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«Quand
je suis sorti du camp, je ne me souvenais plus de rien», disait un
vieil homme au micro, le 5 février 2005, à propos d’Auschwitz. Et je me
suis demandé comment vivait un homme qui n’a plus de souvenirs. Est-on
vraiment sorti de quelque part si notre existence, celle d’avant, où
rentrer, a disparu? Quelle est cette «réalité absolument rationnelle»
des autres, capable de vider un passé pourtant plein de nous à ras
bord? Et laquelle pourra le rappeler? Dans la mémoire vierge de cet
homme, j’ai voulu inscrire des histoires qu’il aurait trouvé, après,
sans autre rapport entre elles que l’époque de leur parution, pendant
les années cinquante.
— Qu’elles lui tiennent lieu d’antan et de retour chez lui! dis-je.
Pourquoi certains grands romans et pas d’autres, pourquoi pas de plus
discrets, de plus humbles peut-être et tout aussi vastes? Je ne sais
pas, si ce n’est qu’ils continuent de compter pour moi, surtout le
Quatuor. Les citations et les paraphrases, quelques rythmes et des
intonations viennent ainsi de La Chute, de Mémoires d’Hadrien, de Pays de neige, et du Quatuor d’Alexandrie. Avec le bref écho de plus de livres qu’il n’est raisonnable de nommer. Et la lecture d’Anna Karénine, bien sûr.
J’ai puisé à de grands fleuves pour dire peu, en fin de compte, du
Lager, de Salonique et de l’histoire des Séfarades. Je mentionnerai
seulement Primo Levi et son humanité, Imre Kertész et son rapport à la
réalité – absolument rationnelle ou non – et L’Histoire des juifs sépharades, d’Esther Benbassa et Aron Rodrigue (Seuil, 2002).
Les livres remplacent parfois les souvenirs…
Comment vivre, quand il faut impérativement oublier les camps nazis?
«Comment
meurt un bibliophile? Avec ses secrets, ses mensonges, une faute non
pardonnée et les variations volées de ses livres.» Ou encore: «au
milieu des bribes désarssorties, noyées dans une réalité insaisissable,
morceaux brisés du phare abattu d’Alexandrie». Le bibliophile Gaspar,
lui, a depuis longtemps remplacé ses souvenirs par les livres. Parce
qu'il faut impérativement oublier le «lager». Ce camp de la mort où il
a séjourné. Où il a perdu les siens. Camus, Yourcenar ou Kawabata
fournissent les personnages et les histoires. Anna Karénine rythme la
vie. Le vieux Gaspar prend la route avec sa lectrice, Pélagie. Pour
aller humer l’odeur de la mer. Puis mourir sur une île grecque. Au
rythme du roman de Tolstoï… Après avoir «attendu toute ma vie que
revienne une réalité sauvée du néant». Dans ce sommeil séfarade de ceux
qui ne peuvent plus sommeiller, justement. Car: «combien d'hommes en
cendres répandus sur la terre grise de l’abandon et sous le ciel sans
Dieu, sans repos dans leur sommeil séfarade?» Oui, parfois, par
désespoir, les livres remplacent les souvenirs. Ils réécrivent la vie
qui ne peut plus revenir du néant. Ils sont le seul réel supportable.
Ils permettent, par le jeu des masques et des miroirs, de ressasser les
scènes clefs d’une enfance, sans mourir de douleur. C’est toute cette
gravité qu’Éric Masserey a glissée dans ce court roman époustouflant.
Jeux de piste littéraires, mais surtout scansion magnifique d’une fin
de vie glissant vers le tombeau comme on coulerait longtemps entre deux
eaux. Ce n’est plus le regard qui compte alors, mais une perception en
demi-teinte de ce qui reste d’une vie. Quelques livres, parfois…
JACQUES STERCHI, La Liberté
Dans
ce petit roman très dense et d’une écriture subtile, nous assistons aux
remémorations de Gaspar, vieux juif séfarade en fin de vie, et de son
ami malade, Constantin, où il est notamment question d’une femme que
les deux hommes ont aimée. Par ailleurs, nous apprenons que la première
relation amoureuse de Gaspar a été interrompue par un choc brutal
préludant à sa déportation. Marqué par le leitmotiv de la lecture (surtout d’Anna Karénine), le roman évoque l’intranquillité de la «nuit séfarade».
KARINE FANKHAUSER, Librairie Payot-Lausanne, «Mon choix», 24 Heures
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Entre deux livres
Tiraillé entre le dernier Jean-François Sonnay et Le Sommeil séfarade d’Éric Masserey, c’est à ce dernier ouvrage que Rolf Kesselring consacre finalement son article...
Le sommeil séfarade, ou «une histoire de mémoire effacée par trop de chagrin» publiée chez Bernard Campiche.
Le rêve de l’éditeur a toujours été de comprendre pourquoi un livre
attire des lecteurs et pas un autre. C’est un grand éditeur parisien
qui me disait, naguère: «On peut connaître les ingrédients du succès
d’un livre, les mettre tous ensemble volontairement et, pourtant, rien
ne dit que l’ouvrage en question connaîtra un succès.»
Là, dans cet ouvrage que vient de publier un certain Éric Masserey chez
Bernard Campiche, c’est le titre qui a attiré mon œil de lecteur
constamment à l’affût: Le Sommeil séfarade.
Pour un titre
Étrange et mystérieuse petite locution pas anodine du tout! Ma
curiosité était attisée. Il fallait que je sache ce qui se cachait sous
cette couverture jaune verdâtre et passée, cet intitulé énigmatique. Et
puis il y avait, ce personnage peint, diffus et à la limite du
grotesque...
Mais, bien que le gardant près de moi, à portée de main, je ne pouvais
lâcher le dernier ouvrage de Jean-François Sonnay (Yvan, le bazooka, les dingues et moi) que l’éditeur d’Orbe m’avait fait parvenir dans le même colis.
Là aussi, le titre m’avait séduit d’entrée au premier coup d’œil.
Pensez: «Yvan, la bazooka, les dingues et moi»! De quoi m’alerter en
quelques mots explosifs. Et puis, à l’ouverture du cartonnage entourant
ces ouvrages, j’étais pressé et gourmand. Sans attendre, j’avais picoré
au hasard dans ce style inhabituel chez les auteurs romands. C’était
dru et fluctuant, râpeux et soyeux tout à la fois, en un mot
surprenant. Il fallait que j’en sache plus.
Double lecture, double jeu?
D’habitude, je déteste ça: lire deux ouvrages en même temps, passant de
l’un à l’autre sans cesse, papillonnant comme un insecte indécis et
folâtre, perdant le fil de l’un pour nouer avec celui de l’autre.
J’avais la sensation de les tromper tous les deux, de me mentir, de
mener double jeu, d’être finalement traître à tous les trois, les
auteurs et moi, le lecteur. Pas ma nature, pas mon genre.
En plus, et comme j’étais encore en plein déménagement/aménagement de
mon nouvel antre jurassien. Pas encore vraiment parti de France, pas
tout à fait arrivé en Suisse! Perdu au beau milieu de montagnes de
cartons remplis de livres, angoissé parmi ces meubles dispersés, ces
ustensiles et ces dossiers introuvables, je me sentais émigré au milieu
de mes propres repères enchevêtrés.
La trame de ma vie devenait trouble et, comme pour parfaire, ce
désordre ambiant, mon esprit semblait pulvérisé, réduit en miettes
éparses. J’avais du mal à me concentrer, à lire, à entrer dans ces
ouvrages.
Une affaire de mémoire
Dans l’ouvrage d’Éric Masserey, le titre aussi me fascinait. «Le
sommeil séfarade ». Il fallait que j’en sache plus, je devais
comprendre. Les Séfarades? Je me souvenais d’un après-midi passé, à
Gérone en Catalogne, dans la maison d’Isaac el Cec (Isaac l’Aveugle),
rabbin célèbre dans tout le Sud de l’Europe, il y a quelques siècles.
Je me souvenais, aussi, du destin tragique des Séfarades. «Le sang des
Juifs coulait jusqu’à l’entaille faite dans les bornes cavalières dans
les ruelles de la vieille cité. Un massacre horrible!» Une shoah avant
la lettre.
Le sommeil séfarade,
une histoire de mémoire. Une histoire de mémoire effacée par trop de
chagrin, trop de douleur. Un vieil homme qui a connu cette horreur,
amoureux d’une héroïne de roman russe. Un homme sur le seuil de sa vie
et qui ne se rappelle que de cette littérature qui l’avait tant
passionné. Et là, la mémoire totalement vierge. Pour ne plus souffrir.
De Tolstoï à Borges
Dans cette histoire, il y a le narrateur, le Docteur Rodrigue et ses
amis Gaspar Camerarius et Constantin Levine. Ces patronymes me
rappellent quelque chose. Il s’agit encore et toujours de littérature,
bien sûr. Univers familier. Mêmes lectures, mêmes passions.
L’atmosphère de ce petit roman est troublante. J’ai lâché tout le
reste. Il faut que le termine. Je veux savoir, je veux entendre,
comprendre. Séduit, je me laisse aller. Il faut que je termine ma
lecture, mais, au fond, je n’en pas envie.
Des titres d’ouvrage reviennent sans cesse dans les propos du
narrateur, dans les conversations entre les protagonistes. Litanie
lancinante. Et puis Pélagie intervient: «...Quand vous dites ‘amour’,
on dirait quelque chose de différent.»
Diabolique petit livre. Je le referme. Ma mémoire vacille. «Le feu qui
consuma Gaspar deux nuit plus tard attira tout le village et toutes
sortes de cris.» Les mots dansent dans ma tête. J’ai envie de
recommencer, de reprendre la lecture de ce petit roman au début... Éric
Masserey... Il faudra que je me souvienne.
Quant à l’ouvrage de Jean-François Sonnay, Yvan, le bazooka, les dingues et moi, j’y reviendrai. Promis.
ROLF KESSELRING, Swissinfo
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C’est ici, dans Le Sommeil séfarade,
une intense et très belle allée, qui est à vrai dire le livre d’une
bibliothèque à lui tout seul. Puisqu’il fait entendre, et vivre, des
personnages eux-mêmes venus d’autres livres, des personnages qui aussi
mettent à l’œuvre de leur vie les livres qu’ils ont lus. Ainsi dans
les brefs chapitres de ce court roman que signe Éric Masserey, on verra
d’abord Constantin Levine dans ses dernières heures et dans l’alentour
de ses livres, comme une mémoire disséminée, et perdue, dans la
pénombre de l’hiver où la vie le quitte.
Puis c’est son ami Gaspar Camerarius que l’on suit, avec celle qu’il a
choisie pour lectrice, Pélagie, dans le meilleur de la bibliothèque,
c’est-à-dire dans ces livres où s’incarne la vie, où elle résonne
d’immédiate mémoire…
Pélagie qui aussi emmène Gaspar Camerarius, dans l’«antique Citroën»
jusqu’aux rues d’Amsterdam, pour retourner jusqu’à ce tournant qui fut
celui de l’amour et de la mort, cet instant qui cingla, l’officier qui
dit: «Jetzt ist es zu spät», et qui tire.
De quels temps sommes-nous décidément, que l’on tient dans l’enchantement violent des pages où nous passons.
JEAN-DOMINIQUE HUMBERT, Coopération
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Une vie avec Anna
Anna
Karénine, amour et miroir d’une vie de libraire. Voici, perdant son
vieux compagnon, un homme étrange, privé du cœur douloureux de sa
propre vie – plus précisément: de son passage au camp, Auschwitz gommé,
que reste-t-il ensuite? Des bribes d’avant, mais l’après ne peut se
construire sur la béante absence centrale. Alors, les livres! «Qu’ils
lui tiennent lieu d’antan et de retour chez lui», explique l’auteur.
En très peu de pages, Masserey, subtil et parcimonieux, installe et
dévoile partiellement le mystère de Gaspar, juif séfarade, grand lettré
presque aveugle – vertiges du passé, mystère de sa vie, approche du
mystère de la mort, rencontre avec Pélagie la lectrice qui accompagne
et révèle.
Un grand talent d’écriture; une langue maniée avec un sens aigu de
l’allusif et du jeu du voilé/dévoilé; concision et percussion,
dialogues brefs et récits-monologues, ce Sommeil
est aussi méditation littéraire, jeu entre le mirage de
l’engloutissement dans le roman de Tolstoï et les arabesques des
références au Durrel du Quatuor et à bien d’autres auteurs. Avec,
soulignant l’omniprésent thème noir des camps, la figure de Primo Levi,
le rescapé/condamné.
JACQUES POGET, 24 Heures
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Le Sommeil séfarade, par Eric Masserey
J’ai
fini le livre d'Éric Masserey. Court mais dense. Et complexe. Le vieil
et aveugle Gaspar Camerarius (le nom vous dit quelque chose?) engage la
jeune Pélagie pour qu'elle lui fasse la lecture d'Anna Karénine.
Une relation d'amitié ou d'amour se noue peu à peu entre le vieil homme
mourant et la toute jeune fille de dix-neuf ou vingt ans. Ensemble ils
partent pour Salonique où Gaspar veut retrouver une senteur de mer
venue de son enfance, puis pour Kasos, où Pélagie est née, dont elle
veut lui donner les odeurs. Kasos où meurt finalement Gaspar.
Derrière
cette histoire simple, les fondements sont subtils et ambitieux. Le
texte s'interroge sur le rôle de la littérature. Un questionnement qui
passe ici par l'expérience des limites.
Gaspar a toujours vécu
dans les livres. D'une famille séfarade exilée d'Espagne en 1492, qui
s'est finalement installée à Salonique, dans la librairie, avant de
quitter l'endroit quand Gaspar a sept ans. Puis vient la guerre et,
pour Gaspar, le Lager dont il réchappe. Mais il ne se souvient
plus de rien quand il en sort. Il est recueilli par Constantin Levine,
dont le récit de la mort ouvre le livre, Constantin qui tient une Librairie-Buchhandlung-Bookshop et lui enjoint, pour travail initial, de coller la première édition russe et reliée d'Anna Karénine, qui avait paru en feuilleton dans Le Messager. Depuis, ce roman et quelques grands autres (Le Quatuor d'Alexandrie, Pays de neige, La Chute, Mémoires d'Hadrien...)
peuplent la mémoire de Gaspar, lui servent de passé et de présent. Il y
a un autre niveau encore, les relations entre Gaspar, Komako, sa femme
japonaise, et Constantin dont elle devient la maîtresse, à cause sans
doute de l'impuissance de Gaspar suite à l'assassinat par un officier
allemand de la femme vénale à qui il venait de faire l'amour pour la
première fois de sa vie. Une relation triangulaire sur fond d'Anna Karénine,
qui interroge le roman et se mêle à lui. Et puis également, suggérée,
esquissée, l'histoire des juifs séfarades.
Complexe, donc, on le voit, Le Sommeil séfarade.
Un concentré de littéraire. Un texte évocateur et intéressant, habité
de citations et d'échos. Un roman qui ne conclut pas, qui ouvre des
voies en nombre. Et donne notamment envie de relire Anna Karénine (858 pages dans l'édition de la Pléiade).
Blog d’ALAIN BAGNOUD
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Puissance d’évocation et d’imagination
Éric Masserey, d’origine valaisanne, est médecin de profession et travaille dans le canton de Vaud. Il propose, avec Le Sommeil séfarade, son deuxième ouvrage aux Éditions Bernard Campiche. Son premier livre, Une si belle ignorance
(généalogies), est paru en 2002 aux Éditions d’Autre Part et a reçu un
bel accueil de la part du public et de la critique qui a apprécié son
écriture dépouillée, la poésie de son récit, une poésie qui jaillit du
quotidien, des objets, de la présence physique du monde… Le second
ouvrage d’Éric Masserey se plaît dans une sobriété et une précision
remarquables à dire la joie, l’incertitude, la solitude, l’attente par
l’intermédiaire du Dr Rodrigue, de ses amis Gaspar Camerarius et Constantin Levine, qui portent les noms que Tolstoï et Borges avaient créés pour Anna Karénine et Le Regret d’Héraclite. Un roman qui parle de bibliothèques, de grands auteurs, du temps, de l’oubli, des histoires de l’Histoire.
La littérature et la réalité se croisent, s’entremêlent, se faufilent
entre parole et silence pour tisser un récit qui exige concentration et
disponibilité. Le rêve et l’imagination, l’être et le paraître
peut-être, ou ces personnages de romans qui servent de jalons, de
repères, ou d’espaces infinis où l’on peut se dissoudre: «L’amour
d’Anna, tout d’abord, m’a sauvé, puis Komako a recouvert ma honte, ma
haine et le vide. Hadrien m’a servi de père, Iouri de frère, Darley de
camarade. Joseph Valet, de maître. Zeno de conscience, et ainsi de
suite…» L’écrivain multiplie les niveaux de narration, de conscience,
finalement de réalité; les temps s’interpénètrent, nous sommes entrés
en littérature.
JEAN-MARC THEYTAZ, Le Nouvelliste
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Le Sommeil séfarade, par Eric Masserey
JPerdre
à la fois tout souvenir et la force d’aimer, c’est peut-être une façon
de survivre pour Gaspar à la sortie du Lager (Auschwitz). Il n’existera
dès lors qu’avec les héroïnes de ses livres, seules à pouvoir occuper
sa mémoire vide. La mort y est partout présente, celle de Constant, son
ami d’enfance, de Komako, sa femme qui aima Constant. Quand il n’y vit
plus, il engagea une toute jeune fille pour lui faire la lecture et
l’emmener sur les traces de ce passé qu’il a voulu oublier, de la femme
qui lui a fait découvrir l’amour, une juive qu’un officier allemand a
abattue.
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
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