Cinéaste, Marcel Schüpbach est l’auteur de plusieurs longs métrages de fiction (certains adaptés de romans comme L’Allégement ou Les Agneaux) et de documentaires (B comme Béjart ; La Liste de Carla).
Pour la télévision, il a réalisé plus d’une quarantaine de grands
reportages d’information. Récemment, il a été producteur de l’émission Temps Présent de la Radio-Télévision Suisse. Deuxième vie (2018) était son premier roman.
www.marcelschupbach.net
La Deuxième vie d’un cinéaste à coeur ouvert
Le réalisateur au long cours publie un premier roman étonnant autour de la greffe cardiaque
En visionnant les documentaires que Marcel Schüpbach a tournés au long
de sa carrière, on est frappé par un talent rare: celui de faire parler
les hommes et les femmes. Travailleurs français mal-aimés (Frontaliers, entre deux eaux), victimes de conflits et employés du CICR jetés dans le même chaos (Chacun pour l’autre), ou musicien pétri d’amour pour son stradivarius (Pierre Amoyal dans Violon passion),
tous se confient avec la candeur de la confiance accordée pleinement.
Pourquoi un documentariste doté d’un tel œil et d’une telle oreille
a-t-il décidé de publier un roman de fiction? Pour répondre, il nous a
donné rendez-vous à Orbe, dans les locaux de Bernard Campiche, éditeur
de ce coup d’essai intitulé Deuxième vie.
À l’âge «de ne plus travailler comme avant», Marcel Schüpbach vit
désormais en Drôme provençale. «J’ai un vieux mas, je regarde pousser
mes oliviers. Il y a aussi un gros figuier… Je m’étonne toujours quand
j’entends des gens dire qu’ils ont besoin de créer à tout prix, de
tourner jusqu’à quatre-vingt-dix ans. Peut-être qu’ils n’ont pas assez
appris de la vie avant?» La voix est douce, étonnamment juvénile, le
regard plein de bienveillance et de curiosité.
Dans Deuxième vie, le cinéaste
raconte l’histoire de Wanda, directrice des ressources humaine à la
RTS, qui, après une greffe du coeur, comprend qu’elle ne veut plus de
la vie froide et isolée qu’elle a menée jusqu’ici. Mue par le désir de
découvrir l’origine de l’organe qui bat dans sa poitrine, elle se lance
dans une enquête qui prendra la forme d’un voyage initiatique.
Langage simple, visuel, narration séquencée en très brefs chapitres évoquant des scènes de film, Deuxième vie
trahit par sa forme la passion première de Schüpbach. «Le cinéma m’a
pris très jeune. J’ai acheté ma première caméra à quinze ans, avec les
sous gagnés à bosser dans un self-service au Comptoir Suisse.» Dans les
décennies qui suivent, il fait ses armes, explore, développe son
talent, à la fois dans la fiction et le documentaire. En 1996 sort Les Agneaux,
son troisième long métrage de fiction, avec Richard Berry dans le rôle
principal. Le film, compliqué à produire, reçoit un bel accueil, mais
Schüpbach n’y trouve plus son compte. «C’était une période difficile.
J’ai compris que je n’étais pas heureux en faisant de la fiction. Et
que les gens de la vraie vie avait bien plus à m'offrir que les
comédiens.
Concentré sur le docu, il atteindra des sommets du genre, notamment avec La Liste de Carla,
qui suit la magistrate Del Ponte dans sa traque aux criminels de
guerre. «Elle n’avait jamais accordé d’interview longue durée, personne
n’avait pu jusque-là entrer dans les coulisses du Tribunal pénal
international. J’ai pu la filmer pendant six mois. C’était magnifique à
faire. On l’a sorti sur l’écran géant de la Piazza Grande, devant six
mille personnes. Quand vous avez vécu ça, c’est dur de recommencer à
travailler sur des petites choses.» Se consacrant beaucoup à la télé
(il est producteur à Temps présent
de 2010 à 2012), il cherchera un sujet qui le passionne assez pour se
lancer à nouveau dans une grande aventure documentaire, sans succès.
«C’est un gros bosseur et un excellent cinéaste, analyse Bernard
Campiche, ami depuis une trentaine d’années. Mais je pense que sa
génération a été assez malchanceuse de tomber juste après les monstres
que sont Tanner, Soutter, Goretta… Ils ont été un peu écrasés par ces
figures de père.»
Sortir du tunnel
L’origine de son premier roman est à chercher du côté de deux
reportages réalisés avec Loréna, une jeune transplantée du coeur.
Schüpbach la rencontre d’abord à six ans, lors de l’opération, puis dix
ans plus tard, lorsque, devenue adolescente, elle le recontacte par
elle-même pour témoigner de son quotidien pas comme les autres: ce cœur
étranger qui bat en elle, son espérance de vie limitée. «Cette
adolescente qui raconte qu’elle n’aura pas d’enfants parce qu’elle ne
veut pas leur donner une maman qui a peu de chances de les voir
grandir, c’était quelque chose de très fort.» Mais des histoires de
greffe du cœur, de l’aveu même de Marcel Schüpbach, on en a raconté
beaucoup. «Ce qui fait, pour moi, que le livre fonctionne, c’est
l’autre histoire, celle du chemin que parcourt le personnage de Wanda
en parallèle à l’enquête.» Il marque une petite pause avant d’évoquer
ce récit qui est aussi le sien; un épisode personnel, un moment de
bascule entamé lors de cette crise traversée à l’époque des Agneaux.
«Jusque-là, je ne savais pas bien qui j’étais. J’étais replié sur
moi-même, j’avais de la peine à communiquer. Quelqu’un m’a conseillé
une thérapie, dont je ne savais rien: la thérapie du tunnel…» Appelée
aussi catharsis glaudienne, la méthode est peu pratiquée en Suisse, un
peu plus en Belgique ou au Canada.
Comme l’héroïne de son roman, Schüpbach a effectué ce processus
consistant à s’allonger jusqu’à atteindre un état de relaxation, puis,
accompagné par le thérapeute, à chercher son tunnel intérieur. «Au
début on ne voit rien. Et puis une montagne apparaît. Il faut alors
chercher l’entrée du tunnel, y pénétrer. Les images apparaissent. On
avance, elles continuent de venir, tout vient du subconscient.» Au fil
des couloirs, le personnage du roman découvre un traumatisme d’enfance,
enfoui, oublié. Tout comme Marcel Schüpbach le fit: un souvenir
douloureux lié à la difficulté de s’exprimer, à la moquerie des autres.
«Ça peut paraître étrange, mais pour moi, ça a marché. Quand on sort du
tunnel, la façon d’envisager la vie change, on se met à voir les choses
de manière positive. Ça a mis plusieurs années, bien sûr, tout ne
change pas du jour au lendemain. Et ça ne signifie pas non plus que la
vie devient simple. Lorsque j’ai perdu mon épouse d’un cancer, il y a
bientôt dix ans, ça a été atroce. Mais on apprend à se relever. J’ai
choisi de continuer à vivre.» Le soleil du Sud, sa nouvelle compagne,
participe à faire de Marcel Schüpbach un homme heureux, serein. Le
plaisir de rédiger cette histoire lui a-t-il donné envie de continuer
sur cette voie? Où préférera-t-il taquiner les grands enjeux de ce
monde derrière la caméra? «On verra. Ce que je peux dire, c’est que mes
premiers films finissaient mal, en général. Mon livre se termine bien.
Pour changer le monde, il faut d’abord essayer de se changer soi-même.
C’est ce que je retiens de ma trajectoire personnelle.»
Biographie
1950 Naît le 4 août à Zurich. La même année, ses parents retournent en Suisse romande. Neuchâtel d’abord, puis Lausanne.
1965 Achète une caméra et tourne son premier film en 8 mm. 1971 Murmure, portrait filmé de son grand-père.
1972 Rencontre Eva Ceccaroli, qui présentera l’émission Viva et deviendra réalisatrice à la TSR. Ils vivront ensemble 37 ans, jusqu’à son décès en 2009.
1983 L’Allégement, son premier long métrage, est nominé pour le César du meilleur film francophone.
1996 Les Agneaux, avec Richard Berry, représente la Suisse pour l’Oscar du meilleur film étranger.
2001 B comme Béjart, sélection officielle au Festival de Venise.
2006 La Liste de Carla est projeté sur la Piazza Grande de Locarno en présence de Carla Del Ponte.
2012 Quitte la Suisse pour la Drôme provençale.
2018 Deuxième vie, son premier roman, paraît chez Campiche.
GREGORY WICKY, 24 Heures, 28 septembre 2018
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