Musicien, poète, scénariste, le Lausannois Séphane Blok s’offre à la quarantaine une bouffée de free-jazz littéraire
Ébouriffant, intrigant. Dans Les Illusions «roman difforme» où les chapitres organisent à peine le chaos ambiant, l’auteur ne manque pas de rappeler que le lecteur lit Les Illusions. Un ange foutraque passe… À sa suite, Le Journal d’Erik Suger,
carnet intime du film, Xème «journal d’un prisonnier», qu’il compose
avec Pierre-Yves Borgeaud, livre ses aphorismes: «Je me dévoile pour
parler d’autre chose.» Sous le chahut des formules, longueurs et
confidences perce une folle liberté. Une manière de se moquer du monde
entier, et de sa propre personne, s’esquisse, sans que le cynisme ne
vienne pervertir un état des lieux poétique. À expérimenter.
24 Heures, «Notre sélection»
Pensée en fragment et désillusions
La vie, la vraie vie, tout ce qu’on croit voir et ressentir, est posé
délicatement dans ces pages. Ce sont là des éclats de tout, des bribes
de pensées, des morceaux de choses choquantes, blessantes mais surtout
vivantes. Le résultat est troublant: le lecteur se trouve pris entre
des courants antagonistes, des questionnements brefs mais profonds tels
que l’absurdité de la société de consommation ou la dureté de la
sexualité. Il semblerait que cette vie d’illusions soit beaucoup plus
simple que ce que l’on en dit: la mort n’est finalement que deux ondes
de chocs, les rencontres sont d’une simplicité pathétique, vaines et ne
mènent à rien.
Le manque de structure et d’uniformité de l’ouvrage conduit à des
«flash» de questionnement. Le mélange des styles rend le tout plutôt
étrange et le lecteur se sent quelque peu décontenancé par cette
réalité alternative. Cependant, les thématiques volatiles correspondent
au style choisi: un poème pour un amour passionné, un dialogue pour une
nouvelle rencontre, un titre pour une ouverture sur un monde de pensée
infini. À l’évidence, la spontanéité et l’instant volé guident le
parcours du lecteur et amusent le narrateur, qui joue des mots, les
manipule, les inverse, les lie puis les délie. La réalité, la société
et la publicité nous mentent et c’est là tout l’enjeu de ces illusions
nourries au nom de la rêverie et de la poésie.
Il semblerait que le passé et le présent obsèdent l’auteur. Un culte de
l’instant est continuellement sous-jacent: «On a tous en trente-deux
ans sauf ceux qui sont morts avant et ceux qui sont morts après et qui
ne sont plus là pour se souvenir.» L’éphémère se transforme en dieu et
la nostalgie en muse cruelle: le temps trace ses sillons dans la vie de
l’homme mais la mort est si peu de chose. Un corps endormi qui ne se
réveillera pas, un vide simple et complet: «Je ne constate plus que les
souvenirs ne sont rien», ainsi va la vie, sans teinte aucune de
tragédie mais plutôt avec une pointe de délivrance et de sérénité
retrouvée. Le hasard guide les rencontres, les séparations et les
dialogues préfabriqués. Autant d’instants incongrus, insaisissables et
brillants d’une lueur neuve adoucie par de tendres réflexions: «Le
monde a surtout ceci de mystérieux de qu’il a d’explicable.»
La société de consommation prend une place prépondérante dans
l’analyse. En effet, des répliques publicitaires s’intercalent entre
deux instants poétiques, une recette de cuisine macabre, un concours
pour les enfants dérivé en provocation. C’est l’absurde de notre
nouvelle culture que cela tends à démontrer: consommer toujours plus,
le sexe pour le sexe, la zoophilie, les images impudiques exposées aux
enfants, les jeux employés par les sociétés pour faire consommer à tout
prix: «Désirez-vous vivre avec une dentition d’une blancheur
éclatante?», sans cesse une page de publicité se tourne. Même le
système judiciaire semble corrompu en formant des agents
incompréhensifs et agressifs, conditionnés dans la rapidité et
l’efficacité: un interrogatoire revêt des airs d’accusation sans preuve
et aboutit à la signature d’aveux par la force.
Au fil du texte, la recherche de la terre promise, du nirvana,
s’intensifie. Les rêves se façonnent et créent une société utopique
faite de fleurs, d’herbe, d’amour et de tranquillité. Bien loin de
l’absurdité du monde et de la ville, de la soumission d’hommes à
d’autres hommes, de cette hiérarchie informelle qui ronge l’égalité.
«Oh! les idées ultimes, absolues! Elles seules peuvent être vraies
parce qu’elles sont comme les choses absolues. Car si les choses
n’étaient pas absolues, elles ne seraient pas ce qu’elles sont mais
l’idée qu’on s’en fait.»
PAULINE RAIS, Les Lettres et les Arts
De bric et de Blok
Petit recueil de poésie qui n’en est pas un: c’est un «roman difforme»
selon l’auteur. Des mots décousus, des images dépareillées, des
sentiments opposés. Et un ensemble en savoureuse barbe à papa, à
picorer quand l’envie s’en ressent, au hasard des humeurs et du temps.
Pour les gueules de bois, un «petit bonhomme gras / déboule dans ma chambre / {…} Vous avez été très ridicule l’année dernière, on vous le fera sentir». Pour retrouver le sourire, un «je
suis venu ici / tout spécialement / te croiser par hasard / mais il n’y
a pas de hasard / et je ne sais pas pourquoi / tu n’es pas là». Pour la contrition, un «alors même que tu baises ailleurs que dans mon lit».
Et aussi de la douceur, du sexe, de la violence, de la naïveté, de la
divagation. Ce premier livre du poète musicien lausannois
Stéphane Blok est délicieusement à part. Il est désorganisé, parle de
tout et de rien, et saute du coq à l’âme.
ALINDA DUFEY, Vigousse
Les vibrations littéraires de Stéphane Blok
Musicien, auteur-compositeur, chanteur, Stéphane Blok est aussi poète et écrivain. Le Lausannois publie son premier livre, Les Illusions, où l’on retrouve son talent de dire le monde et ses vibrations.
Terrasse d’un café lausannois. On commence par parler de ce quartier,
autour du Tunnel. Son quartier. «Un des seuls de Lausanne où on a
l’impression d’être dans une grande ville.» Parce que l’on y sent une
vie, de nuit comme de jour. Parce que l’on s’imprègne de la vibration
du monde, cette force qui nourrit Stéphane Blok, sa musique, ses
chansons, ses poèmes. Et, désormais, ce «roman difforme», premier livre
qu’il vient de publier chez Bernard Campiche.
«Je suis enchanté de mettre un pied dans ce monde des imprimés. À
l’heure où le disque explose, un bon vieux livre reste un très bel
objet.» Premier livre mais pas premier texte. «J’ai déjà beaucoup
écrit: pour des chansons, pour des chœurs, des scenarii, des nouvelles…
C’est chouette, à quarante ans, d’officialiser tout ça.»
Ce livre, Les Illusions, il le
qualifie de «roman difforme». «Je n’avais pas envie de l’appeler poème,
alors que c’en est bien un… L’expression “roman difforme” indique qu’on
peut le lire dans l’ordre, même si ce n’est pas une écriture
narrative.» Après une ouverture au parfum biblique («C’est ainsi: un
soir, puis un matin»), le lecteur plonge dans un tourbillon de
rencontres, de déambulations, de sexe, d’amours, de violence parfois.
Nous voici ballottés entre les illusions intérieures et extérieures,
celles qui nous assaillent tous les jours. D’où ces références à
la publicité et à la pornographie, illusions par excellence. D’où
aussi des mots crus, des scènes trash. «Mais le monde qui nous entoure
est bien plus dur que ça», relève Stéphane Blok.
«Rien d’intello»
Ce qui séduit avant tout dans Les Illusions,
c’est le travail sur le rythme, sur la sonorité de la langue. «L’aube
fraîche et bleue. Le premier rayon impact arrive et réchauffe
instantanément le bout de bras de main de visage point de contact l’eau
cachée jusqu’alors brille d’un coup plie la feuille verte les herbes
tout autour scintillent.» Ailleurs, les vers prennent la forme
d’aphorismes: «Le monde a surtout ceci de mystérieux / ce qu’il a
d’explicable.» Ou de sentences défiinitives: «Stop / Boire de l’eau
douce pour ne pas mourir.»
«J’ai eu envie de jouer avec la matière des mots pour générer des
émotions», explique Stéphane Blok. En utilisant différentes formes
poétiques (le haïku par exemple), en travaillant par échos, par
confrontations. «Il y a un travail de construction, une architecture,
mais ça n’a rien d’intello. C’est plus une recherche de sensation.» Un
travail de longue haleine: le texte a été commencé il y a une dizaine
d’années, avant d’être «mis au frigo» puis présenté à Gilbert Salem,
écrivain et journaliste. Qui l’a encouragé, conseillé.
Briser les formes
Aux Illusions, Stéphane Blok a ajouté Le Journal d’Erik Suger, écrit pour le film Ixième, journal d’un prisonnier, coréalisé en 2003 avec Pierre-Yves Borgeaud (Léopard d’or à Locarno) et Biographie,
«un petit poème qui dit comment nous sommes déterminés par nos codes
d’accès, nos PIN, nos cartes bancaires, nos polices d’assurance… Je
pense que ces trois textes donnent un bon reflet de ma manière d’écrire.
Ces trois formes sont dissemblables, mais cousines.»
S’il entend bien continuer dans cette nouvelle voie («écrire pour un
livre, c’est une autre qualité d’instant»), Stéphane Blok ne laisse pas
la musique de côté. Il vient de créer un projet solo, au 2.21, Chants d’entre les immeubles,
qui devrait bientôt partir en tournée. Pas question en revanche de
s’enfermer à nouveau dans le format «disque de chansons». Travailler
pour le théâtre contemporain ou avec le contrebassiste Léon Francioli
l’ont encouragé dans son refus des cadres établis. «J’ai envie de
chercher, de générer des émotions. Et toutes les formes le permettent.»
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
Stéphane Blok rejoint la famille de l’éditeur Bernard Campiche qui publie, avec Les Illusions, un livre inclassable, désabusé mais à fleur de peau. En trois volets – Les Illusions, roman «difforme et trashy», Le Journal d’Erik Suger et Biographie,
poème –, le musicien et poète lausannois prouve que son univers sonore
tient la route par écrit. Même décousu, même minimaliste et absurde, il
se dégage de ce volume assez de fougue pour que seule sa fulgurance
poétique, acide et mélancolique, laisse sa trace.
ISABELLE FALCONNIER, L'Hebdo
Bonjour,
désires-tu boire quelque chose? L’air est agréable il flotte une odeur
d’été de fin d’après-midi de lumière bientôt rasante, oui volontiers
excuse-moi je me permets de te redemander ton prénom il y a beaucoup de
monde ici.
*
Je me réveille à peine
Un petit homme gras
Dans un costume trois pièces
Bleu marine rayé blanc
Déboule dans ma chambre
«Vous avez été très ridicule la nuit dernière,
on vous le fera sentir»
Je n’ai pas le temps de répondre
Il s’en va
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