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Alex
Capus est né en Basse-Normandie en 1961; fils d’un psychologue
parisien et d’une institutrice suisse, il vit ses premières années à
Paris, dans l’appartement de son grand-père, collaborateur scientifique
à la police judiciaire au Quai des Orfèvres.
En 1967, il déménage à Olten avec sa mère. Étudie l’histoire, la
philosophie et l’anthropologie à l’université de Bâle avant de
s’orienter vers le journalisme. En 1997, il publie son premier roman
Munzinger Pascha, qui sera suivi par de nombreux contes et romans,
traduits en plus de quinze langues. Il est bilingue, mais écrit en
allemand.
Alex Capus a édité plusieurs livres, en français, aux Éditions Actes-Sud.
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Alex Capus, romancier avec vue sur la gare
Ça semble une habitude: Alex Capus accueille sur le quai de
la gare, courrier du jour sous le bras, tongs aux pieds. Impossible de
le rater, déjà en raison de sa stature. Il s’amuse: «Depuis que le
succès accompagne mon écriture, Olten dispose d’une curiosité
touristique supplémentaire. Je ne suis plus le “Provinzbubi” (“valet de
province”). Je suis une marque de fabrique.» À cinquante ans, il
est devenu l’un des écrivains alémaniques les plus choyés, par la
critique comme par le public. Son dernier roman Léon und Louise,
publié aux prestigieuses éditions allemandes Hanser à quelque cent
cinquante mille exemplaires, sortira en français chez Actes Sud. Et le
critique littéraire Martin Ebel prophétise que «son écriture dispose
d’une envergure épique, rare dans la littérature suisse, de laquelle
peuvent encore s’échapper de très belles choses».
Ce matin, Alex Capus poursuit sa balade dans la ville brumeuse,
surtout connue pour son nœud ferroviaire et, précisément, son
brouillard languissant. Pas de doute, ce père de cinq enfants aime son
coin de monde. Arrêt sur la terrasse du «Flügelrad», ce café de
cheminots vieux de cent trente-cinq ans qu’il a racheté en 2010
avec le journaliste Werner de Schepper et l’écrivain Pedro Lenz «pour
raviver les discussions de bistrot». Juste au bord des rails. Quand le
voyageur quitte Olten, direction la Suisse romande. Ou Paris. «Lorsque
dans le vaste monde on parle d’Olten, les gens disent – pour autant
qu’ils disent quelque chose – qu’ils ne connaissent que la gare. C’est
très bien ainsi, et c’est parfaitement suffisant. Quiconque veut venir
ici n’a qu’à prendre le train, tout le reste ira de soi […].»
Qu’il le confie oralement ou dans une chronique similaire à celles du Roi d’Olten
(Campiche), l’écrivain soigne un rapport drôle et tendre avec la cité
dans laquelle il vit depuis l’âge de six ans, depuis qu’il a
quitté sa Normandie natale et Paris avec ses parents (son père était
français). Depuis qu’il sait – ou presque – que l’art de la plume sera
l’une de ses grandes aventures. «D’abord j’imaginais des histoires de
pirates. Mais je suis toujours tombé amoureux de mes personnages.»
Quarante-cinq ans et quelque dix ouvrages plus tard, cet historien, –
ancien journaliste, appartient au petit cercle des écrivains
alémaniques qui vivent de leur talent. «Je parle de relations fortes
entre les gens, de relations qui durent. C’est cela qui plaît.
Finalement, c’est à ça que les gens aspirent le plus.» Léon und Louise,
c’est une histoire d’amour tumultueuse qui traverse tout le
XXe siècle, ses heurts, ses guerres, ses défis, racontée sur un
ton à la mélancolie du «il arriva ainsi que…» sans manquer d’humour.
Alex Capus a l’image d’un hédoniste, abreuvé par le pittoresque du
terroir, curieux de destins cosmopolites. Il raconte dans un français
chaleureux mais qu’il n’imagine pas pour un livre. Dans ses romans, il
ravive souvent des épopées, telle celle de Werner Munzinger, citoyen
d’Olten parti conquérir le monde arabe au XIXe (Munzinger Pascha),
dans lesquelles les frontières se distendent. «Alex Capus parvient à
relater une saga palpitante, une histoire d’amour qui contente les
rêves d’absolu de chacun sans tomber dans une littérature triviale. Il
apporte une vision romantique qu’il place en collision avec les faits
historiques, très bien documentés», apprécie Martin Ebel, impressionné
par Léon und Louise. Pour Daniel Rothenbühler, spécialiste de la
littérature alémanique, Alex Capus est d’abord un «conteur jouissif».
«Il a plaisir à raconter comme l’avaient les écrivains du XIXe. Et puis
il choisit des sujets qui pourraient inspirer de grands films et qu’il
aborde avec liberté. Son aisance narrative est servie par une ironie de
distanciation. Son monde est toujours plus large.»
Mais Olten est petite et Alex Capus a plusieurs vies. Il y a aussi
celle qui a fait de lui le président du parti socialiste de la ville.
«Je suis entré au parti voici deux ans et demi, suite à une sévère
défaite au niveau local. Il fallait que je sois de nouveau solidaire
plutôt que critique.» Il sépare vie publique et écriture, mais la
lecture de ses chroniques, notamment quand il fait allusion au mirage
du territoire, ne laisse planer aucun doute. Tout comme son regard sur
la Suisse d’aujourd’hui: «Nous ne pouvons pas nous tenir à l’écart de
la construction européenne. C’est une illusion que de le vouloir. Le
Sonderfall a pesé de son poids après la guerre mondiale mais on l’a
ensuite trop conservé.»
L’auteur fait de la politique dans son microcosme pour, dit-il,
apporter sa contribution à la vie publique, se soucier de savoir s’il
faut ou non une nouvelle rue piétonne. Pas d’ambition nationale. «Et je
ne cherche pas non plus à devenir un nouveau Max Frisch. Les écrivains
ne sont pas plus intelligents que les autres citoyens. Nous avons plus
de temps pour une prise de distance, mais notre fonction n’est en rien
gage d’autorité.»
Fin septembre, élections fédérales ou pas, l’écrivain était en partance
pour une nouvelle expédition, accompagné de toute sa famille. Cinq
semaines aux États-Unis sur les traces de Felix Bloch, ingénieur suisse
du début du XXe siècle, qui participa à Los Alamos au projet de mise au
point de la bombe atomique. «Il a finalement abandonné le groupe, n’a
pas construit la bombe qui aurait pu exploser sur Berlin. Je veux lire
des lettres conservées dans lesquelles il s’exprime sur son dilemme:
lui physicien juif, placé face à une telle responsabilité au moment où
les nazis font des ravages.» Il est comme ça, Alex Capus. Basé à Olten
et éternel nomade, amoureux des quais de gare. «Je ne fais jamais de
planification sur le long terme. Sauf lorsque j’ai un projet concret:
je suis marié depuis vingt ans.» Son rire fait presque trembler la
terrasse du «Flügelrad».
ANNE FOURNIER, Le Temps
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