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La flamme et les cendres
Dans La Gazelle tartare,
Asa Lanova ressaisit la matière d’une existence marquée par la peur de
vivre et la recherche de l’absolu, avec un mélange détonant de verve et
de poésie
À vingt ans, Maryse était une
jeune danseuse lausannoise promise au plus bel avenir. Un premier rôle
d’Ophélie, avec Maurice Béjart pour partenaire, marqua simultanément sa
première panique. Fuyant un amour naissant, fuyant la danse, elle
devint plus tard écrivain sous le nom d’Asa Lanova. Sept livres ont
abouti à ce dernier récit d’une nouvelle profondeur, marqué par la
solitude mélancolique et le deuil, mais aussi l’humour et quel sursaut
de bonne vitalité.
La sagesse des braves gens
répète qu’on ne peut être et avoir été: que nul n’échappe à la loi du
temps qui passe et qu’il est chimérique de croire à la jeunesse
éternelle, sauf à pactiser avec le diable. Or, même à l’ère des oiseaux
mazoutés, il reste des poètes rêvant à l’albatros bravant toutes les
pesanteurs et des jeunes filles attendant le prince charmant à la
fenêtre de leur tour HLM – et telle demeure la narratrice de La Gazelle tartare en dépit d’une vie plutôt mouvementée dont témoignent, de La Dernière Migration (Régine Deforges, 1977) au Testament d’une mante religieuse
(L’Aire, 1995) des livres marqués au sceau d’un érotisme entêtant,
voire torride, mais nullement superficiel. Une constante traverse en
effet les écrits sur feuillets bleus d’Asa Lanova, et c’est une sorte
de panique frisant parfois le délire, à base de carence affective,
d’incertitude, de peur de vivre (cette «gangrène de l’âme») et de
terreur de n’être pas à la hauteur. Son insomnie chronique la taraude
plus que jamais au moment où elle entreprend ce nouveau récit, dont le
déclencheur est le visionnement d’un film consacré à Maurice Béjart et,
de fil en aiguille, le ressouvenir d’un bref amour de jeunesse qu’elle
a fui comme elle fuira bientôt la danse où on lui promettait le plus
bel avenir. Cette irruption de son passé de jeune fille en fleur
coïncide avec une confrontation plus douloureuse, après des années
éprouvantes de dérive en Égypte et de dèche en haute-Savoie, avec la
décrépitude de sa mère frappée par la maladie d’Alzheimer. Amorcé dans
le jardin retrouvé de son enfance, où son grand-père terrien l’initia
aux beautés de la nature et où reposent les cendres de son père, le
récit de La Gazelle tartare va se développer en spirales
narratives creusant alternativement dans le passé de Maryse (son vrai
nom) et rejoignant le présent d’Asa, dans un brassage proustien où la
«traque des mots», dont la romancière a la passion précise et parfois
précieuse (le «charabia chéri» que lui reproche gentiment son mentor,
le grand découvreur Georges Belmont, ami de Joyce), exprime cette
«Force de vie» qu’entretiennent également la discipline ascétique de
ses exercices quotidiens à la barre et ses soins de soeur franciscaine
zoophile à sept chats flanqués d’une chienne du désert?
Petite fille et sorcière
L’univers d’Asa Lanova est apparemment un vrai souk, mais c’est vers une nouvelle simplicité dépouillée que nous conduit La Gazelle tartare,
au terme d’un récit tour à tour émouvant et burlesque, truculent à
souhait lorsqu’elle évoque un séjour de cinq ans à Alexandrie, et très
poignant par l’évocation de la fin de sa mère. Il y a chez elle un
mélange de terrienne vaudoise et de mystique «allumée», de sauvageonne
complice de la Vouivre et d’artiste retrouvant, chez ces grands vivants
que furent Henry Miller ou Lawrence Durrell, la flamme pure,
transfigurée par la littérature, d’une vie de bohème où plaisirs et
«châtaignes» firent florès. Dès le départ de son récit, la figure
magnifiée de «Satan», ainsi qu’elle surnomme Béjart en qui elle voit un
«messager d’amour entre le monde et la Beauté», devient l’objet d’une
rêverie obsessionnelle qu’un rendez-vous téléphonique fixe dans le
temps et l’espace. Or verra-t-on, à l’automne, Tristan et Iseult se
retrouver enfin pour finir leur vie sur un tardif canapé conjugal?
C’est ce qu’elle s’obstine à croire en invoquant l’ «éternel retour» et
en se repassant Wagner sur son pick-up. L’intéressé, avec la tendresse
des sages, lui objectera pourtant: «Je ne puis raccorder ce qui fut à
ce que nous sommes devenus. Aussi, gardons intacte la beauté du
souvenir?».
La «vraie vie» restituée
Au demeurant, il serait mesquin de voir en La Gazelle tartare
l’exploitation d’une «affaire» susceptible de publicité. S’il est
certain que la narratrice croit vraiment qu’elle va retrouver cet amour
de jeunesse, si fugace qu’il ait été, c’est qu’elle sait chez lui cette
même Flamme inextinguible qu’elle désespère de trouver auprès de ses
compagnons ordinaires. Avec la même candeur, et cette crédulité un peu
«barjo» qui la fait se convertir un temps à l’islam et se frotter à
l’occultisme, elle ne cesse de lorgner vers l’Infini, l’Éternel et
l’Absolu, tout en gardant les pieds sur terre avec ce bon naturel et
cette fougue vitale irriguant ses meilleures pages. C’est ainsi, au
final, un livre plein d’amour et de mélancolie, mais aussi de courage
et de drôlerie que La Gazelle tartare, où l’inaccessible (désigné par l’expression arabe du titre) devient matière humaine par le miracle des mots.
JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures
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Petite danseuse a cassé son jouet
Asa Lanova L’écrivaine et danseuse n’a jamais vécu autrement que dans l’art et la passion solitaire.
Sa mère a tout jeté. Toutes les photographies de son passé de danseuse,
ses premiers tutus, ses premiers ballets sur la scène d’une école de
danse de Lausanne. «Frustrée d’avoir arrêté la danse», raconte la
grande petite fille maigre revenue depuis deux ans dans la maison de sa
mère à Pully, entourée de ses onze chats pour la plupart arrivés avec
elle d’Alexandrie. Sur les rares images qui restent, sauvées des
larmes, on voit une petite fille bouclée «qui voulait douze enfants»,
«sauvage et tendre», guidée pour toujours dans la vie par «une faim de
tendresse infinie». Maryse Jaton, devenue Asa Lanova à l’âge de
ving-quatre ans, est née le 17 mars 1933 à Lausanne. «J’ai souvent
remarqué que les poissons étaient rêveurs, voire paumés?» Mais c’est
l’automne qu’elle aime – une saison «d’intériorités».
Papa architecte, maman à la maison. Enfant unique. Des parents trop
jeunes, qui laissent les grands-parents l’élever. «Ma mère aimait
surtout les bals. Mon père me reprochait de briser sa vie
d’architecte?» Le grand-père maternel fonde la Coopérative de
consommation. «Un fils de paysan, un homme de la terre doublé d’un
érudit. Il m’a tout donné.» Il meurt quand elle a quinze ans, «un
drame».
Lui et sa Mathilde, sa volcanique Mathilde, à qui il écrit des lettres
enflammées jusqu’à la fin de sa vie, composent l’univers de la gamine.
Mathilde est romanesque, exaltée, extravagante. Elle ne s’entend pas
avec la mère d’Asa, qui la mettra dehors de la maison familiale à la
mort de son grand-père. «Je n’ai jamais pardonné à mes parents?»
Mathilde transmet à Asa la passion, la démesure, l’amour de la vie, la
sensualité. «Petite fille déjà, j’aimais à fouiller la terre de mes
mains que ma mère disait trop osseuses, à me couler en elle jusqu’à ce
que sa température se substitue à la mienne, à m’emplir la bouche de
cette substance qui fait crisser les dents et empâte la langue, pour ce
goût, aujourd’hui, que je ne puis dissocier d’une certaine semence»,
écrit-elle dans son dernier La Gazelle tartare.
L’autre grand-mère, la mère de sa mère, lui prédit qu’elle sera
malheureuse en amour – « ce qui a été le cas » – et lui apprend que,
lorsque les gens meurent, ils se dressent dans leur cercueil.
Asa-Maryse est une petite fille solitaire. «Je ne me mêlais pas aux
autres enfants. Ça ne marchait pas. J’étais différente.» La danse
finit de la couper des autres enfants, mais lui sauve la vie. «Très
tôt, je n’ai plus pu imaginer ma vie sans la danse.» Elle danse dès que
la radio passe de la musique, fait son Lac des Cygnes
toute seule dans le salon. Elle met les robes de bal de sa mère et
récite Racine ou Baudelaire, rêve aux étoiles russes. Elle passe des
heures suspendues aux cintres du théâtre et rêve à la grande danseuse
qu’elle sera. Elle tombe amoureuse de tous les jeunes premiers qu’elle
applaudit sur scène. Sa chambre est peuplée d’images de danse, elle a
écrit le mot danse sur son mur. Elle a treize ans, elle prend des cours
au Théâtre municipal de Lausanne, lorsqu’une danseuse étoile d’un
ballet russe lui glisse qu’elle aura le monde à ses pieds. «Je ne l’ai
pas eu?» Pas si sûr. Certes, après huit livres et un parcours
artistique d’une richesse incroyable, Asa Lanova dit encore que son
rêve d’enfant a été «sabré». Par elle. Mais elle danse avec les mots,
maintenant. Les mots la maintiennent en vie. Elle se souvient que déjà
petite elle écrivait des poèmes et que tout, la danse, la poésie, est
lié. Que danser, ou écrire, ou tisser, sont autant de manières de fuir
la réalité, de rendre la vie plus belle, plus absolue. «C’est ma
quête.» Asa est aussi sauvage, timide et exaltée qu’à dix ans. Elle vit
en solitaire, «d’une manière quasi monacale. L’image qui s’est
construite après Le Testament d’une mante religieuse ne me correspond pas du tout. Je ne suis pas une mangeuse d’hommes.»
Aujourd’hui, elle ne veut se souvenir que de Satan, son danseur aux
yeux de braise. Puisqu’elle ne peut croire qu’en un «Dieu qui danse»?
ISABELLE FALCONNIER, L'Hebdo
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Un récit envoûtant
Sous le beau titre de La Gazelle tartare, Asa Lanova poursuit l’exploration de son passé entreprise dans le somptueux Blues d’Alexandrie.
Délaissant le roman, la narratrice s’aventure ici dans le labyrinthe
des souvenirs et des songes. Elle qui se croyait insensible et stérile
retombe sous le charme de «Satan» qui a illuminé et terrifié son
adolescence. «Tout me revenait en mémoire, tel un ruban de feu qui se
déroulait impitoyablement devant moi: mes fuites restées inexplicables,
Deauville et son théâtre, Monte Carlo et ses palmiers léthéens, mon
impuissance à vivre depuis l’enfance, et surtout, l’amour perdu, et,
sans doute, renoué dans ma seule imagination.» Ce retour au passé – à
la lumière noire de l’amour – va ramener la narratrice vers le jardin
de son enfance, source inépuisable d’émerveillement. Jardin rêvé des
étreintes amoureuses (mais ont-elles vraiment eu lieu?) et terre de la
dernière demeure. C’est sur cette image, à la fois nostalgique et
rassurante, que s’achève le beau récit d’Asa Lanova, qui tient de
l'exorcisme et de la célébration mystique. Une réussite.
JEAN-MICHEL OLIVIER, Scènes-Magazine
Radio Suisse Romande La Première
«Et si on s’offrait un livre»
Jeudi 2 décembre 2004
Avec Roger Guignard
—
Ce matin, Roger Guignard, vous avez eu un véritable coup de cœur pour
le dernier ouvrage d’Asa Lanova, un récit qui s’intitule La Gazelle tartare, il est publié chez Bernard Campiche. Le moins que l’on puisse dire: c’est vrai qu’il vous a enthousiasmé.
— Oui, un livre magnifique d’authenticité, où se côtoient l’ici, Pully
où vit Asa Lanova, et l’ailleurs, Alexandrie où elle a passé cinq ans
de sa vie et qui est entrée «dans ses gênes», comme elle le dit. On
rappelle que ses deux précédents romans, Les Jardins de Shalalatt et Le Blues d’Alexandrie, évoquent ces années passées en Égypte. Le Blues d’Alexandrie
qui a reçu le Prix de la Bibliothèque Pour Tous. Alors, l’ici et
l’ailleurs sont servis par une écriture sensuelle, presque voluptueuse,
qui est comme la marque de fabrique d’Asa Lanova; elle ressuscite les
saveurs, les parfums, les couleurs. Mais ce récit pas vraiment
autobiographique raconte surtout la renaissance d’un amour, d’un
premier amour pour celui qu’elle appelle «Satan». Un amour d’autant
plus fort qu’il est inaccessible: il ne peut avoir de réalisation,
comme elle l’écrit, que «dans la tombe ou les cendres».
— Et ce «Satan», cet amour impossible, porte tout de même un nom un peu plus humain?
— Oui, un nom célèbre, une personne qu’Asa Lanova a rencontrée très
jeune, à Paris, et que spontanément elle a surnommé «Satan». Mais, je
vais vous mettre sur la piste: à cette époque-là, cette femme
aujourd’hui écrivain était promise à un brillant avenir de danseuse,
elle travaillait d’ailleurs avec les plus grands maîtres russes,
jusqu’au jour où elle tombe sous l’emprise du «rayon laser», je la
cite, les yeux d’acier d’un certain Maurice Béjart. Car «Satan» c’est
lui. Il est en même temps «le passé et le devenir», écrit-elle, et son
absence hante le livre, un livre d’une extraordinaire lucidité, une
quête d’absolu sans concession, absolu qui se dérobe comme la gazelle
tartare qui, chez les Arabes, désigne l’inaccessible beauté,
l’insaisissable.
ROGER GUIGNARD, Radio Suisse Romande La Première
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Asa Lanova : «Cet amour inextinguible»
Le Livre d’une vie
Un livre direct et sans faux-semblants: La Gazelle tartare
d’Asa Lanova fait la part belle aux sensations, aux sentiments et aux
profondeurs de l’âme. Asa Lanova y consacre aussi de nombreuses pages à
l’Égypte où elle a vécu cinq ans. Un expérience qui a inspiré deux très
beaux romans, Le Blues d’Alexandrie et Les Jardins de Shalalatt. On entre, dans ce récit très intime, au cœur d’une vie où la joie ne fut pas toujours au rendez-vous.
«J’ai tout dit dans ce livre»
Avant d’écrire des romans, Asa Lanova avait la passion de la danse et d’un danseur. Elle se raconte sans masque dans La Gazelle tartare. Rencontre à fleur de peau dans sa maison de Pully.
Sur la terrasse de sa maison, où elle nous reçoit, Asa Lanova est émue
et inquiète. Elle vient de terminer son huitième livre, La Gazelle tartare,
et il lui fait peur. Après sept romans, elle se dévoile sans tricherie
et sans apprêts dans ce récit. Elle se soucie de la manière dont sera
reçue la plongée dans ses souvenirs. La maison où elle nous
accueille en fait partie. Elle appartenait à ses grands-parents: «J’ai
été quasiment éduquée par eux. Je ne pourrai pas abandonner ce lieu.»
Et il y a ce jardin, aussi nécessaire que l’air qu’elle respire. Car
Asa Lanova s’est souvent éloignée de ses angoisses en embrassant la
nature à plein corps. Elle lui ouvre, explique-t-elle, les portes du
surnaturel: «J’ai un très fort lien avec la nature, et le surnaturel
n’est que l’extrême naturel.» Pendant que nous parlons, de nombreux
chats passent. Asa Lanova en est entourée. Ils font, écrit-elle dans
son récit, «partie intégrante de moi», et ce sont eux qui l’ont
choisie, insiste-t-elle. On n’en connaîtra pas le nombre exact, elle a
trop souvent vu les yeux exorbités de ses interlocuteurs lorsqu’elle le
disait.
Elle ne cache pas que la solitude est pour beaucoup dans la présence de
tous ses chats. Tout au long des pages de son livre, on la sent fort
cette solitude, laquelle, reconnaît-elle, «s’est un peu refermée sur
moi».
Elle est aussi l’une des causes de l’écriture qui s’est imposée à elle
: «Si je n’écrivais pas, je mourrais, et ce n’est pas du romantisme.»
Elle dit bien, dans La Gazelle tartare, ses heures de répit la plume à la main.
Le titre de son livre a ses origines dans les cinq ans passés en Égypte
: «La gazelle tartare chez les Arabes, explique-t-elle, c’est
l’inaccessible beauté, l’insaisissable, ce qu’on ne parvient pas à
atteindre.» Pour elle, cet inaccessible a pour nom Maurice Béjart. Elle
ne le nomme pas dans le livre, préférant le surnommer «Satan» du nom
qui, lors de leur première rencontre, a jailli dans son esprit: dans
l’exaltation de ses vingt ans, elle est tombée «sous l’emprise du rayon
laser» qu’est son regard et elle lui a offert son âme «en échange de
son amour».
C’était il y a une cinquantaine d’années. Et toute la singularité de
l’aventure, c’est que le temps n’a pas fait son travail. «Il y a deux
ans, dit-elle, j’ai vu un film qui le concernait. Un choc incroyable.
C’était comme si tout ce temps ne s’était écoulé, et comme si j’avais
enfin compris que cet homme, je n’avais jamais cessé de l’aimer.»
À l’époque, elle avait fui, comme elle avait fui la danse: «Ça a été
une déchirure. J’ai quitté le milieu de la danse parce que je n’ai
jamais eu de confiance en moi, j’ai toujours eu peur du regard des
autres.»
Tous les matins, elle pratique pourtant encore sa passion en
s’astreignant à une heure d’entraînement: «C’est un rituel sacré sans
lequel je ne peux tout simplement pas vivre. J’essaie d’être à la
hauteur de ce que j’ai pu être, d’effacer le temps.»
Parallèlement à «Satan», la mère d’Asa Lanova est le deuxième pôle de La Gazelle tartare:
«Il faut toujours penser qu’un jour sa mère ne sera plus là et qu’on
pourrait se dire qu’on n’a pas fait tout ce qu’on aurait pu.»
Elle est bien loin, on le voit, d’une certaine image qu’elle admet avoir peut-être provoquée avec Le Testament d’une mante religieuse:
«Je passais pour une séductrice, c’était un malentendu absolu. On me
prêtait des intentions sulfureuses qui ne correspondaient pas du tout à
la réalité.»
CHARLY VEUTHEY, Coopération
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Et si le passé habitait notre temps présent
Retour sur une vie, un amour «satanique» par Asa Lanova. Où il est question de Chronos.
Pour mieux goûter le nouvel opus d’Asa Lanova, La Gazelle tartare, récit, on peut citer longuement Hemingway. Dans sa nouvelle L’Étrange Contrée,
il relève: «Dans l’obscurité il se rendit dans l’étrange contrée et
c’était véritablement très étrange, dur d’y entrer, tout à coup d’une
difficulté périlleuse, puis aveuglément, heureusement sans danger,
enveloppé; débarrassé de tous les doutes, de tous les périls, de toute
crainte , tenu sans retenir, tenir toujours plus, retenu encore pour
tenir, chassant toutes les choses d’autrefois, et toutes à venir,
tirant l’éclat du bonheur commençant dans les ténèbres, plus près, plus
près, plus près à présent, plus près et toujours plus près, pour aller
au-delà de toute croyance, plus long, plus fin, plus vin, plus loin,
plus fin, plus haut et plus haut pour conduire vers le bonheur soudain,
atteint comme un bouillonnement.» L’éclat du bonheur commence dans
les ténèbres. Retrouver l’amour débute dans la peine d’une passion
échouée. Le temps seul guérit des méfaits du temps. Mais comment écrire
une vie? Ce n’est pas une question de mémoire. C’est une conception de
notre individualité. Et comment conçoit-on sa durée et sa complexité
entre souvenirs, émotions et instants précis? Et si le temps englobait
tout dans un maelström brassant et brassant, plus loin, plus loin
encore, le passé, le présent, dans une indéfinition où tout détermine
tout? Tout est-il ainsi toujours actif dans notre subconscient?
Ce que dit Asa Lanova, dans ce récit de vie, d’amour perdu, retrouvé,
de solitude volontaire et d’écriture trouvée, c’est que notre
accumulation détermine infiniment nos actes, et qu’il est profitable
d’en prendre conscience. Et nous courons toujours après une unité, une
réconciliation avec soi, au-delà des blessures, des jouissances et des
déconfitures, y compris des effondrements amoureux. Avec un désir
fondamental. Un livre qu’il ne faut pas prendre pour anecdotique, mais
comme une profonde interrogation au dieu Chronos.
JACQUES STERCHI, La Liberté
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La dernière danse
«Quand ma mémoire cessera-t-elle de se repaître de mon passé? ne
puis-je m’empêcher de me demander au fil des matins.» Asa Lanova a sans
doute trouvé des éléments de réponse dans son huitième roman, La Gazelle tartare,
où elle se dévoile sans tricherie et sans apprêts. Si tous les faits
évoqués sont véridiques, le récit n’est pas à proprement parler
autobiographique. C’est plutôt la narration d’une recherche intérieure
qui mène la romancière à sa raison de vivre et à la renaissance d’un
premier amour. De Lausanne à Alexandrie en passant par Paris, Asa
Lanova raconte sa passion pour la danse, ses expériences avec les plus
grands maîtres russes du XXe siècle et sa carrière de
soliste. L’auteure suisse consacre également de nombreuses pages à
l’Égypte, où elle a vécu cinq ans et qui l’a influencée dans le choix
du titre de son roman. La Gazelle tartare, chez les Arabes,
c’est l’inaccessible beauté, l’insaisissable, ce qu’on ne parvient pas
à atteindre. Pour Asa Lanova, cet inaccessible a pour nom Maurice
Béjart. Elle ne le cite pas dans son livre, préférant le surnommer
«Satan» – du nom qui, lors de leur première rencontre, a jailli dans
son esprit. La Gazelle tartare est un livre direct et sans faux-semblants qui fait la part belle aux sensations, aux sentiments et aux profondeurs de l’âme.
MIGUEL OTERO, Le Courrier
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La Gazelle tartare
Après le sulfureux Testament d’une mante religieuse, Le Blues d’Alexandrie et Les Jardins de Shalalatt, Asa Lanova tente un retour sur les chemins étrangement tourmentés de sa vie. La Gazelle tartare,
l’inaccessible rêve de l’adolescence, revient hanter douloureusement
l’écrivain. La danse, qui l’avait saisie dans l’enfance, l’emporta à
Paris, dans le rôle d’Ophélie face à un Prince d’Elseneur qui l’embrasa
pour la vie. L’œil d’eau verte, le profil busqué, «Satan» brûla sans le
savoir les ailes de la jeune fille. Lorsque parut le film consacré à ce
dieu du ballet contemporain, l’ancienne blessure se réveilla avec
l’espoir insensé d’un revoir. «Satan», le seul qu’elle eût aimé
vraiment, court en sourdine tout au long de la vie de l’écrivain qui
choisit un jour de vivre et d’écrire à Alexandrie. Et ce sont les pages
les plus odorantes et luxuriantes du livre, dans les coulisses du Blues et des Jardins
et l’atmosphère moite et trouble de la ville célébrée par Durrell. Sur
l’autre rive de sa vie, la mère adorée et tyrannique dont l’esprit
s’effiloche soudain. La tendresse nostalgique, les souvenirs accrochant
les doigts dans la maison retrouvée, tout l’intime d’une femme, qui
semble avoir flotté toute sa vie au-dessus de l’abîme ouvert par
«Satan», teintent cette pérégrination intérieure d’une mélancolie
somptueuse et émouvante. Toujours l’éclat oriental de la langue, la
sincérité et la flamme d’une passion qui tient presque de la légende.
MIREILLE SCHNORF, La Presse Riviera Chablais
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La réalité recomposée
Sans doute est-ce vrai pour tous les écrivains dignes de ce nom, mais
plus lisible chez Asa Lanova que chez d’autres: les livres qu’elle
laisse le long de sa route tracent un mouvement. En l’occurrence, son
chemin semble aller de l’extérieur vers l’intérieur, de la rêverie vers
la réalité, et approche peut-être rien de moins que la découverte,
voire l’acceptation de la vie telle qu’elle est. On se souvient de ses
précédents ouvrages, notamment Le Blues d’Alexandrie et Les Jardins de Shalalatt,
qui étaient de pure facture romanesque. Même s’il se doutait que de
solides passerelles existaient entre les expériences vécues et la
fiction, le lecteur pouvait l’oublier, se laisser emporter par le récit,
s’abandonner à la force belle et mystérieuse de l’univers qu’il
découvrait.
La Gazelle tartare, tout en portant la
même «griffe», semble cette fois témoigner très directement de
l’existence de l’auteur. C’est une halte, un bilan, un questionnement
qui touchent le destin, le dessin d’une vie. Ce qui élève toutefois
très nettement le livre au-dessus d’un simple témoignage, c’est la
forme, à la fois du point de vue de la langue aux moirures somptueuses,
épicée, généreuse, chargée de parfums, qui se déploie avec la richesse
d’une étoffe tissée en Orient, et du point de vue de la construction,
puisque de nombreux motifs s’entrelacent et résonnent entre eux.
Celle qui parle fut une danseuse de premier plan. Sans jamais se
justifier, elle a un jour interrompu sa «carrière», alors que la gloire
lui semblait promise. «Comment expliquer ce qui, même pour moi, est
demeuré inexplicable?» demande-t-elle. Mais c’est aussi en dansant
qu’elle a rencontré celui qu’elle nomme «Satan». Il incarne l’amour
absolu et, à l’encontre de toute logique, de tout bon sens, elle espère
des retrouvailles avec son amant d’autrefois. Non seulement elle les
espère, mais elle y croit.
Les couches du temps se conjuguent dans le livre, jusqu’à se confondre
presque. Ainsi circule-t-on sans cesse de la maison où habite la
narratrice, lieu des racines et des souvenirs liés à la famille, au
récit de certaines expériences fondatrices. La présence, puis la
disparition progressive de la mère, victime de la maladie, est un fil
conducteur. Les cinq années passées à Alexandrie occupent une place
centrale, avec la conversion à l’islam et tout ce temps passé au bord
de la mer, à s’occuper de chiens et de chats errants, jusqu’à une
certaine nuit d’initiation, dans une bâtisse délabrée.
Les faits retracés, le fantôme de la danse, le séjour d’Alexandrie, les
oiseaux, les saveurs, l’installation en Haute Savoie – après avoir
quasiment dû fuir l’Egypte –, les intuitions, la mort de la mère et
celle du père, les hommes qui partagent cette vie, les mille détails
d’un «temps présent» (donc celui de l’écriture), les réflexions et
méditations, l’évocation de certaines rencontres : tout se conjugue, se
mélange, dans une sorte de fugue sensible. Il s’en dégage un fort
sentiment d’errance, mais d’errance parfois émerveillée, parfois
douloureuse, qui est aussi la marque d’une quête authentique.
La Gazelle tartare
est au bout du compte la description d’une présence au monde, aux
mondes devrait-on dire, puisqu’il y a le monde visible, celui qui, pour
beaucoup, demeure invisible, et sans doute encore quelques autres. Avec
son jardin, avec sa solitude, avec ses compagnons (animaux qui
rappellent à leur manière le Paradis), avec son passé même, la
narratrice semble entretenir un rapport très instinctif et sensuel. Et
peut-être bien que ce beau livre est une tentative de réconcilier
toutes sortes de contraires, d’oppositions, de déchirements qui, par
les sortilèges de l’écriture, trouvent une cohérence.
RENÉ ZAHND, Le Passe-Muraille
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La Gazelle tartare
La Gazelle tartare,
de l’écrivaine lausannoise Asa Lanova, est le récit d’inspiration
autobiographique d’une lutte acharnée contre la peur de vivre et de
réussir, véritable gangrène de l’âme, menant à l’autodestruction. Comme
la gazelle tartare, entrevue mais toujours inaccessible, l’absolu
recherché par la narratrice se dérobe sans cesse. Pour faire face à ce
besoin démesuré d’amour et de beauté sans se perdre elle-même, elle
devra s’ancrer dans la réalité – pourtant elle aussi menacée – des
maisons et des jardins aimés comme autant de havres, autour de la
saveur des gestes quotidiens et ancestraux, la discipline quasi
religieuse de la danse et surtout de l’écriture. Pendant cinq mois,
de la funeste splendeur d’août à la grisaille de décembre, la
narratrice va vivre à la fois la maladie de sa mère, avec son
inexorable déchéance, et l’attente d’un signe de vie de celui qui fut
son unique véritable amour, Maurice Béjart, dans l’espoir d’un
impossible renouement avec le passé. L’emprise que cet homme aimé
exerce toujours sur elle est presque maléfique, tant elle en est
prisonnière – il est d’ailleurs nommé «Satan». Ce temps d’attente où se
mêlent espérance insensée et douloureuse lucidité suscite aussi
l’évocation d’un passé plus lointain que rappellent chaque objet et
chaque recoin de sa maison, puisque c’est celle où elle a passé son
enfance, celle où ses parents et grands-parents ont vécu et laissé leur
empreinte.
Cette évocation se fait dans une langue extrêmement riche, précise,
sensorielle, qui capte les moindres fluctuations de l’âme et de la
pensée, sait s’arrêter sur les détails délicats d’une fleur, d’un
feuillage, d’un reflet, à la fois ancrée dans la réalité de la terre et
tournée vers la rêverie. Ces longues phrases sinueuses et souples
s’enroulent et se déroulent dans un subtil et foisonnant désordre,
finissant par tisser une trame dense et complexe, reliant des fragments
de vie épars et leur redonnant ainsi sens et unité. La réalité la plus
triste n’y est jamais sordide. L’attention aiguë portée à toute chose
révèle plutôt la beauté de l’instant. Les tableaux sombres restent
harmonieux, rayonnant d’une sorte de lumière douce et nostalgique, non
dénuée d’humour.
Par ses multiples antennes sensorielles, la narratrice paraît être
reliée tant au monde physique et concret qu’au surnaturel et au sacré
dont elle scrute les divers signes et langages – à Alexandrie
notamment, où elle vécut cinq ans en exil, dans la mémoire des pierres
et la lenteur du temps. Cette période passée en Égypte est tout emplie
de saveurs, d’odeurs et de couleurs, imprégnée de forces occultes
parfois inquiétantes, d’une sourde violence et de personnages
inattendus et cocasses qui mêlent capacité de rire et fatalisme.
Semblable
elle aussi à un gros insecte fatigué, la patronne trônait à sa place
habituelle, antique vigie qui cultivait son accent hellénique et
portait, sur ses traits emplâtrés de fards aux couleurs surannées,
toute la fatigue et l’usure que transmet cette ville non pas à ses
autochtones, mais à ceux qu’un destin tracé sur ces chemins de sable et
de vent a fait échouer là sans que, malgré eux, ils puissent en
réchapper.
Il faudra pourtant aussi s’arracher à ce lieu
insaisissable et fascinant, se perdre une nouvelle fois avant de
revenir à l’origine, la maison de sa famille, où l’attendent les voix
aimées et disparues de son enfance et la confrontation à la lente
dégradation puis à la mort de sa mère. Le dialogue avec ceux qui ne
sont plus ne cesse jamais. Leur présence est aussi forte que celle des
vivants; par la contemplation des lieux où ils ont vécu, des objets
qu’ils ont possédés et touchés, la narratrice reste en contact constant
avec eux. Le passé dévore le présent, à tel point qu’il en devient un
piège, une obsession paralysante dont elle devra alors se délivrer.
L’écriture sera ainsi à la fois le moyen de faire revivre ce passé et
de l’exorciser.
Comment m’accommoder maintenant du
présent, alors que le passé, semblable à des herbes folles qui
envahissent le jardin, ne cesse de s’imposer à moi? Je tâtonne à la
recherche d’une image, la mienne, qui s’est comme falsifiée à mon insu
[…].
À travers les multiples ramifications d’une mémoire
vagabonde, ce récit allie la lucidité de l’introspection, la
sensibilité, l’art du portrait et la beauté des images. Il nous plonge
dans une conscience torturée mais résolue à s’ancrer dans la force de
la terre et à croire envers et contre tout à l’éternel recommencement.
HÉLÈNE PFERSICH, La Revue de Belles-Lettres
La Gazelle tartare
Ce récit, comme le note Hélène Pfersich, est le récit d’inspiration
autobiographique d’une lutte acharnée contre la peur de vivre et de
réussir, véritable gangrène de l’âme, menant à l’autodestruction. Comme
la gazelle tartare, entrevue mais toujours inaccessible, l’absolu
recherché par la narratrice se dérobe sans cesse. Pour faire face à ce
besoin démesuré d’amour et de beauté sans se perdre elle-même, elle
devra s’ancrer dans la réalité – pourtant elle aussi menacée – des
maisons et des jardins aimés comme autant de havres, autour de la
saveur des gestes quotidiens et ancestraux, la discipline quasi
religieuse de la danse et surtout de l’écriture.
Asa Lanova est née en Suisse. Possédée dès l’enfance par la passion de
la danse, très jeune elle se rend à Paris, où elle travaille avec les
plus grands, jusqu’à devenir une danseuse exceptionnelle, promise à une
grande carrière, lorsque brusquement le fil se casse. Elle quitte alors
la scène et se réfugie dans la solitude d’une ferme vaudoise. Là, elle
découvre le tissage qui la conduira à ce qui l’attirait depuis
toujours: l’écriture. De quelques années vécues à Alexandrie naîtra Le Blues d’Alexandrie,
qui lui vaudra le Prix Bibliothèque pour Tous et celui de la Fondation
Régis de Courten. Puis la nostalgie de l’Europe l’amène à séjourner
deux ans en Haute-Savoie, où elle écrit son septième roman, Les Jardins de Shalalatt, qui reprend certains personnages du Blues d’Alexandrie et précède le récit de La Gazelle tartare.
SERGE MOLLA, Revue de Crêt-Bérard
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