Il peut s'en passer des choses au cours d'une journée.
Dans le théâtre classique, qu'il conviendrait de redécouvrir,
dépoussiéré de ses scories scolaires, la règle des trois unités avait
toute sa raison d'être. Elle évitait de disperser l'attention du
spectateur et la focalisait sur l'essentiel.
Tous les auteurs de théâtre du XVIIe n'y parvenaient pas avec le même
bonheur. Ainsi Corneille s'y trouvait-il à l'étroit, tandis que Racine
s'y mouvait avec aisance.
Dans un roman, il est plus rare de retrouver ces unités classiques de
lieu, de temps et d'action. C'est pourtant ce qui caractérise le
dernier roman publié d'Antonin Moeri.
La famille Forminable – dont le patronyme n'est pas facile à porter –
se retrouve dans une station de ski, pendant une journée, à se
découvrir sous un autre oeil.
Dans la famille Forminable, je demande le père. Il s'appelle Lucien, il
a la cinquantaine, et sa femme l'appelle affectueusement Lulu. Ce n'est
pas un homme extraordinaire. Il n'a pas les idées très claires. Il
serait même plutôt confus. D'un accident il a gardé une cicatrice à
l'oeil dont la rétine s'était décollée.
Grâce à son ami Olivier, qui lui a offert une brosse à dents
électrique, dont il ne se lasse pas de se servir, il a participé au
concours Starlight et a gagné un séjour à la montagne, à l'Hôtel Eden,
pour lui et sa petite famille. Ce changement dans sa petite vie
tranquille devrait faire du bien à cet homme ennuyeux, volontiers
routinier.
Dans la famille Forminable, je demande la mère. Elle s'appelle Jane.
Elle a quarante-six ans et est plutôt encore bien de sa personne. Avant
Lulu, elle a connu Alain. C'est elle qui avait pris l'initiative et
dirigé leurs premiers ébats. Elle était la femme de sa vie, mais cela
ne l'a pas empêché de partir pour la Californie sans avoir ne serait-ce
qu'un dernier regard pour elle.
Jane et Lulu ont convenu que lui irait au boulot et qu'elle
s'occuperait de la maison. Seulement chacun doit se montrer à la
hauteur de cette répartition des tâches, somme toute classique, qui
reproduit le schéma familial qu'il a connu. Finalement Jane y a trouvé
son compte et ne se plaint pas trop de son petit mari dont elle est
sûre qu'il aime faire l'amour, même s'il lui fait mal:
«J'aurais pu choisir un autre mari, plus solide, plus drôle, plus
riche, mais j'ai préféré Lucien, je ne sais pas trop pourquoi. Il est
touchant quand il se met en colère.»
Dans la famille Forminable, je demande le fils. Il s'appelle Arnaud.
C'est un garçon qui a les yeux en face des trous et qui n'a pas sa
langue dans sa poche. Il peut même avoir la dent dure. Il se dispute
rituellement avec sa petit soeur qui n'a d'yeux que pour son papa et
qui le défend becs et ongles, quoi qu'il advienne. Il est plutôt déluré
mais n'aime pas pour autant les cochonneries que, parfois, des
camarades lui mettent sous les yeux.
Dans la famille Forminable, je demande la fille. Elle s'appelle Émilie.
Elle souffre que son frère la batte froid et veuille toujours lui
montrer qu'il fait les choses mieux qu'elle. Elle ne comprend pas son
attitude à son égard. Heureusement, elle obtient toujours tout de son
papa chéri, y compris la fois exceptionnelle où il s'était pourtant
montré au départ plus que réticent.
Pendant toute cette journée ordinaire, dans la station de ski, Lucien,
Jane, Arnaud et Émilie se révèlent peu à peu sous leur vrai jour.
À partir de leurs pensées intimes ou de ce qu'ils se disent, des
souvenirs, parfois lointains, qui leur reviennent ou de leurs
espérances, des malentendus qui surgissent entre eux, des contacts que
des tiers ont avec le quatuor qu'ils forment, se dessinent leurs
portraits plus vrais que leur prime apparence.
L'auteur sait se mettre à la place de chacun et lui restitue toute sa
dimension humaine. Chacun s'exprimant avec ses mots d'homme, de femme,
de garçon ou de fille.
Ainsi apparaissent sous nos yeux un homme somme toute plutôt fragile,
une femme croquant la vie à pleines dents et qui ne voit le mal nulle
part, un gamin cruel avec sa soeur mais aussi à l'égard de son père,
parce qu'il est surtout livré à lui-même, et une gamine qui se pose
toutes les questions que peut se poser sur la vie une adolescente
encore bien naïve.
Aussi bien l'intérêt du livre ne réside-t-il pas dans l'intrigue, assez
mince, mais dans la profondeur qui est donnée à chacun des personnages
et qui les rend non seulement bien vivants, mais attachants.
Blog de FRANCIS RICHARD
Il
semblerait qu’on entende des voix dans ce livre, qu’on ait décidé
d’ouvrir son cœur, de s’en remettre à quelqu’un. Mais à qui? On ne le
sait pas exactement. À une journaliste, à une psy, à une avocate
chargée de démêler les responsabilités de chacun ou, peut-être, à un
lecteur. Quatre membres d’une même famille veulent en parler. De quoi?
D’une journée à la montagne. Parce qu’ils ont gagné le concours
starlight qui leur a permis de séjourner, pendant le carnaval, dans une
station de sports d’hiver. Entre exhibition et sincérité, ils vont
raconter ce qu’ils ont vu, entendu, ce qu’ils imaginent et ressentent.
Ils vont faire des déclarations sous la foi du serment. Deux
employés de restaurant apportent également leur témoignage dans cette
affaire. Le regard qu’ils posent sur ces curieux touristes égarés dans
une faune festive n’est pas celui du voyeur, plutôt celui de
l’observateur amusé. Ce regard ironique installe une distance salutaire
et offre un éclairage indirect sur ce qui apparaît comme un grave
malentendu… La dureté et la cruauté d’Arnaud, les grandes questions que
se pose Emilie, les divagations d’un père parfois absent, les rêveries
d’une mère aimant la vie par-dessus tout pourraient être celles de gens
sans qualités dont il m’arrive d’admirer la force de caractère,
l’ascétisme et le sens de la dérision.
A. M.
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Du grand Moeri
Je parle de Juste un jour, son roman récemment sorti chez Bernard Campiche.
Un titre explicite puisque le livre raconte la journée d’une famille
depuis le lever du père à l’aube, jusqu’à la scène finale, au soir,
proprement célinienne, dans un magasin bondé où les enfants qui vont
acheter du lait passent à travers un tumulte hystérique.
Ils sont quatre, les parents et deux enfants, un garçon, une fillette. Ils ont gagné le concours Starlight,
dont le prix est un séjour à la montagne lors du mardi-gras. Ils skient
observent, parlent, se chamaillent ou s’aiment. Rien ne se passe en
fait d’exceptionnel, mais à travers cette journée, se déploie petit à
petit toute l’histoire de cette famille, avec ses individualités, ses
singularités, les anecdotes de son histoire, les liens particuliers qui
unissent ses membres, sur le tableau de fond vaguement grotesque d’une
station d’hiver en plein carnaval avec des skieurs déguisés sur les
pistes. Une journée racontée par les membres de la famille, mais
aussi par deux employés de restaurant qui offrent un regard extérieur
sur ces touristes plutôt étranges dans la foule colorée et ludique.
C’est une mise à l’écart intéressante, un petit basculement de niveau
qui donne un effet de miroir au roman.
Tous ces personnages s’expriment, par monologues pris sur le vif ou par
des récits faits plus tard à des occasions diverses. Ils rêvent ou se
confient à quelqu’un, pas toujours la même personne. À un interlocuteur
qui est parfois défini, parfois vague. «Il semblerait qu’on entende des
voix dans ce livre, qu’on ait décidé d’ouvrir son cœur, de s’en
remettre à quelqu’un. Mais à qui? A une journaliste, à une psy, à une
avocate chargée de démêler les responsabilités de chacun, ou,
peut-être, à un lecteur», explique le quatrième de couverture.
Un lecteur qui se trouve au centre de cette polyphonie de voix,
lesquelles donnent au livre son sens et sa profondeur. Elles se
succèdent, reprennent, reconnaissables, définies parfois par des tics,
comme celle de l’homme qui bégaie. Un effet réussi. C’est délicat, le
bégayement dans l’écrit, ça peut vite devenir pénible. Ici, au
contraire, ça induit des résultats de comique irrésistible.
Ce travail sur l’oralité est renforcé par une position narrative qui a
évolué depuis les derniers volumes de Moeri. Le narrateur n’est plus
cet être détaché, observateur, qui observe les insectes humains depuis
l’extérieur de leur monde. Il y a dans Juste un jour
moins d’études de cas particuliers qui puissent donner l’occasion
d’idées générales et de jugements globaux sur la société, et plus
d’implication dans une matière vivante, fertile, organique, proche,
plus d’individualisation et de complicité avec les êtres et le monde.
Esthétique nouvelle, contenu riche. Du grand Moeri, je vous le dis!
Blog d’ALAIN BAGNOUD
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«L’écriture, une hygiène de vie»
Antonin Moeri vient de publier son dernier livre. Juste un jour
marque une nouvelle étape dans son écriture. L’ironie laisse place à
une forme d’empathie avec les personnages. Rencontre à Genève avec cet
écrivain passionné par les voix et l’écriture polyphonique, devenu
l’une des plumes très sûres de Suisse romande.
Avec ce nouveau roman, le ton d’Antonin Moeri a changé. Il était très ironique dans ses derniers livres, Paradise now paru en 2000 et Le sourire de Mickey
(2003). Il se tenait dans une forme de posture de connivence avec ses
lecteurs, analyse-t-il: «L’ironie, c’est très délicat. C’est un clin
d’œil aux lecteurs et aux lectrices qui sont d’accord avec vous. Je
pense aujourd’hui que je n’ai pas à établir ce contact.» L’ironie est
aussi dangereuse lorsque l’on tombe sur des lecteurs qui ne sont pas de
votre côté. Pour dire les choses simplement, Antonin Moeri a développé
plus d’empathie avec ses personnages dans son dernier livre, ce qui
devrait lui attirer de nouveaux regards. Ce changement de ton, l’auteur
l’a clairement mûri. «J’étais arrivé dans une impasse avec un narrateur
qui prononce et qui juge. Là, je voulais être plus proche de mes
personnages. C’est aussi pour cela que j’ai décidé d’entrer dans leur
tête pour restituer leur propre discours sur les événements. Me mettre
dans la tête d’une fille de dix ans, dans son foyer de perception, ça,
ça m’intéresse.» Juste un jour, c’est une histoire de famille. Ses
quatre membres sont réunis pour une semaine à la montagne. En entrant
dans leurs voix, on entre dans leur intimité et dans leurs relations.
C’est le point de départ du livre, explique Antonin Moeri: «Je voulais
raconter l’histoire d’une famille de la classe moyenne et m’interroger
sur ses possibilités dans cette société où se développe
l’individualisme.» Sa famille à lui, c’est «marié, deux enfants» et le
constat que la vie familiale d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir
avec celle d’hier. Né en 1953, il explique avoir grandi dans un foyer
«à l’ancienne. Mon père était un roturier qui est devenu cardiologue et
homme de goût. Il se tenait toujours au bout de la table, chacun avait
sa place, tout avait un ordre.» Pour les personnages du livre, la
semaine à la montagne ne présente pas que de l’ordre. Certains éléments
des rouages de la machine sont enrayés, des rancunes tenaces
pourrissent l’atmosphère. Une histoire de famille, ça peut parfois très
mal tourner autour d’un événement parfaitement anodin, comme un
rendez-vous manqué au restaurant. Antonin Moeri raconte cette histoire
dans une forme de polyphonie. Les quatre membres de la famille et deux
serveurs de restaurant se confessent tour à tour à un individu non
identifié qu’on peut imaginer sous les traits d’un psychologue.
Une littérature de voix
Cette structure, commente Antonin Moeri, lui a été soufflée par ses
lectures: «Après mon dernier livre, j’ai été invité à l’Université de
Salamanque. J’ai choisi de parler des voix. J’aime la littérature de
voix comme chez Céline ou chez Faulkner.» C’est ce dernier, qui a
largement inspiré le style de Juste un jour: «J’ai parlé, à Salamanque, de L’Explication des oiseaux de Lobo Antunes et de Tandis que j’agonise de Faulkner, dans lequel une quinzaine de personnages se livrent à des monologues.»
Résultat de ces choix, bien sûr: l’absence d’un narrateur omniscient,
une option également revendiquée par l’auteur: «Je n’ai jamais écrit
avec un narrateur omniscient. C’est une question d’honnêteté. Ce qui
m’intéresse, ce sont les histoires vues par le regard de quelqu’un.
C’est aussi que je veux transmettre des émotions.»
Un équilibre
La structure choisie et le goût d’Antonin Moeri pour la nouvelle le
poussent à mener dans ce roman de courtes histoires parallèles qui
frappent les unes après les autres. Il manque parfois un souffle
général qui les tienne ensemble. Antonin Moeri reconnaît d’ailleurs
volontiers «être plus fort dans les séquences narratives courtes».
Malgré une expérience romanesque fournie (essentiellement à L’Âge
d’Homme). Antonin Moeri fait partie des écrivains très sûrs en Suisse
romande. Il faut le lire pour lui donner une deuxième raison d’écrire,
car la première tient à son équilibre personnel: «Ma vie sans écriture,
je ne l’imagine pas. J’aurais tendance à m’aigrir. J’adore mon métier
dans l’enseignement, mais écrire me permet d’être plus équilibré. Ça
m’évite d’aller chez un psy. L’écriture fait partie d’une hygiène de
vie.»
CHARLY VEUTHEY, La Gruyère
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Commencé dans le registre d'un roman à suspense, le dernier roman d'Antonin Moeri intrigue. Juste un jour
est un récit polyphonique, livré tour à tour par chacun des membres
d'une famille, nous narrant une journée passée dans une station de
sports d'hiver. Le premier à témoigner sous la foi du serment — devant
une avocate, une juge ou une psychologue? l'auteur ne le précisera pas)
— et à revenir sur les circonstances de cette journée étrange, est
Lucien (la petite cinquantaine). Epoux de Jane, père d'Arnaud et
d'Emilie (environ 12 et 10 ans), Lucien, affublé du patronyme équivoque
de Forminable, individu solitaire rongé par de nombreux doutes,
s'autoproclamant colérique, hystérique et rancunier, s'interroge,
cherche à se souvenir. S'embrouillant dans un flot de paroles au
courant sans cesse interrompu, il a de la peine à démarrer le récit des
évènements qui ont rythmé cette journée de vacances, prix d'un séjour
gagné pour avoir participé au concours Starlight. Procédant par
flashback, l'auteur nous donne à lire les versions successives de son
épouse, suivies de celles de leurs deux enfants: «Entre exhibition et
sincérité, ils vont raconter ce qu'ils ont vu, entendu, ce qu'ils
imaginent et ressentent. Ils vont faire des déclarations sous la foi du
serment.» Par des tours et détours verbaux particulièrement percutants,
inattendus et toniques, chacun improvisant selon le registre dicté par
sa place dans la hiérarchie familiale, Antonin Moeri restitue le climat
social et intime d'une époque. En décortiquant le pouvoir donné aux
mots, l'auteur ironise sur les déroutes de tout ordre imposées par un
monde placé sous le diktat de l'urgence. Ainsi, l'obsession de la
performance dans un but de productivité et d'efficacité maximales
dérange et perturbe Lucien. Ce dernier n'arrive à se conformer au
modèle dominant. Comme dans ces séries fréquemment programmées sur la
plupart des chaînes de nos écrans TV dont la problématique est de
suivre «jour après jour» les destins de personnes dévorées par un mal
sournois (jalousie maladive, autisme avéré, ou couples en mal
d'adoption par ex), nous assistons heure après heure au défilé des
sentiments et actions rythmant la vie de chacun, qu'il se pose en rival
de sa sœur ou se prépare à trahir son conjoint.
Ce qui plaît et divertit dans Juste un jour,
ce sont précisément les changements de style et de points de vue amenés
par cet entrelacement de voix de niveaux différents. Parti d'un simple
quiproquo, l'auteur transforme ce récit somme toute fort banal en
questionnements successifs. Il réussit par des raccourcis bien
enchaînés à nous faire sourire, nous toucher et plus encore nous
surprendre. Tel un artisan confectionnant une mosaïque, l'auteur
passe en revue tous les sentiments entremêlés qui composent les
relations de couples, que celles-ci reposent sur la confiance ou
qu'elles soient proches de la rupture. De la même façon, Antonin Moeri
évoque tout ce qui agrémente et rend si difficiles parfois les
relations de famille, d'amis, qui, de fait, composent la vie de chacun.
Que le nœud de l'intrigue réside en un rendez-vous manqué, La Triade
pour La Grillade, peu importe. Si en refermant l'ouvrage on éprouve
presque le sentiment d'être passé à côté du sujet principal, tant pis
ou tant mieux. Le lecteur a juste l'impression qu'il s'est agi d'une
journée un peu fêlée par ce rendez-vous manqué. Marqué par le sentiment
qu'il lui a échappé quelque chose, il se remettra à lire les premières
pages… peut-être pour y trouver, dissimulés dans quelque arrière-plan
caché, des indices pour mieux synthétiser l'ensemble. Tenter de trouver
une logique à ce qui, aux yeux de certains, n'aura eu l'apparence que
d'une valse-hésitation, tel restera le défi de ceux qui liront Juste un jour. Pour le plaisir de se laisser prendre au jeu proposé par l'écrivain.
BRIGITTE STEUDLER, culturactif.ch
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Une famille de notre temps sous la plume d’Antonin Moeri
Le nouveau roman de l’écrivain romand, Juste un jour,
parle du monde actuel avec une lucidité pénétrante et drolatique. La
preuve est ici faite que l’amour et l’humour sont plus forts que la
déprime d’époque.
C’est un livre à la fois clairvoyant et délirant que Juste un jour
d’Antonin Moeri. Ingénieusement construit et dont le plancher se dérobe
à tout moment sous le pas du lecteur, un roman choral à quatre voix
alternées auxquelles s’en ajoutent quelques autres (une psy quelque peu
fantomatique et deux homos jouant les utilités narratives, notamment)
pour tracer du dehors et du dedans le portrait en mouvement d’une
famille d’aujourd’hui. Jane la mère, Lucien le père, et les deux ados,
Arnaud et Émilie, cristallisent une somme impressionnante
d’observations sur les fantasmes de bonheur généralisé de notre
société, ici à l’occasion d’un séjour en station de sports d’hiver (à
l’Hôtel Eden) gagné par la famille Forminable [sic] à l’enseigne du concours Starlight.
Le récit se fait sur «contrat», dans le probable cabinet d’une pro de
l’«écoute». Chacun leur tour, les deux adultes et les deux ados vont
raconter «juste un jour» de leur séjour paradisiaque, et se déboutonner
par la même occasion, parfois jusqu’au tréfonds de leur intimité – Jane
surtout.
Tonalité nouvelle
Le bafouillement est au premier rendez-vous de Lucien, qui cherche
aussitôt à se justifier, invoquant l’urgence éprouvée de sortir d’une
situation dite «sur la jante», entre stress et ras-le-bol, que la
mirifique promesse d’un «ailleurs» où «tout est possible», devait
évidemment pallier. D’emblée, aussi, la promesse de Lucien de dire
«toute la vérité» déborde au fil d’un déballage où l’emballement des
mots et des idées associés sera relancé tour à tour par Jane, Arnaud et
Émilie. Le langage lui-même est en effet la grande affaire de Juste un jour. Antonin Moeri s’aventure aussi bien, après une série d’autofictions mémorables (Le Fils à maman en 1989, à L’Âge d’Homme, suivi de L’Île intérieure, Les Yeux safran ou Cahier marine) et des nouvelles de plus en plus incisives (Paradise now et Le Sourire de Mickey),
dans la construction d’un roman d’une tonalité nouvelle. Le grand
intérêt de Juste un jour, en effet, tient à cela que les personnages (à
commencer par Jane) prennent le pas sur l’auteur lui-même, ou plus
exactement sur le personnage type des livres précédents de l’auteur,
plus narcissique.
Vision pénétrante Au gré des regards
croisés des parents et des enfants, l’ouvrage devient roman d’amour et
d’humour. Les Forminable se regardent les uns les autres comme de
drôles d’animaux, mais ils s’aiment. Jane pourrait donner l’impression
d’une obsédée sexuelle ne pensant «qu’à ça», alors qu’elle fait office
à la fois de maman, d’amante et de régulatrice de tous les thermostats.
Lucien est un maniaque que les siens observent avec autant de
perplexité que d’inquiétude (il casse volontiers les tables et se lave
les dents avec une passion compulsive), et pourtant ils l’aiment tous.
Très étonnant est le regard que les ados portent sur leurs parents, où
des règles conventionnelles n’ont apparemment plus cours alors que la
demande de respect se fait d’autant plus impérieuse. Bref, la preuve
est ici faite que l’amour et l’humour sont plus forts que la déprime
d’époque, et la revendication sainement jalouse d’une femme et le
sérieux plus sain encore d’une paire de mômes y sont pour beaucoup. La
modulation formelle de Juste un jour
est parfois inégale, mais l’important est ailleurs: dans la vision
pénétrante de l’auteur sur le drôle de monde dans lequel nous vivons,
et dans sa généreuse et très originale ressaisie verbale.
JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures
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Scènes familiales aux sports d’hiver
Il y a le père, la mère, le fils et la fille: famille standard,
moyenne, type, du genre de celle qui n’a pas d’histoire(s). Et
pourtant… Lucien (dit aussi Lulu) a, grâce à son ami Olivier, gagné au
concours «Starlight» un séjour au ski pour parents et enfants, dans un
bel hôtel. On les côtoie donc tous les quatre pour une journée de
neige; «côtoyer» est insuffisant: on fait leur connaissance d’une
manière à la fois intime et panoramique. Chacun d’entre eux (le dit
Lucien, son épouse Jane, les enfants Arnaud et Emilie) monologue tour à
tour, s’adressant à un mystérieux auditeur, présent mais le plus
souvent silencieux, qui pourrait bien être le lecteur lui-même. Chacun
dévoile ainsi sans vergogne ses pensées, ses sentiments, ses souvenirs,
ses fantasmes, ses hésitations, ses colères, ses doutes, sur soi et sur
les autres membres de la famille. Les petites et grandes rancunes vont
bon train, les incompréhensions s’expriment, les querelles se
matérialisent, et simultanément la constance, la tendresse et l’amour
sont toujours là, un peu, beaucoup…
Les protagonistes s’observent individuellement et mutuellement, mais
ils sont aussi observés d’un œil narquois et perplexe par des témoins
très extérieurs, des serveurs de restaurant d’altitude; le roman se
fait alors analyse sociologique et psychologique, toujours entre
tragédie et comédie.
Antonin Moeri, écrivain, est aussi homme de théâtre. Et la théâtralité
est bien présente dans ce récit qui ne donne la parole qu’aux
personnages, plaçant le lecteur en position de spectateur, et même de
voyeur... Autant de chapitres, autant de tableaux mettant en scène des
êtres qui nous ressemblent, mais qui, en situation exceptionnelle,
s’agitent dans un état de crise qu’on ne peut déceler qu’entre les murs
d’une scène imaginaire; celle-ci, en l’occurrence, est localement
circonscrite à la montagne, une montagne domestiquée sous la forme
d’une station de sports d’hiver, à la fois ouverte et contraignante,
lieu de dépaysement et de dévoilement.
JEAN-PIERRE LONGRE, sitarmag
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Un jour à la montagne
Quatre membres d’une même famille parlent d’une journée à la montagne.
Ils racontent ce qu’il sont vu, entendu, ce qu’ils imaginent et
ressentent. Entre exhibitions et sincérité, ce qu’ils observent dans
cette station de sports d’hiver pourrait bien constituer le miroir de
leurs propres désirs et défaites, entre ascétisme et dérision.
SERGE BIMPAGE, La Vie protestante
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Une journée au paradis
La
neige est là, le Moeri nouveau aussi, un huis clos aux portes ouvertes,
un roman centrifuge(éclaté) centripète(mosaïque) qui obéit sans lui
obéir au célèbre vers: Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.
C'est parlé, monologué, dialogué, construit, classique et moderne,
voire postmoderne. Le sujet: famille je vous aime, famille je vous
hais, histoire de couple. Lauréate d'un concours, la famille
Forminable, oui il y a de l'humour même dans les noms propres, Papa
Lucien, Maman Jane, Arnaud et Émilie se retrouvent à l'Hôtel… Éden
pour un séjour de ski paradisiaque. Ce qui suit est donné sous toutes
réserves car rien n'est sûr dans ce monde où, comme le disait
Pirandello, À chacun sa vérité.
En dix-sept chapitres, dont certains chez une psychothérapeute
familiale, on suit la journée de neige de la famille et de leurs
proches amis ou amoureux rendus présents par l'évocation, le rêve, le
souvenir. On y lit des histoires de pistes, d'accidents, de bris de
table, de conflits, d'évitements de conflits, de gens ordinaires,
parfois dépressifs ou délirants, plutôt beaux et intelligents, de la
classe moyenne, qui ont tout pour être heureux, en somme.
On joue avec bonheur et bonne humeur, voire rouerie, comme chez Layaz,
avec les mots, bégaiement, hochet. La distance est aussi renforcée par
la présence de deux groupes de trois serveurs dans deux bistrots aux
sons semblables, La Triade et La Grillade,
objets d'un quiproquo. Ils offrent une autre vision de nos
protagonistes qui s'attendent mutuellement dans chacun de ces
restaurants: un trio de Portugais dont au moins deux gays là-bas, trois
plus basanés, dont une Noire là, genre de chœurs à la grecque et de
psychanalyse sauvage improbable, décalée et pertinente. Le cocasse,
l'imprévu dans une journée banale, où il ne se passe rien, de ces riens
qui peuvent faire basculer une vie. La tension monte au fil des
chapitres, les plaisirs et les angoisses de chacun se dévoilent. La
sexualité transparaît clairement, émouvante et ridicule tout à la fois,
pathétique même à l'occasion. L'image de la paternité et de la virilité
est corrodée subtilement, sans méchanceté, on pourrait dire avec un
certain amour, dans le même temps où sont réaffirmés de façon
incantatoire les bons sentiments.
Ce roman à la construction sophistiquée et surtout habile, qui entraîne
irrésistiblement le lecteur, offre ainsi des visions variées d'une
réalité dynamique, insaisissable, évanescente peut-être, mais qui
correspond à ce qu'on appelle vulgairement la réalité. Si nous
demandons à un roman de nous émouvoir et de nous amuser par les rêves,
les remémorations, les imaginaires de ses narrateurs et d'éveiller
quelques doutes, de provoquer quelques vibrations autour de notre
réalité quotidienne, de jouer avec le langage, de créer un monde
nouveau en résonance avec l'un de nos mondes intérieurs, c'est ce que
réussit magnifiquement son auteur.
PIERRE YVES LADOR, Le Passe-Muraille No 74
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Une sacrée histoire
Antonin Moeri débarque avec un nouveau roman, «Juste un jour». Et que ça pétille, dans ces pages à plusieurs voix!
Vous êtes prêt à vous lancer dans l’aventure, c’est-à-dire à vous
laisser emporter dans les pages d’une plutôt détonante histoire de
famille? De la voir, cette famille, papa, maman, leurs deux jeunes
enfants, à l’œuvre dans l’une de ses journées, aux sports d’hiver, à la
montagne? Alors enfilez-vous bien vite dans les phrases de ce roman
d’Antonin Moeri. Et vous n’allez pas tarder à vous laisser prendre aux
mots de ses dix-sept séquences, pour de festifs moments.
Parce que cette histoire éclate et rebondit d’une voix à l’autre. Il y
a celle du père Lucien, celle de la mère Jane, celle du fils Arnaud,
celle de la fille Emilie, auxquelles encore s’en ajoutent d’autres, qui
témoignent à leur manière de la journée.
Cette polyphonie fait -pétiller les pages de Juste un jour.
Chacun se dit, dans le particulier regard qui est le sien, dans sa
manière caractéristique de s’exprimer, dans son horizon, dans ses
sentiments, parfois dans son intimité, dans ses désirs, dans ses
singulières attentes…
Quelles plurielles histoires passent ici dans ces voix, se cherchent, s’éloignent, se croisent et se retrouvent…
Mais quelle histoire où nous voilà emportés, heureux lecteurs que nous
sommes, dans ce drôle de monde et son délire mesuré… Une sacrée
histoire, dans la quête de ses langages.
JEAN-DOMINIQUE HUMBERT, Coopération
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