CHIARA MEICHTRY-GONET

MATHILDE-SOUS-GARE

Roman
2020. 160 pages. Prix: CHF 28.00
ISBN 978-2-88927-459-5

Prix SEV de la Loterie Romande {SEV = Société des Ecrivains Valaisans}


Biographie

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Mathilde, itinéraire en pointillé d'une héroïne en partance

Le troisième ouvrage de Chiara Meichtry-Gonet Mathilde-sous-Gare a reçu le prix de la Société des écrivains valaisans

Elle connaît trop bien les biais de la profession journalistique pour ne pas directement désamorcer les questions indiscrètes. Pourtant, comme son héroïne Mathilde, Chiara Meichtry-Gonet a sillonné l'Europe en train, d'ouest en est, à la fin de l'adolescence déjà. Elle a vécu à Rome, aimé l'Italie d'une façon absolue. Comme Mathilde, elle a écrit et publié les histoires des autres, en travaillant notamment pour L'Illustré. «Non, ça n'est pas du tout un récit autobiographique. C'est juste un roman. Forcément, on écrit à partir d'expériences collectées, de lieux visités, mais chacun y trouvera ce qu'il voudra, en fera ce qu'il voudra.»

Héroïne en partance

Écrit d'une plume pleine de sensorialité, dans une temporalité fragmentée, sur un rythme qui épouse à merveille la transe souple des voyages en train, Mathilde-sous-Gare raconte un personnage en partance. Mathilde a d'abord 17 ans, elle remonte l'Italie dans un train plein à craquer. Elle vient de laisser son amie Anna, partenaire de fugue. Une étape sordide à Naples la laissera vide. Autour et en dedans. À la trentaine, ce vide, elle le remplira ensuite de rencontres, là, dans les wagons, d'échanges forcément essentiels car brefs, sans lendemain autre que celui des témoignages qu'elle rédigera et publiera ici et là. «Elle ne volait rien aux gens. Elle leur donnait de la voix, donnait chair à leurs mots et les faisait exister.» Et puis, il y aura Jean, l'amour vrai, fécond, qui finira par se dissoudre dans les alcools. À nouveau Mathilde partira au gré des voies de chemins de fer, pour retrouver Anna, l'amie fidèle, et donner naissance à son fils.
Après l'ultime départ, Mathilde laissera derrière elle un carnet qui conjuguera l'absence et perpétuera l'amour qui ne cessa d'être partagé.

Écrire aux aurores

Actuellement, Chiara Meichtry-Gonet occupe le poste de sous-directrice de l'Association valaisanne des entrepreneurs, et conjugue des mondes a priori opposés: «J'aime la complexité», sourit-elle. «Je suis maman de deux ados, je travaille avec des gens qui fixent des rendez-vous à 7 heures du matin, du coup, je me fais du café et j'écris pour moi dès 4 heures du matin.»
Un processus éminemment intérieur et personnel qui l'habite au-delà de la réception que peut connaître son travail littéraire. «L'écriture, pour moi, est un espace de liberté et d'honnêteté absolues. C'est un besoin. Tant mieux si ça plaît…»

JEAN-FRANÇOIS ABELDA, Le Nouvelliste, 21 juin 2021

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Sur les rails avec Chiara Meichtry-Gonet

Journaliste et écrivaine, équipée d’une spécialisation en logique mathématique, sous-directrice de l’Association Valaisanne des Entrepreneurs (AVE), Chiara Meichtry-Gonet est à la croisée de plusieurs chemins… ou rails, pourrait-on écrire. À l’automne 2020, elle a publié son deuxième roman, Mathilde-sous-Gare chez Bernard Campiche. L’occasion pour moi de la rencontrer et d’échanger, lors d’une virée en train et ailleurs, sur son profil singulier et son univers imagé et pertubant.

«Je vous attendrai à Lausanne sur le quai (je me trouve généralement proche d’un cendrier, disons côté Valais)». C’est par cette phrase, parmi d’autres, que le rendez-vous avec Chiara Meichtry-Gonet a été pris. Son existence, je l’ai apprise en lisant ses récits. D’abord, Passage des cœurs noirs, paru en 2019 chez Bernard Campiche Éditeur, une histoire qui suit Virgile, un banquier, qui tombe amoureux d’une étudiante, Héloïse. Ensemble, ils ont une fille, Alma. Mais le destin décide de se mêler de ce bonheur familial. Autour d’eux – et surtout de Virgile – rôdent les fantômes du passé. Un premier roman mystérieux, rédigé par une auteure aux aspects multiples et à la carrière riche.
J’ai donc eu envie de creuser la question. Passage des cœurs noirs, c’est son premier roman, mais pas son premier récit. En 2014, l’écrivaine avait publié un livre, La Part des ombres, aux Éditions Monographic de Sierre. Une élégie et un hommage à son père disparu, le journaliste Pascal-Arthur Gonet, décédé du sida en 1992, collègue et ami du journaliste et écrivain Gilbert Salem. Ce dernier a d’ailleurs consacré un ouvrage à son ami disparu intitulé À la place du mort et publié en 1996 chez Bernard Campiche. Mais gardons cela pour plus tard, si vous me le permettez, et poursuivons sur notre protagoniste du jour.
À l’automne 2020, Chiara Meichtry-Gonet publie Mathilde-sous-Gare, l’histoire d’une héroïne, Mathilde, qui voyage de train en train en rencontrant des voyageurs et en écrivant leur histoire. Au cours d’un voyage, Mathilde rencontre Jean et c’est l’amour fou. Mais l’amour finit par laisser place à la douleur et à la séparation. On retrouve dans ce roman un univers presque onirique, une narration éclatée – comme dans Passage des cœurs noirs, – sur fond de road-trip en train. Comme on peut le constater, Chiara Meichtry-Gonet se meut dans plusieurs domaines: l’administration, le journalisme, la littérature… Un mélange déroutant et, en même temps, très intrigant. J’ai souhaité voir cela de plus près. Place donc désormais au portrait.

Sur le quai, Coffee & Cigarettes

Dans le hall de la gare de Lausanne, en ce froid jeudi de janvier 2021, il n’y a pas trop de monde. Étrangement, c’est là que je rejoins Chiara Meichtry-Gonet  – et non pas à côté d’un cendrier. Long manteau noir, écharpe blanche avec points noirs et bottines Doc Martens au pied, ses lunettes de soleil sur le crâne, elle attend assise sur un banc, café et taillé aux greubons à la main. Je la repère aisément, au milieu des voyageurs. Avant de l’aborder, je me remémore le programme défini par mail. Comme le Covid complique décidément les choses, nous avions décidé de réaliser l’entretien dans un train, un exercice que cette auteure «pratique très souvent». Nous étions censés prendre l’ICN1 en direction de Berne, mais le Covid en a décidé autrement.
Après les présentations, je lui annonce la nouvelle que m’a transmise ma collègue Indra, photographe, par WhatsApp et qui a été confirmée par un contrôleur CFF. «Heu, en fait, les wagons-restaurants des trains sont fermés. Du coup, je ne sais pas trop comment on va faire l’entretien», lui dis-je. Je me tais et je réfléchis. Un peu gêné… Heureusement, il y avait un plan B. «Oui, j’ai vu que les wagons-restaurants sont fermés. Mais on trouvera bien une solution», me répond-elle, mi-souriante, mi-convaincue, avant de me dire qu’elle va reprendre un café.
À côté de nous, une petite boulangerie – chaîne ou franchise. Je lui réponds que je l’invite au café, je passe la commande: «Bonjour Madame, deux cafés s’il vous plaît». «Avec les couvercles, les cafés?», me lance la serveuse. Je réponds que non. «Avec le couvercle en plastique pour moi, s’il vous plaît», lui lance Chiara Meichtry-Gonet. J’esquisse la bouille du gars qui fait une gaffe. «Sinon, je vais en renverser partout», me déclare-t-elle, complice.
Je lui dis qu’une solution a été trouvée, que finalement nous nous rendrons à Fribourg et ferons l’entretien chez Indra qui accepte volontiers de nous recevoir… Et nous pourrons discuter de manière moins formelle dans le train. Direction donc le quai 1, à côté d’un cendrier. Sur le quai désert, nous formons un étrange duo. Tous deux de noir vêtus, elle avec sa cigarette et son café, et moi avec mon café et mon petit sac à dos. La scène semble tirée tout droit de Coffee & Cigarettes.

Une histoire de famille

En attendant le train pour Fribourg, on papote. Tout d’abord, on commence par les fondamentaux: Chiara Meichty-Gonet c’est qui? «Dans mon nom, il y a à peu près ce que je suis», nous dira-t-elle plus tard. Née en 1977 à Lausanne, elle a 43 ans. Elle vit à Sion avec son mari et ses deux fils, «deux ados», ajoute-t-elle avec un petit rire. Elle est polyglotte: allemand, italien, anglais, français et russe. Ces langues, «reflets de {s}es différents parcours», elle les maîtrise à des degrés divers. L’anglais, par exemple, elle le pratique en traduisant régulièrement des textes de l’anglais au français – et elle a lu récemment lors d’un voyage aux États-Unis les Œuvres Complètes de l’écrivain beat William S. Burroughs… L’allemand: «appris à l’école et je m’en sers pour mon travail». Quant au français et à l’italien? Elle est bilingue. Le russe, enfin, elle l’a étudié, notamment lors d’un voyage à Saint-Pétersbourg.
Au moment d’aller à l’université et de choisir sa voie, son regard s’est tourné vers l’Italie. Ce sera Rome et sa faculté de philosophie où, après quelques années, elle obtiendra sa licence avec une spécialisation en logique mathématique, «qui fait souvent son petit effet lors de dîners en ville». Et à présent, elle occupe le poste de sous-directrice de l’Association Valaisanne des Entrepreneurs, après avoir travaillé pendant plusieurs années en tant que secrétaire général du Département de l’économie, de l’énergie et du territoire, à l’État du Valais.
Et puis, avant tout cela, il y a eu une période plus journalistique. Elle me raconte qu’elle a bossé pour le groupe Ringier, en tant que journaliste RP, notamment à L’Illustré. Elle a également travaillé pour Édipresse. Je lui demande quel genre de journaliste elle est. Avec sa voix grave et clope au bec, pose très classe, elle me répond qu’elle écrivait surtout pour la rubrique des «chiens écrasés»: «Les sujets bizarres, gores ou chelous, c’était pour moi. J’étais toujours motivée à parler de ce genre de chose.» Un exemple? À quelques pas de la gare de Lausanne, à l’avenue William-Fraisse, on trouve le Cinéma Moderne, le fameux cinéma porno. Le 19 février 2002, un jeune homme de 25 ans entre dans le cinéma armé d’un «Fass 90» et tire sur les spectateurs. Au total, un mort et deux blessés, avant que l’auteur du drame ne se suicide. Un souvenir lui revient: «À l’époque, j’étais enceinte et je m’étais rendue sur les lieux du crime pour couvrir l’affaire», me déclare-t-elle. La scène, ainsi décrite, me semble presque surréaliste. En tout cas, très curieuse.
À ce propos, c’est qu’on est curieux chez les Gonet. Le père, Pascal-Arthur Gonet, journaliste très friand d’investigation était connu dans le milieu pour traquer les criminels en col blanc. Il a même eu l’occasion, au cours de sa carrière, d’interroger le juge italien Giovanni Falcone, homme de loi farouchement opposé à la Cosa Nostra. Chiara a aussi un frère: Matteo Gonet. Celui-ci est établi à Bâle; il est souffleur de verre. En 2019, il a remporté le prix du Maître artisan d’art Suisse. Sur ces propos, alors que l’auteure achève de fumer une nouvelle cigarette, un souffle puissant se fait sentir sur le quai. Le train est arrivé. On se remasque et on monte.

Sur les rails et chaussures aux pieds

Dans le train, on se cale au deuxième étage sur les banquettes latérales pour pouvoir discuter tranquillement. Elle a enlevé son manteau. Pendant qu’on parle et qu’elle gesticule, sur fond de paysages enneigés, mes yeux peinent à se détacher de l’un de ses avant-bras où est incrusté un tatouage: une tête de mort. Un peu «punk», Chiara Meichtry-Gonet, non? «Un peu mais pas totalement», m’avoue-t-elle. On parle de musique et de rock. Elle m’explique comment elle a rendu visite, à Londres, à des amis musiciens. Au sein du couloir qui sépare, une petite fille fait des allers-retours remarqués, entre nous et le toboggan. Et puis, à force de discuter, elle m’avoue qu’elle n’aime pas le small talk, que, pour elle, l’important c’est l’honnêteté et la sincérité. Que les échanges convenus, du style «Salut! Ça va? Oui et toi?», alors que tout va mal, «c’est nul». C’est alors que le train arrive en gare de Fribourg. Notre destination finale est proche.
Tandis que nous marchons le long du Boulevard de Pérolles, je l’interroge sur sa jeunesse. «J’étais un peu à la masse», me déclare-t-elle, le regard vague. «Lorsque vous perdez votre père étant jeune», m’explique-t-elle «disons que cela ne vous donne pas trop envie de sociabiliser». Phrase à peine prononcée, nous regardons tous les deux nos pieds et continuons à marcher. Elle enchaîne ensuite sur Rome où, dans les années 90, au sein du milieu estudiantin, la politique battait son plein, entre les communistes et les fascistes. Elle explique qu’elle avait alors pris part à un sit-in, organisé par les étudiants contre les profs et l’institution. Elle décrit le monde des années 90, celui de sa jeunesse, comme une époque assez insouciante et où «tout semblait possible pour les jeunes». Avant d’ajouter: «on ne se sentait pas limité, comme actuellement».
Justement, comment trouve-t-elle le monde d’aujourd’hui? «Je le trouve très dur, très cruel pour les jeunes», déclare-t-elle l’air un peu triste. Elle passe alors en revue le phénomène Trump, les extrémismes de tous bords, la crise économique, avant de résumer: «Disons que j’ai l’impression que notre époque manque parfois un peu de recul et d’analyse par rapport aux choses.» Par la suite, je ne sais comment, on en arrive à parler de ses chaussures, des Doc Martens (une référence inconsciente à Edouard Limonov, qui sait?). «À l’époque, on était obligé de magouiller et d’importer illégalement des Doc Martens pour en avoir. On ne les trouvait pas en Suisse. Maintenant, vous en trouvez facilement. Ça a perdu un peu de son charme», m’avoue-t-elle en les regardant et en soulevant la jambe.

Causeries littéraires

Arrivés dans le hall de l’immeuble fribourgeois, nous remarquons que l’ascenseur est très étroit, peut-être trop pour deux personnes armées de leur sac à dos. Notre destination? Le huitième étage. Résigné, je lui adresse un «OK, je monte à pied. À toute.» Mais elle me rétorque, avec sa voix fatale (qui ne donne pas envie de désobéir), que c’est tout bon, qu’il y a assez de place pour deux.
Chez Indra, après cette virée ferroviaire, nous prenons place dans un petit salon où, entre deux tasses de café et un verre d’eau, nous parlons littérature. Je commence comme il se doit par lui esquisser une petite théorie «maison». A priori, il y a souvent deux types d’écrivains: l’écrivain-prof et l’écrivain-journaliste. Chiara Meichtry-Gonet fait assurément partie de la seconde catégorie. Mais alors, selon elle, y a-t-il une différence entre écriture journalistique et écriture littéraire? «Oui. Le journalisme implique une écriture professionnelle, c’est un travail qui s’apprend et qui s’enseigne. Évidemment, tout le monde peut écrire, mais tout le monde n’est pas capable d’écrire un article ou de réaliser un portrait. Quant à mon écriture littéraire, je considère que c’est l’espace de la liberté totale et de l’honnêteté. Mais je conçois tout à fait que certains mécanismes d’écriture puissent s’apprendre.» Tous les matins, l’auteure écrit de 4h00 à 6h00 dans sa cuisine en se faisant du café et en fumant. «Je ne peux plus écrire le soir désormais. J’ai des ados à la maison, une vie de famille. Alors j’écris tôt le matin. En fait, je travaille avec des gens qui fixent souvent des rendez-vous à 5h00 ou 7h00. Du coup, cette plage horaire matinale s’inscrit bien dans ma journée», déclare-t-elle. «Écrire m’est devenu nécessaire, j’en ai besoin et j’aime ça.» Quand on l’interroge sur sa publication, elle avoue qu’elle n’écrit pas dans le but d’être publiée. Que, par exemple, La Part des Ombres, était un projet qui a pris la forme d’une pièce de théâtre, jouée dans un chalet, fruit d’un «rallumage artistique» qu’elle a éprouvé lors d’un festival.

Sous le masque de l’écrivaine, la philosophe

Quant à Mathilde-sous-Gare, à l’origine, elle souhaitait avoir l’avis de Bernard Campiche sur ce texte et c’est le premier écrit qu’elle lui a envoyé. Écrit que l’éditeur… n’a pas lu. Il a attendu trois ans pour lui donner réponse. En effet, l’éditeur pensait que le manuscrit de Chiara, tout comme le livre de Gilbert Salem, traitait de la mort de Pascal-Arthur Gonet. Dans À la place du mort, Gilbert Salem raconte entre autres comment, à la mort de son ami, il s’est acquitté avec zèle de l’une des dernières volontés du défunt: faire un tri dans sa bibliothèque, éliminer les «mauvais livres» et s’occuper de «l’éducation littéraire» de Chiara. Autant dire qu’il n’a pas chômé. «Gilbert Salem est, en quelque sorte, mon père putatif. J’ai eu beaucoup de chance», dit Chiara Meichtry-Gonet. Lorsqu’on lui demande quel est son livre préféré, elle répond sans hésiter: «Pétersbourg d’Andreï Biély». Cocasse, comme choix.
Mais alors, comment connaît-elle Bernard Campiche? Pendant ses études, elle gagnait des sous en travaillant comme correctrice pour cet éditeur, que Gilbert Salem lui a permis de connaître. Sur quels projets a-t-elle donc travaillé? Elle a été dernière relectrice sur le projet des Œuvres complètes de Jean-Pierre Monnier, et – souvenir moins apaisant – pour les Poésies I, II, III de Jacques Chessex. Je lui demande de développer. «En fait, c’était assez extraordinaire comme aventure, mais, à l’époque, je ne m’en rendais pas compte. Chessex revivait ce qu’il avait écrit pendant sa jeunesse. Il s’amusait donc à relire et à corriger ses textes, déplaçant des virgules et autres. Il était trop pointilleux. C’était insupportable. Par exemple, lorsque j’étais rentrée le week-end, il m’appelait le samedi matin chez ma mère pour me dire qu’il fallait effectuer des modifications sur ses textes. Je devais donc sans cesse lui répondre que je ne travaillais pas le week-end…»
Au fur et à mesure de l’entretien, Chiara Meichty-Gonet nous prodigue la «recette secrète» de ses récits. «Lorsque j’écris, je ne fais pas de plan. Tout part d’un conseil donné naguère par Gilbert Salem: “Tu rentres dans une pièce et tu décris tout ce qui s’y passe”». À ce stade, on ne peut s’empêcher de lui faire remarquer que dans ses deux romans le temps n’est pas linéraire, la construction est complexe… Elle esquisse un sourire et répond directement d’une voix de stentor et avec un sens aigu de philosophe: «Le temps n’est pas linéaire, donc un récit n’est pas obligé de suivre la ligne du temps. J’aime beaucoup jouer avec ça. Les êtres humains sont des êtres fragmentés. C’est la raison pour laquelle je rédige des récits à plusieurs niveaux, parce que les gens sont complexes, de même que la réalité.» Une réponse bien philosophique, oui.

IVAN GARCIA
,
Le Regard libre, No 72, mars 2021

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Mathilde-sous-Gare, de Chiara Meichtry-Gonet, chez Bernard Campiche Éditeur

Mathilde en partance. Toujours entre deux trains. Entre deux gares. Son port d’attache après ses errances? Une petite ville du nord. Avec Jean, être lunaire. Qui la dévore des yeux. Comme un chien éperdu d’amour regarderait sa maîtresse.
Mais Jean ne s’est pas montré à la hauteur de ses attentes.«Assommé par la peur.» Alors elle a fui. Attirée par l’appel d’Anna, l’amie fidèle. Ses valises, elles les déposera dans un village de Sicile. En même temps que le petit qui va naître, le fils de Jean. «Ce fut un feu d’artifice. Elle l’entoura de mot d’amour. Elle lui apprit les silences et la profondeur de la nuit.»
Son cœur ardent croit au retour de Jean. Lui se débat avec ses vieux démons. Passent les années. S’écoulent les saisons. Mathilde n’en peut plus d’attendre. Un jour, elle disparaît sans laisser de trace. Sauf un carnet trouvé sur la table par son fils. «Il répétait chaque soir ces phrases manuscrites et s’en fit un linceul.»
Il l’a remis à Jean, ce carnet. Sa lecture fait de grands tourbillons en son âme. «Les mots gravés tintaient doucement.» «Tu me manques.» Une litanie qui imprime sa cadence au carnet de Mathilde. «Elle était devenue un vitrait et Jean contemplait la lumière qui émanait d’elle.» Cet amours incandescent brûlera leurs ailes.
La langue est belle et souple. Balancée comme le rythme du train. Avec des mots ronds, sucrés. Acides parfois, intenses toujours. On les déguste avec gourmandise. La poésie, on la rencontre à chaque dénivelé ou embusquée derrière un bosquet. L’auteure a brossé des portraits savoureux de personnages croisés dans un train, sur un quai. Les détails des descriptions donnent de l’épaisseur au récit.
Chiara Meichtry-Gonet est née en 1977 à Lausanne. Journaliste de formation, elle vit et travaille à Sion. Elle a sillonné l’Europe dans les années 90, en train. Ses périples l’ont menée jusqu’en Russie. «Laisse-nous exister, Russie poétique, Russie exigeante, Russie cannibale, Russie infinie, je t’aime!»
Ce roman dense a été publié par Bernard Campiche Éditeur. C’est le troisième ouvrage de la jeune écrivaine.


ÉLIANE JUNOD
, L'Omibus,  12 février 2021

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Mathilde, toute en départs

Livre tout en absences, Mathilde-sous-Gare suit Mathilde, jeune femme qui remonte l’Italie dans un train bondé, propice aux rencontres brèves mais riches. Avec son air de fugue, le premier voyage en train de Mathilde en annonce de nombreux autres. Ce sont autant de prétextes à des portraits rapides comme des flashs, croqués en Europe et au-delà, de Paris à Saint-Pétersbourg ou à Istanbul: «Vapeurs d’encens, d’herbes, de thé à la pomme et de casseroles en cuivre. Le soir descend, Istanbul brille, et moi je suis triste.»
La relation de Mathilde avec Jean va-t-elle l’arrêter? Il y aura une violence, une ultime fuite en train. Dès lors apparaît, au fil de lettres tourmentées, un nouveau motif: celui de l’amour impossible, malgré ce trait d’union que représente l’enfant de Mathilde et de Jean. Dix-sept, trente puis cinquante ans: Mathilde-sous-Gare, c’est une vie de femme libre et sauvage, toute en départs mais aussi en rencontres. Fugaces ou prégnantes, dès le temps des dessins d’Icaro, elles savent émouvoir et l’auteure Chiara Meichtry-Gonet les retrace avec la sensibilité de ses mots.

DANIEL FATTORE, La Liberté, 19 décembre 2020

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La vie en fuite

Chiara Meichtry-Gonet fait le portrait délicat d’une trajectoire blessée dans Mathilde-sous-Gare.

Mathilde promène ses dix-huit ans en Italie avec son amie Anna. Sur la route du retour, en solo, il y a des hasards funèbres, des télescopages fatals qui en un instant mettent fin à l’innocence, comme le suggère en une phrase Chiara Meichtry-Gonet dans Mathilde-sous-Gare. Il faudra pourtant rentrer chez la mère, le jeans fétiche soudain poisseux abandonné comme le symbole de la pureté souillée, et vainement tenter de reprendre un quotidien futile.
Face à cet impossible, Mathilde fera de l’errance un mode de vie, fuguant de train en train, esquissant le portrait de ceux qu’elle y croisera, leur laissant la parole tant que la sienne se refusera. Lors de ces rencontres furtives, un homme se distinguera, Jean. Mais le plus beau des amours, fusse-t-il fécond, peut se dissoudre dans les vapeurs éthyliques. Mathilde, encore, devra repartir, avancer sans pour autant cesser de se retourner, caressant jusqu’à la désespérance l’espoir d’un inconcevable retour.
Elle est de ces héroïnes éthérées dont le destin ne se dessine qu’au travers des yeux de ceux qui croisent leurs pas ou étreignent trop rapidement leur main. C’est avec tout autant de subtilité et de finesse que l’auteure valaisanne raconte cette femme, la dessinant à l’aube de la vingtaine, dix ans plus tard et une dernière fois au seuil de la mort. Si l’envolée finale se consacre aux amours qui transcendent l’absence et se teinte d’une touche de surréalisme, Mathilde-sous-Gare, dans son ensemble, se lit le cœur aux aguets.


AMANDINE GLéVAREC
, Le Courrier, 5 novembre 2020

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«Mathilde vendait des portraits de gares et de trains. Elle écoutait les gens, puis transcrivait leur histoire. Ses billets étaient publiés, discutés, suivis. Ils étaient signés, mais elle, elle n'existait pas. Elle se déplaçait constamment, brouillait les pistes.»
Mathilde-sous-Gare commence dans un train, quand Mathilde a dix-sept ans. Elle vient de quitter Anna avec qui, lors d'une fugue organisée, elle a passé des jours, «au bord de la mer, à manger d'affreuses brioches à la glace.» Elle remonte vers le Nord, après une étape, à oublier, à Naples, entre deux trains.
Arrivée dans sa petite ville, elle sombre. Le contre-coup. Dans le café, sous les colonnes, avant de franchir les six kilomètres qui la séparent de chez elle, elle boit. Car elle qui écrit d'habitude facilement, ne trouve pas les mots. Sans doute est-ce parce qu'elle ressent «du vide partout autour d'elle et en elle.»
Quelques mois plus tard, quand Mathilde revoit Anna, celle-ci n'est pas dupe et comprend tout. Elle voit «le voile dans sa pupille.» Ensemble elles enterrent le passé de Mathilde: «Maintenant, elle allait écouter les histoires du monde et remplir tout son vide.» Jusqu'à ce qu'elle rencontre Jean dans un train.
Mathilde a donc écouté les histoires du monde et les a transcrites. C'étaient des histoires de gares et de trains, en Italie, en France, en Espagne, en Roumanie, en Turquie, en Russie et même en Californie: «Elle ne volait rien aux gens. Elle leur donnait de la voix, donnait chair à leurs mots et les faisait exister.»
Jean n'a qu'une crainte, c'est que Mathilde ne parte à nouveau par voies ferrées et par gares. Mais elle reste. Leurs amours se distendent. Jean sombre, mais elle reste, sans pouvoir s'empêcher de regarder passer les trains. Jusqu'au jour où Anna lui annonce qu'elle se marie et l'invite à ses noces, dans le Sud.
Dès lors les amours de Mathilde et de Jean demeureront malgré une longue absence. Ils se manqueront, mais rêveront indéfiniment l'un à l'autre, où qu'ils se trouvent. Parce que leurs corps et leurs esprits se souviendront, parce que les mots de Mathilde resteront et parce que Jean, à la fin, saura même les dessiner.


Blog
de FRANCIS RICHARD

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Mathilde a dix-sept ans, et puis trente et presque cinquante. Elle aime les histoires, les gens et les portraits de gares. Elle aime les cols hauts, les chaussettes de fil et les collines du Sud. Et puis, elle aime Jean. Un jour, Jean a trébuché, assommé par la peur. Il s’est oublié. Mathilde est partie, sans se retourner. Incapable de pardonner, incapable de cesser d’aimer. L’amitié, la maternité assècheront sa peine, sans pourtant éteindre ses solitudes ou ses silences.
En forme de road movie ferroviaire, huis-clos intime entrecoupé de rêveries de passage et parsemé de personnages bizarres, lumineux ou parfaitement soûls, le roman se déroule au rythme d’une déchirure, entre les frissons du manque et l’embrasement des désirs. La culpabilité aussi, qui s’insinue sous les douceurs, la reconstruction, du corps et de la volonté, et le désespoir, finalement, des adieux.

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