«Chercher un coupable n’apaise pas la peine»
La Valaisanne Chiara
Meichtry-Gonet et Pauline Desnuelles, qui vit en partie à Anzère, ont
toutes deux écrit un livre lié à un drame en montagne. Hasard du
calendrier, elles étaient en conférence ce samedi à Sion et ont évoqué
le deuil, l’absence du risque zéro ou le voyeurisme
Comment se remettre d’un drame en montagne? Comment continuer à vivre
avec la douleur immense de la perte d’un être cher? Comment trouver un
sens à cet arrachement d’un proche? Autant de questions qui émergent
chez des personnes qui perdent un être aimé dans une avalanche ou autre
catastrophe sur les sommets.
Ces interrogations résonnent particulièrement en Valais qui vient de
connaître plusieurs drames en montagne – cinq personnes sont décédées
et une autre a disparu à Tête Blanche et trois personnes sont mortes au
Petit Combin dans un crash d’hélicoptère les emmenant sur les hauteurs
pour leur permettre de pratiquer de l’héliski.
C’est par hasard mais dans ce contexte que s’est déroulé le Petit
déjeuner littéraire de la Médiathèque Valais samedi à Sion. Deux
écrivaines, Pauline Desnuelles, qui partage sa vie entre Genève et
Anzère, et la Valaisanne Chiara Meichtry-Gonet étaient invitées pour
parler de leur roman respectif: Ascension pour la première et Mattmark pour la deuxième.
Entre fiction et réalité
Les trames des deux livres se passent dans le contexte d’un drame en montagne. Ascension
évoque le cheminement d’une journaliste qui, en parallèle de ses
recherches sur Marguette Bouvier – la première femme à descendre le
Mont-Blanc à skis –, effectue un retour à la vie après la mort de son
mari emporté par une avalanche. Mattmark
revient sur le jour noir du 30 août 1965 où une partie du glacier de
l’Allalin ensevelit 88 ouvriers qui travaillaient à la construction du
barrage.
À travers des personnages de fiction, dont Joseph, un ouvrier italien
qui a survécu à la catastrophe, Chiara Meichtry-Gonet montre comment
les personnes traversent le deuil tout en trouvant leurs propres
racines. «Mattmark est un événement traumatique qu’il faut affronter en
tant que mémoire ouvrière dans ce canton», souligne-t-elle. Elle a en
quelque sorte fait entendre la voix de toutes ces personnes qu’on n’a
pas entendues et qui ont marqué l’histoire du Valais.
À la question de savoir comment se remettre de la mort d’un proche,
Chiara Meichtry-Gonet répond «ne pas avoir la recette. Je n’ai pas
l’arrogance de savoir comment il faut faire.» Elle-même a été marquée
par le départ de son papa, décédé du sida à l’âge de 36 ans. Chiara
avait 15 ans. Son premier ouvrage racontait cet événement tragique. «Je
ne me suis littéralement pas remise de sa mort. Par choix. Je suis très
heureuse, j’ai une belle vie, mais je n’ai pas envie d’oublier mes
proches disparus, ni de les mythifier d’ailleurs.»
Regarder la douleur en face
Un jour, elle a décidé de regarder sa douleur en face, de l’affronter.
«C’est comme une bête sauvage que l’on dompte mais qui ne va jamais
disparaître. Ce manque ne sera pas comblé. Point.» L’écrivaine refuse
la consolation qui voudrait que son père «soit mieux ailleurs, car il
serait mieux avec moi». Elle tient à garder son souvenir vivant –
«C’est une part de moi. Je vis avec tout un tas de morts» – et a appris
à «se construire autrement».
Un sentiment partagé par Pauline Desnuelles qui raconte comment son
héroïne fait peu à peu son ascension intérieure pour se remettre de son
deuil. Au moment de l’écriture il y a trois ans, elle était marquée par
le drame de 2018 au Pigne d’Arolla où sept personnes étaient mortes de
froid à 550 mètres de la cabane des Vignettes. «A un moment, je ne
voulais pas regarder cela de trop près. Cela m’a beaucoup émue
d’imaginer ces personnes souffrant dans le froid. J’éprouve une grande
compassion pour leurs proches.»
La montagne peut aussi sauver
Une montagne qui se montre parfois assassine mais qui peut aussi amener
un bien-être intérieur. C’est ce qu’a ressenti Pauline Desnuelles en
traversant des moments très difficiles dans sa vie. «Lorsque j’ai
rencontré l’adversité, c’est la montagne qui m’a sauvée. C’est elle qui
m’a permis de me découvrir des ressources insoupçonnées.»
Pour elle, c’est l’endroit où la personne est sans fard, sans
subterfuge, juste face à elle. «C’est là que j’ai trouvé du sens.
Là-haut, je me transforme, je suis calme, apaisée, je me régénère»,
souligne Pauline Desnuelles.
Impossible ainsi pour elle, comme pour les passionnés de montagne, de
se passer de cette rencontre avec les sommets. Malgré les drames
potentiels. «Avant de partir, on sait que le risque zéro n’existe pas,
mais comme il n’existe pas en ville et dans la vie en général.» Avant
une excursion sur les hauteurs, elle en parle d’ailleurs avec ses deux
filles qui se montrent compréhensives. «Elles me disent: maman, va à la
montagne, cela te fait du bien. Elles savent que j’y trouve du sens.»
Pourquoi ce besoin de trouver un coupable?
Si chaque drame suscite une vague de compassion, il rencontre aussi des
jugements à l’emporte-pièce via des commentaires parfois insultants sur
les réseaux sociaux qui heurtent profondément les proches des victimes.
«Je ne comprends pas ce besoin qu’ont certains – ce sont souvent des
gens qui ne connaissent pas la montagne – de donner leurs avis à tout
prix. C’est sans doute un besoin d’épancher certaines peurs par ce
biais-là», confie Pauline Desnuelles. Elle ajoute que «chercher un
coupable dans ce genre de drame ne sert à rien et n’adoucit pas la
peine».
Chiara Meichtry-Gonet qualifie ces jugements violents de lynchage
médiatique. «Certaines personnes ont une curiosité morbide des détails.
Il y a une part de voyeurisme, comme ceux qui assistaient aux
exécutions jadis. C’est sans doute effectivement une manière de
combattre sa propre peur.»
HELOISE MARET, Le Nouvelliste
Devoir de mémoire
Inspiré de la réalité, le troisième roman de Chiara Meichtry-Gonet, Mattmark, ressuscite un chapitre douloureux de l’histoire valaisanne à travers le prisme des émotions humaines
Séisme dans l’histoire du canton aux treize étoiles et résonance
nationale: le 30 août 1965, un pan du glacier de l’Allalin s’effondre
sur le chantier de construction du barrage de Mattmark, dans le
Haut-Valais, provoquant la mort de 88 ouvriers dont 56 saisonniers
italiens. Près de 60 ans plus tard, Chiara Meichtry-Gonet revient sur
ce terrible accident à travers le regard et les ressentis de
personnages fictifs gravitant autour de la catastrophe. Sous sa plume
sensible, un survivant du drame, une épouse et une amante laissées à
leur solitude et à leur secret, des enfants ayant grandi dans l’ombre
du fantôme de leur père… déroulent l’écheveau de souvenirs et de
l’absence, entre les Alpes et les ruelles de Rome, réveillant le passé
pour mieux comprendre le présent. Avec, en toile de fond, un
questionnement sur l’identité, les racines, l’exil ou encore
l’intégration. Avec, en filigrane, la volonté de rendre hommage aux
victimes et à leurs proches. Tout en recourant à un langage imagé,
poétique propre à nourrir l’imaginaire. «La raison de ce roman? Je suis
tombée sur une liste des employés italiens disparus dans l’accident,
qui avait été dressée par les syndicats de l’époque. Leurs noms,
l’entreprise pour laquelle ils travaillaient, la date de retour de leur
dépouille au pays… figuraient sur ce document. Mon imagination s’est
emballée», précise l’auteure de 46 ans, étonnée qu’on ne lui avait pas
parlé de la tragédie bien que constitutive de la mémoire valaisanne
collective. «Je me suis surtout intéressée à la question de la mémoire,
à savoir comment vit-on avec les morts, comment peut-on se
reconstruire?» La Sédunoise souligne encore que, habitant au pied des
montagnes,
elle juge intéressant de connaître leur passé, leurs dangers potentiels.
La chair de son récit, Chiara Meichtry-Gonet la trouve en contactant
des ouvriers qui ont été témoins du drame ainsi qu’une infirmière
active sur le site. Elle se rendra aussi au barrage pour s’imprégner
des lieux. «Un endroit à forte portée romanesque, creuset, lors de sa
construction, de nationalités, langues, cultures», note la romancière,
alors que 1965 voit le lancement des premières initiatives
antiétrangers. Et puis, avec son prénom à consonance italienne – sa
mère est Tessinoise – elle a aussi pu se frotter, jeune, aux réactions
que peut provoquer la différence. «Pas toujours simple d’être abordée à
travers un prisme catégorisant», note celle qui a suivi les cours de la
Faculté de philosophie à l’Université de Rome et effectué une
spécialisation en logique mathématique. Travaillant à plein temps comme
sous-directrice de l’Association valaisanne des entrepreneurs,
l’ancienne journaliste, mère de deux grands enfants, signe sa troisième
fiction. La Sédunoise se consacre à sa passion à l’aube, entre 4h et 6h
du matin, à grand renfort de café. «Écrire est pour moi une nécessité,
comme de respirer. Mais ça ne paie pas le loyer», ajoute la
quadragénaire, déjà engagée dans de nouveaux projets… Mais on n’en
saura pas davantage.
L’EVENEMENT SYNDICAL
Mattmark, de Chiara Meichtry-Gonet
C'est le nom d'un barrage dans la vallée de Saas en Valais. Alors qu'il
est en construction, le 30 août 1965, un pan du glacier de l'Allalin,
qui le surplombe, s'effondre sur les baraques du chantier. 88 personnes
perdent la vie.
Parmi ces victimes, Luigi, qui a une double vie. En effet il est marié
à Sveva, qui attend de lui un enfant, et il est l'amant de Clémence qui
est également enceinte de lui, si bien que Luigi, sans l'imaginer
jamais, aura deux enfants posthumes.
L'enfant de Clémence s'appelle Hector, celle de Sveva, Vittoria. L'un
et l'autre ignorent qu'ils forment une fratrie et qu'ils sont nés à
sept mois d'intervalle. Le père d'Hector est inconnu, celui de Vittoria
est mort lors de la catastrophe.
Clémence vit en Suisse. Sveva en est partie à la suite de la
catastrophe et vit au bord de la mer, en Italie du Sud, qu'elle avait
quittée pour suivre son mari. L'une est considérée comme une
fille-mère, l'autre comme une veuve éplorée.
Iacopo, que tout le monde appelle Joseph depuis qu'un fonctionnaire l'a
prénommé ainsi à sa descente du train, travaillait sur le chantier avec
deux autres compatriotes, Luigi justement et Giuseppe, qui périrent
dans la catastrophe de 1965.
Quand le glacier «avait vomi ses caillots», il avait enseveli les deux
«compari» de Joseph, qui avait découvert leurs corps. Au cimetière où
ils sont enterrés, Joseph a entendu leurs âmes dire qu'il les avait
oubliés. Celle de Luigi lui a demandé: «Peut-être Joseph aurait-il
voulu oublier ce terrible drame humain, mais le destin en décida
autrement. Un 30 août, une cérémonie commémorative eut lieu dans ce
cimetière et Joseph y rencontra Sveva. Il était désormais exclu qu'il
oublie.»
Avec beaucoup de tact, Chiara Meichtry-Gonet raconte que cette
rencontre ne pouvait en rester là et qu'elle devait avoir un
prolongement pour l'histoire de cette famille décomposée et que Joseph
serait le chaînon la réunissant enfin.
Les liens du sang ne conduisent pas toujours au pardon ou n'effacent
pas la révolte, mais ils favorisent la sollicitude. Pour le relater
l'auteure suit une chronologie générationnelle, où des touches
d'au-delà meuvent les protagonistes.
Luigi serait content de voir sa descendance obtenir les réponses qu'il
n'a pu lui donner lui-même et que, bien des années plus tard, le
dernier de sa lignée, après un détour en Suisse, renouerait
naturellement avec ses racines italiennes.
Blog de FRANCIS RICHARD
Quand la mémoire se fracasse contre la glace
La romancière valaisanne Chiara
Meichtry-Gonet ressuscite un drame presque oublié, celui du barrage de
Mattmark, qui a jeté une lumière crue sur les conditions de vie des
immigrés en Suisse dans les années 1960-1970
Des phrases courtes et des mots qui déboulent avec fracas, comme une avalanche de glace, c’est Mattmark,
le dernier roman de Chiara Meichtry-Gonet. L’effondrement du glacier
valaisan de l’Allalin, au-dessus de Saas-Fee, est un drame presque
oublié. Il est pourtant l’une des pages les plus sombres de
l’immigration en Suisse. N’ayant vraisemblablement que quelques flaques
de pétrole, le pays mise alors sur sa richesse hydraulique. Il se lance
dans une course à l’énergie à coups de constructions monstres
nécessitant des bras, si possible des bras à bas prix et corvéables à
merci, sept jours sur sept dans des conditions climatiques extrêmes. Le
30 août 1965, deux millions de mètres cubes de glace ensevelissent le
chantier du barrage de Mattmark, soufflant hommes, véhicules et
baraquements. La catastrophe suscite une vive émotion au-delà de nos
frontières. Si la Suisse est en deuil avec 23 morts, l’Italie l’est
encore plus avec 56 des 88 victimes. Quatre Espagnols, deux
Autrichiens, deux Allemands et un apatride perdent aussi la vie dans
l’éboulement. Le drame était-il prévisible? Toutes les mesures de
sécurité ont-elles été prises ? Des autorisations ont-elles été
accordées à la légère? Un procès s’ouvre en 1972, après sept ans
d’enquête judiciaire. Dix-sept personnes prennent place sur le banc des
accusés. Elles sont toutes acquittées.
La défiance des autochtones
Autour de ce jour tragique qui a durablement terni l’aura de la Suisse,
terre d’accueil et de prospérité, Chiara Meichtry-Gonet construit un
roman émouvant et paradoxalement très vivant. Iacopo, Jaques ou Jacob,
renommé Joseph dans la langue du crû, est l’un des rares rescapés de la
catastrophe. Après une période d’amnésie due au choc, il va rassembler
toutes les pièces du puzzle, celles de l’amitié indestructible, des
amours vraies et du respect infini, qui restent coulées dans le béton
du barrage. Il va aussi raconter la méfiance, la défiance, voire
l’hostilité des autochtones face à ces travailleurs saisonniers qui
font le boulot qu’ils ne veulent pas faire. Joseph constate qu’il ne
sait finalement rien sur les gens du coin: «Ils étaient renfermés,
restaient entre eux. Surtout, ils rentraient auprès des leurs après le
travail, ne dormaient pas là, ne s’allongeaient pas sur les châlits du
dortoir aménagé trois kilomètres en contrebas du chantier.»
L’écrivaine et journaliste Chiara Meichtry-Gonet est née en 1977. Douze
ans la séparent de l’effondrement du glacier de l’Allalin, mais son
récit sonne parfaitement juste, comme si elleavait été dans la vallée
de Saas au moment des faits. Après Passage des coeurs noirs (Vigousse du 18.10.19) et Mathilde-sous-Gare en 2020, sa plume prend de l’amplitude, de la distance, de la hauteur. Mattmark
est un aide-mémoire de l’immigration en Suisse, terreau fertile de
toutes les déviances xénophobes. Il est aussi une piqûre de rappel
qu’une récente statistique sur les patronymes les plus courants en
Suisse romande met en évidence. Da Silva arrive en tête. Les Favre sont
en sixième position, après les Ferreira, Pereira, dos Santos,
Rodrigues. Quoi de plus normal, en somme!
MARIE-JOSE BRELAZ, Vigousse
Les enfants de Mattmark, la vie après la tragédie
L’écrivaine Chiara
Meichtry-Gonet s’empare d’une catastrophe qui a marqué son canton dans un
très beau roman mêlant le drame aux secrets de famille
Le 30 août 1965, au fond de la vallée de Saas, le glacier tombe. Deux
millions de mètres-cubes de glace et de roche se détachent de
l’Allalin, tuant 88 ouvriers qui travaillaient au chantier du barrage
de Mattmark, dont 56 Italiens. Parmi eux, Luigi, un enfant de Calabre.
La tragédie bouleverse le village de Saas-Almagell, la vallée, tout le
pays. Les journalistes accourent de toute l’Europe. En Valais, on
enterre les morts, tandis que les familles italiennes viennent chercher
les dépouilles.
Et puis la vie reprend. En Valais comme en Italie, les enfants de Luigi
grandissent, Victoria, née de sa femme Sveva, et Hector, né de ses
amours avec une jeune fille des montagnes suisses. Le frère et la sœur,
tous deux nés quelques mois après le décès de Luigi, ne se connaissent
pas. Un seul homme pourrait les réunir: Joseph, survivant du drame
hanté par la culpabilité, qui passe les années qui suivent à construire
ponts et autoroutes pour les Suisses. Jusqu’au jour où devenu employé
communal responsable d’un cimetière, il s’effondre en larmes entre deux
tombes en entendant les voix de ses compagnons disparus. Après avoir
longtemps repoussé les souvenirs, il se mêle un jour aux veuves, mères
et orphelins qui marchent chaque 30 août jusqu’au pied du barrage.
Forcément Sveva est là, il pourra lui raconter ce qu’il sait.
Mêlant réalité historique et fiction, l’écrivaine valaisanne Chiara
Meichtry-Gonet nous offre un beau roman mêlant avec une grande justesse
mémoire collective et destins personnels. Il est important non
seulement de se souvenir d’évènements qui marquent une communauté
autant que l’a fait la tragédie de Mattmark, mais aussi de revivifier
et relire le souvenir tout en le transmettant aux lecteurs
d’aujourd’hui.
Un air de Ramuz
Au cœur de l’histoire, le glacier, arbitre qui peut tomber sur les hommes et leurs maisons comme la montagne tombait dans Derborence.
On pense forcément à Ramuz en lisant Chiara Meichtry-Gonet. Même écho à
un fait historique, même attention aux silences, aux choses, aux
gestes, aux paysages, même conscience de la présence des morts parmi
nous, en nous.
Mais Mattmark s’intéresse, et
c’est la force ce roman fluide et attachant, aux hommes et aux femmes
dont la vie a changé à jamais après le 30 août 1965. Pour certains,
comme Hector, né de père inconnu jusqu’à ce qu’il découvre l’existence
de Luigi, la quête des origines n’aura pas de fin. Quel destin
mystérieux préside aux déplacements, aux migrations, aux rencontres,
aux attractions entre les êtres? Partir, rester? Être né quelque part,
c’est toujours un hasard, et le récit de Chiara Meichtry-Gonet nous en
offre une belle incarnation. En sous-texte de Mattmark,
la difficile intégration des communautés italiennes en Valais et en
Suisse plus largement, confrontée aux préjugés et aux injustices même
dans le plus terrible des deuils.
Née à Lausanne en 1977, aujourd’hui sous-directrice de l’Association
valaisanne des entrepreneurs, Chiara Meichtry-Gonet a grandi en Valais
avant d’étudier la philosophie et les mathématiques à Rome – lorsque
les deux enfants de Luigi se retrouvent enfin, c’est à Rome dans des
pages lumineuses, inspirées et follement vivantes. Journaliste de
formation, elle a publié en 2014 un beau texte en hommage à son père,
Pascal-Arthur Gonet, grand reporter, décédé prématurément en 1992.
Écrivaine, elle a publié un premier roman en 2019, Passage des cœurs noirs, suivi de Mathilde-sous-Gare, l’année suivante.
Roman de la réconciliation, roman de la victoire de la vie sur la mort, roman de la famille choisie plus que subie, Mattmark confirme que son auteure est une voix précieuse de la scène littéraire suisse.
ISABELLE FALCONNIER, Le Matin Dimanche, 3 décembre 2023
Bien plus qu’un livre du souvenir…
Les libraires indépendants du
canton nous offrent leurs coups de coeur valaisans. Cette semaine,
Françoise Berclaz-Zermatten, de La Liseuse à Sion, nous présente Mattmark un ouvrage de Chiara Meichtry-Gonet
En Valais, celles et ceux qui avaient l’âge de raison en 1965 se
souviennent à coup sûr de ce funeste 30 août, jour où une partie du
glacier de l’Allalin ensevelit huitante-huit ouvriers italiens et
suisses, qui travaillaient à la construction du barrage de Mattmark.
L’auteure sédunoise Chiara Meichtry-Gonet transforme cet événement
tragique en un roman bouleversant. Plusieurs personnages sont au centre
de son récit: il y a d’abord deux victimes, Giuseppe et Luigi. C’est
Giacomo, dit Joseph, un des rares rescapés, témoin du drame, qui va
retrouver et délivrer les corps de ses deux amis. Sa
vie deviendra un enfer, peuplée de cauchemars.
Et puis il y a Clémence qui, après la catastrophe, est partie vivre en
ville avec Hector, son fils illégitime. Elle n’a révélé à personne qui
était le père de l’enfant. Elle reviendra, finir sa vie au village,
avec ses bêtes pour seule compagnie. C’est à sa mort qu’éclate la
vérité: dans une lettre, Clémence révèle à son fils l’identité de son
père:
c’est Luigi, une des victimes de Mattmark; venu d’Italie du Sud, il
avait là-bas une femme, Sveva, et une fille, Victoria, née juste la
catastrophe. Quarante ans tard, Joseph, le rescapé de Mattmark, va
permettre demi-frère et soeur de connaître…
Mattmark est bien qu’un
livre du souvenir. C’est avant tout le roman des non-dits, des tabous
familiaux, de l’immigration, de l’intégration ou non, toutes sortes de
différences, culturelles, climatiques… Surtout, Chiara Meichtry-Gonet
nous invite à réfléchir à nos racines au sens d’ancrage, de lieu où
nous nous sentons chez nous, où nous aimerions mourir. mourir. Ce n’est
pas forcément la terre de nos ancêtres, ou la terre où nous sommes nés,
c’est différent pour chacun, selon sa propre histoire.
Avant l’accident, Luigi avait fait du Valais sa terre d’élection,
c’était l’endroit où il avait rencontré l’amour. Clémence voulait
mourir à la montagne. Hector ne pouvait imaginer vivre ailleurs qu’à
Paris, là où il s’était construit. Le petit-fils de Luigi l’affirme
haut et fort: «Je viens de la mer». Chiara Meichtry, quant à elle,
pourrait peut-être s’installer à Rome?
Un roman superbe, émouvant, sensible, à l’écriture diablement belle.
C’est une réussite.
FRANCOISE BERCLAZ-ZERMATTEN, Le Nouvelliste, 11 novembre 2023
Le
30 août 1965, une partie du glacier de l’Allalin s’effondrait sur le
chantier de construction du barrage de Mattmark, coûtant la vie à 88
ouvriers. Ce jour-là, Luigi a disparu sous les glaces. Joseph, son ami,
présent à ses côtés, a survécu. Le choc subi l’a rendu amnésique,
jusqu’à perdre son nom. Pourtant, c’est lui qui, dans une recherche
entamée bien des années plus tard, réunira Clémence, l’amante, Sveva,
la veuve, Hector et Vittoria, le fils et la fille, qui se découvrent
frère et soeur à près de 40 ans. Le récit suit chacun d’eux, qui se
croisent, se reconnaissent, s’oublient, se perdent ou affrontent,
chacun à leur manière, la vie et ses souvenirs. Des Alpes aux ruelles
de Rome en passant par les places ombragées d’un bourg en bord de mer,
les espoirs et les rêves se rejoignent, dans un mouvement d’exil
perpétuel, d’oubli dévastateur et de racines perdues.
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