dans le Val d’Aoste et à Vevey où il a grandi.
C’est un héros oublié, justement?
Oui, les oubliés m’intéressent. La réalité mineure m’intéresse, ceux
qui se battent pour leur dignité. J’apprends beaucoup de me
personnages. J’apprends aussi des autres. J’aime la nature.
Vous avez traduit Gustave Roud, le Petit Traité de la marche en plaine. Pourquoi?
Pour apprendre de Gustave Roud, parce que je me sens très différent de
lui. J’aime son rapport au paysage, cette intimité. Et c’est aussi un
visionnaire. Au Tessin, c’est un poète complètement oublié. J’ai
traduit un autre texte, également. Le livre d’un fossoyeur, Charly
Berthousoz, La Mort brute. Il est paru chez un petit éditeur suisse italien, sous le titre La Nude Morte. Ce sont cent poèmes sur la mort.
L’altérité, l’attention à l’autre, c’est aussi une position politique?
Je prends position, c’est important. Mais la forme est capitale. Il
faut être bon écrivain. Être un mauvais écrivains et prendre position
contre Blocher n’a aucun effet. Mon engagement politique passe donc par
la page écrite, par le style. Mon engagement, c’est une sorte de
sentiment. Surtout pas du sentimentalisme, qui est au sentiment ce que
la pornographie est à l’érotisme. J’ai un sentiment, une attention pour
les classes populaires. Dans ce sens, j’ai un sentiment politique. Mais
il devient parole. Cela ne signifie pas qu’il faille forcément parler
de gens pauvres et malheureux. On peut parler de la nature en
conservant ces sentiments. Les gens qui vivent dans les paysages y
laissent des traces. D’une certaine manière, dans sa forme, l’écriture
doit conserver la traces des gens.
Vous avez grandi près d’un frontière, ça compte pour vous?
Oui, c’est important. Dans mes livres, il y a toujours d’une façon ou
d’une autre un passage de frontières, comme je le faisais enfant.
J’allais à Ponte Chiasso pour acheter du vin et des oranges. La
littérature, elle aussi, est toujours un passage de frontières.
ÉLÉONORE SULSER, Le Temps
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