C’est en musique que j’ai découvert ce texte, lu par Julien
Burri, accompagné à la guitare par Stéphane Blok, un soir, à la
bibliothèque Chauderon. Assez intriguée par ces histoires d’eau, j’ai
eu envie d’avoir le fin mot de l’histoire. Encore plus intriguée par le
format du livre, quelques lignes par page, j’ai eu envie de vous en
parler, pour qu’à votre tour, telle la narratrice, vous vous posiez des
questions.
Comment se fait-il que cet endroit m’apparaisse si différent?
Elle descend l’escalier et sort de l’immeuble.
Comment ai-je pu à ce point ne pas voir le temps passe?
Le trottoir est mouillé, le ciel est bleu.
Une drôle d’impression, assez unique, se dégage de ce livre. Tout est
flou. Nous sommes dans la tête d’une jeune femme – apparemment – qui
elle aussi a l’air de vivre dans un drôle de tourbillon, prisonnière de
ce qu’elle a fait, de ses réactions. Ces questions, ses réflexions
personnelles, entrecoupées de descriptions des alentours (Lausanne,
j’imagine), sont troublantes. C’est assez incroyable de créer une
atmosphère quasi cinématographique avec juste quelques mots.
Le temps, léger comme l’obscurité.
A-t-il explosé? S’est-il désuni?
De stable, ne s’écoulant pas, il a fini par couler,
Par devant.
Quel spectacle! En avant la fanfare!
…et nous, tout angoissés…
Provisoirement. La peur motive l’amour, l’effroi la passion.
Deux messieurs discutent sur le trottoir en dessous.
Elle ouvre les yeux.
Nous sommes très loin d’un roman classique, d’accord une histoire nous
est racontée, plus ou moins linéaire, d’accord c’est bien de notre
monde qu’il s’agit, et pourtant. D’un coup, nous voilà dans la tête
d’un homme, du déroulement de ses pensées naissent de nouvelles
questions, une nouvelle angoisse, toujours ce flou.
Il laisse la fenêtre
entrouverte en position de balancier pour générer un faible courant
d’air, mais pas trop, sinon en cas de violents orages, il se pourrait
que la pluie ne tombe pas droit mais avec un angle, et que de l’eau
finisse par pénétrer et peut-être même par s’écouler chez le voisin du
dessous qui aura beau sonner… il n’y aura personne pour lui répondre.
Il se souvient d’un vasistas oublié ouvert.
C’est idiot comme certains
souvenirs sans importance me reviennent. Aussi vrai que j’ai la tête en
bas et les pieds en haut. Collés contre la terre qui tourne.
De la limaille autour d’un aimant.
Et puis vient la pluie qui submerge tout et que nous ne comprenons pas
très bien. Entre Dark Water et le souvenir de mes lectures de Wadji
Mouawad, je me laisse engloutir, tout comme ce narrateur (lequel?) qui
se réfugie et essaye de fuir toute cette eau.
D’heure en heure, je constate que les trous dans la toiture
s’agrandissent, que d’autres (de nouveaux) apparaissent. Peu à peu,
brindille après brindille, tout est emporté du haut vers le bas, tout
descend d’étage en étage, du toit jusqu’au sol, puis du sol jusqu’à la
rivière, de celle-ci à l’autre rivière (plus grande), et je sais qu’il
ne faudra pas longtemps pour qu’il ne reste ici aucune trace de la
demeure dans laquelle je suis réfugié. Elle pourrait se disloquer et
glisser tel un bloc erratique. Ne resterait alors qu’un talus spongieux
noyé dans les brumes.
Peut-être pourrions-nous nous dire que l’auteur est un peu poseur, que
d’une idée il a fait un livre publié, qu’il n’y a pas de littérature
là-dedans, pas de vocabulaire recherché, pas de tournures marquantes.
Mais de cet exercice est née une jolie lecture, qui dénote et qui
emporte. Atmosphère, atmosphère, oui, deux fois oui.
litterature-romande.net
«C’est étrange de ne pas penser à ce que l’on fait ».
Tous les jours sont différents. Et pourtant. Tous les jours, on a des
gestes, une façon de vivre, que l’on enregistre, que l’on ne pense plus
et que l’on produit machinalement ou reproduit mécaniquement:
«Je ne pense en fait pas (ou très rarement) aux actions que j’effectue.
Est-ce que cela change quelque chose de penser ou non aux actions que
j’effectue ? (…) À tel point que je doute de me rendre réellement
compte de la présence des autres autour de moi quand nous sommes à
plusieurs. (…) Je ne vois pas vraiment ce que je vois, ni n’entends ce
que j’entends. (…) …mû par mes plus anciens instincts – attention la
voiture, la plaque est brûlante, la fille est désirable».
Toutes ces petites choses, cumulées les unes aux autres, font de nous
des « automates ». L’être humain vit sous un «ciel
identique»: chacun d’entre nous se brosse les dents, remplit ses
poubelles, éteint les plaques, allume son ordinateur, vérifie mille
trucs avant de quitter son appartement, surtout avant un départ ou un
voyage. Tics et tocs: « Ne surtout pas oublier la poubelle, le
chargeur, le cash, les clefs, les cartes de crédit, le passeport».
« Aimer se perdre », arracher les trèfles dans le gazon, se
laisser envahir par la sensation du départ qui précède les longs
voyages. Et puis. Toutes ces pensées urbaines qui effleurent l’esprit
au milieu du bruit que l’on n’entend plus :
« Me suis-je déjà arrêtée ainsi?
Elle continue sa route.
Pour ne rien faire?
Profiter
Ces gens ont bien raison
De s’asseoir dès le matin, dehors
Dans la rue
Pourquoi pas moi ?
Un matin, je m’arrêterai
Sur un banc
C’est égal, mais sans l’avoir prévu
Sinon ça ne marchera pas
Pourquoi?
Parce qu’il ne faut pas trop réfléchir.
Elle traverse la station des trolleybus et s’engage sur un grand pont reliant l’autre côté de la ville.
L’horizon s’ouvre à l’ouest.
(…) lundi n’est pas lundi, chaque jour est différent
les heures n’existent pas, elles ne sont qu’un calcul.
(…)
Quelle fâcheuse manie de considérer le jour comme instant actif –
éveillé – et le sommeil comme instant passif; confondre l’inactivité et
le repos du corps.
(…)
Comme si en permanence, un tiers du temps, un tiers du monde ne faisait
rien, comme si rien faire était ne rien être. Voilà quelque chose
d’impossible.
(…)
Les rêves subis, imposés. J’imagine que nous ne subissons pas nos rêves.
(…)
On habite nos rêves comme on habite ailleurs, voyageant durant le repos, conversant en silence avec d’autres endormis.
(…)
Les songes sont une prière que l’on s’adresse à soi-même.
Le quotidien est silencieux quand on vit seul
Le voisin du dessus écoute les informations
(…)
Mon voisin rêve
Le tortionnaire rêve de douceur
L’innocent rêve qu’il a tué
(…)
Est-ce que les intuitions sont de la même teneur que les rêves ? (…) J’ai rêvé de ce que je ne connaissais pas encore.
(…)
Le deuil est un souffle qui traverse la foule comme le vent d’été couche les herbes hautes et les blés dans les champs».
Stéphane Blok, musicien de rue à ses débuts, riche de son expérience,
chante la vie, entre volupté et angoisse et va à l’essentiel :
« C’est ainsi : un soir puis un matin ».
Le miroir de la vie, son souffle, son intuition et ses rêves ou encore
l’envie de vivre la vie d’un autre alors que nous vivons tous sous «un
ciel identique»…
Tout simplement délicieux et à découvrir…
Je peux tout écrire, je peux tout effacer
Faire venir le monde au point de non-retour
Au bord d’un précipice
L’obliger silencieux à contempler un jour sombre se lever
Un jour sombre comme il en a rarement été
VALÉRIE DEBIEUX, La Cause littéraire
La cuisine est pour lui une détente
L’artiste vaudois est de retour
à Lausanne avec un livre et six nouvelles chansons dans ses bagages.
Rencontre chez lui avant son passage aux Francomanias de Bulle
Rencontre
C’est au cœur de Lausanne que nous attend Stéphane Blok. L’artiste
vaudois vient de déposer sa valise et sa guitare pour quelque temps
dans sa ville après une série de concerts à Zurich. «Je vis entre
Zurich, le Tessin et Lausanne. C’est la faute de mon amoureuse, une
Tessinoise née à Paris.» Sa compagne Fiamma, qui a fait toutes ses
écoles à Zurich, est comédienne et trilingue. «Nous sommes un couple
normal. Comme trente pour cent des couples, nous nous sommes rencontrés
au travail, à côté de la machine à café.»
Cuisine
«J’adore cuisiner. C’est le seul hobby dont je n’ai pas fait mon
métier. Je cuisine tous les jours, en général pour plusieurs personnes,
pour des amis qui passent. Pour moi, c’est le repas du soir qui est
important. Ou alors dans l’après-midi si j’ai une représentation.» La
cuisine l’aide à faire le vide. «Quand je coupe un oignon, je ne pense
à rien d’autre qu’à couper un oignon. Avec un bon disque et un petit
verre, la cuisine me permet de me détendre et de bien vivre.» Même
quand il est seul. «C’est moins rigolo de manger seul, mais il y a
toujours moyen de manger à plusieurs.»
Enfance
Il a passé ses jeunes années à Lausanne, dans une famille de deux
enfants. «J’ai une sœur, Corinne, qui a cinq ans de plus que moi. Elle
a abandonné le journalisme et écrit aujourd’hui en indépendante. Elle
voyage beaucoup et relate toujours des événements, mais plus pour le
grand public.» Ses parents ne faisaient pas de musique. «La musique, je
ne sais pas d’où elle vient. Ma sœur faisait un peu de guitare, mais ce
n’était pas trop son truc. Comme il y avait une guitare à la maison,
moi j’ai tout de suite bien aimé jouer. Notamment dans la rue.
Écriture
Après Les Illusions paru il y a deux ans chez Bernard Campiche, Stéphane Blok vient d’y publier Le Ciel identique.
«L’écriture permet d’élargir le spectre de la création. Sa force, c’est
la simplicité. J’écris à la plume, souvent d’abord manuellement, quand
les idées viennent. Il m’arrive d’écrire dans le train, au restaurant,
sur un set de table. Après, au moment de réaliser la chose, on est tous
sur le même programme. Mais le charme de la plume ou celui du crayon
est une force de l’écriture.»
Musique
Son adolescence a été marquée par la musique. «On était en pleine new wave.
Une époque qui se partageait entre les Cure, la fête, les pétards et
les premiers albums de U2. Côté francophone, cela a aussi coïncidé avec
une forte période où certains chanteurs faisaient de très bonnes
choses. Comme les tout premiers albums de Renaud, de Cabrel ou encore
de Bashung. Quand j’avais quinze ans, la musique que j’écoutais
incarnait à mes yeux un monde en mouvement, me paraissait riche.
Aujourd’hui, cette petite classe dominante de la variété française me
donne la nausée…»
Outre-Sarine
Aujourd’hui, Stéphane Blok fait une partie importante de sa carrière
outre-Sarine. «À Zurich, je fais aussi beaucoup de musique de théâtre,
des performances, pour lesquelles mes textes sont traduits. Je ne parle
pas super bien allemand et je fais trop de fautes pour faire de la
scène sans filet. Outre-Sarine, c’est quand même aussi notre pays. On a
des facilités d’accès, même si la langue reste un obstacle. Et, avec le
temps, ça me stimule de rencontrer des gens qui me motivent et qui
m’emmènent dans leur sillage.»
Actualité
En musique comme en littérature, Stéphane Blok aime les histoires qui
se répondent. Ainsi, après Chants d’entre les immeubles sorti l’an
dernier sur Internet, il présentera le 30 mai aux Francomanias de Bulle
Complaintes de la pluie qui passe.
«La sortie de ces six titres sera aussi virtuelle. Cet album, qui prend
volontairement un thème d’actualité, est fait de petites complaintes
écologiques, même si je ne fais pas de politique, ni de militantisme.
L’intérêt de ces six titres est un questionnement.» La sortie sur le
web sera suivie d’une sortie matérielle. «Ces deux albums seront
pressés pour être vendus après les concerts. Les gens aiment bien
repartir avec quelque chose.»
Portrait
Parcours
Stéphane Blok est né le 10 juillet 1971 à Lausanne. «J’ai toujours vécu
à Lausanne où je connais énormément de monde. J’adore y être, comme
j’adore aussi en repartir.»
Édition
«Bernard Campiche a pris soin de m’expliquer toute la terminologie liée
à l’édition. C’est une chance et un plaisir. Je trouve cela très beau,
surtout à l’ère du numérique.» Cinéma. «J’ai cosigné le scénario et la
musique de Ixième avec Pierre-Yves Borgeaud. Un vrai travail commun pour lequel on a eu le Léopard d’or vidéo en 2003 à Locarno.»
Loisirs
«J’adore partir au Tessin, me mettre au vert. J’aime la marche, la
cueillette de petites plantes comme l’ail des ours. Je ne fais pas de
grimpe, je ne suis pas fou!»
Courses
«Évidemment que les courses, c’est primordial quand on cuisine. J’ai la
chance de pouvoir aller au marché. Je donne la priorité aux produits
locaux et le bio est impératif.»
Livre
Il a présenté Le Ciel identique
au dernier Salon du livre. «J’ai apprécié les contacts que j’y ai eus.»
Il sera également présent en septembre au prochain Livre sur les quais
à Morges.
ANNE-MARIE CUTTAT, Coopération
«Si on accepte le showbiz on accepte tout...»
Dans son livre comme dans ses spectacles, Stéphane Blok en artiste libre
Dans un local lausannois, Stéphane Blok répète ses Chants d’entre les immeubles. Seul, il reprend ses textes, poésies urbaines nourries d’images et de quotidien, des chansons Depuis mon toit, quand Le temps est doux, toujours Dans l’attente de jours meilleurs,
pour citer trois titres. Et puis il joue de sa guitare, une belle
électroacoustique à laquelle le musicien a enlevé les frettes, ces
pièces métalliques qui partagent le manche en sections d’un demi-ton
d’écart. Ça semble peu de chose. «Mais j’ai dû réapprendre un
instrument. On ne peut plus jouer d’accords. Ça spécifie mon jeu, ça le
singularise. Je ne connais personne qui fasse ça en chanson française!
Ça demande tellement de travail que personne ne se lance. Mais quelque
chose que l’on a mis quatre ans à apprendre, c’est solide. Ça m’a
ouvert de vastes plaines non défrichées. C’est important de garder sa
curiosité en éveil.» Avec Denis Corboz (bugle et trompette) et Aurélien
Chouzenoux (manipulations sonores et clavier), il travaille aussi
l’adaptation en trio du spectacle qu’il a jusqu’alors interprété seul.
«De nouvelles idées arrivent, je ne joue déjà plus comme l’automne
dernier. Je parle plus ou moins… Certains soirs, je ne fais que
chanter. C’est le plaisir de la scène.»
À quarante-trois ans, le Lausannois se réjouit d’avoir des projets «en
tout cas jusqu’à la fin de l’année» et de mener, «calme et serein», des
créations variées qui vont de musiques en direct pour le théâtre
contemporain (avec la compagnie zurichoise Südenbock
dont fait partie son amoureuse, Fiamma Camesi) à l’écriture de textes
et de chants folkloriques pour chœurs mixtes et chœurs d’hommes…
«Et quand je fais une jolie chanson dans un festival, j’ai le même
propos! L’art, c’est quelque chose d’horizontal, pour tous. Je déteste
cette verticalité imposée par le show-business qui ne s’intéresse qu’au
succès. Il faut se rebeller! Il en va de nos métiers. C’est comme la
biodiversité. Ce qu’on a compris pour les légumes produits ici, on ne
l’a pas encore compris pour l’art!» Celui qui, mis à part la cuisine, a
fait de tous ses hobbies (musique, cinéma, théâtre, lecture) un métier
poursuit aussi son travail d’écriture et donne un écho à ses Illusions
parues en 2012. «Un livre, c’est l’aboutissement d’un travail qui me
touche énormément. C’est matériel, avec un vrai éditeur, un graphiste,
la typographie… Je trouve ce mélange de simplicité et de savoir-faire
excellentissime! Si je dis «la lune explose», au cinéma on peut
éventuellement le montrer, au théâtre c’est exclu; avec un crayon sur
un set de table, on peut tout imaginer. J’adore ce pouvoir de
l’écriture.
Stéphane Blok vous recommande…
Concertos pour piano, de Maurice Ravel, Martha Argerich, London Symphony Orcestra, Deutsche Grammophon. «Le deuxième mouvement du Concerto en sol majeur
notamment comporte une magnifique succession de variations et d’humeurs
qui me font penser au temps qui s’écoule, comme un ciel changeant.»
Le café de la Grenette, à Sion, rue du Grand-Pont 24. «C’est un
café-bar sous les arcades, très joli, très sympa. Les tenanciers
organisent des lectures, des concerts. J’y ai souvent joué, ils sont
devenus des amis. L’endroit est un parfait équilibre entre culture et
johannisberg… C’est un très bon point de chute.»
Les paradoxes quantiques, de
François Rothen, Éd. Presses polytechniques et universitaires romandes.
«C’est un livre sérieux mais tout à fait accessible, vraiment chouette,
qui pose de grandes questions à partir de l’infiniment petit… Je trouve
que c’est un très joli rapport au monde que de poser des questions
essentielles de ce point de vue là.»
JEAN-BLAISE BESENÇON, L’Illustré
Un artiste tout d’un Blok
Musicien, écrivain, auteur,
compositeur… Le Lausannois Stéphane Blok touche à tous les genres.
Alors qu’il vient de sortir un livre, il présente aux Francomanias son
nouveau disque
Stéphane Blok ne se laisse pas ranger dans un tiroir avec une seule
étiquette. L’artiste lausannois enchaîne les projets musicaux.,
théâtraux, littéraires. Et il aimerait encore davantage lier ces
domaines. Le quadragénaire a sorti cette semaine son nouvel album, Complaintes de la pluie qui passe, un disque de six titres en écho aux Chants d’entre les immeubles,
paru en 2013, dans lequel il joue de la guitare sans «frettes». Cet
opus existe seulement sous un format virtuel, pour que cette musique
soit disponible 24 heures sur 24 partout dans le monde. Des titres
délicats, ciselés, guidés par la voix du Vaudois, dans lesquels il nous
raconte un monde où il ne pleut plus.
Les festivaliers des Francomanias, à Bulle, pourront découvrir sa
musique, à laquelle il insufflera encore davantage de rythme et
d’énergie pour qu’elle s’adapte à la scène. On s’interroge si des notes
si délicates et intimistes supporteront le passage sous les feux de la
rampe. «Quand un joueur d’oud est seul sur scène, il n’y a aucun souci,
mais quand c’est un guitariste…», sourit Stéphane Blok, qui s’attendait
à un tel doute. Il se réjouit de retrouver les Francos, où il a joué à
plusieurs reprises. Mais c’était alors à l’Hôtel-de-Ville. «Les
festivals, c’est chouette. Les gens nous découvrent.Ils donnent un écho
à notre travail», note le musicien, qui sera entouré de deux compères à
Espace Gruyère.
Toujours le même propos
Hasard du calendrier, il vient de sortir également un deuxième ouvrage, Le Ciel identique, suite d’un petit bouquin Les Illusions
paru il y a deux ans. Une démarche qu’il trouve excellente à l’heure où
le disque physique disparaît, revenir avec un livre… Il voit dans
l’écriture le «truc le plus magique du monde». «On peut écrire sur un
set de table. On peut tout décrire, toucher les profondeurs de l’âme.
C’est tout de suite spectaculaire», sourit celui qui s’estime chanceux
de pouvoir publier chez un éditeur. Il aime bien sûr la musique, qu’il
pratique depuis son adolescence. D’abord comme musicien de rue puis
auprès de l’École de jazz de Lausanne. Il aime son oralité, le plaisir
qu’elle procure en public. Mais n’apprécie pas quand elle est filmée,
figée, archivée.
Son arc a autant de cordes qu’un piano qui jouerait dans plusieurs
registres. Il a écrit des textes pour des chœurs mixtes ou des chœurs
d’hommes, de la musique pour des compagnies de danse. Il revient de
Zurich, où il interprétait la musique de la pièce «Alles wird gut»,
lors de dix représentations. Mais il a aussi cosigné avec Pierre-Yves
Borgeaud le long-métrage Xième.
Avec un beau succès. Cette production vidéo a décroché en 2003 un
léopard d’or vidéo au Festival international du film de Locarno.
Pour lui, l’artiste ne tient tout au long de sa carrière qu’un seul et
même propos, qu’il décline selon les supports. Il n’a pas encore épuisé
le sien, ni ne s’est épuisé. «J’aime ce que je fais, je n’ai pas besoin
de congé. Ce métier ne fatigue pas, je n’ai rien de mieux à faire en
vacances», sourit-il. Il crée environ six heures par jour et consacre
le reste de son temps à de l’organisation. Le travail de création pour
son disque et son livre a par exemple été très cloisonné. «Il est
difficile d’avoir des idées pour deux domaines», explique-t-il. On est
loin de l’artiste torturé. On est davantage dans le plaisir, dans
l’amour.
Profondément Lausannois
Ce qui le fascine? Le vivant, le mystère, la nature, le qu’«qu’est-ce
que je vous là?», la recherche des limites. «Je trouve super beau un
lever du jour. J’extrapole alors sur la ville, sur les gens», dit celui
qui revient toujours à Lausanne, même s’il voyage beaucoup. Cette jolie
petite ville est idéale comme point de départ et d’arrivée. Il y est
chez lui, y connaît tout son quartier.
Le rôle et la fonction de l’artiste dans la société le questionne
beaucoup. «L’artiste est un porte-drapeau de la réussite. Il valide un
monde à deux vitesses», regrette Stéphane Blok. Qui s’interroge en
général sur la communauté des gens. Il aime raconter des histoires
imbibées de sa perception de notre époque. Il veut les partager avec le
public, d’égal à égal. Lui considère d’ailleurs qu’il a une vie très
normale. Son amoureuse est comédienne et vit à Zurich. Il l’a
rencontrée au travail, à côté de la machine à café. Comme beaucoup.
TAMARA BONGARD, La Liberté
Nouvelles poétiques
Sous le même ciel bleu d’un matin d’été évoluent plusieurs personnages.
D’abord une jeune femme. Nous sommes ses yeux et observons les
personnes qu’elle croise en chemin. Nous sommes ses pensées aussi.
«Quelle soirée… Deux garçons…» se dit-elle, rougissant. Puis un jeune
homme. Ce même matin, il se préparait avec inquiétude au départ: «Il
hésite à mettre un sachet de thé vert /maintenant?/ ou après avoir
uriné?» Ensuite les textes d’un poète se questionnant sur sa place dans
le monde. Le patchwork de l’auteur-compositeur lausannois Stéphane
Blok est réussi, fin, élégant. À lire lentement, idéalement
allongé dans l’herbe, lors d’une belle journée d’été.
MARIANNE GROSJEAN, Tribune de Genève
Liberté sur tous les fronts
Un deuxième roman, un nouvel
album, un concert aux Francomanias de Bulle… Stéphane Blok continue
d’explorer son talent sous toutes les formes
La dernière fois qu’on s’est croisés, Stéphane Blok sortait de scène à
L’Arsenic, après une performance théâtrale avec la Compagnie Südenbock.
Cette fois-ci, rendez-vous a été pris au Buffet de la Gare de Lausanne,
pour évoquer Le Ciel identique,
le deuxième livre qu’il publie chez Bernard Campiche. Et le concert
qu’il prépare pour les Francomanias de Bulle et le nouvel album qu’il
s’apprête à sortir… Pas de dispersion toutefois: Stéphane Blok creuse
un seul sillon. «Le propos est toujours le même. Il n’y a qu’un
contenu, avec différentes formes et déclinaisons. Si j’étais
plasticien, on comprendrait mieux que je fasse un tableau, une
sculpture, une fresque sur un mur…» Ce contenu unique, il le résume
ainsi: «Disons que c’est un questionnement, une fascination sur notre
condition humaine, sur ce qu’on vit dans l’instant présent.»
Le Ciel identique, son
deuxième roman, revient ainsi sur des thèmes qui lui sont chers: la
solitude des vies urbaines, le rêve, le hasard, les êtres qui se
frôlent sans vraiment se voir. Dans Les Illusions (2012) ces sujets explosaient en flashes violents. En contrepoint, ce nouvel ouvrage apparaît apaisé.
La même chose, mais différent
«Il est tout doux, volontairement plus serein. Les deux livres se
complètent: celui-ci est presque à l’opposé, mais c’est la même chose.
L’autre était le méchant, celui-ci est le gentil.» En souriant, il
relève que quand il donnait cette explication au Salon du livre, les
visiteurs préféraient souvent acheter le méchant… «Les gens aiment bien
être bousculés, un peu brusqués, dans certaines limites. »
Trois personnages, trois bribes de destins s’entrecroisent sous un Ciel
identique. Aurélie se lève d’une nuit sans sommeil, passée avec deux
garçons. Elle se retrouve dans une rue animée, où «chacun a l’air de
savoir où il va». Silverio, lui, se réveille, fait sa toilette, part en
voyage. «Une légère angoisse à l’idée de quitter l’appartement. Aimer
ou non le départ. Puis s’en aller.» Enfin, il y a Marc, isolé dans un
petit village sous le déluge, dans une maison qui commence à prendre
l’eau.
«Tout est suggéré»
«Dans cette histoire en trois chapitres, on a l’impression qu’il ne se
passe rien, commente Stéphane Blok. En réalité, il se passe beaucoup de
choses. C’est faussement calme: tout est suggéré, alors que dans le
précédent, tout était dit. Je le vois comme un petit roman
philosophique, contemplatif.»
Un roman, certes, mais totalement libre, avec une recherche sur le
rythme, les sonorités, la disposition des mots sur la page… De la
poésie, en somme, d’apparence simple, mais qui imprègne le lecteur et
le pousse à la réflexion: «“Ceci à cet instant et jusqu’à nouvel avis
est inexplicable” signifie le hasard. / Le hasard n’existe pas.»
De poésie, il est aussi question en seconde partie du livre, avec
Chants d’entre les immeubles. Soit les textes des chansons que Stéphane
Blok a jouées dans un projet solo. «C’était une manière de figer ces
mots qui existaient dans l’oralité.» Ces Chants d’entre les immeubles constitueront aussi un volet du concert des Francomanias.
Si la pluie ne revenait pas
Après 1996, 2000 et 2006 (avec Léon Francioli), le Lausannois se
produira pour la quatrième fois au festival, en trio. «J’ai une jolie
histoire d’amour avec les Francos et avec la région», relève-t-il. Pour
l’occasion, il sortira Complaintes de la pluie qui passe, un album
concept où il «imagine que la pluie tombe pour la dernière fois». Une
manière d’évoquer des préoccupations sur l’avenir de la planète, sans
donner de leçons. Comme les livres, Chants d’entre les immeubles et Complaintes de la pluie qui passe se répondent. D’un côté, une veine intimiste, de l’autre «ça pète un peu plus».
En parallèle, Stéphane Blok continue à tourner en solo, au gré des
demandes, «pour jouer, raconter des histoires», en griot urbain du XXIe
siècle. Sans pour autant reprendre d’anciennes chansons, même si Tilt
coco, Cyberceuse ou Esperanza Nicolasohn restent dans les mémoires de
ceux qui le suivent depuis ses débuts. «Je n’ai pas envie de chanter
Allô maman bobo, 25 ans après», ironise-t-il.
Danse, théâtre, cinéma…
Aucun regret de cette époque où Libé et Les Inrocks
écrivaient tout le bien qu’ils pensaient de ses premiers albums (entre
1994 et 2001). Au contraire: on le sent épanoui en marge de ce monde de
l’industrie musicale où le seul but est d’«être le plus connu possible».
Avec le recul, cet arrêt de la chanson ressemble à une libération. Très
vite, Stéphane Blok a enchaîné les projets, travaillé dans un atelier
chorégraphique de Bruxelles, sur un film (iXième)
qui remporte un Léopard d’or à Locarno, écrit et composé pour Michael
von der Heide comme pour des chorales, fait des arrangements pour
Sarclo et Thierry Romanens, monté un projet avec Léon Francioli,
accompagné Olivia Pedroli, composé des musiques pour le théâtre, écrit
des livres… Un parcours à la fois atypique et exemplaire dans sa
liberté. «L’étonnant, pour moi, c’est que les autres ne le fassent pas,
qu’ils préfèrent être prof de guitare…»
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
Lu du ciel
Un matin, dans un appartement inconnu, Aurélie ouvre les yeux.
«Qu’ai-je fait cette nuit?» Groggy de sommeil, enivrée de consommations
et épuisée d’effusions, elle se sauve. Dans la rue, elle se retrouve
immergée dans une foisonnante ville en plein éveil. À la recherche d’un
café et d’un immense verre d’eau, elle sillonne les rues, à la fois
comblée et honteuse de sa nuit, qui reste partiellement mystérieuse,
m^me si certains souvenirs se révèlent, la faisant rougir et sourire…
Puis, après Aurélie, il y a Silverio qui quitte les bras de Morphée et
procède à ses habituelles ablutions matinales. Ensuite, c’est au tour
de Marc de vivre les premiers instants d’«un jour sombre comme il en a
rarement été». Les premiers leurres du matin.
Après Les Illusions, paru en 2012, Le Ciel identique
est la deuxième publication de l’artiste vaudois Stéphane Blok chez
Bernard Campiche Éditeur. Après un premier recueil de poèmes effrontés
et de pensées fugaces, cette nouvelle œuvre, toujours imprégnée de
l’univers rêveur et enchanteur de l’auteur, est un roman aux accents
doucement philosophiques. Trois histoires pour un roman de rêves de
comptoir.
ALINDA DUFEY, Vigousse
Le roman est décidément un genre qui échappe à toute définition.
Le livre de Stéphane Blok, Le Ciel identique,
est un roman. Mais il l’est par défaut. En effet, de par sa longueur,
il pourrait être une nouvelle. Et pourtant, cela ne tient pas la route.
Certes il ne comporte pas plus de nonante pages et nombre d’entre elles
sont loin d’être noircies de mots, mais il n’est pas condensé comme une
nouvelle devrait l’être, en principe. Au contraire il serait plutôt
expansé, comme s’il était la caisse de résonance des trois questions
ouvertes que représentent ses trois chapitres et ses trois épilogues en
un seul.
Comme c’est bien une œuvre de fiction, il n’est pas d’autre genre que
le roman qui puisse lui être attribué. Comme l’esprit humain a besoin
de catégoriser pour se rassurer, il affuble un qualificatif accolé au
mot roman pour lui trouver une identité. Et celui qui vient au même
esprit humain, en l’occurrence, pourrait bien être poétique. Ce qui
tombe bien puisqu’il est suivi de quelques poèmes, intitulés Chants entre les immeubles.
Trois chapitres, trois personnages, Aurélie, Silverio et Marc. Sous le
même ciel. Les deux premiers proches. Ils se croisent même à un
carrefour de la ville. Le troisième, plus loin, dans une vallée, se
trouve sous la pluie depuis onze jours.
Aurélie n’a pas dormi. Elle vient de quitter deux hommes. Les trottoirs
sont mouillés, mais le ciel est bleu. Elle déambule dans la ville,
après avoir pris un café et un verre d’eau dans un établissement. Elle
se dévêt un peu, parvenue au bord du lac. Chemin faisant elle a vu
cette scène:
«Un jeune homme en veste de cuir beige traverse au rouge le passage
clouté tandis que deux femmes, cabas en main, attendent que le feu
passe au vert. [...] Deux pigeons se suivent sur le pavé taché.»
Silverio est sur le départ. Il essaie de ne rien oublier. Il prépare
ses affaires, tout en accomplissant les tâches quotidiennes du matin,
le thé vert, les ablutions, les opérations naturelles. Une fois dans la
rue, il assiste à cette scène:
«Une jeune femme blonde en talons hauts et habits de soirée déambulent
nonchalamment devant lui: ses cheveux retenus laissent apparaître une
nuque fine et de petites oreilles, légèrement décollées. Deux femmes,
cabas en main, attendent que le feu passe au vert. [...] Il [...]
traverse au rouge le passage clouté en direction du métro, porté par un
enthousiasme qu’il sent contagieux [...]. Deux pigeons se suivent.»
Marc se trouve sous la pluie incessante depuis onze jours, qui imprègne
tout, les êtres et les choses. Il réside dans une masure, dont le toit
ne retient que partiellement l’eau, située en périphérie d’un petit
bourg. Avec ce temps, il y fait nuit en plein jour. Il doit se trouver
dans cette vallée que devine Aurélie depuis le bord du lac:
«Tout au fond, entre deux massifs, des nuages obstruent la vallée. Et
sous les nuages, deux parallèles grises, obliques, des trombes d’eau
qui tombent du ciel, de l’eau qui chute, lâchée dans le vide, du haut
vers le bas, jusqu’au sol. Là-bas les gens sont sous la pluie, dans le
brouillard. Dans la tempête.»
Dans ce roman il n’y a donc pas vraiment d’intrigue, mais trois
personnages, qui, confrontés à la réalité du réveil, se livrent à des
réflexions poétiques sur ce qu’ils font, sur ce qu’ils vont faire, sur
ce qui les environne.
Et le lecteur, sous le charme, comble de lui-même, emporté par son
imagination, les lacunes poétiques laissées par l’auteur et fait sien,
alors, ces vers de Stéphane Blok poète:
Depuis longtemps déjà, depuis longtemps j’ignore
si au-delà des toits, des toits s’étendent encore.
Blog de FRANCIS RICHARD
Musicien, poète, scénariste, le Lausannois Séphane Blok s’offre à la quarantaine une bouffée de free-jazz littéraire
Un extrait:
S’inventer différent, se sentir autre, inégal, ne sert à rien. Nul
n’est différent. Seuls les vieux rigolent de se savoir encore là. Ils
rigolent d’être passés. Même terrifiés ou silencieux, mais ils sont là
et peuvent bien rigoler.
Elle se redresse.
Une fourmi ailée monte sur son genou.
Qui a vu le jour se lever ce matin ?
Le jardinier accroupi enlève les mauvaises herbes dans le carreau voisin.
Elle est partiellement dévêtue.
Qu’importe à la fin.
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