CHIARA MEICHTRY-GONET

MATTMARK

Roman
2023. 200 pages. Prix: CHF 29.00
ISBN 978-2-88927-524-0

Colauréate Lettres frontière 2024


Biographie

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«Je ne suis qu’un utérus»

Dans la lumière

Elle a fait l’actualité il y a quelques semaines. Vous savez ce qu’elle fait. Découvrez qui elle est.

Chiara Meichtry-Gonet. Cash, mais aussi douce par moments, l’écrivaine, sous-directrice de l’Association valaisanne des entrepreneurs, a accepté de se livrer. Une femme complexe au cuir bien épais.

«Je ne suis toujours pas convaincue, mais on verra.» Si Chiara Meichtry-Gonet a accepté de se confier, elle émet encore quelques doutes le jour de la rencontre. La quadragénaire: elle aura 48 ans fin mai – a plutôt l’habitude de se raconter dans ses livres, justifie-t-elle. Lauréate du prix Lettres frontière pour son dernier ouvrage Mattmark, elle choisit tout de même d’ouvrir la porte de son bureau à l’Association valaisanne des entrepreneurs à Sion où elle occupe le poste de sous-directrice. Pour dévoiler quelques pans de son intérieur.
Il y a un peu plus de dix ans, elle sortait son premier livre entre témoignage, poésie et art. La Part des ombres rendait hommage à son papa décédé du sida à 36 ans alors que Chiara avait à peine 15 ans. «Si mon père était décédé d’un cancer, les réactions de tout un tas de gens auraient été différentes, je suppose. Mais quelle est la différence? Il est juste mort», souligne-t-elle en ajoutant trouver invraisemblable que les personnes malades du sida doivent le cacher encore aujourd’hui».

Elle fuit les clichés

Loin d’elle l’idée de passer pour une victime. Pour elle, chacun choisit de construire sa vie comme il l’entend. «On ne réduit pas la génétique, on choisit qui on est, on choisit sa propre liberté.» Elle s’agace de voir les gens définis en fonction de leur origine, de leur genre ou de ce qui leur est arrivé. L’être humain est bien plus complexe. Elle-même n’est d’ailleurs pas facile à cerner. Intellectuellement brillante, elle est tenace et volontaire avec une solide fibre féministe.
Enfant, elle était proche de sa grand-mère paternelle qui «était la figure de la femme forte.» Quant à sa grand-maman maternelle, décédée quand Chiara était en dernière année de collège, elle lui avait notamment fait promettre de terminer ses études. «Elle n’avait pas pu finir les siennes. Ça l’avait marquée.»
Chiara a 5 ans lorsque ses parents divorcent. Sa maman, d’origine tessinoise, retourne vivre dans son canton d’origine avec ses enfants pendant deux ans avant de s’établir à Sierre. Chiara et son frère cadet rendent régulièrement visite à leur papa, domicilié à Lausanne. Ils apprennent très vite à prendre le train seuls. «Mon père ne savait pas conduire. Je connais tous les buffets de gare de Suisse.» Un papa dont elle était proche et qui n’avait rien d’un homme sans relief. Journaliste d’investigation, il était spécialisé dans les histoires de mafia. «On recevait des téléphones très bizarres à la maison.»

Rarement débordée par les émotions en public

Son père lui écrivait souvent des lettres. Une manière pudique de montrer son amour. La pudeur anime également Chiara Meichtry-Gonet qui confie être rarement débordée par les émotions en public. «Le reste m’appartient.» C’est la même chose pour les démonstrations affectueuses physiques. Quand elle était collégienne, elle avait serré la main à son grand-papa lorsqu’elle l’a revu après des mois passés en Toscane. «Je crois qu’il aurait été mal à l’aise si j’avais fait autre chose. Ce qui n’empêche pas de se dire des choses profondes.»
La quadragénaire a la faculté de s’adapter. Elle se sent à l’aise dans tous les milieux. «J’aime découvrir les gens sans me faire de jugement avant», explique-t-elle en ajoutant avoir été «vaccinée très tôt contre les a priori». «Imaginez: après le Tessin, nous sommes arrivés à Sierre avec une maman tessinoise, divorcée et on n’allait pas au cours de religion.» Le tout dans les années 80. À 20 ans, elle rencontre celui qui deviendra son mari. «Avec lui, j’ai fait le choix de la vie.» Le couple a deux enfants, âgés aujourd’hui de 22 et 20 ans. Lorsqu’on lui demande si elle avait envie de maternité, Chiara Meichtry-Gonet répond abruptement: «On vit dans un monde où on peut choisir».
Elle s’adoucit quand elle parle de sa fille et de son garçon confiant ne pas avoir été une mère «traditionnnelle». Elle a toujours travaillé à 100 %, de même que son mari, s’appliquant à passer des moments de qualité avec les enfants. «Récemment, je leur ai demandé si je leur avais manqué. Ils m’ont répondu non.»

Cuisiner pour ceux qu’elle aime

À tous ses employeurs, elle a posé l’exigence d’être libre tous les soirs de 17 à 1    9 heures pour consacrer ce temps à ses enfants. Une condition sur laquelle elle n’a jamais transigé. «J’ai toujours obtenu ça.»
C’est elle d’ailleurs qui leur prépare le repas. Elle apprécie de cuisiner. «C’est surtout parce que je déteste mal manger.» Elle n’hésite pas à se mettre aux fourneaux, mais «uniquement pour les gens que j’aime», précise-t-elle en ajoutant avoir «un rapport super méditerranéen à la nourriture. Ce serait un déshonneur si la personne repartait de chez moi en ayant faim.»
Chiara Meichtry-Gonet n’a jamais pu admettre de devoir choisir entre ses enfants et sa vie professionnelle. Lors de son premier travail de journaliste au Matin, elle n’a par exemple pas renoncé à allaiter sa fille après son congé maternité. «Je me débrouillais. J’étais en colère qu’on me dise que je n’allais pas y arriver.»
Il suffit qu’on lui dise qu’elle n’y parviendra pas pour qu’elle se batte encore plus. Elle raconte ainsi une anecdote liée au premier jour de scolarité de son aînée. «Je l’ai amenée à l’école et j’ai présenté à l’enseignante la jeune fille qui viendrait chercher ma fille le soir. Elle m’a demandé combien de jours par semaine cela concernait. Je lui ai dit que ce serait tous les jours.» La titulaire de classe lui a alors demandé si sa fille allait bien. «Je n’en revenais pas de cette vision!», s’insurge la quadragénaire maman certes, mais aussi femme, professionnelle et écrivaine. «C’est évident que je ne suis pas qu’un utérus», lance-t-elle.
Cash comme toujours. Aux antipodes des personnes fleurs bleues. Fillette, elle ne rêvait pas d’avoir un mari, des enfants, une villa, un jardin et un chien. «Je n’ai jamais projeté de vies idéales.» Locataire dans la vieille ville de Sion, elle n’a nul besoin d’être propriétaire pour s’ancrer. «Le seul endroit où je me sens chez moi, c’est là où vit mon mari.»
Des mots qui résonnent comme une déclaration d’amour envers l’homme de sa vie. «C’est un long compagnonnage amoureux. On a une vraie exigence d’honnêteté et de respect mutuel.»

Épicuriennne au sens d’Épicure

S’ils sont très proches, ils ont aussi chacun leurs goûts. Si son mari apprécie le ski – c’est lui qui a mis les enfants sur les lattes la première fois –, elle déteste cette activité. «La dernière fois que j’en ai fait, je devais avoir 10 ans. J’ai le souvenir d’avoir été coincée dans une pente dans le blizzard.» En fait, elle abhorre le sport tout court. Si elle a appris à patiner dans son enfance, c’était surtout pour faire la nique à ceux qui lui interdisaient de faire du hockey «parce qu’elle était une fille». En deux temps trois mouvements, elle a apprivoisé la glace, surpassant les garçons en vitesse. Comme tous ceux qui ont perdu des êtres chers, elle a la conscience que tout peut s’arrêter brusquement. Mais n’a pas d’angoisse de la maladie ou de la mort. «Je suis épicurienne au sens du philosophe Épicure, souligne cette diplômée de la Faculté de philosophie de l’Université de Rome. L’épicurienne encourage la recherche du plaisir modéré et la tranquillité de l’âme, tout en soulignant l’importance de l’amitié, de la connaissance et l’absence de crainte de mort. «Je vis avec intensité», résume-t-elle en souriant.


Pas compliquée, mais complexe

Au moment du selfie, dans son bureau à l’Association valaisanne des entrepreneurs à Sion. «Je n’aime pas les choses compliquées, mais complexes. Pas compliquée, mais complexe. C’est aussi ainsi que l’on pourrait décrire Chiara Meichtry-Gonet. Pas facile à cerner, la quadragénaire qui est à la fois le feu et la glace, oscillant entre un côté «provoc’» et davantage de douceur. Comme lorsqu’elle lance: «Je ne suis pas qu’un utérus» en parlant de sa vie professionnelle, puis «Je me sens chez moi là où vit mon mari» en évoquant son conjoint.
J’ai eu le sentiment de faire l’interview sur un fil. Après deux heures et demie d’entretien, nous sommes sorties de son bureau non-fumeur. Chiara a prestement allumé une cigarette pour raconter ses impressions en off. Elle a souri, mettant un beau point final à ce moment intense de partage humain. Une certitude: avec Chiara Meichtry-Gonet, la tiédeur n’existe pas.

CHRISTINE SAVIOZ,
Le Nouvellliste

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Chiara Meichtry-Gonet et Patrice Gain, les lauréats du Prix Lettres frontière

La 21e édition du festival L’Usage des mots avait donné rendez-vous en novembre aux amateurs de littérature, dans l’établissement culturel Château-Rouge à Annemasse. À l’issue de l’édition 2024, deux lauréats ont reçu le Prix Lettres frontière: Chiara Meichtry-Gonet et Patrice Gain.

Le festival littéraire L’Usage des mots permet de dévoiler des nouveaux titres plébiscités en France et en Suisse. Comme chaque année, l’événement a primé deux auteurs. Un mois après l’octroi de leur prix littéraire, nous avons rencontré Chiara Meichtry-Gonet, romancière suisse, et Patrice Gain, écrivain français qui sont les grands vainqueurs de cette édition 2024 du Prix Lettres frontière.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à ce prix?
Chiara Meichtry-Gonet: «J’avais entendu parler de ce prix. Mais c’est mon éditeur Bernard Campiche qui en a eu l’idée et s’en est chargé. Ensuite, il a envoyé les exemplaires de mon ouvrage Mattmark à l’équipe de Lettres frontière.»
Patrice Gain: «C’est la troisième fois que je participe, avec mon sixième roman intitulé Les Brouillards noirs, paru aux éditions Albin Michel. Les lecteurs ont présélectionné mon livre comme ils l’avaient fait pour mes précédents ouvrages. L’auteur n’y est pour rien, une fois que le livre est sorti, il ne nous appartient plus. Ce sont les lecteurs, qui décident de nous récompenser ou non.»

Qu’avez-vous ressenti à l’annonce de votre victoire?
Chiara Meichtry-Gonet: «Je suis très honorée, car c’est un prix de lecteurs. Et cela est vraiment très précieux, d’autant plus que Mattmark est mon quatrième livre, et mon troisième roman. Il y a eu beaucoup de personnes qui m’ont parlé de mon ouvrage. Donc, forcément, je suis très touchée!»
Patrice Gain: Je suis très heureux d’être le lauréat de ce Prix Lettres frontière, par ce côté transfrontalier, et ce lieu qui nous unit. La littérature appartient au monde et les livres sont là pour gommer les frontières. Je suis originaire de la Vallée du Giffre, en Haute-Savoie, donc c’est un privilège et un honneur d’être primé. Être auteur est un acte solitaire, et cette récompense est également l’occasion de rencontrer nos lecteurs et lectrices. C’est un moment convivial très fort!»

Combien de temps avez-vous mis pour rédiger ce roman?
Chiara Meichtry-Gonet: Cela m’a pris trois ans, considérant toutes les recherches qu’il y avait à faire.»
Patrice Gain: Cela a pris quelque temps. Récemment, j’ai finalisé mon septième roman qui est actuellement chez mon éditeur, et qui va être publié prochainement.»

ELISA GENEVRA,
Le Dauphiné libéré

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«Chercher un coupable n’apaise pas la peine»

La Valaisanne Chiara Meichtry-Gonet et Pauline Desnuelles, qui vit en partie à Anzère, ont toutes deux écrit un livre lié à un drame en montagne. Hasard du calendrier, elles étaient en conférence ce samedi à Sion et ont évoqué le deuil, l’absence du risque zéro ou le voyeurisme

Comment se remettre d’un drame en montagne? Comment continuer à vivre avec la douleur immense de la perte d’un être cher? Comment trouver un sens à cet arrachement d’un proche? Autant de questions qui émergent chez des personnes qui perdent un être aimé dans une avalanche ou autre catastrophe sur les sommets.
Ces interrogations résonnent particulièrement en Valais qui vient de connaître plusieurs drames en montagne – cinq personnes sont décédées et une autre a disparu à Tête Blanche et trois personnes sont mortes au Petit Combin dans un crash d’hélicoptère les emmenant sur les hauteurs pour leur permettre de pratiquer de l’héliski.
C’est par hasard mais dans ce contexte que s’est déroulé le Petit déjeuner littéraire de la Médiathèque Valais samedi à Sion. Deux écrivaines, Pauline Desnuelles, qui partage sa vie entre Genève et Anzère, et la Valaisanne Chiara Meichtry-Gonet étaient invitées pour parler de leur roman respectif: Ascension pour la première et Mattmark pour la deuxième.

Entre fiction et réalité

Les trames des deux livres se passent dans le contexte d’un drame en montagne. Ascension évoque le cheminement d’une journaliste qui, en parallèle de ses recherches sur Marguette Bouvier – la première femme à descendre le Mont-Blanc à skis –, effectue un retour à la vie après la mort de son mari emporté par une avalanche. Mattmark revient sur le jour noir du 30 août 1965 où une partie du glacier de l’Allalin ensevelit 88 ouvriers qui travaillaient à la construction du barrage.
À travers des personnages de fiction, dont Joseph, un ouvrier italien qui a survécu à la catastrophe, Chiara Meichtry-Gonet montre comment les personnes traversent le deuil tout en trouvant leurs propres racines. «Mattmark est un événement traumatique qu’il faut affronter en tant que mémoire ouvrière dans ce canton», souligne-t-elle. Elle a en quelque sorte fait entendre la voix de toutes ces personnes qu’on n’a pas entendues et qui ont marqué l’histoire du Valais.
À la question de savoir comment se remettre de la mort d’un proche, Chiara Meichtry-Gonet répond «ne pas avoir la recette. Je n’ai pas l’arrogance de savoir comment il faut faire.» Elle-même a été marquée par le départ de son papa, décédé du sida à l’âge de 36 ans. Chiara avait 15 ans. Son premier ouvrage racontait cet événement tragique. «Je ne me suis littéralement pas remise de sa mort. Par choix. Je suis très heureuse, j’ai une belle vie, mais je n’ai pas envie d’oublier mes proches disparus, ni de les mythifier d’ailleurs.»

Regarder la douleur en face

Un jour, elle a décidé de regarder sa douleur en face, de l’affronter. «C’est comme une bête sauvage que l’on dompte mais qui ne va jamais disparaître. Ce manque ne sera pas comblé. Point.» L’écrivaine refuse la consolation qui voudrait que son père «soit mieux ailleurs, car il serait mieux avec moi». Elle tient à garder son souvenir vivant – «C’est une part de moi. Je vis avec tout un tas de morts» – et a appris à «se construire autrement».
Un sentiment partagé par Pauline Desnuelles qui raconte comment son héroïne fait peu à peu son ascension intérieure pour se remettre de son deuil. Au moment de l’écriture il y a trois ans, elle était marquée par le drame de 2018 au Pigne d’Arolla où sept personnes étaient mortes de froid à 550 mètres de la cabane des Vignettes. «A un moment, je ne voulais pas regarder cela de trop près. Cela m’a beaucoup émue d’imaginer ces personnes souffrant dans le froid. J’éprouve une grande compassion pour leurs proches.»

La montagne peut aussi sauver

Une montagne qui se montre parfois assassine mais qui peut aussi amener un bien-être intérieur. C’est ce qu’a ressenti Pauline Desnuelles en traversant des moments très difficiles dans sa vie. «Lorsque j’ai rencontré l’adversité, c’est la montagne qui m’a sauvée. C’est elle qui m’a permis de me découvrir des ressources insoupçonnées.»
Pour elle, c’est l’endroit où la personne est sans fard, sans subterfuge, juste face à elle. «C’est là que j’ai trouvé du sens. Là-haut, je me transforme, je suis calme, apaisée, je me régénère», souligne Pauline Desnuelles.
Impossible ainsi pour elle, comme pour les passionnés de montagne, de se passer de cette rencontre avec les sommets. Malgré les drames potentiels. «Avant de partir, on sait que le risque zéro n’existe pas, mais comme il n’existe pas en ville et dans la vie en général.» Avant une excursion sur les hauteurs, elle en parle d’ailleurs avec ses deux filles qui se montrent compréhensives. «Elles me disent: maman, va à la montagne, cela te fait du bien. Elles savent que j’y trouve du sens.»

Pourquoi ce besoin de trouver un coupable?

Si chaque drame suscite une vague de compassion, il rencontre aussi des jugements à l’emporte-pièce via des commentaires parfois insultants sur les réseaux sociaux qui heurtent profondément les proches des victimes. «Je ne comprends pas ce besoin qu’ont certains – ce sont souvent des gens qui ne connaissent pas la montagne – de donner leurs avis à tout prix. C’est sans doute un besoin d’épancher certaines peurs par ce biais-là», confie Pauline Desnuelles. Elle ajoute que «chercher un coupable dans ce genre de drame ne sert à rien et n’adoucit pas la peine».
Chiara Meichtry-Gonet qualifie ces jugements violents de lynchage médiatique. «Certaines personnes ont une curiosité morbide des détails. Il y a une part de voyeurisme, comme ceux qui assistaient aux exécutions jadis. C’est sans doute effectivement une manière de combattre sa propre peur.»

HELOISE MARET, Le Nouvelliste

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Devoir de mémoire

Inspiré de la réalité, le troisième roman de Chiara Meichtry-Gonet, Mattmark, ressuscite un chapitre douloureux de l’histoire valaisanne à travers le prisme des émotions humaines

Séisme dans l’histoire du canton aux treize étoiles et résonance nationale: le 30 août 1965, un pan du glacier de l’Allalin s’effondre sur le chantier de construction du barrage de Mattmark, dans le Haut-Valais, provoquant la mort de 88 ouvriers dont 56 saisonniers italiens. Près de 60 ans plus tard, Chiara Meichtry-Gonet revient sur ce terrible accident à travers le regard et les ressentis de personnages fictifs gravitant autour de la catastrophe. Sous sa plume sensible, un survivant du drame, une épouse et une amante laissées à leur solitude et à leur secret, des enfants ayant grandi dans l’ombre du fantôme de leur père… déroulent l’écheveau de souvenirs et de l’absence, entre les Alpes et les ruelles de Rome, réveillant le passé pour mieux comprendre le présent. Avec, en toile de fond, un questionnement sur l’identité, les racines, l’exil ou encore l’intégration. Avec, en filigrane, la volonté de rendre hommage aux victimes et à leurs proches. Tout en recourant à un langage imagé, poétique propre à nourrir l’imaginaire. «La raison de ce roman? Je suis tombée sur une liste des employés italiens disparus dans l’accident, qui avait été dressée par les syndicats de l’époque. Leurs noms, l’entreprise pour laquelle ils travaillaient, la date de retour de leur dépouille au pays… figuraient sur ce document. Mon imagination s’est emballée», précise l’auteure de 46 ans, étonnée qu’on ne lui avait pas parlé de la tragédie bien que constitutive de la mémoire valaisanne collective. «Je me suis surtout intéressée à la question de la mémoire, à savoir comment vit-on avec les morts, comment peut-on se reconstruire?» La Sédunoise souligne encore que, habitant au pied des montagnes,
elle juge intéressant de connaître leur passé, leurs dangers potentiels.
La chair de son récit, Chiara Meichtry-Gonet la trouve en contactant des ouvriers qui ont été témoins du drame ainsi qu’une infirmière active sur le site. Elle se rendra aussi au barrage pour s’imprégner des lieux. «Un endroit à forte portée romanesque, creuset, lors de sa construction, de nationalités, langues, cultures», note la romancière, alors que 1965 voit le lancement des premières initiatives antiétrangers. Et puis, avec son prénom à consonance italienne – sa mère est Tessinoise – elle a aussi pu se frotter, jeune, aux réactions que peut provoquer la différence. «Pas toujours simple d’être abordée à travers un prisme catégorisant», note celle qui a suivi les cours de la Faculté de philosophie à l’Université de Rome et effectué une spécialisation en logique mathématique. Travaillant à plein temps comme sous-directrice de l’Association valaisanne des entrepreneurs, l’ancienne journaliste, mère de deux grands enfants, signe sa troisième fiction. La Sédunoise se consacre à sa passion à l’aube, entre 4h et 6h du matin, à grand renfort de café. «Écrire est pour moi une nécessité, comme de respirer. Mais ça ne paie pas le loyer», ajoute la quadragénaire, déjà engagée dans de nouveaux projets… Mais on n’en saura pas davantage.

L’EVENEMENT SYNDICAL

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Mattmark, de Chiara Meichtry-Gonet

C'est le nom d'un barrage dans la vallée de Saas en Valais. Alors qu'il est en construction, le 30 août 1965, un pan du glacier de l'Allalin, qui le surplombe, s'effondre sur les baraques du chantier. 88 personnes perdent la vie.
Parmi ces victimes, Luigi, qui a une double vie. En effet il est marié à Sveva, qui attend de lui un enfant, et il est l'amant de Clémence qui est également enceinte de lui, si bien que Luigi, sans l'imaginer jamais, aura deux enfants posthumes.
L'enfant de Clémence s'appelle Hector, celle de Sveva, Vittoria. L'un et l'autre ignorent qu'ils forment une fratrie et qu'ils sont nés à sept mois d'intervalle. Le père d'Hector est inconnu, celui de Vittoria est mort lors de la catastrophe.
Clémence vit en Suisse. Sveva en est partie à la suite de la catastrophe et vit au bord de la mer, en Italie du Sud, qu'elle avait quittée pour suivre son mari. L'une est considérée comme une fille-mère, l'autre comme une veuve éplorée.
Iacopo, que tout le monde appelle Joseph depuis qu'un fonctionnaire l'a prénommé ainsi à sa descente du train, travaillait sur le chantier avec deux autres compatriotes, Luigi justement et Giuseppe, qui périrent dans la catastrophe de 1965.
Quand le glacier «avait vomi ses caillots», il avait enseveli les deux «compari» de Joseph, qui avait découvert leurs corps. Au cimetière où ils sont enterrés, Joseph a entendu leurs âmes dire qu'il les avait oubliés. Celle de Luigi lui a demandé: «Peut-être Joseph aurait-il voulu oublier ce terrible drame humain, mais le destin en décida autrement. Un 30 août, une cérémonie commémorative eut lieu dans ce cimetière et Joseph y rencontra Sveva. Il était désormais exclu qu'il oublie.»
Avec beaucoup de tact, Chiara Meichtry-Gonet raconte que cette rencontre ne pouvait en rester là et qu'elle devait avoir un prolongement pour l'histoire de cette famille décomposée et que Joseph serait le chaînon la réunissant enfin.
Les liens du sang ne conduisent pas toujours au pardon ou n'effacent pas la révolte, mais ils favorisent la sollicitude. Pour le relater l'auteure suit une chronologie générationnelle, où des touches d'au-delà meuvent les protagonistes.
Luigi serait content de voir sa descendance obtenir les réponses qu'il n'a pu lui donner lui-même et que, bien des années plus tard, le dernier de sa lignée, après un détour en Suisse, renouerait naturellement avec ses racines italiennes.
 
Blog de FRANCIS RICHARD

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Quand la mémoire se fracasse contre la glace

La romancière valaisanne Chiara Meichtry-Gonet ressuscite un drame presque oublié, celui du barrage de Mattmark, qui a jeté une lumière crue sur les conditions de vie des immigrés en Suisse dans les années 1960-1970

Des phrases courtes et des mots qui déboulent avec fracas, comme une avalanche de glace, c’est Mattmark, le dernier roman de Chiara Meichtry-Gonet. L’effondrement du glacier valaisan de l’Allalin, au-dessus de Saas-Fee, est un drame presque oublié. Il est pourtant l’une des pages les plus sombres de l’immigration en Suisse. N’ayant vraisemblablement que quelques flaques de pétrole, le pays mise alors sur sa richesse hydraulique. Il se lance dans une course à l’énergie à coups de constructions monstres nécessitant des bras, si possible des bras à bas prix et corvéables à merci, sept jours sur sept dans des conditions climatiques extrêmes. Le 30 août 1965, deux millions de mètres cubes de glace ensevelissent le chantier du barrage de Mattmark, soufflant hommes, véhicules et baraquements. La catastrophe suscite une vive émotion au-delà de nos frontières. Si la Suisse est en deuil avec 23 morts, l’Italie l’est encore plus avec 56 des 88 victimes. Quatre Espagnols, deux Autrichiens, deux Allemands et un apatride perdent aussi la vie dans
l’éboulement. Le drame était-il prévisible? Toutes les mesures de sécurité ont-elles été prises ? Des autorisations ont-elles été accordées à la légère? Un procès s’ouvre en 1972, après sept ans d’enquête judiciaire. Dix-sept personnes prennent place sur le banc des accusés. Elles sont toutes acquittées.

La défiance des autochtones

Autour de ce jour tragique qui a durablement terni l’aura de la Suisse, terre d’accueil et de prospérité, Chiara Meichtry-Gonet construit un roman émouvant et paradoxalement très vivant. Iacopo, Jaques ou Jacob, renommé Joseph dans la langue du crû, est l’un des rares rescapés de la catastrophe. Après une période d’amnésie due au choc, il va rassembler toutes les pièces du puzzle, celles de l’amitié indestructible, des amours vraies et du respect infini, qui restent coulées dans le béton du barrage. Il va aussi raconter la méfiance, la défiance, voire l’hostilité des autochtones face à ces travailleurs saisonniers qui font le boulot qu’ils ne veulent pas faire. Joseph constate qu’il ne sait finalement rien sur les gens du coin: «Ils étaient renfermés, restaient entre eux. Surtout, ils rentraient auprès des leurs après le travail, ne dormaient pas là, ne s’allongeaient pas sur les châlits du dortoir aménagé trois kilomètres en contrebas du chantier.»
L’écrivaine et journaliste Chiara Meichtry-Gonet est née en 1977. Douze ans la séparent de l’effondrement du glacier de l’Allalin, mais son récit sonne parfaitement juste, comme si elleavait été dans la vallée de Saas au moment des faits. Après Passage des coeurs noirs (Vigousse du 18.10.19) et Mathilde-sous-Gare en 2020, sa plume prend de l’amplitude, de la distance, de la hauteur. Mattmark est un aide-mémoire de l’immigration en Suisse, terreau fertile de toutes les déviances xénophobes. Il est aussi une piqûre de rappel qu’une récente statistique sur les patronymes les plus courants en Suisse romande met en évidence. Da Silva arrive en tête. Les Favre sont en sixième position, après les Ferreira, Pereira, dos Santos, Rodrigues. Quoi de plus normal, en somme!

MARIE-JOSE BRELAZ,
Vigousse

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Les enfants de Mattmark, la vie après la tragédie

L’écrivaine Chiara Meichtry-Gonet s’empare d’une catastrophe qui a marqué son canton dans un très beau roman mêlant le drame aux secrets de famille

Le 30 août 1965, au fond de la vallée de Saas, le glacier tombe. Deux millions de mètres-cubes de glace et de roche se détachent de l’Allalin, tuant 88 ouvriers qui travaillaient au chantier du barrage de Mattmark, dont 56 Italiens. Parmi eux, Luigi, un enfant de Calabre. La tragédie bouleverse le village de Saas-Almagell, la vallée, tout le pays. Les journalistes accourent de toute l’Europe. En Valais, on enterre les morts, tandis que les familles italiennes viennent chercher les dépouilles.
Et puis la vie reprend. En Valais comme en Italie, les enfants de Luigi grandissent, Victoria, née de sa femme Sveva, et Hector, né de ses amours avec une jeune fille des montagnes suisses. Le frère et la sœur, tous deux nés quelques mois après le décès de Luigi, ne se connaissent pas. Un seul homme pourrait les réunir: Joseph, survivant du drame hanté par la culpabilité, qui passe les années qui suivent à construire ponts et autoroutes pour les Suisses. Jusqu’au jour où devenu employé communal responsable d’un cimetière, il s’effondre en larmes entre deux tombes en entendant les voix de ses compagnons disparus. Après avoir longtemps repoussé les souvenirs, il se mêle un jour aux veuves, mères et orphelins qui marchent chaque 30 août jusqu’au pied du barrage. Forcément Sveva est là, il pourra lui raconter ce qu’il sait.
Mêlant réalité historique et fiction, l’écrivaine valaisanne Chiara Meichtry-Gonet nous offre un beau roman mêlant avec une grande justesse mémoire collective et destins personnels. Il est important non seulement de se souvenir d’évènements qui marquent une communauté autant que l’a fait la tragédie de Mattmark, mais aussi de revivifier et relire le souvenir tout en le transmettant aux lecteurs d’aujourd’hui.

Un air de Ramuz

Au cœur de l’histoire, le glacier, arbitre qui peut tomber sur les hommes et leurs maisons comme la montagne tombait dans Derborence. On pense forcément à Ramuz en lisant Chiara Meichtry-Gonet. Même écho à un fait historique, même attention aux silences, aux choses, aux gestes, aux paysages, même conscience de la présence des morts parmi nous, en nous.
Mais Mattmark s’intéresse, et c’est la force ce roman fluide et attachant, aux hommes et aux femmes dont la vie a changé à jamais après le 30 août 1965. Pour certains, comme Hector, né de père inconnu jusqu’à ce qu’il découvre l’existence de Luigi, la quête des origines n’aura pas de fin. Quel destin mystérieux préside aux déplacements, aux migrations, aux rencontres, aux attractions entre les êtres? Partir, rester? Être né quelque part, c’est toujours un hasard, et le récit de Chiara Meichtry-Gonet nous en offre une belle incarnation. En sous-texte de Mattmark, la difficile intégration des communautés italiennes en Valais et en Suisse plus largement, confrontée aux préjugés et aux injustices même dans le plus terrible des deuils.
Née à Lausanne en 1977, aujourd’hui sous-directrice de l’Association valaisanne des entrepreneurs, Chiara Meichtry-Gonet a grandi en Valais avant d’étudier la philosophie et les mathématiques à Rome – lorsque les deux enfants de Luigi se retrouvent enfin, c’est à Rome dans des pages lumineuses, inspirées et follement vivantes. Journaliste de formation, elle a publié en 2014 un beau texte en hommage à son père, Pascal-Arthur Gonet, grand reporter, décédé prématurément en 1992. Écrivaine, elle a publié un premier roman en 2019, Passage des cœurs noirs, suivi de Mathilde-sous-Gare, l’année suivante.
Roman de la réconciliation, roman de la victoire de la vie sur la mort, roman de la famille choisie plus que subie, Mattmark confirme que son auteure est une voix précieuse de la scène littéraire suisse.

ISABELLE FALCONNIER,
Le Matin Dimanche,
3 décembre 2023

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Bien plus qu’un livre du souvenir…

Les libraires indépendants du canton nous offrent leurs coups de coeur valaisans. Cette semaine, Françoise Berclaz-Zermatten, de La Liseuse à Sion, nous présente Mattmark un ouvrage de Chiara Meichtry-Gonet

En Valais, celles et ceux qui avaient l’âge de raison en 1965 se souviennent à coup sûr de ce funeste 30 août, jour où une partie du glacier de l’Allalin ensevelit huitante-huit ouvriers italiens et suisses, qui travaillaient à la construction du barrage de Mattmark.
L’auteure sédunoise Chiara Meichtry-Gonet transforme cet événement tragique en un roman bouleversant. Plusieurs personnages sont au centre de son récit: il y a d’abord deux victimes, Giuseppe et Luigi. C’est Giacomo, dit Joseph, un des rares rescapés, témoin du drame, qui va retrouver et délivrer les corps de ses deux amis. Sa
vie deviendra un enfer, peuplée de cauchemars.
Et puis il y a Clémence qui, après la catastrophe, est partie vivre en ville avec Hector, son fils illégitime. Elle n’a révélé à personne qui était le père de l’enfant. Elle reviendra, finir sa vie au village, avec ses bêtes pour seule compagnie. C’est à sa mort qu’éclate la vérité: dans une lettre, Clémence révèle à son fils l’identité de son père:
c’est Luigi, une des victimes de Mattmark; venu d’Italie du Sud, il avait là-bas une femme, Sveva, et une fille, Victoria, née juste la catastrophe. Quarante ans tard, Joseph, le rescapé de Mattmark, va permettre demi-frère et soeur de connaître…
Mattmark est bien qu’un livre du souvenir. C’est avant tout le roman des non-dits, des tabous familiaux, de l’immigration, de l’intégration ou non, toutes sortes de différences, culturelles, climatiques… Surtout, Chiara Meichtry-Gonet nous invite à réfléchir à nos racines au sens d’ancrage, de lieu où nous nous sentons chez nous, où nous aimerions mourir. mourir. Ce n’est pas forcément la terre de nos ancêtres, ou la terre où nous sommes nés, c’est différent pour chacun, selon sa propre histoire.
Avant l’accident, Luigi avait fait du Valais sa terre d’élection, c’était l’endroit où il avait rencontré l’amour. Clémence voulait mourir à la montagne. Hector ne pouvait imaginer vivre ailleurs qu’à Paris, là où il s’était construit. Le petit-fils de Luigi l’affirme haut et fort: «Je viens de la mer». Chiara Meichtry, quant à elle, pourrait peut-être s’installer à Rome?
Un roman superbe, émouvant, sensible, à l’écriture diablement belle.
C’est une réussite.

FRANCOISE BERCLAZ-ZERMATTEN, Le Nouvelliste, 11 novembre 2023

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Le 30 août 1965, une partie du glacier de l’Allalin s’effondrait sur le chantier de construction du barrage de Mattmark, coûtant la vie à 88 ouvriers. Ce jour-là, Luigi a disparu sous les glaces. Joseph, son ami, présent à ses côtés, a survécu. Le choc subi l’a rendu amnésique, jusqu’à perdre son nom. Pourtant, c’est lui qui, dans une recherche entamée bien des années plus tard, réunira Clémence, l’amante, Sveva, la veuve, Hector et Vittoria, le fils et la fille, qui se découvrent frère et soeur à près de 40 ans. Le récit suit chacun d’eux, qui se croisent, se reconnaissent, s’oublient, se perdent ou affrontent, chacun à leur manière, la vie et ses souvenirs. Des Alpes aux ruelles de Rome en passant par les places ombragées d’un bourg en bord de mer, les espoirs et les rêves se rejoignent, dans un mouvement d’exil perpétuel, d’oubli dévastateur et de racines perdues.

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