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MICHEL BÜHLER

ON FAIT DES CHANSONS

L’intégrale des chansons de Michel Bühler (1969-2008),
musiques relevées et calligraphiées par Michel Devy
Un «beau livre» au format 25 x 30 cm
2008. 480 pages. Prix: CHF 98.–
ISBN 978-2-88241-187-7, EAN 9782882411877


Biographie

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L’intégrale des chansons de Michel Bühler

Rasez les Alpes, qu’on voie la mer!

Il y a un peu plus d’un an, le chansonnier, écrivain et homme engagé s’en allait. Ses textes sont aujourd’hui rassemblés dans un ouvrage paru en France: Rasez les alpes, qu’on voie la mer! De  son côté, Bernard Campiche poursuit la publication des Œuvres complètes de Michel Bühler.

«La chanson? Vous pouvez la mettre au fond de votre mémoire, l’emmener partout et la faire renaître au moment que vous choisirez». Cette citation de Michel Bühler, en quatrième de couverture de l’ouvrage Rasez les Alpes, qu’on voie la mer!, résonne comme un message amical du chanteur et écrivain qui nous a quittés il y a un peu plus d’un an. L’air apaisé, une petite étincelle dans la prunelle sur la photo de couverture signée Carole Alkabes, Bubu laisse en cadeau «Que des chansons faites de mots, Qui sont l’enveloppe des choses. C’est tout ce que j’ai à donner, Quelques chansons, acceptez-les, En guise de bouquet de roses»…
Paru en novembre, l’ouvrage réunit la totalité des textes des 238 chansons enregistrées par Michel Bühler au cours des cinq décennies de sa carrière. Une seule est inédite, inspirée par la guerre en Ukraine: «…Que devenir, que faire puisque le monde est fou? Rester debout…».

Honoré

L’initiative de cet ouvrage revient à Jean-Paul Liégeois, journaliste parisien, directeur de collection et ami de l’époque parisienne de Michel Bühler. «Il souhaitait depuis longtemps faire paraître en France un livre sur Michel», confie Anne Crété, compagne et épouse de Bubu pendant trente ans. «Avec sa modestie et sa pudeur de Vaudois, Michel s’en étonnait, mais il était honoré». Il avait lui-même suivi toute la démarche, reprenant notamment tous les textes des chansons pour ajuster la ponctuation à une version écrite.
Dans la brève préface, Gilles Vigneault, l’ami québécois, se déclare ravi de la démarche de Jean-Peul Liégeois «pour que les écrits restent. Tu n’en sauras rien et moi non plus, mais nos paroles, qui se sont si souvent envolées avec les mêmes espoirs survivent un peu mieux sur papier que sur l’air…» déclame le poète de la Belle Province.
Une belle brochette d’amis de longue date du chanteur-écrivain a pris la plume. Ainsi Jean Ziegler, qui signe le prologue: «Bühler est une voix collective, il est la voix de notre peuple». L’écrivain dit aimer chez Michel Bühler «cette fondamentale unité entre l’œuvre et la vie».
«Un copain qui soit à la fois chanteur, poète, humoriste, globe-trotteur, engagé, écrivain et suisse, je n’en ai eu qu’un», salue de son côté Bruno Léandri. Auteur de nouvelles, rédacteur du magazine de bandes dessinées à l’humour décomplexé Fluide Glacial, Bruno Léandri avait connu Michel Bühler vers la fin des années 1970. Ils sont restés proches. «Je suis profondément ému par sa résistance de chanteur à textes dans un monde où plus personne n’écoute les textes des chansons… Mais un jour, on les réécoutera; un jour, on saluera l’artiste qui a porté sur sa guitare les convulsions de son époque; un jour le grand public redécouvrira Michel Bühler. Fasse le destin de cette intégrale y soit pour quelque chose», glisse Léandri.
Quant à Patrice Delbourg, le poète, romancier et essayiste complice des Papous dans la tête sur France Culture, il évoque les nombreux voyages de Michel Bühler qui «arpente la planète pour faire provision d’émotions humaines, de sensations nouvelles».
Malgré une maquette simplissime et austère, l’ouvrage dégage une puissance d’évocation. Au fil des chansons répertoriés par album et en chronologie, chaque lecteur trouvera un écho avec l’actualité du monde, un parallèle avec un engagement militant ou encore un peu de nostalgie et de légèreté. Et sans doute, pour beaucoup , plein de souvenirs, de rires, de verrées et «vigaitzes» partagées. «C’est comme d’avoir toujours avec soi une bonbonne d’oxigène, l’antidote à un monde anxiogène…», compare le chanteur français Éric Fraziak sur les réseaux sociaux.
Rasez les Alpes, qu’on voie la mer! – du nom de l’album éponyme paru en 1986 –  a été publié aux éditions Le Bord de l’eau (France) dans la collection le Miroir aux Chansons dirigée par Jean-Paul Liégeois & Salvador Juan. Il est disponible en librairie (sur commande).  Anne Crété dispose que quelques exemplaires.

Ouvrage en vente, au prix de CHF 25.00 l’exemplaire
Chez Anne Crété, au 024 454 14 55, ou par email: annecrete@wanadoo.fr
Ou chez Henri Bühler, au 024 454 13 45, ou par email: henri.buhler@bluewin.ch


Les œuvres complètes chez Campiche

Tant Anne Crété qu’Henri Bühler soulignent l’engagement de longue haleine de l’éditeur Bernard Campiche pour la publication des ouvrages écrits par Michel Bühler. Depuis 2021, sept titres sont déjà sortis dans la collection camPoche, dont Les Maîtres du vent. La parution de dix autres volumes est déjà prévue, dont trois seront consacrés aux écrits de l’auteur pour le théâtre. En 2008, rappelle Anne Crété, Bernard Campiche avait déjà sorti le beau livre: On fait des chansons, un recueil de 195 titres dont les musiques avaient été calligraphiées par Michel Devy. Et Bernard Campiche a collaboré avec Jean-Paul Liégeois pour la bibliographie qui figure dans Rasez les Alpes, qu’on voie la mer!

CLAUDINE DUBOIS
, Le Journal de Sainte-Croix et environ

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Ce livre a nécessité un énorme travail de relevé musical, à partir des disques, des presque deux cents chansons écrites et enregistrées par Michel Bühler. Ce travail minutieux a été effectué par l’arrangeur et chef d’orchestre Michel Devy (collaborations, entre autres, avec les maisons de disques RCA et l’Escargot, arrangements pour Alain Souchon, Jean Vasca, Gilles Servat, Marcel Amont, etc.).
Le résultat, ce sont des partitions manuscrites d’une grande beauté graphique, et d’une précision que l’on pourrait qualifier d’horlogère

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Hommage à Michel Bühler, par Thierry Luterbacher

Je traîne mes dix-sept ans par les cheveux. Dans la tête des images impossibles qui sèment des fleurs de pavés. Des odeurs de tendresse. À la bouche un goût d’ailleurs. Mes poings décrochent des coups d’autrement dans la mâchoire d’une école de commerce, cernés par une petite ville où même les places sont des impasses. Ma serviette regorge d’ennui.
Je me claquemure à l’intérieur d’une chambre dans l’étau d’une famille d’accueil où chacun de mes gestes, même le plus simple, est à l’envers de leur vie.
Les repas se prennent en regardant la télévision qui hérite de leur grisaille propre en ordre. Un soir, un autre apatride fait une tache de couleur sur l’écran noir et blanc. Ses chansons donnent des vitamines à mes cheveux qui poussent comme l’herbe sauvage. En l’écoutant, je me sais irrécupérable. Rejetée par l’indignation des maîtres de table, cette voix qui déraisonne et s’éraille en fin de couplet m’écrit un pays helvétiquement mien.
J’étais dit. J’étais raconté.
Comment vous décrire le plaisir que j’avais de voir les têtes au carré virer au carmin à l’écoute des mots du chanteur de L’Auberson qui étripaient leurs certitudes?
«Quand vous ferez la guerre ne comptez pas sur moi, messieurs les militaires, pour jouer au soldat… Vous voulez me faire croire que nous venons tous de la même terre, je vous réponds que non. Quand vous ferez la guerre, je choisirais mon camp, j’irai avec mes frères, avec les pauvres gens.»
Moi, j’entendais des aubes tendres, des noces secrètes, les yeux à peine devinés de quelques quidams de la nuit. L’histoire de celle qui avait des caresses lentes, de l’amitié qui boit le vin plein de soleil assis à une table couverte de cicatrices.
Dans ses sillons de vinyle, je découvrais des sœurs et des frères au cœur raccommodé, le peuple de la maldonne, les spécialistes de la scoumoune qui regardent les étoiles et se demandent pourquoi?
L’hommage à celles et ceux qui donnent leurs chemises comme de la poésie et partagent leur pain comme l’on décroche la lune.
Puis sous les pavés, la plage publicitaire a mis l’eau à la bouche des agents de change révolutionnaire. Lui est resté là où je l’avais trouvé. Sur l’écran noir et blanc de mes dix-sept ans.
En lisant ces lignes, il dira: «Bon allez! On y va…»

THIERRY LUTERBACHER, Texte inédit

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Et le temps donna raison à… Michel Bühler

Un slogan publicitaire bien trouvé assure les lecteurs romands qu’«un jour le temps [leur] donnera raison». C’est en train d’arriver à Michel Bühler, la preuve par le pavé glacé (480 pages) que publie l’éditeur Bernard Campiche: 3,3 kilos de paroles et musiques – partitions précieuses pour les gratteurs de guitare –, l’intégralité des cent quatre-vingt-quinze chansons enregistrées par l’homme de Sainte-Croix.
Eh oui, quarante ans déjà que Michel Bühler nous chante la même chanson! Si la voix sonne aujourd’hui si juste, ce n’est pas qu’il ait chanté faux à ses débuts mais qu’à travers la crise actuelle l’époque se révèle crûment telle que Bühler la dénonce depuis tout ce temps.
Première chanson du recueil, Helvétiquement vôtre (1969) clamait à la fois l’amour du patriote anarchiste pour le pays et sa haine des matérialisme, productivisme, conformisme, conservatisme, immobilisme, nombrilisme et autres -ismes qui plombent la Suisse (et le monde); en 2008, l’idéaliste rebelle continue à «rêver d’hommes frères», à brocarder la pseudo-démocratie, à invectiver les virtuoses de la brosse à reluire.
Avec une obstination rare (et quelque dédain pour la légèreté formelle), il maintient le cap de sa navigation solidaire: en avant toute contre l’injustice et l’intolérance; contre lucre et luxe, contre la consommation à outrance, les exclusions, exploitations, colonisations… Bühler décape au Kärcher de l’ironie et de la contestation une société gouvernée par le fric et sa passion d’en «gagner» toujours davantage au point de perdre la tête et de faire tout perdre aux autres, comme on le voit si bien ces jours-ci.
Cette dénonciation pessimiste des mécanismes humains d’autodestruction, cette constance à se positionner «pour tout ce qui est contre» se doublent heureusement d’une solide foi en l’homme, source d’amour et de générosité. D’une inexpugnable joie de vivre et de jouir. D’un intarissable bonheur du mot. Le chanteur-écrivain martèle sa confiance et son espoir; tout en nuances et en ambivalences, il module sa tendresse pour la terre et les gens, il mâtine son affection de persiflage attendri.
Douceur sévère, colères bleues nées de la déception, élans tour à tour vengeurs et amoureux, et puis quelques traits paillards, tout cela rappelle un autre Vaudois anarcho-sentimental et aussi inoxydablement révolté qu’attaché à son frère: Raymond Burki, le dessinateur de 24 Heures. Tous deux pointent depuis leurs débuts les incohérences et les dérives de la société qu’ils voudraient meilleure, dénoncent les puissants assassins, les bassesses et les scandales, locaux ou mondiaux.
La chanson et le dessin: c’est dans ces genres dits mineurs que s’affirme ainsi une éthique, expression d’une inébranlable vérité intérieure axée sur le bien commun. La brutale remise en cause des «valeurs» (boursières et autres) de la société de consommation donne aujourd’hui raison à ces B & B idéalistes et exigeants qui cultivent paisiblement la violence du trait, avec l’intrépide persévérance de ceux qui savent qu’un jour le temps…

JACQUES POGET, 24 Heures

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Michel Bühler: l’intégrale

L’éditeur Bernard Campiche publie toutes les chansons du Vaudois avec les partitions calligraphiées.

Il avait dû sortir son dernier disque tout seul, bricolant ses arrangements dans un minuscule local chez lui, sa «boîte à chaussures». Cette fois, Michel Bühler a droit à du grand format, superbement réalisé: l’anthologie de ses chansons et partitions depuis 1969. L’année du premier album, Helvétiquement vôtre et du fameux refrain J’aime nos campagnes et nos Alpes de neige… Depuis, comme le rappelle Roger Jaunin dans une fraternelle préface, Michel Bühler n’a cessé de gueuler contre ce qui le révolte, là-haut dans son Jura vaudois, ou là-bas en Haïti, en Amérique latine ou en Palestine. Et si, poursuit Jaunin, son pays n’aime pas trop les forts en gueule, Bühler continue à soixante balais à «s’user la voix pour quelques-uns, pour ceux qui savent encore écouter, rire, boire et chanter».
Quant au livre intitulé On fait des chansons, il séduit par sa bienfacture. Mise en pages impeccable, d’autant que toutes les partitions ont été calligraphiées par Michel Devy. Comme une invite, peut-être, aux nouvelles générations: reprendre des chansons de Michel Bühler qui ne vieillissent pas tant que ça. Chansons pudiquement amoureuses, mais chansons coups de gueule contre l’injustice, la misère ou le capitalisme sauvage: autant dire des thèmes pour le moins… récurrents. L’ouvrage est complété par un carnet biographique illustré. Bref un livre important sur un artiste majeur de ce petit pays. Ou comme l’écrit Roger Jaunin: de quoi garantir la survie de ces chansons pour qu’elles «tenaillent les bonnes consciences de ce pays trop beau, trop riche, trop… petit».

JACQUES STERCHI, La Liberté

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Une vie en chansons

Beau livre – Michel Bühler publie l’intégrale des paroles et partitions de ses chansons. Un livre à déguster.

«J’ai vingt et un ans, c’est donc le moment / De participer à la vie du temps»… Et il y a bien participé, le bougre. Quarante ans après cette chanson d’ouverture de son premier 33-tours, Michel Bühler jette un nouveau pavé. Sous le titre On fait des chansons, il publie son «intégrale», le recueil des 195 chansons écrites et enregistrées par le poète rebelle. Au fil des pages, on mesure le chemin parcouru. On comprend les causes embrassées, les révoltes, les rencontres ou encore les amours du chanteur de L’Auberson. On y comprend un peu mieux le monde.
Car ce n’est pas un simple bouquin, ce livre. C’est une œuvre dont la forme reflète le fond. Ainsi, les paroles des chansons permettent de suivre les pérégrinations du chanteur dans nombre de régions et de pays en souffrance. Du Nicaragua au Sahara, d’Inde en Haïti, d’Israël aux territoires occupés, en passant par la rive gauche de Paris ou les manifs des grévistes à Reconvilier, on lit sur les pages de gauche la vie des gens ordinaires, des opprimés de partout.
Et sur les pages de droite, on découvre les partitions des chansons magnifiquement calligraphiées à la main – et parfois sous la loupe! – par l’arrangeur et complice de toujours, Michel Devy. Quelques pages d’album photos montrent enfin un Michel Bühler partageant, sans grande surprise, le style de vie simple des héros de ses chansons.

MICHEL SCHWERI, Le Courrier

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Une œuvre à visiter, note après note

C’est une somme, un écrin aussi imposant que magnifique. Publié chez Bernard Campiche, le livre On fait des chansons réunit près de deux cents titres de Michel Bühler. Les textes, bien sûr, mais pas seulement: Michel Devy (qui a été arrangeur de Bühler) a transcrit toutes ses chansons, note après note, avant de les calligraphier sur des partitions reproduites ici.
Sur près de cinq cents pages, agrémentées d’une bio-bibliographie et de quelques photos, voici donc l’intégrale, version papier, des chansons de Bühler. De 1969 à 2008, d’Helvétiquement vôtre à Passant. Près de quarante ans de coups de gueule, de tendresse et d’amitié. De fidélité à ses idées, à ses révoltes, à une certaine idée de la chanson, aussi. Artisanale et soignée, sans esbroufe ni facilité.
Comme l'écrit Roger Jaunin dans la préface: «Bühler est un laboureur. Il connaît la terre et trace son sillon, pareil à “ces dos courbés” dont on nous dit qu’ils sont d’un autre temps et qui, pourtant, savent tout des saisons, du bruit du vent dans les feuillus, des autres.»

D’ici et d’ailleurs

Redécouvrir ainsi les chansons de Michel Bühler, c’est aussi croiser tous ces visages, ces regards. Parce que cet auteur-compositeur-interprète hors mode sait observer et trouver les mots pour dire l’«ouvrier qui part au matin blanc», la «fille aux yeux verts», l’institutrice dans la «classe grise de chagrin», les amis à la table du bistrot… Et ces enfants d’Haïti, ces Indiennes dans un «pauvre pueblo», ce vieil homme, en Palestine, qui «marche les pieds nus dans ses sandales», ce Faubourg de Buenos Aires.
En bon Vaudois, Michel Bühler n’a pas son pareil pour dire les «gens d’ici», pour parler du «niolu» et du «boffio».
Mais ce voyageur infatigable n’en reste pas moins ouvert sur le monde, toujours aussi touché par ses beautés et révolté par ses injustices. La sincérité à fleur de peau, il a bâti une œuvre unique en Suisse romande. Roger Jaunin a raison: «On ne parcourt pas l’œuvre de Michel Bühler, on la visite. Nuance.»

ÉRIC BULLIARD, La Gruyère

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Michel Bühler: «On fait des chansons»

Regardez bien la photographie qui occupe toute la couverture du dernier livre de Michel Bühler, On fait des chansons: ce qui frappe dès l’abord, c’est l’intensité du regard; puis, cachant l’œil gauche de l’artiste, on décèle dans son œil droit le regard amical qu’il porte sur les gens et les choses; masquant ensuite l’œil droit, le lecteur pourrait craindre que l’œil gauche ne porte sur lui le regard d’un juge d’instruction (on n’ose dire celui d’un inquisiteur…): est-ce là le regard lucide, sceptique, que Michel Bühler, critique, s’apprête à porter sinon sur vous personnellement, du moins sur la société dans laquelle nous sommes, toutes et tous, astreints à vivre ensemble?

Ce livre est un véritable pavé, constituant l’intégrale des chansons écrites et enregistrées par Michel Bühler de 1969 à 2008: près de deux cents textes (et autant de mélodies) écrits et composés au cours de quarante années d’une carrière menée avec persévérance, certes bien éloignée de celle qu’il eût pu suivre s’il avait opté pour la sécurité et le confort (relatifs) qui caractérisaient à l’époque la profession d’instituteur. La spécificité de cette compilation réside dans le fait – rare – qu’outre le texte même des chansons, l’ouvrage reproduit aussi, en regard des paroles, les partitions manuscrites: c’est le résultat d’un travail de minutieuse patience que l’on doit à l’arrangeur et chef d’orchestre Michel Devy.
Il n’est évidemment guère imaginable de reproduire et d’analyser ici une partie, même infime, de ces textes: le choix en serait arbitraire et réducteur; au surplus, l’on est assurément fondé à admettre que les lectrices et les lecteurs de notre journal régional ont une connaissance au moins élémentaire de nombre de chansons de Michel Bühler: en douter serait presque leur faire injure! On permettra toutefois au chroniqueur de donner sa propre vision, certes parcellaire, en tout cas subjective, de certaines de ses chansons: l’artiste de L’Auberson est en tout cas un peu, sinon beaucoup, pour notre époque et notre pays romand, ce que fut, un siècle plus tôt pour la France le Jehan Rictus des Soliloques du pauvre, ce recueil illustré de magistrale façon par notre compatriote Théophile Alexandre Steinlen.
Deux mots encore sur le thème des correspondances: Michel Bühler a créé et animé en 2007, avec Sarcloret et Gaspard Glaus, un hommage à Gilles, une tournée qui a débuté à L’Echandole, à Yverdon, intitulée Les Trois Cloches. On ne saurait manquer de voir dans le titre du livre de Michel Bühler, un clin d’œil à Chansons que tout cela, le recueil de quatre-vingt-dix chansons que Jean Villard Gilles avait publié, en 1963, aux Editions Rencontre, à Lausanne.
Le livre de Michel Bühler paraît chez Bernard Campiche, l’éditeur urbigène qui voue à la réalisation des ouvrages paraissant sous sa griffe un soin tout particulier. Les lecteurs de Suisse romande lui doivent déjà une impressionnante série d’auteurs suisses, au nombre desquels une dizaine d’écrivains jurassiens; Michel Bühler lui-même apparaît à de maintes reprises, en qualité de romancier notamment, dans le catalogue de Bernard Campiche, et nous en avons rendu compte ici même en temps utile. L’éditeur d’Orbe a lancé, voici plusieurs années, une seconde collection, camPoche, qui suit allègrement son petit bonhomme de chemin. Et voici que, depuis peu, s’ajoute une troisième collection, de luxe celle-là, campImages. C’est dans cette série que paraît aujourd’hui On fait des chansons: un impressionnant volume qui rassemble, en 480 pages, toutes les chansons écrites et enregistrées par Michel Bühler jusqu’en 2008: c’est donc plus qu’une anthologie, c’est une intégrale.
Cet épais volume, grand format, de 480 pages, comprend en outre des textes et des illustrations fort intéressants, à commencer par la préface, issue de la plume de Roger Jaunin, lequel s’attarde sur Michel Bühler parolier. L’ouvrage comprend aussi une bio-bibliographie de l’auteur ainsi que, sous le titre de Reflets, un cahier de photographies montrant Michel en spectacle, en famille, à sa table de travail, voire avec ses amis(e)s proches (dont son compère bullaton Léon Francioli et Anne Crété, cinéaste).
Rappelons enfin que Michel Bühler apparaît aussi dans la série des Cahiers du Balcon du jura, ainsi que dans le catalogue des Presses du Belvédère, pour le texte d’un ouvrage superbe réalisé en collaboration avec le regretté Pierre Bichet, le peintre de Pontarlier.

BERNARD VIRET, Journal de Sainte-Croix

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Michel Bühler, esprit et cœur sereins entre Paris et la neige de Sainte-Croix
Le chanteur se sent bien à ski de fond, mais aussi dans les ruelles qui mènent à la Seine.

Une vie résumée en trois kilos trois cents de beau papier. L'éditeur de Bühler, Bernard Campiche, publie
On fait des chansons, textes et partitions des œuvres du chanteur. Et des photos. Le public adore, le livre marche fort.

Il y a des paysages qui vont bien aux gens. Ainsi ce matin, le givre, la neige fraîche, le ciel qui hésite entre gris et bleus très pâles, tout cela va bien au visage tranquille de Michel Bühler lorsqu’il nous invite à entrer dans sa maison de L’Auberson. Un peu plus tôt, sur la route, nous avons vu un renard poursuivant avec des yeux et une fourrure de Don Juan une renarde qui ne disait pas non. Ces deux-là, par leur danse, rappelaient qu’ici, c’est la nature profonde, que l’espace et le mystère côtoient les humains. Alors, pour Michel Bühler, chanteur de l’authentique, de la vie qui palpite, dure et douce, est-ce là le pays idéal où passer un week-end parfait? «Oui, bien sûr. Je dirais que l’idéal, ce peut être un week-end où je ne travaille pas, ce qui n’est pas le cas souvent. J’adore mon boulot, j’ai le privilège de vivre de ce que j’aime, mais de temps en temps, le samedi et le dimanche, pouvoir vivre au rythme des autres, prendre l’apéro avec des copains qui ont l’esprit libre parce qu’ils ont congé, vivre ce relâchement dans Sainte-Croix, j’apprécie.»
Quant à ces paysages étourdissants qui semblent ne pas avoir de fin, Bühler s’y plonge volontiers, en corps et en âme, dès qu’il le peut. «Chausser les skis de fond, partir avec Anne, ma compagne, ou avec des copains, ou avec les cousins, c’est un bonheur. On est vite en France, c’est la porte à côté, une autre monnaie, une autre cuisine, le dépaysement. Si on opte pour le ski de piste, on se retrouve presque forcément à la Casba, une cabane au-dessus de Sainte-Croix, où l’on ne peut aller qu’avec les skis en hiver et à pied en été. Dans ma jeunesse, dans mon adolescence, j’y ai passé des soirs et des soirs à chanter. Et nous redescendions bien tard sous la lune, en chantant encore…»
Il faut dire que chanter dans la nature, Michel Bühler a découvert cela très tôt. «Les samedis et dimanches de l’enfance, on montait avec les oncles, les tantes, les cousins, dans les pâturages et les forêts des environs pour y pique-niquer et y passer la journée. A l’époque, dans l’après-guerre, les gens chantaient. Alors j’ai chanté aussi, d’autant plus facilement que j’étais le petit dernier, le petit chouchou. J’ai ainsi découvert le merveilleux pouvoir de communication d’une chanson. J’ai compris qu’en deux ou trois minutes, une chanson peut dire une vie, un pays, une histoire. Et ta chanson, tu l’emportes partout avec toi, tu passes les frontières, aucun douanier ne peut te la prendre…»
Dans la maison de Bühler, dont il est locataire depuis une éternité, tout est calme. Dehors un grand corbeau passe en braillant. Le chanteur boucle la boucle des samedis de l’enfance: «Le samedi, tous les cousins défilaient dans la salle de bains, la seule de la maison. Chacun apportait son bois pour le chauffe-eau, et je prenais bien souvent mon bain dans l’eau de mon frère, c’était comme ça…»

Un aumônier qui bénit des fusils

Et l’église, que fait Bühler de l’église, pendant ses week-ends. Là aussi, il faut relire un peu l’enfance. «Mes parents n’étaient pas fanatiques de religion, mais croyants. Mon père n’allait jamais à l’église, il avait toujours quelque chose d’autre à faire. Un jour il m’a expliqué pourquoi. Il avait vu, pendant la Mob, un aumônier bénir les canons et les fusils. Dès ce jour, il avait décidé de ne plus aller à l’église…»
Et le petit Michel devenu grand, y retourne-t-il, le dimanche? «J’ai été très croyant entre mes 15 ans et mes 20 ans. Mais j’ai rompu avec ce prétendu Tout-Puissant qui laisse faire certaines choses, comme le massacre des Palestiniens à Gaza. J’ai donc décidé de ne plus lui parler. J’aimerais quand même bien qu’il existe un au-delà, sans que ce soit pour moi une obsession. L’idée, ce serait simplement d’y retrouver des amis, mon père, ma mère…»


«Pas de télévision la journée, mais dès le soir, je suis téléphage!»

– Vous n’êtes pas que «de Sainte-Croix», vous êtes également Parisien plusieurs mois par année, dans votre petit appartement du quartier de Montparnasse…
– Il y a pas mal d’années, j’avais même appris le jass à des potes parisiens. Ils aimaient bien! On faisait des fêtes, on éditait des chansons, on refaisait le monde. Mes week-ends parisiens sont aujourd’hui plus calmes: le marché, les copains de ce que j’appelle le village, la marche au hasard des rues jusqu’à la Seine. Ici à Sainte-Croix, je vais à pied jusqu’au Chasseron, alors, à Paris, je recrée mon Chasseron!

– Et… vous avez une troisième solution pour vous détendre: votre chalet de Médières, en Valais!
– Une ancienne grange, achetée il y a près de vingt ans, retapée en bossant énormément avec des potes. Un lieu de fêtes, d’amitié, camp de base pour le ski. Mais les potes sont morts, le café du village qui était si important pour les rencontres est fermé. Alors j’y vais moins…

– Le samedi, le dimanche, c’est le temps de la télé?
– Jamais la journée, jamais. J’ai toujours des choses à lire, à écrire. Mais dès le soir, dès l’heure des infos, je deviens un téléphage. Je compare les priorités données aux événements, j’aime suivre la marche du monde. Mais je peux aussi regarder des conneries, je crois que j’ai en moi la volonté d’être avec les autres gens, de faire comme eux, donc de regarder ce qu’ils regardent. Devant certaines émissions, je m’énerve, beaucoup, ça me donne de l’énergie pour commencer le lendemain une nouvelle chanson!

– Vous êtes l’exemple du chanteur qui a réussi à vivre de son talent. Si un jeune homme venait vous demander conseil ce samedi, dans l’idée de suivre votre trace…
– Je lui dirais «vas-y», mais en lui expliquant que c’est plus difficile aujourd’hui. Moi, quand j’ai décidé de quitter l’enseignement pour me consacrer à la chanson, je savais, en donnant mon congé à la Commission scolaire, que je pourrais revenir quand je voudrais. Il y avait du boulot tant qu’on en voulait. Et la chanson francophone était mieux diffusée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il existait, me semble-t-il, une classe moyenne des chanteurs plus ou moins connus, mais qui vivaient correctement. Je crois que cela n’existe plus guère. Mais il faut essayer. Et peut-être que, si ce n’est pas facile, s’il n’y a pas de refuge possible, de roue de secours, c’est l’occasion de tout donner. J’ai aussi eu la chance extraordinaire de rencontrer des gens – je pense à Gilles Vigneault notamment – importants, décisifs, au bon moment. Une rencontre, je pense aussi à ma compagne, Anne, ça tient à peu de chose parfois, mais cela change la vie. Cette chance existe, il faut la croiser...


MES ADRESSES

La Casba
, à Sainte-Croix
Une cabane-refuge, mais surtout un lieu qui a une histoire. Quand tu y entres, tu as l’impression d’y entendre les voix de ceux qui y ont chanté et vécu.

Le cimetière Montparnasse, à Paris
Je le traverse fréquemment. Il est une sorte de trait d’union entre le quartier-village où j’habite, et Paris, la ville.

Le Val de Bagnes, en Valais
La balade jusqu’à la cabane Brunet et jusqu’au Rogneux est splendide. Deux heures de marche pour se retrouver en haute montagne.

PHILIPPE DUBATH, 24 Heures

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Michel Bühler, bilan de carrière

Son année 2008 fut déjà bien remplie. Entre un hommage scénique à Gilles aux côtés de Sarclo et de Gaspard Glaus, une résidence d’un mois au festival off d’Avignon en juillet avec des chanteurs et humoristes francophones conviés par Sarclo encore, et la parution de Passant. Cet album à l’ancienne, artisanal, réalisé chez lui à L’Auberson, en catimini, coiffé par cette grue rouillée qui jouxte la scierie derrière laquelle se niche la maison où il aime à recevoir. L’auteur et chanteur romand Michel Bühler, après avoir ravivé les flammes d’une écriture qui s’articule toujours entre saines colères, élans humanistes, souffle naturaliste et régionaliste ou ironie mordante débute l’an neuf par une somme.
Un bel ouvrage-stèle de 3,3 kilos qui rassemble ses cent quatre-vingt quinze chansons écrites depuis 1969. «C’est à la fois impressionnant et flatteur. Mais, après l’avoir feuilleté plusieurs fois, je me suis dit mais merde, j’en ai pas écrit d’autres, il n’y a “que” cent quatre-vingt quinze chansons! C’est sans doute parce que je songe à toutes celles qui me restent à écrire. Sinon, il y a évidemment plus de fierté pour certaines chansons. Je sais aussi dans quelles circonstances j’ai écrit celles qui m’emballent le moins: c’était souvent des chansons de l’immédiat, de colère ou traitant de sujets qui m’amusaient sur l’instant. Elles sont donc forcément moins significatives au regard de l’inévitable Rue de la Roquette, d’Ainsi parlait un vieil Indien, de La Vieille Dame ou Vulgaire
Reste que la publication de ce pavé était l’occasion d’établir, aux côtés de l’ex-instituteur, une forme de bilan de carrière. Du moins de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur en revenant sur un parcours au long cours, mais en dents de scie, durant lequel il a pu garder finalement le cap en alternant les genres artistiques: romans, pièces de théâtre, spectacles musicaux. «Si je n’avais eu que la chanson, malgré les ventes de disques (trois mille copies de Passant) et les concerts réguliers en francophonie, cela fait longtemps que je serais mort de faim!»
Rasez-les Alpes (qu’on voie la mer!), a chanté un jour Bühler, qui a débuté en 1969 en signant Helvétiquement vôtre. Quand la Suissitude se double d’ouverture au monde, cela pourrait bien résumer cet homme qui dit envisager son métier de chanteur tel la pratique du journalisme: «Dans mon rêve, si quelqu’un a envie dans cinquante ou cent ans de voir ce qui s’est passé pendant la fin du XXe et le début du XXIe siècle, cela me ferait plaisir qu’il aille relire mes chansons. Pour leur témoignage sur une époque, à la manière des articles de presse.»
Dans Passant, sa chronique intitulée La Boillat vivra illustrera ainsi les dégâts de la mondialisation sur le tissu ouvrier helvétique. Alors que Tribulations d’un chanteur en Suisse reflétera peut-être le désarroi des voix d’ici face aux médias et les dures réalités et bassesses du show-business. Il serait pourtant cruel de confiner Bühler aux frontières du terroir. L’artiste est souvent allé s’oxygéner ailleurs. Que ce soit aux côtés du bourlingueur Frank Musy ou pour son propre compte, ses vagabondages n’auront pourtant pas inondé son répertoire. «Seulement certains, en raison de situations, de rencontres, de circonstances particulières. Mais elles ne sont jamais nées dans le vif du voyage. Il faut toujours du recul, un temps de réflexion. Le Nicaragua, la Palestine ont ainsi donné naissance à des textes. Et dans mes spectacles, parler tout à coup du Sahara ou d’un port de Malaisie instille une autre ambiance. C’est dire que Bühler, ce n’est pas que L’Auberson. C’est aussi une manière d’inciter les gens à ouvrir les yeux sur le monde et ses soubresauts.»
Fils spirituel de Gilles auquel ses détracteurs reprochent un côté «père la morale», Bühler a aussi connu la mise au ban durant ces quarante ans à défaut de ressentir une véritable crise de sa petite entreprise chansonnière: «Les difficultés du métier, je les ai ressenties dans les années 80, au moment où ma maison de disques parisienne, L’Escargot, où sévissaient aussi François Béranger et Gilles Vigneault entre autres, a fait faillite en 1984-85. D’un coup, je me suis retrouvé sans beaucoup de boulot. Il a fallu réduire la voilure, presque repartir de zéro. L’arrivée en France de la gauche au pouvoir en 1981, bizarrement, a porté un coup de frein à nos activités. On pensait que, sous Mitterrand, on allait enfin passer davantage à la télévision, sur d’autres radios que France Inter qui nous soutenait. Mais ce fut l’inverse, comme si les gens arrivés au pouvoir s’étaient dit: on n’a plus besoin d’eux, merci et au revoir. Je pense que des gens comme Jack Lang, ministre de la Culture de l’époque plutôt branché rock, musiques modernes et petits gars en blouson noir, nous ont fait du mal.»

OLIVIER HORNER, Le Temps

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On fait des chansons... et toute une vie, aussi

À partir de sa rencontre avec Gilles , Michel Bühler prit une envergure nouvelle et des chemins buissonniers
Michel Bühler et Rolf Kesselring se sont rencontrés en 1969. Le premier débutait dans la chanson. Le second dans l’édition de livres. Un demi-siècle plus tard, à l’occasion de la publication d’un volume de toutes les chansons de Bühler, notre collaborateur se souvient.

Il arrive quelquefois que le passé, les souvenirs de jeunesse, toute une vie, arrivent par la poste. Tout simplement. Un carton qu’on déballe, un volume à découvrir, qu’on ouvre d’un doigt prudent, et voilà que toute une mémoire s’éveille et frissonne.
Ce qui m’occupe, ici, est ce qu’on appelle, dans les métiers du livre «un fort volume». Les textes des chansons de Michel Bühler de 1969 (année de notre première rencontre) à 2008, à Yverdon-les-Bains, dans cette région du Nord-Vaudois qui nous est chère à tous les deux

Et la vie va...

Dans la tête, on est toujours jeune, on fait des chansons et toute une vie sans même prendre le temps d’y penser.
À la réception de ce pavé édité chez Bernard Campiche, j’ai réalisé qu’entre un premier 45 tours avec, dessus cet Helvétiquement vôtre, qui avait défrayé la chronique et secoué la poussière dans les chaumières de Romandie et cet Éloge des Vaudois qui conclut l’ouvrage, il y a presque un demi-siècle qui s’est écoulé... pour lui comme pour moi. Un demi-siècle! Je n’en revenais pas en feuilletant l’ouvrage. Je n’avais pas vu le temps passer.
Nos routes qui s’étaient souvent croisées au début de nos aventures, s’étaient éloignées l’une de l’autre. Lui sur scène à droite et à gauche, moi des livres pleins ma besace, déchiré entre Paris et la Suisse, comme lui sans doute. La vie, quoi! De loin en loin, je me tenais au courant de ce qu’il faisait, de temps à autre, je mettais un gâteau de vinyle sur la platine et je réécoutais.

Quelques larmes

Je me souviens même d’une soirée à Paris, au 46 de la rue Richer dans le neuvième arrondissement, où j’avais, péremptoire comme souvent, obligé des amis à écouter les disques que je possédais de lui ! Sur le versant tardif de la soirée, armagnac de Codom aidant, j’avais discrètement essuyé quelques larmes nostalgiques.
Mes amis, tous parisiens, avaient mis ça sur le compte de cette soirée un peu trop arrosée.

Les démons de la chanson

Surtout lui! Pour la bonne cause, puisqu’il était instituteur. Mais les démons ordinaires de la chanson le possédaient déjà. Poussé par eux et accompagné par Denis Niklaus, un ami mahousse qui faisait l’impresario pour des artistes locaux, il venait de sortir un premier 45 tours.
Tout le monde en parlait dans le Landerneau romand. On était une véritable bande de jeunes d’Émile Gardaz, Claude Blanc, Marcel Kohler, sans oublier mon voisin actuel: Nono Müller.
Je n’étais qu’un scribouillard de contes que je voulais drôles et brefs. Je vivotais de maigres piges en collaborant à un quotidien lausannois et traînait ma grande gueule dans les bistrots de la rue de la Plaine, à Yverdon.

On était jeune

Je revenais de loin, des «plaines de l’ordre», comme il l’écrivit plus tard dans un manuscrit désormais perdu. Dans cette histoire si ma mémoire me reste fidèle, un certain Sobrefils Mange sauvait son pote Wolf Resselking des geôles sises dans ladite plaine, en jetant aux chiens surveillants, les journaux locaux pour les endormir !
C’était Denis Niklaus qui avait provoqué notre rencontre. Je venais de publier mon premier recueil. On se les était dédicacés mutuellement. Je ne me rappelle plus ce que j’avais griffonné à la page de garde des ces Martiens d’Avril dont j’étais si fier, mais à l’inverse, les quelques mots que Michel avait écrits sur la fourre de son disque, résonne encore dans ma tête: «Pour faire plaisir aux amis et faire ch... les cons!»
On était jeune. On ne doutait de rien ni de personne.

Chacun sa route, chacun son chemin...

À partir de sa rencontre avec Gilles Vigneault (un jour à Genève dans les studios de Radio-Genève – j’y étais !), Michel Bühler prit une envergure nouvelle et des chemins buissonniers.
Il se mit aussi à arpenter la planète. Il faisait provision d’émotion humaines, de sensations nouvelles. De Paris au Québec, de son Jura natal à l’Asie meurtrie et à l’Amérique centrale torturée, il parcourut le monde. Il vit la Palestine souffrir, l’Afrique se dessécher.
Toutes ces impressions, toutes ces émotions, on les retrouve dans ses chansons. Depuis le premier disque, il crie. Depuis longtemps, il s’indigne, à sa façon. La démence de ce monde est la marque de ce poète... l’amour de son Jura natal aussi. Il sait mélanger subtilement, l’amour et la tendresse, l’amitié et la compassion, l’ironie et la poésie.

Des directions différentes

Nos routes avaient pris des directions différentes et, lorsque pour céder à la douce pression de ma fille et de quelques amis fidèles, j’ai enfin accepté de revenir sur ma décision d’exil volontaire, et de reprendre le chemin de la Suisse –malgré mon cri de guerre d’alors: «Au Sud !», une des première personne que je revis dans les rues de Sainte-Croix, ce fut lui.
Depuis, on ne se voit guère, juste on se croise de temps à autre, alors je l’écoute en me passant ses CD’s en boucle entre Brassens ou Barbara, Brel ou Moustaki. Je le lis, aussi, grâce à Bernard Campiche. Il m’accompagne comme tous ces auteurs (poètes, écrivains ou chanteurs) sans lesquels la vie serait quelquefois bien triste, sans couleur, et finalement sans espoir.

ROLF KESSELRING, Swissinfo

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Michel Bühler, passeur d’essentiel

Les télévisions l’ignorent et il ne bouscule pas les hit-parades. Cela n’empêche pas Michel Bühler d’être bien présent, tant sur disque que sur papier, preuve en est le magnifique ouvrage que Bernard Campiche consacre au chanteur vaudois.

Soixante ans tout juste et pas une ride pourtant, sauf peut-être au coin des yeux, témoins d’heures et d’heures à observer les autres et le temps qui passe. Le monde, aussi, avec son lot de belles choses et d’autres, aussi, forcément plus moches, mais tellement sources d’inspiration. Et puis cette Suisse où rien de vraiment grave ne semble pouvoir arriver, et que Bühler, fier d’en être, affectionne et chante, même si, de temps en temps, il remet les pendules à l’heure à cette Helvétie un rien timorée et frileuse, à l’esprit trop étroit à son goût. La Suisse de Gilles, aussi, éternelle.

Choisis ton camp

Dès le début, il y a quarante ans, le poète de Sainte-Croix a annoncé la couleur: il est, lui, du côté des ouvriers, de ceux «d’en bas», des étrangers et autres gens de passage. Il chantera jusqu’au bout l’injustice, où qu’elle soit, d’où qu’elle vienne. Ainsi, dans ses chansons emplies de simplicité, plane cette générosité familière aux gens de cœur, la pudeur en prime.
Bühler est aussi bien connu pour son solide sens de l’amitié. Taureau fidèle, ses amis le sont depuis longtemps, à l’image, entre autres, de son «frère» Gilles Vigneault, le Québécois, avec il partage bien des idéaux.
Ce passeur de mots et de musique croit en effet aux relations sans chichis, où ce bon sens qui habite son œuvre nous emmène loin des ambiances frelatées des salons littéraires ou de ce showbiz aux valeurs incertaines.
C’est donc, avec ce recueil, un cadeau magnifique que nous fait Bernard Campiche, comme un couronnement qui arrive à point nommé pour nous prouver, si besoin était, que les poètes ont encore leur mot à dire dans ce monde décidément bien superficiel.

DANIEL LE BRIS, La Vie protestante

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Chanson

Depuis que je le découvris sur scène grâce à Gilles Vigneault qui avait fait de lui son complice et partenaire de tournée – c’était à la mi-février 1978 –  Michel Bühler représente à mes yeux (et à mes oreilles) d’auditeur de chansons l’exemple même de l’authenticité.  Voilà donc plus de trente ans que je ne cesse de m’émouvoir et de m’attendrir de son chant qui dit tout droit ce qu’il a à dire des êtres et des choses en homme et en artiste attentif, chaleureux, révolté, fervent, fraternel, humain tout simplement.
Cet auteur-compositeur-interprète, Suisse du canton de Vaud, vivant et travaillant en son pays de L’Auberson, observe du monde les grandeurs et les décadences et vous en livre sa vision en mots et en notes simples comme l’eau claire d’un torrents de montagne et d’une voix grave et charnue dont le grain unique séduit et touche au cœur.
Des disques nous restituent plus de 220 chansons de Michel Bühler, cris de colère ou chants d’amour, élans de tendresse ou poussées d’humour grinçant, mais où perce toujours «envers et contre tout», l’espoir. Voilà ce qui s’appelle «une œuvre», et parmi les plus probes et les plus belles de la chanson francophone.
Une œuvre que voici désormais réunie en un gros livre de 480 pages (et 3 kilos et quelques, s’il vous plaît !) paru sous le titre Michel Bühler: On fait des chansons dans lequel on trouve toutes ses partitions de 1969 à 2008 calligraphiées par Michel Devy.
Musicien compositeur et orchestrateur de grand talent, Michel Devy s’est en effet mué ici en copiste pour reproduire à la main, avec la patience et la minutie d’un moine enlumineur, les notes et les mots de son ami Bühler. Un travail qui est à lui seul une manière de chef-d’œuvre au sens que le Compagnonnage donne à ce mot.
Ce livre On fait des chansons, de Michel Bühler est paru chez Bernard Campiche, éditeur à Orbe, en Suisse, à un prix de vente de 65 euros.

JACQUES BONNADIER, Dialogue, 89.6 (Marseille) et 101.9 (Etang de Berre, Aix et Paix d’Aix)

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Le rêve est toujours permis

Cette année, Michel Bühler fête ses quarante ans de carrière. Si l’esprit de 1968 semble lointain en 2009, le Vaudois reste attaché à une certaine idée de l’homme: un idéal fraternel et égalitaire. Rencontre avec un chanteur consciencieux qui n’a pas trahi ses rêves.

Modeste comme un Vaudois: c’est ainsi que l’on définit habituellement Michel Bühler, l’homme autant que l’artiste. Cet enfant de Sainte-Croix, dans le Jura vaudois, nous reçoit chez lui avec un naturel rare. Cela frappe: sa réputation n’est de loin pas usurpée, mais une épithète lui fait défaut comme un second membre à un unijambiste. Modeste et vrai: oui, tel est Michel Bühler. Un artiste authentique que les Romands et les amoureux de la chanson française aiment depuis quatre décennies. Parce qu’il est constitué d’un seul bois. Fidèle à lui-même.

Chanteur à texte

Avec quarante ans de carrière à son compteur, il peut faire rêver plus d’un aspirant chanteur: il vit de son art, certes pas avec le compte en banque de Johnny Hallyday, mais la musique est son activité principale, «mon rêve devenu réalité». Et à l’heure périlleuse de myspace.com, de Star Academy et de MTV, il demeure arrimé à la langue de Molière et de Ramuz. Envers et contre tout.
À l’évocation de cette configuration qui lui est a priori défavorable, Michel Bühler ne cille pas. Il ne fuit pas Internet et se dit «téléphage le soir». Quand il n’est pas dans un de ces voyages au long cours qu’il affectionne, il suit la marche du monde dans la lucarne, regarde parfois des âneries qui réveillent en lui une saine colère et nourrissent son inspiration. À 64 ans, ce francophile ne se refait pas.
«J’appartiens à une génération marquée par la pop anglo-saxonne des années 1960», explique-t-il avant de hausser les épaules, une moue fine sur les lèvres. Bob Dylan, les Rolling Stones et les Beatles étaient adulés? Ses idoles à lui étaient, et demeurent, Georges Brassens, Jacques Brel, Jean Villard Gilles et Jean Ferrat. Question d’atavisme? À l’évocation de son enfance, il sourit. Avec tendresse, Michel Bühler se souvient des siens...
«On allait pique-niquer dans la forêt le samedi et le dimanche. C’était vivant, on discutait beaucoup et surtout on chantait!» Une autre époque. Sans petit écran. Quand la presse était lue et la radio écoutée quasi religieusement. Quand le texte primait. «Ma famille – nous n’étions pas les seuls! – avait une véritable culture de la chanson. J’en suis nostalgique. Pourquoi? On savait partager, échanger. La chanson est un merveilleux outil de communication et de chaleur humaine.» On sent en Michel Bühler l’amour charnel, solidement enraciné, de la chanson populaire.
«D’origine glaronnaise, ma mère est née à Saint-Croix. Mon père était Biennois, mais il ne m’a hélas pas appris le suisse allemand», confesse-t-il. Une remarque étonnante dans la bouche d’un ardent défenseur de la langue française? Son «non» est doux, mais catégorique. «Pourquoi opposer les langues? Il s’agit juste d’amour, de richesse, d’affirmation.» Michel Bühler n’aime pas l’idée d’exclusion. Ni l’injustice, qu’il a en horreur depuis ses plus tendres années.

Conscience sociale

«Je suis issu d’un milieu où les gens savent ce que c’est que travailler à l’usine. À Saint-Croix, lorsque j’étais gamin, deux usines tournaient à plein régime: Paillard fabriquait des caméras et des machines à écrire; Thorens des pick-up. À la maison, les gens parlaient de salaire, de conditions de travail. Ce n’était pas des abstractions.» La fibre sociale de Michel Bühler travaille ses entrailles depuis longtemps. Et au détour de cette évocation surgit la question de la religion.
«Contrairement à ma mère, mon père allait rarement à l’église: il a vu durant la Mob’ des aumôniers militaires bénir des fusils… Mais je sais aussi qu’il se recueillait dans la forêt. Seul.» Le petit Michel a reçu une éducation chrétienne qu’il ne renie pas. «Jusqu’à environ vingt ans, j’étais croyant. Je faisais partie de l’Union chrétienne de jeunes gens. Cela marque. Selon moi, si l’on se dit chrétien on ne peut être que de gauche.» Sa foi s’est pourtant effilochée au point de disparaître. Quoique l’homme semble plus agnostique qu’athée. Cette nuance ne le tourmente pas, mais plutôt les malheurs des damnés de la terre. «Comment rester silencieux devant les tragédies humaines?», souffle-t-il avec la calme qui le caractérise. On se tait cependant. Le temps d’un recueillement où l’humanisme de l’artiste déborde.

Engagement public

Celui qui a participé à la Constituante du canton de Vaud et qui siège comme socialiste au Conseil communal (législatif) de sa ville natale poursuit: «Je crois aux idéaux de gauche, même si on les dit ringards, et je suis de la génération 1968.» Précision notable: le chanteur n’a jamais brandi le petit livre rouge de Mao, lu l’intégrale de Karl Marx ou excusé les dérives meurtrières commises au nom du «sacro-saint» progrès, qui le laisse dubitatif.
À l’écoute des opinions différentes de la sienne, il revendique avant tout un héritage de libertés. Un mea culpa voilé? Il précise: «Ma génération ne s’est pas plantée. Elle s’est plutôt fait planter! Jamais je n’aurais imaginé que le monde serait comme il est en 2009». Pour ne pas baisser les bras, il invoque une anecdote de Gilles Vigneault qui disait à son père: «Je ne m’occuperai plus de politique le jour où la politique ne s’occupera plus de moi».
Vigneault. Un monstre sacré de la chanson française. Légende vivante au Québec. On guettait son évocation au détour de la conversation. Rencontrer Michel Bühler sans parler de son (presque) alter ego d’outre-Atlantique est impossible. «Un matin, j’ai allumé la radio et j’ai entendu Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver. Cela a été un déclic, un encouragement pour me lancer dans la chanson.

Figure tutélaire

«Un Québécois parlait de sa patrie. Pourquoi un Vaudois n’en ferait pas de même? On ne parle bien que de ce que l’on connaît.» Relier le particulier à l’universel: un thème qui ressemble trait pour trait au chanteur qui, au fil des premières parties de Vigneault, à l’orée des années 1970, est devenu un de ses intimes. Une relation d’exception où l’admiration va de pair avec l’amitié. «C’est un honneur et une joie constante.» On le croit sans peine.
Et la relève de la chanson française? Michel Bühler n’est pas un dinosaure en voie de disparition, loin de là. Il jette pourtant un regard distant sur la scène actuelle, à l’exception du Français Thomas Fersen, «plein de créativité et de gaieté». «Je ne me retrouve pas dans les thèmes nombrilistes traités par les jeunes auteurs. Leurs univers semblent réduits à leur seule sphère privée.» Leur aîné, lui, aspire à un monde meilleur où les enfants humiliés seraient réconfortés, où chacun mangerait à sa faim sur une planète bleue qui ne virerait pas au violet. Il n’y peut rien, Michel Bühler: il est resté fidèle à ses rêves de jeunesse. Et si quelqu’un a une dent contre lui, qu’il lui pardonne au moins cela.

Une œuvre indispensable

Bernard Campiche se signale à nouveau par un travail éditorial de premier ordre avec ce magnifique ouvrage, à ranger dans la bibliothèque de chaque mélomane à proximité de Jean Villard Gilles et de Gilles Vigneault.
À la parcourir sans écouter les disques de son auteur, on perçoit bien la sensibilité de Michel Bühler. De ses débuts en 1969 avec Helvétiquement vôtre (après avoir quitté le métier d’instituteur «que j’aimais bien, mais sans passion») jusqu’à Passant l’an dernier courent des thèmes précis: des piques contre une certaine Suisse officielle (armée, conservatisme, etc.), la révolte contre l’injustice sociale et la xénophobie, mais aussi un cri en faveur de l’égalité, de la décroissance et de l’écologie. Sans oublier des chansons simples et touchantes sur l’amitié et l’amour: des vertus fondamentales pour un artiste qui continue de dessiner les contours d’un monde meilleur.

THIBAUT KAESER, L’Écho illustré

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Une œuvre à visiter, note après note

C’est une somme, un écrin aussi imposant que magnifique. Publié chez Bernard Campiche, le livre On fait des chansons réunit près de deux cents titres de Michel Bühler. Les textes, bien sûr, mais pas seulement: le musicien Michel Devy (qui a été arrangeur de Bühler) a transcrit toutes ses chansons, note après note, avant de les calligraphier sur des partitions reproduites ici.
Sur près de cinq cents pages, agrémentées d’une bio-bibliographie et de quelques photos, voici donc l’intégrale, version papier, des chansons de Bühler. De 1969 à 2008, d’Helvétiquement vôtre à Passant. Près de quarante ans de coups de gueule, de tendresse et d’amitié. De fidélité à ses idées, à ses révoltes, à une certaine idée de la chanson, aussi. Artisanale et soignée, sans esbroufe ni facilité.
Comme l’écrit Roger Jaunin dans la préface: «Bühler est un laboureur. Il connaît la terre et trace son sillon pareil à ‘ces dos courbés dont on nous dit qu’ils sont d’un autre temps et qui, pourtant, savent tout des saisons, du bruit du vent dans les feuillus, des autres.»

D’ici et d’ailleurs

Redécouvrir ainsi les chansons de Michel Bühler, c’est aussi croiser tous ces visages, ces regards. Parce que cet auteur-compositeur-interprète hors mode sait observer et trouver les mots pour dire l’«ouvrier qui part au matin blanc», la «fille aux yeux verts», l’institutrice dans «la classe grise de chagrin», les amis à la table du bistrot… Et ces enfants d’Haïti, ces Indiennes dans un «pauvre pueblo», ce vieil homme, en Palestine, qui «marche pieds nus dans ses sandales», ce Faubourg de Buenos Aires.
En bon Vaudois, Michel Bühler n’a pas son pareil pour dire les «gens d’ici», pour parler du «niolu» et du «boffio». Mais ce voyageur infatigable n’en reste pas moins ouvert sur le monde, toujours aussi touché par ses beautés et révolté par ses injustices. La sincérité à fleur de peau, il a bâti une œuvre unique en Suisse romande. Roger Jaunin a raison: «On ne parcourt pas l’œuvre de Michel Bühler, on la visite. Nuance.»

ÉRIC BULLIARD, La Gruyère

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Après «Voisins» en octobre 2009 et «Les Trois Cloches» avec Sarcloret et Gaspard Glaus en juin 2008, Michel Bühler nous revient avec une série de concerts intitulés «Voyageur», créés en septembre 2009 au Théâtre de L’Échandole: il s’offre – il nous offre – un spectacle.

Un spectacle pour parcourir quarante ans d’un répertoire d’une remarquable cohérence. On y retrouvera une trentaine de chansons incontournables, des toutes premières aux plus récentes, ponctuées de textes: souvenirs, réflexions sur l’actualité et regards vers l’avenir. Michel Bühler demeure fidèle à ses engagements, à ses colères contre l’insupportable injustice. Curieux du monde, l’idéaliste rebelle continue à «rêver d’hommes frères» martelant sa confiance et son espoir en l’homme.

Quarante ans de carrière, quel regard portez-vous sur le chemin parcouru?

Ces quarante ans se sont déroulés très vite. C’est toujours le même bonheur de monter sur scène. Mon plaisir est intact.

Quels sont les artistes qui vous ont influencé au début de votre carrière, et maintenant?
Au départ Brel, Brassens et Ferré. En 1969, la rencontre avec le chanteur québécois Gilles Vigneault fut décisive, une forme de «cousinage»… Toujours actuelle sous forme de concert et de rencontre.

Quel est votre processus d’écriture? Vous êtes l’auteur d’une œuvre prolifique.
J’ai plusieurs cordes à mon arc, j’écris des chansons (plus de 250, dont 195 ont été enregistrées et figurent sur un livre édité par Bernard Campiche), trois romans, un récit et de nombreuses pièces de théâtre.
Lorsque je suis en train d’écrire, je tente de m’astreindre à le faire entre 9 heures et 17 heures.
L’inspiration… je suis parfois frappé par une idée, par une image, que je mets en forme lorsque je commence à écrire. Par exemple, la chanson Un matin d’automne a été écrite après un passage à la boulangerie du village lors d’une promenade dans les environs de L’Auberson…

Quels sont vos ports d’attache en Suisse et en France?
Principalement le village de L’Auberson. Je suis resté fidèle à la commune de Sainte-Croix toute ma vie, hormis une période de dix ans (1970-1980). Et, depuis longtemps, j’aime le quartier de Montparnasse, à Paris, où j’ai un pied-à-terre. Je m’y rends toujours régulièrement avec ma compagne.

Que vous reste-t-il de votre enfance?
Ce fut une enfance merveilleuse à Sainte-Croix, j’étais le cadet d’une famille composée de onze cousins: j’ai le souvenir de beaucoup de chants et de tendresse partagée.

Est-il à l’heure actuelle plus difficile d’organiser une tournée? Quelles sont les salles qui programment encore de la chanson à texte en Suisse romande?
Après la disparition des Faux Nez (1994), il reste L’Échandole à Yverdon et L’Esprit Frappeur à Lutry, et de petits lieux un peu partout. J’ai le sentiment que le fossé s’est creusé entre les grands artistes reconnus et les plus modestes. Au début de ma carrière il existait une catégorie médiane qui tend à disparaître: cette communauté pouvait vivre de la musique alors qu’à l’heure actuelle ce n’est plus possible.

Comment qualifier votre public? Est-ce le même depuis quarante ans?
Les quatre concerts récents au Théâtre de L’Échandole m’ont permis d’observer que les deux tiers des spectateurs sont les mêmes depuis trente ans, mais la relève (leurs enfants et petits-enfants) semble assurée. Un tiers du public était composé de jeunes, ce qui est de bon augure!

Quels sont aujourd’hui vos thèmes de prédilection?
Mes thèmes principaux sont l’amour, les chansons du pays et évidemment la politique: en étant spectateur du monde, je suis très souvent indigné par l’injustice qui y règne.

Avez-vous réussi à conserver votre aspect rebelle et engagé?
J’espère! Par exemple ce matin, j’ai passé ma matinée à contacter des réalisateurs (Fernand Melgar, Alain Tanner, Francis Reusser entre autres) et différentes personnalités pour apporter un soutien à Roman Polanski, sous la forme d’une pétition, adressée à Madame la Conseillère fédérale Evelyne Widmer-Schlumpf. Nous nous y déclarons indignés par l’incarcération de Roman Polanski, venu en Suisse pour y être honoré, et consternés par l’image désastreuse que cette arrestation donne de notre pays!

Quelle est votre vision de la Suisse et de son évolution actuelle?
La Suisse est mon pays, je suis solidaire avec ses gens. Un des aspects réjouissants fut l’éviction de Blocher et la perte de vitesse de l’UDC. Par contre, ce que je déplore, c’est cette tendance au néolibéralisme, les privatisations (celle de la Poste par exemple) que l’on poursuit aveuglément, et qui ont pour conséquence que les riches sont toujours plus riches et les pauvres plus pauvres.

Quelles seront vos prochaines actualités?
La sortie du livre Un si beau printemps à fin octobre 2009 chez Bernard Campiche Éditeur.

SARAH TURIN, Théâtre de Vidy-Lausanne, novembre-décembre 2009

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Michel Bühler: «En 69, on était sûr de changer le monde»

Michel Bühler revient sur quatre décennies d’une belle carrière musicale.

Michel Bühler est un chanteur engagé. Depuis quarante ans, sa plume et sa guitare, qui penchent à gauche, il les met au service de gens simples dont la vie ne l’est pas toujours. En relatant les troubles sociopolitiques.

Alors, quand il se souvient que c’est en 1969 qu’il a débarqué à Paris, on a presque envie de lui dire que, en bon Vaudois, il était quelques mois en retard sur Mai 68 et l’Histoire. Le poète de L’Auberson ne l’entend pas tout à fait de cette oreille. Parce que, au tournant des années 1970, la Ville Lumière était toujours en pleine effervescence. «On était sûrs qu’on allait changer le monde. Si on m’avait dit à ce moment-là où on en serait aujourd’hui, j’aurais ri. Ou plutôt pleuré… Maintenant, je cherche les pistes pour comprendre.» Son dernier livre, Un si beau printemps, s’en fait l’écho.

Merci Vigneault

Michel Bühler affiche donc quarante ans de carrière au compteur. Quelque deux cents chansons, souvent têtues, et l’homme tourne toujours. La verve du gaillard n’est d’ailleurs en rien altérée par le temps. Ceux qui ont vu ses passages à l’Échandole d’Yverdon et à Ivry-sur-Seine en attestent.
Cette longévité fait de «Bubu» un cas à part dans le monde de la chanson romande. Alors quand il parle de lui, avec pudeur mais conviction, on a envie d’écouter. «Je suis parti à Paris après avoir fait la connaissance de Gilles Vigneault.» Le Québécois croit en lui et le recrute dans sa maison de disques, L’Escargot. Mieux, il lui offre les planches de ses premières parties dans des lieux mythiques, Bobino ou l’Olympia.
A cette époque, le rideau tombe doucement sur les cabarets de la Rive gauche. Michel Bühler en fréquente un ou deux, mais c’est un autre circuit qui le fait sillonner la France pendant une douzaine d’années. Des années rythmées par l’enregistrement de trente-trois tours qui atterrissent dans les bacs des disquaires avec la régularité d’un métronome. «A l’époque, les artistes avaient l’opportunité de chanter dans les Maisons des jeunes et de la culture.»
Sur la route, le Sainte-Crix de L’Auberson côtoie une foultitude d’artistes. «François Béranger, des Algériens, des Bretons. On avait le sentiment de faire de la chanson qui raconte la vie des gens. Et parfois un peu de politique…» En lâchant plusieurs chansons helvétiquement siennes, Michel Bühler se fait remarquer. «Pour les Français, les Suisses étaient soit banquiers, soit horlogers. Le côté exotique ne m’a pas plus servi que desservi!» Il lui a même attiré certaines sympathies: «L’autre jour à Ivry, j’étais très étonné d’entendre des gens me dire qu’ils me suivaient depuis toutes ces années…»

Difficiles années 1980

De fait, les quinze ans passés en France résonnent comme le temps des copains et de l’aventure… «On a rigolé comme des fous. On n’était pas seulement comme des collègues, on était des amis. Et si L’Escargot a fait faillite, c’est parce qu’on a bu et qu’on a mangé», sourit-il sans renier une seule seconde le passé. Au début d’années 1980 qui s’annoncent difficiles, cette faillite vient tout bouleverser. Bizarrement, elle intervient au moment où la gauche prend le pouvoir. «On n’avait sans doute plus besoin de nous…», rigole-t-il.
La cassure est aggravée encore par le décès d’un père dont il était très proche. De retour à Sainte-Croix, il vit donc de l’intérieur la fermeture des anciennes usines Paillard et les mouvements ouvriers qui s’ensuivent. «J’ai eu envie qu’il y ait des traces, sous forme romancée, de certaines actions qui ont rendu à des ouvriers un peu de dignité.»
Alors, après avoir été auteur de spectacle – le succès fou du Retour du major Davel, à son retour de Paris, lui remet le pied à l’étrier –, Bühler devient écrivain et signe donc La Parole volée. Depuis, il mène de front ces trois carrières.
Actuellement, c’est la chanson. Le spectacle qu’il présentera à Vidy retrace sa longue carrière. Et celui de Beausobre, à Morges, sera particulier. «J’ai invité des amis à me rejoindre sur scène. Malheureusement, j’ai dû faire des choix: certains bons copains ne seront pas là. J’espère qu’ils comprendront…» Les planches de Beausobre verront donc défiler Anne Sylvestre, Gilbert Laffaille, Bel Hubert ou encore Thierry Romanens. «Il y aura aussi Nono Müller et Léon Francioli, qui ont été mes musiciens. J’aurais aimé accueillir Graeme Allwright et Gilles Vigneault.»
Une fête à la mesure de celle de la chanson romande, organisée il y a trente ans en hommage à Jean Villard-Gilles? «Quel souvenir magnifique! Trois mille à cinq mille personnes rassemblées sous un chapiteau à Vidy. C’était l’âge d’or de la chanson romande. Le public avait réservé une ovation à Gilles. Rien que d’y penser, j’en ai les larmes aux yeux.»

FREDERIC RAVUSSIN, 24 Heures

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Michel Bühler emballe Ivry

C’est entendu. La Venoge, malgré ses méandres, ne se jette pas dans la Seine. Mais le fleuve parisien aime bien ce petit frisson au parfum de sapin et de raisin que lui apporte l’accent vaudois. Jean Villard-Gilles, puis Michel Bühler ont tous deux chanté la terre nôtre et le vaste monde, la tendresse et la colère, l’humour et la révolte. Sainte-Croix, Saint-Saphorin, New York, Jérusalem, rien de ce qui est humain ne leur est étranger.
Et à Ivry-sur-Seine – dans la banlieue sud, à un jet de pavé de Paris – l’humain a une épaisseur particulière, formée par la lutte des ouvriers d’hier et le ressentiment des immigrés d’aujourd’hui. À l’avenue Maurice-Thorez, à la cité Youri-Gagarine répondent maintenant les pagodes et les boucheries hallal. C’est dans cette ville-témoin que Bühler a conquis les cœurs, samedi dernier, lors de son récital au Forum Léo-Ferré, lieu consacré aux anars et à la poésie chantée. Ovations et rappels multiples ont salué le chanteur de L’Auberson, qui a fait salle pleine. Alternant chansons anciennes et nouvelles, il a aussi bien évoqué la pinte de chez nous que le café arabe de Jérusalem-Est, le verre de blanc que le verre de thé. Et les épicéas du Jura se sont fondus dans le décor rouge d’un village africain.
Depuis quarante ans, Bühler creuse son chemin sans mettre des plumes d’autruche à ses textes. Assumant son sol natal, mais en évitant qu’il ne colle à ses semelles. Voyageur et passant, fidèle et attentif.

JEAN-NOËL CUÉNOD, 24 Heures

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Voyage en Bühlerland

Encore un peu, il devenait conseiller fédéral! Si, si, il s’était mis à disposition du pays après la démission de Pascal Couchepin… Mais personne n’est venu chercher Michel Bühler pour le propulser aux plus hautes fonctions du théâtre gouvernemental. Alors le chanteur a sorti un nouveau disque. En public, pour fêter ses quarante ans d’amitiés scéniques. Voyageur offre ainsi un tour du monde – du monde de Bühler, s’entend – en vingt et une plages et septante-cinq minutes.
Les paroles de ses anciennes chansons sont sobrement servies par Laurent Poget, Mimmo Pisino et Stéphane Chappuis, respectivement aux guitare, contrebasse et accordéon et tous en chœur. Pleines de complicité, les notes des trois compères habillent avec délicatesse les textes du poète pour livrer un ensemble à déguster tranquillement.
Connues du public fidèle, les chansons égrenées offrent un voyage dans le temps, l’espace et la diversité. La vie des gens simples reste la matière première du chanteur, qu’ils soient du village voisin, Indiens d’Amérique, Hommes bleus du Sahara, jeunes filles de Paris ou troufions dans le Gros-de-Vaud. L’humour côtoie continuellement la lucidité dans les bavardages, enchaînant les chansons, comme lorsque Bühler évoque le décès de son «camarade de bureau» Michael Jackson ou tire le bilan positif de ses engagements politiques depuis la guerre du Vietnam.
Voyageur est ainsi indispensable aux compagnons de route pour fêter les quarante dernières années, mais aussi aux plus jeunes pour faire connaissance avec l’œuvre du chanteur de L’Auberson.

MICHEL SCHWERI, Le Courrier

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