Sur les rails avec Chiara Meichtry-Gonet
Journaliste et écrivaine, équipée
d’une spécialisation en logique mathématique, sous-directrice de
l’Association Valaisanne des Entrepreneurs (AVE), Chiara Meichtry-Gonet
est à la croisée de plusieurs chemins… ou rails, pourrait-on écrire. À
l’automne 2020, elle a publié son deuxième roman, Mathilde-sous-Gare
chez Bernard Campiche. L’occasion pour moi de la rencontrer et
d’échanger, lors d’une virée en train et ailleurs, sur son profil
singulier et son univers imagé et pertubant.
«Je vous attendrai à Lausanne sur le quai (je me trouve généralement
proche d’un cendrier, disons côté Valais)». C’est par cette phrase,
parmi d’autres, que le rendez-vous avec Chiara Meichtry-Gonet a été
pris. Son existence, je l’ai apprise en lisant ses récits. D’abord, Passage des cœurs noirs,
paru en 2019 chez Bernard Campiche Éditeur, une histoire qui suit
Virgile, un banquier, qui tombe amoureux d’une étudiante, Héloïse.
Ensemble, ils ont une fille, Alma. Mais le destin décide de se mêler de
ce bonheur familial. Autour d’eux – et surtout de Virgile – rôdent les
fantômes du passé. Un premier roman mystérieux, rédigé par une auteure
aux aspects multiples et à la carrière riche.
J’ai donc eu envie de creuser la question. Passage des cœurs noirs, c’est son premier roman, mais pas son premier récit. En 2014, l’écrivaine avait publié un livre, La Part des ombres,
aux Éditions Monographic de Sierre. Une élégie et un hommage à son père
disparu, le journaliste Pascal-Arthur Gonet, décédé du sida en 1992,
collègue et ami du journaliste et écrivain Gilbert Salem. Ce dernier a
d’ailleurs consacré un ouvrage à son ami disparu intitulé À la place du mort
et publié en 1996 chez Bernard Campiche. Mais gardons cela pour plus
tard, si vous me le permettez, et poursuivons sur notre protagoniste du
jour.
À l’automne 2020, Chiara Meichtry-Gonet publie Mathilde-sous-Gare,
l’histoire d’une héroïne, Mathilde, qui voyage de train en train en
rencontrant des voyageurs et en écrivant leur histoire. Au cours d’un
voyage, Mathilde rencontre Jean et c’est l’amour fou. Mais l’amour
finit par laisser place à la douleur et à la séparation. On retrouve
dans ce roman un univers presque onirique, une narration éclatée –
comme dans Passage des cœurs noirs, – sur fond de road-trip
en train. Comme on peut le constater, Chiara Meichtry-Gonet se meut
dans plusieurs domaines: l’administration, le journalisme, la
littérature… Un mélange déroutant et, en même temps, très intrigant.
J’ai souhaité voir cela de plus près. Place donc désormais au portrait.
Sur le quai, Coffee & Cigarettes
Dans le hall de la gare de Lausanne, en ce froid jeudi de janvier 2021,
il n’y a pas trop de monde. Étrangement, c’est là que je rejoins Chiara
Meichtry-Gonet – et non pas à côté d’un cendrier. Long manteau noir,
écharpe blanche avec points noirs et bottines Doc Martens au
pied, ses lunettes de soleil sur le crâne, elle attend assise sur un
banc, café et taillé aux greubons à la main. Je la repère aisément, au
milieu des voyageurs. Avant de l’aborder, je me remémore le programme
défini par mail. Comme le Covid complique décidément les choses, nous
avions décidé de réaliser l’entretien dans un train, un exercice que
cette auteure «pratique très souvent». Nous étions censés prendre
l’ICN1 en direction de Berne, mais le Covid en a décidé autrement.
Après les présentations, je lui annonce la nouvelle que m’a transmise ma collègue Indra, photographe, par WhatsApp
et qui a été confirmée par un contrôleur CFF. «Heu, en fait, les
wagons-restaurants des trains sont fermés. Du coup, je ne sais pas trop
comment on va faire l’entretien», lui dis-je. Je me tais et je
réfléchis. Un peu gêné… Heureusement, il y avait un plan B. «Oui, j’ai
vu que les wagons-restaurants sont fermés. Mais on trouvera bien une
solution», me répond-elle, mi-souriante, mi-convaincue, avant de me
dire qu’elle va reprendre un café.
À côté de nous, une petite boulangerie – chaîne ou franchise. Je lui
réponds que je l’invite au café, je passe la commande: «Bonjour Madame,
deux cafés s’il vous plaît». «Avec les couvercles, les cafés?», me
lance la serveuse. Je réponds que non. «Avec le couvercle en plastique
pour moi, s’il vous plaît», lui lance Chiara Meichtry-Gonet. J’esquisse
la bouille du gars qui fait une gaffe. «Sinon, je vais en renverser
partout», me déclare-t-elle, complice.
Je lui dis qu’une solution a été trouvée, que finalement nous nous
rendrons à Fribourg et ferons l’entretien chez Indra qui accepte
volontiers de nous recevoir… Et nous pourrons discuter de manière moins
formelle dans le train. Direction donc le quai 1, à côté d’un cendrier.
Sur le quai désert, nous formons un étrange duo. Tous deux de noir
vêtus, elle avec sa cigarette et son café, et moi avec mon café et mon
petit sac à dos. La scène semble tirée tout droit de Coffee & Cigarettes.
Une histoire de famille
En attendant le train pour Fribourg, on papote. Tout d’abord, on
commence par les fondamentaux: Chiara Meichty-Gonet c’est qui? «Dans
mon nom, il y a à peu près ce que je suis», nous dira-t-elle plus tard.
Née en 1977 à Lausanne, elle a 43 ans. Elle vit à Sion avec son mari et
ses deux fils, «deux ados», ajoute-t-elle avec un petit rire. Elle est
polyglotte: allemand, italien, anglais, français et russe. Ces langues,
«reflets de {s}es différents parcours», elle les maîtrise à des degrés
divers. L’anglais, par exemple, elle le pratique en traduisant
régulièrement des textes de l’anglais au français – et elle a lu
récemment lors d’un voyage aux États-Unis les Œuvres Complètes de l’écrivain beat
William S. Burroughs… L’allemand: «appris à l’école et je m’en sers
pour mon travail». Quant au français et à l’italien? Elle est bilingue.
Le russe, enfin, elle l’a étudié, notamment lors d’un voyage à
Saint-Pétersbourg.
Au moment d’aller à l’université et de choisir sa voie, son regard
s’est tourné vers l’Italie. Ce sera Rome et sa faculté de philosophie
où, après quelques années, elle obtiendra sa licence avec une
spécialisation en logique mathématique, «qui fait souvent son petit
effet lors de dîners en ville». Et à présent, elle occupe le poste de
sous-directrice de l’Association Valaisanne des Entrepreneurs, après
avoir travaillé pendant plusieurs années en tant que secrétaire général
du Département de l’économie, de l’énergie et du territoire, à l’État
du Valais.
Et puis, avant tout cela, il y a eu une période plus journalistique.
Elle me raconte qu’elle a bossé pour le groupe Ringier, en tant que
journaliste RP, notamment à L’Illustré. Elle a également travaillé pour
Édipresse. Je lui demande quel genre de journaliste elle est. Avec sa
voix grave et clope au bec, pose très classe, elle me répond qu’elle
écrivait surtout pour la rubrique des «chiens écrasés»: «Les sujets
bizarres, gores ou chelous, c’était pour moi. J’étais toujours motivée
à parler de ce genre de chose.» Un exemple? À quelques pas de la gare
de Lausanne, à l’avenue William-Fraisse, on trouve le Cinéma Moderne,
le fameux cinéma porno. Le 19 février 2002, un jeune homme de 25 ans
entre dans le cinéma armé d’un «Fass 90» et tire sur les spectateurs.
Au total, un mort et deux blessés, avant que l’auteur du drame ne se
suicide. Un souvenir lui revient: «À l’époque, j’étais enceinte et je
m’étais rendue sur les lieux du crime pour couvrir l’affaire», me
déclare-t-elle. La scène, ainsi décrite, me semble presque surréaliste.
En tout cas, très curieuse.
À ce propos, c’est qu’on est curieux chez les Gonet. Le père,
Pascal-Arthur Gonet, journaliste très friand d’investigation était
connu dans le milieu pour traquer les criminels en col blanc. Il a même
eu l’occasion, au cours de sa carrière, d’interroger le juge italien
Giovanni Falcone, homme de loi farouchement opposé à la Cosa Nostra.
Chiara a aussi un frère: Matteo Gonet. Celui-ci est établi à Bâle; il
est souffleur de verre. En 2019, il a remporté le prix du Maître
artisan d’art Suisse. Sur ces propos, alors que l’auteure achève de
fumer une nouvelle cigarette, un souffle puissant se fait sentir sur le
quai. Le train est arrivé. On se remasque et on monte.
Sur les rails et chaussures aux pieds
Dans le train, on se cale au deuxième étage sur les banquettes
latérales pour pouvoir discuter tranquillement. Elle a enlevé son
manteau. Pendant qu’on parle et qu’elle gesticule, sur fond de paysages
enneigés, mes yeux peinent à se détacher de l’un de ses avant-bras où
est incrusté un tatouage: une tête de mort. Un peu «punk», Chiara
Meichtry-Gonet, non? «Un peu mais pas totalement», m’avoue-t-elle. On
parle de musique et de rock. Elle m’explique comment elle a rendu
visite, à Londres, à des amis musiciens. Au sein du couloir qui sépare,
une petite fille fait des allers-retours remarqués, entre nous et le
toboggan. Et puis, à force de discuter, elle m’avoue qu’elle n’aime pas
le small talk, que, pour
elle, l’important c’est l’honnêteté et la sincérité. Que les échanges
convenus, du style «Salut! Ça va? Oui et toi?», alors que tout va mal,
«c’est nul». C’est alors que le train arrive en gare de Fribourg. Notre
destination finale est proche.
Tandis que nous marchons le long du Boulevard de Pérolles, je
l’interroge sur sa jeunesse. «J’étais un peu à la masse», me
déclare-t-elle, le regard vague. «Lorsque vous perdez votre père étant
jeune», m’explique-t-elle «disons que cela ne vous donne pas trop envie
de sociabiliser». Phrase à peine prononcée, nous regardons tous les
deux nos pieds et continuons à marcher. Elle enchaîne ensuite sur Rome
où, dans les années 90, au sein du milieu estudiantin, la politique
battait son plein, entre les communistes et les fascistes. Elle
explique qu’elle avait alors pris part à un sit-in,
organisé par les étudiants contre les profs et l’institution. Elle
décrit le monde des années 90, celui de sa jeunesse, comme une époque
assez insouciante et où «tout semblait possible pour les jeunes». Avant
d’ajouter: «on ne se sentait pas limité, comme actuellement».
Justement, comment trouve-t-elle le monde d’aujourd’hui? «Je le trouve
très dur, très cruel pour les jeunes», déclare-t-elle l’air un peu
triste. Elle passe alors en revue le phénomène Trump, les extrémismes
de tous bords, la crise économique, avant de résumer: «Disons que j’ai
l’impression que notre époque manque parfois un peu de recul et
d’analyse par rapport aux choses.» Par la suite, je ne sais comment, on
en arrive à parler de ses chaussures, des Doc Martens (une référence
inconsciente à Edouard Limonov, qui sait?). «À l’époque, on était
obligé de magouiller et d’importer illégalement des Doc Martens pour en
avoir. On ne les trouvait pas en Suisse. Maintenant, vous en trouvez
facilement. Ça a perdu un peu de son charme», m’avoue-t-elle en les
regardant et en soulevant la jambe.
Causeries littéraires
Arrivés dans le hall de l’immeuble fribourgeois, nous remarquons que
l’ascenseur est très étroit, peut-être trop pour deux personnes armées
de leur sac à dos. Notre destination? Le huitième étage. Résigné, je
lui adresse un «OK, je monte à pied. À toute.» Mais elle me rétorque,
avec sa voix fatale (qui ne donne pas envie de désobéir), que c’est
tout bon, qu’il y a assez de place pour deux.
Chez Indra, après cette virée ferroviaire, nous prenons place dans un
petit salon où, entre deux tasses de café et un verre d’eau, nous
parlons littérature. Je commence comme il se doit par lui esquisser une
petite théorie «maison». A priori, il y a souvent deux types
d’écrivains: l’écrivain-prof et l’écrivain-journaliste. Chiara
Meichtry-Gonet fait assurément partie de la seconde catégorie. Mais
alors, selon elle, y a-t-il une différence entre écriture
journalistique et écriture littéraire? «Oui. Le journalisme implique
une écriture professionnelle, c’est un travail qui s’apprend et qui
s’enseigne. Évidemment, tout le monde peut écrire, mais tout le monde
n’est pas capable d’écrire un article ou de réaliser un portrait. Quant
à mon écriture littéraire, je considère que c’est l’espace de la
liberté totale et de l’honnêteté. Mais je conçois tout à fait que
certains mécanismes d’écriture puissent s’apprendre.» Tous les matins,
l’auteure écrit de 4h00 à 6h00 dans sa cuisine en se faisant du café et
en fumant. «Je ne peux plus écrire le soir désormais. J’ai des ados à
la maison, une vie de famille. Alors j’écris tôt le matin. En fait, je
travaille avec des gens qui fixent souvent des rendez-vous à 5h00 ou
7h00. Du coup, cette plage horaire matinale s’inscrit bien dans ma
journée», déclare-t-elle. «Écrire m’est devenu nécessaire, j’en ai
besoin et j’aime ça.» Quand on l’interroge sur sa publication, elle
avoue qu’elle n’écrit pas dans le but d’être publiée. Que, par exemple,
La Part des Ombres, était un
projet qui a pris la forme d’une pièce de théâtre, jouée dans un
chalet, fruit d’un «rallumage artistique» qu’elle a éprouvé lors d’un
festival.
Sous le masque de l’écrivaine, la philosophe
Quant à Mathilde-sous-Gare, à
l’origine, elle souhaitait avoir l’avis de Bernard Campiche sur ce
texte et c’est le premier écrit qu’elle lui a envoyé. Écrit que
l’éditeur… n’a pas lu. Il a attendu trois ans pour lui donner réponse.
En effet, l’éditeur pensait que le manuscrit de Chiara, tout comme le
livre de Gilbert Salem, traitait de la mort de Pascal-Arthur Gonet.
Dans À la place du mort,
Gilbert Salem raconte entre autres comment, à la mort de son ami, il
s’est acquitté avec zèle de l’une des dernières volontés du défunt:
faire un tri dans sa bibliothèque, éliminer les «mauvais livres» et
s’occuper de «l’éducation littéraire» de Chiara. Autant dire qu’il n’a
pas chômé. «Gilbert Salem est, en quelque sorte, mon père putatif. J’ai
eu beaucoup de chance», dit Chiara Meichtry-Gonet. Lorsqu’on lui
demande quel est son livre préféré, elle répond sans hésiter:
«Pétersbourg d’Andreï Biély». Cocasse, comme choix.
Mais alors, comment connaît-elle Bernard Campiche? Pendant ses études,
elle gagnait des sous en travaillant comme correctrice pour cet
éditeur, que Gilbert Salem lui a permis de connaître. Sur quels projets
a-t-elle donc travaillé? Elle a été dernière relectrice sur le projet
des Œuvres complètes de Jean-Pierre Monnier, et – souvenir moins apaisant – pour les Poésies I, II, III
de Jacques Chessex. Je lui demande de développer. «En fait, c’était
assez extraordinaire comme aventure, mais, à l’époque, je ne m’en
rendais pas compte. Chessex revivait ce qu’il avait écrit pendant sa
jeunesse. Il s’amusait donc à relire et à corriger ses textes,
déplaçant des virgules et autres. Il était trop pointilleux. C’était
insupportable. Par exemple, lorsque j’étais rentrée le week-end, il
m’appelait le samedi matin chez ma mère pour me dire qu’il fallait
effectuer des modifications sur ses textes. Je devais donc sans cesse
lui répondre que je ne travaillais pas le week-end…»
Au fur et à mesure de l’entretien, Chiara Meichty-Gonet nous prodigue
la «recette secrète» de ses récits. «Lorsque j’écris, je ne fais pas de
plan. Tout part d’un conseil donné naguère par Gilbert Salem: “Tu
rentres dans une pièce et tu décris tout ce qui s’y passe”». À ce
stade, on ne peut s’empêcher de lui faire remarquer que dans ses deux
romans le temps n’est pas linéraire, la construction est complexe… Elle
esquisse un sourire et répond directement d’une voix de stentor et avec
un sens aigu de philosophe: «Le temps n’est pas linéaire, donc un récit
n’est pas obligé de suivre la ligne du temps. J’aime beaucoup jouer
avec ça. Les êtres humains sont des êtres fragmentés. C’est la raison
pour laquelle je rédige des récits à plusieurs niveaux, parce que les
gens sont complexes, de même que la réalité.» Une réponse bien
philosophique, oui.
IVAN GARCIA, Le Regard libre, No 72, mars 2021
Que
voilà un livre plaisant à lire! Phrases courtes, légères, poudrées de
poésie qui s’envolent, virevoltent avant de se poser dans la paume du
lecteur.
Deux femmes, deux hommes dont les destins se croisent. Il y a Livia
«belle, merveilleusement, bizarrement belle». Et puis il y a Guillaume,
hypnotisé par «les petits cheveux moussus de l’inconnue du café.»
«J’avais vu son âme et elle la mienne».
Exit les deux personnages que l’on retrouvera plus tard. Entrent en
scène deux nouveaux protagonistes, Virgile, trente ans, banquier au
costume austère, ébloui par la fille alanguie dans son lit. Du coup, la
vie devient belle. Mais Heloïse est attendue en Amérique. Pourquoi
cette envie soudaine de Virgile de lui parler de Livia, sa mère «oiseau
trop tôt fauché dans son vol. La faute à la fumée, à l’alcool».
Des femmes gravitent dans son sillage. Aïda qui maudit la guerre qui
l’a obligée à quitter ses forêts, ses collines. Marie-Jeanne,
magnifique et discrète secrétaire. Heloïse est restée. Ils se sont
mariés. Une petite fille leur est née. Pas un instant le lecteur ne
subodore le dénouement.
Passage des cœurs noirs
c’est deux histoires d’amour, fortes, irisées. Des histoires si belles
sont-elles faites pour durer? Le roman de Chiara Meichtry-Gonet est un
livre solaire. La poésie est omniprésente. «Le café marbré comme du
pétrole emplit la cuisine d’un parfum de soleil». Ou bien «Le petit
matin cajole le parquet». Ou encore «La toute petite vie qui grandit en
elle laisse entendre sa jolie musique».
La langue est délicate, émouvante, limpide. Virgile parle de sa fille:
«Ma toute petite, jolie tendresse, impatient diablotin qui me réveille
en me sautant dessus».
Finalement «la seule question intéressante et qui traverse tout le
livre c’est, sans dieu ni au-delà, comment vivre avec toutes nos
morts?» L’auteure de ce bijou est née à Lausanne en 1977. Elle vit et
travaille à Sion en tant que journaliste. Pendant cinq ans, elle a
suivi des cours de philosophie à Rome, avec une spécialisation en
logique mathématique. Qui l’eût imaginé?
Ce roman, je l’ai lu avec délectation. Un des plus beaux livres entre mes mains.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus, 2019
Danser avec la vie quand on se sait mortel
Dans un court roman empli de tendresse et de nostalgie, l’auteure
romande Chiara Meichtry-Gonet plonge ses personnages dans les vertiges
de l’amour. Un récit virevoltant, d’une force tranquille étonnante.
Ces gens qu’on aime par-dessus les autres, plus que tout, si vite, si
fort, dès la naissance, depuis le ventre, dès l’adolescence ou plus
tard, depuis un choc amoureux dans le coeur et la tête. Ces gens,
enfants, parents, filles, garçons, hommes, femmes, mariés ou amants,
ces amours d’une vie, de passage qui passent puis trépassent, parfois
trop vite. Cette évanescence des vivants tant aimés face à l’absurdité
de destinées mortelles, c’est ce que raconte sans pathos ni
débordements tragiques le deuxième romande de l’écrivaine romande
Chiara Meichtry-Gonet, dont la beauté mystérieuse se love dans le titre
déjà: Passage des coeurs noirs.
Il y a Guillaume et Madeleine, qui n’ont finalement jamais vécu
ensemble mais qui ont eu une fille, Heloïse, jeune étudiante dont tombe
amoureux Virgile, jeune banquier qui a perdu sa mère, Livia, trop tôt.
Se pourrait-il que Guillaume ait connu Livia? Qui sont toutes ces
femmes qui tournent autour de Virgile?
Quatuor d’ombres et de lumières, pénétré par l’amour, mais entouré d’un
cercle de secrets, de silences et de solitudes. Leurs voix, se mêlent
et se démêlent, un peu, au fil de ce court roman qui virevolte avec une
force tranquille surprenante sur les peines et les joies des
personnages principaux. On partage leurs sentiments, des sommets aux
abysses, on devine des non-dits, mais on ne saisira pas tout de ces
coeurs noirs de passage. Les morts laissent des «creux» qui ne se
«remplissent jamais».
Si la vie est bien là, et c’est le choix que fera définitivement
Virgile avec sa fille Alma, c’est pourtant bien la mort qui plane sur
ce livre, mais sans lourdeur aucune, cas sous la plume de Chiara
Meichtry-Gonet, née à Lausanne en 1977 avant de grandir en Valais où
elle vit et travaille aujourd’hui, la mort «ricane» et «rigole bien».
Les âmes vagabondes
Avec beaucoup d’aisance, l’auteure de La Part des ombres
(2014) nous emmène au coeur des émotions et réflexions intérieures de
ce quatuor énigmatique, avec ses rêves et ses angoisses, ses désespoirs
et ses espoirs, ses souvenirs et ses regrets, ses pertes et ses
renaissances, au gré des saisons, à la ville ou à la montagne. Et pour
qui la mort n’emporte pas tout. «Les émotions sont. Elles ont leur
langue, leurs mots. Parfois ces mots se donnent la main par-dessus les
âmes. Parfois, ils n’ont plus d’utilité, même plus d’essence, ou alors
la langue commune est si forte qu’elle n’a pas besoin de s’appuyer sur
leurs syllabes, leurs sons, leurs cathédrales.»
Âmes vagabondes en quête de sérénité et de paix, que ce soit sur la
terre ou le ciel. Mais pour ceux qui restent de passage sur terre,
cette question centrale et profonde qu’aborde avec philosophie et
poésie cette lecture éclair: comment vivre humainement, sans béquille
aucune, avec toutes nos morts? Sur ce socle mouvant et incertain, Passage des coeurs noirs
ne donne heureusement pas de réponse, concentré sur son territoire
littéraire, son récit et son langage, et superposant avec tendresse et
nostalgie liens amoureux, filiaux et amicaux.
JEAN-FRANÇOIS SCHWAB, Le Temps, 2019
Dans Passage des coeurs noirs,
le roman de Chiara Meichtry-Gonet, il est question de vie, mais aussi
de mort, sans qu’il y ait pour autant rupture, mais simple passage sans
gravité de l’une à l’autre.
Ainsi Virgile, à peine a-t-il fait la connaissance d’Heloïse qu’il a
envie de lui présenter sa mère, Livia, qui pourtant n’est plus de ce
monde, parce que, c’est clair et net, elle est son ange, sa douce.
Livia travaillait beaucoup, était une grande voyageuse, mais elle est
«partie, un jour, simplement un peu plus longtemps…» Le père de
Virgile, François, n’a plus «prononcé un vrai mot depuis…»
Virgile est un jeune banquier, qui, tout cravaté et costumé, se rend
tous les jours dans sa tour de verre, au 18e étage, pour officier.
Heloïse est étudiante et doit partir bientôt pour l’Argentine.
C’est ce qu’ont décidé les parents d’Heloïse, Madeleine et Guillaume,
qui s’aiment mais ne vivent pas ensemble: Heloïse a donc «deux
chambres, deux lits, deux armoires et deux bibliothèques.»
Madeleine est responsable d’une unité de soins palliatifs, Guillaume
est peintre, et charpentier, «parce qu’il refuse d’exposer.» Elle
habite en ville, lui une jolie maison, un peu plus haut dans la vallée.
De son côté, Heloïse n’a tout de suite que Virgile en tête et décide de
lui écrire: «Comme le lui avaient appris ses parents, les mots écrits
seraient le relais de ses pensées, les accroches de son coeur.»
Virgile et Heloïse s’aiment donc et le cours de leur existence
s’infléchit lorsqu’Alma, leur enfant paraît. Comme il n’y a pas rupture
avec la mort, trois femmes protégeront cette enfant à l’avenir:
«Livia qui lui racontait le monde, Heloïse qui la caressait et Madeleine qui l’entourait de tendresse,»
Blog de FRANCIS RICHARD
Passage des coeurs noirs
est un roman tranquille, une balade sur les rives boisées, caressées
d’ombres douces, d’un amour lumineux. Plusieurs voix se mêlent pour
raconter les rêves et les angoisses, les plongées dans le désespoir, la
renaissance, aussi, de ceux que les manques blessent. Il y a un peu de
mer, pour l’espoir, quelques prés alpins, pour la nostalgie et les
tendresses, de l’alcool pour les abysses, des livres, pour les
souvenirs et les langueurs.
Virgile, porté par un kaléidoscope de figures féminines, aime Heloïse,
d’un coup. Il va l’accompagner jusque dans les tréfonds de sa douleur
lorsque sa mère meurt, et faire, avec elle, le choix de la vie, qui
jusqu’alors l’indifférait. Et puis, il va la perdre, subitement, et
tracer, avec leur petite fille, un semblant de route, parsemé de
rencontres farfelues, aimantes ou terrifiantes, jusqu’aux bords de la
mer Noire, des années plus tard, à la recherche de la paix.
Le récit est structuré essentiellement au coeur des émotions et des
réflexions intérieures des personnages principaux. On va s’installer
avec chacun d’eux dans le wagonnet de leurs montagnes russes
personnelles et explorer les instants, d’amour, d’amitié, de confiance,
d’éloignement, au gré des ressacs.
Finalement, la seule question intéressante et qui traverse tout le
livre, c’est, sans dieu ni au-delà, comment vivre avec toutes nos morts…
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