Lutter contre l'homophobie, accepter les différences
À l’heure où le conseiller national Matthias Reynard (PS/VS) vient de
déposer à Berne une initiative parlementaire qui veut ajouter à
l’article 261bis du Code pénal la discrimination sur l’orientation
sexuelle aux côtés de l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse,
le livre de Nicolas Verdan prend une actualité qui interpelle; il
appelle à la vigilance pour lutter contre les discriminations et les
exclusions, quelles qu’elles soient, et au respect de l’autre dans sa
différence. Longtemps tue, la persécution des homosexuels par les nazis
est contée dans ce livre qui tient du roman policier et du document
historique et se déroule en un magistral contrepoint superposant trois
périodes: l’avant-guerre (1932,33), la guerre, l’après-guerre (1958) et
trois lieux: le Berlin canaille des années 30, le jeune État
d’Israël, moins Terre promise qu’il n’y paraît, l’Argentine, refuge
d’anciens nazis. En jeu, la liste établie par le Dr Magnus Hirschfeld,
lui-même juif et homosexuel, qui avait fondé un institut célèbre de
sexologie et s’efforçait de convaincre ses patients de s’accepter tels
qu’ils étaient. Cette liste était dangereusement compromettante, car
elle contenait des noms de nazis qui avaient consulté le Dr Hirschfeld
et voulaient s’en cacher, mais aussi parce qu’elle pouvait permettre au
Mossad (services secrets israéliens) de retrouver des criminels de
guerre. Plus que l’horreur de cette époque perpétrée avec un
inconcevable cynisme, c’est le souci de rappeler l’humain dans tout
homme, avec sa part de souffrance qui peut virer hélas à des abîmes de
noirceur, qui fait l’importance de ce livre; il est une mise en garde
non seulement contre l’oubli de ce qui s’est passé, mais surtout contre
l’intolérance, le rejet, les a priori qui conduisent à classer les gens
selon un besoin de normalisation discriminatoire.
MYRIAM TÉTAZ, Courrier de l’AVIVO
Coup de projecteur sur l’homophobie nazie
Un roman de Nicolas Verdan nous entraîne dans le milieu homosexuel sous Weimar et le IIIe Reich.
Nicolas Verdan s’est fait connaître par des romans qui lui ont inspiré
des faits historiques. Celui-ci se fonde sur la vie et l’œuvre d’un
personnage réel, le Dr Magnus Hirschfeld (1868-1935). Après avoir écrit
des ouvrages célèbres défendant la cause des homosexuels, il fonda en
1919 à Berlin l’Institut de sexologie, qui acquit une réputation
mondiale, avant d’être pillé et détruit par les nazis dès 1933.
Hirschfeld, juif et lui-même militant homosexuel, mourut en exit à
Nice. Dans le cadre de son Institut, il avait constitué une énorme
documentation, comportant des noms et un répertoire de toutes les
«déviances» sexuelles. C’est là qu’entre en jeu le roman, centré sur un
personnage mi-réel mi-fictif, l’avocat pragois Karl Fein. À travers de
nombreuses péripéties que nous ne dévoilerons pas au lecteur, il relate
les tentatives de la Gestapo, puis du Mossad (les services secrets
israéliens) pour s’emparer de cette documentation sulfureuse. La
première afin d’exercer un possible chantage sur des opposants au
nazisme ou supprimer les références à des dignitaires nazis «invertis»,
le second pour traquer un criminel de guerre nazi réfugié en Argentine.
Par sa structure, basée sur un aller-retour entre Berlin 1932-33 et
Tel-Aviv 1958, le livre, qui tient du roman policier ou d’espionnage
palpitant, présente quelque analogie avec Qui a tué Arlozorrof?
de Tobie Nathan, dont nous avons rendu compte dans ces colonnes. Le
thème principal est la répression féroce de l’homosexualité par le
régime hitlérien. L’auteur avance des arguments psychanalytiques
pertinents, montrant comment, chez les nazis, le refoulement de leurs
propres pulsions et la haine de soi ont pu entraîner la haine des
autres. Il dépeint «cet Übermensch
qui soignait sa peur de l’autre en projetant sur lui ses terreurs et
ses hontes. Le Juif, l’homosexuel devaient disparaître en lui.» On est
confronté au délire racial des médecins et eugénistes nazis. Nicolas
Verdan excelle à rendre les atmosphères: celle du Berlin «décadent» de
la fin de la République de Weimar, avec ses boîtes de nuit interlopes
(décrites avec une pointe de complaisance) où règnent les travestis;
celle du Tel-Aviv moderniste construit par des architectes allemands
s’inspirant du Bauhaus; celle des couloirs discrets et feutrés des
grandes banques zurichoises. Il nous entraîne aussi dans la
Thessalonique de 1943, au moment de la déportation de son importante
communauté juive, qui y était parfaitement intégrée depuis des siècles.
Et dans l’Argentine péroniste, havre complaisant pour les nombreux
criminels de guerre nazis qui échappèrent à la potence. Ce roman très
maîtrisé, qui pose des problèmes graves, a assurément mérité le Prix du
Public de la RTS et le Prix Schiller qui l’ont récompensé en 2012.
PIERRE JEANNERET, Gauchebdo
Dans
ce quatrième roman, Nicholas Verdan revient sur une tragédie trop
souvent méconnue: la persécution des homosexuels sous le IIIe Reich.
Ainsi, dans un univers de fiction, il redonne vie à quelques patients
du docteur Magnus Hirschfeld, directeur du alors célèbre institut des
sciences sexuelles à Berlin. Entre fiction et réalité, le romancier
prend comme fil rouge une liste de patients du Dr Hirschfeld,
recherchés par la Gestapo (en 1933), puis par le Mossad (en 1958); et à
travers un réseau d’intrigues, il ressuscite le Berlin d’antan et
explore en profondeur «cette tendance propre à toute société humaine à
vouloir légiférer notre sexualité».
ÉLISABETH VUST, Viceversa littérature
C’est grave docteur?
Difficile d’estimer le nombre de textes que les guerres ont alimentés
depuis l’aube de l’écriture. Transmis comme un triste héritage, ces
récits constituent néanmoins un outil précieux à la compréhension de
notre nature et à son effrayant potentiel. Leur nombre, proportionnel à
la notoriété des joutes dont ils s’inspirent croient invariablement
d’année en année, étoffe toujours davantage les étals de nos
librairies. Dans cette pléthore de documents, il reste néanmoins
compliqué d’accorder à tous et en toute occasion la légitimité à
laquelle ils aspirent: trop nombreux, trop semblables, ils se perdent
parfois à tenter d’expliquer l’indicible, à exposer ce qui l’a déjà
été. Qu’on se rassure, ce roman n’est pas une énième description des
atrocités donc l’Homme s’est montré capable tout au long de la Seconde
Guerre mondiale. Non, ici la pudeur s’invite pour un changement
apprécié, le point de vue bousculant les habitudes. À défaut de
focaliser son attention sur l’horreur de la Shoah, l’auteur redonne une
voix à certains oubliés du drame juif, quand bien même leur persécution
constitue la modeste part de ce sanglant iceberg. Nombreux ou non,
qu’importe, il leur rend la place qui leur est due dans la mémoire
collective et constate l’étroitesse d’esprit de l’époque.
Souvenons-nous. Sous le IIIe Reich plus que dans tout autre régime,
l’homosexualité fut sévèrement réprimée. Considérée comme une entrave
majeure à l’épanouissement d’un Uebermensch
inaccessible, elle est assimilée à une déficience psychologique. Sous
ce sombre soleil, difficile alors d’imaginer Karl Fein, individu
cumulant les «tares», juif et homosexuel dans une Allemagne nazie peu
enthousiaste à ce genre de métissage. Patient du sexologue Magnus
Hirschfeld, il est contraint à l’émigration et emporté vers une terre
d’accueil aux antipodes des conceptions nationales-socialistes. Dans
cette patrie d’adoption où la vengeance coule inéluctablement, la
sérénité tant convoitée reste pour Karl bien passagère. Une peur nous
traverse alors, de tomber dans ce scénario usé, cette revanche
cautionnée des opprimés entretenant l’éternel brasier terrestre avec le
même entrain que leurs bourreaux, avec la même virulence. Il n’en sera
rien, et c’est bien là que réside l’intelligence de cette histoire
«partiellement» vraie, histoire qui nous ramène à une cause plus
universelle que communautaire, à cette humanité qui n’a de forme que
dans la tête des gens. Qu’importe le drapeau sous lequel elle s’enlise,
elle renaît tôt ou tard et trouve son salut dans le cœur de l’Homme,
seule terre promise s’il en est.
DAVID SCHMALZ, Les Lettres et les Arts
Rencontre littéraire d’exception
Les romanciers vaudois Yasmine Char et Nicolas Verdan vont se livrer
Yasmine Char et Nicolas Verdan, deux romanciers pour une soirée. C’est
le programme copieux que propose l’association littéraire La Page
cornée. Ce groupe de passionnés invite son public pour une rencontre
exceptionnelle à la bibliothèque communale de Gland, le vendredi 15
juin, à 20 heures. Exceptionnelle tant l’ambition de réunir ces
talentueux écrivains vaudois tient du véritable exercice
d’équilibrisme. Un exercice, une fois encore, parfaitement assumé par
l’association littéraire qui ambitionne de guider ces deux romanciers
sur le thème de l’exil – en ne perdant pas de vue leurs ouvrages
respectifs. Il faut dire qu’avec son dernier roman Le Palais des autres jours,
Yasmine Char a confirmé un authentique talent. Un roman
d’apprentissage, où l’amour sans condition d’une jeune femme pour son
frère jumeau affronte la sauvagerie de mondes marginaux. Un livre qui
souligne parfaitement que le parcours de Yasmine Char est marqué par
une expérience autour de l’exil très proche de celui de son héroïne
romancée.
Alice au pays des merveilles
En effet, la vie de Yasmine Char est un peu celle d’Alice au pays des
merveilles. Un écrivaine qui a quitté à l’âge de vingt-cinq ans, son
Liban natal – un pays à ce moment-là en proie à la guerre – pour
rejoindre Paris avant de poser ses bagages en Suisse et de devenir
administratrice du théâtre de l’Octogone à Pully. Avec son dernier
ouvrage, Yasmine Char confirme le sentiment qui flottait dans l’air
après la publication du roman avec lequel elle a gagné plusieurs prix
remarqués: La Main de Dieu, sorti en 2008 chez Gallimard.
Pour faire écho à cette riche expérience, la Page cornée reçoit
également Nicolas Verdan. Ce journaliste – il a été rédacteur en chef
adjoint à 24 Heures – portait lui aussi les germes du talent pressenti. Avec Le Patient du docteur Hirschfeld,
paru chez Campiche, sa faconde littéraire vient d’éclater au grand jour
puisqu’il a reçu le Prix du Public de la Radio télévision suisse
romande (RTS) et le Prix Schiller roman 2012 pour son ouvrage. Tiré de
faits historiques, ce livre ambitieux traite de l’homophobie sous le
IIIe Reich, une page de l’histoire étrangement peu exploitée eu égard à
cette dramatique période. Un ouvrage qui fait sens avec le thème de la
soirée tant ses rebondissements serviront les discussions autour de
l’exil. Avec Nicolas Verdan, ce sera également l’occasion d’évoquer la
Grèce, un pays qu’il connaît bien par sa mère. Une nation qui illustre
également la trame de fond de son roman et sur laquelle Nicolas Verdan
porte un regard inquiet, notamment à l’évocation de la crise économique
démentielle que traverse la Grèce.
Volonté d’expansion
Dans tous les cas, cette nouvelle rencontre démontre que la Page cornée
a su faire sa place dans le paysage littéraire lémanique. Une
réputation qui tendra à se développer dans le futur, puisqu’après le
partenariat avec la bibliothèque de Nyon, c’est une nouvelle fois un
événement dans un lieu voué au livre auquel la Page cornée convie son
public. Une volonté d’expansion soulignée par le comité de
l’association qui réserve quelques belles surprises pour la fin de
l’année. Au vu de l’affiche présentée vendredi prochain à Gland, on en
salive d’avance.
PHILIPPE CLAIRE, La Côte
Le
docteur Hirschfeld, s’il n’est guère connu aujourd’hui que des
spécialistes de médecine ou de sexologie, a fait autorité au début du
XXe siècle grâce à l’Institut de sexologie qu’il ouvrit à Berlin en
1919. Il y reçut beaucoup d’homosexuels, y compris des futurs
dignitaires du nazisme, et établit des documents les concernant, la
fameuse liste qui est le fil rouge de ce livre.
Un peu roman d’espionnage, et beaucoup de descriptions historiques,
l’histoire des homosexuels dans le IIIe Reich nous promène dans
plusieurs pays et plusieurs époques. Le style est vif, brillant,
l’intérêt toujours soutenu. Et au-delà des événements se pose
l’éternelle question de nos différences, «une histoire tragique qui,
aujourd’hui toujours, demeure dans l’ombre de la Shoah».
La postface où l’auteur détaille ses recherches historiques et sa création romanesque est particulièrement intéressante.
JULIETTE DAVID, Le Messager suisse
Le Patient du docteur Hirschfeld
Intelligence d’un récit qui
s’appuyant sur un contexte historique aborde plus généralement la
question/problématique de l’exclusion. Un roman à lire à n’en pas
douter!
Présentation
Mais pourquoi veulent-ils tous mettre la main sur la liste des patients
du docteur Hirschfeld? Peu avant de mettre à sac son prestigieux Institut
des sciences sexuelles de Berlin, en 1933, les nazis fouillent le
bureau de ce sexologue qui en sait trop sur des hauts dignitaires du
Reich. En vain! Les dossiers comportant notamment le nom de centaines
d’homosexuels allemands ont disparu. Vingt-cinq ans plus tard, le
Mossad s’intéresse à son tour à cette fameuse liste. Construit à partir
de l’histoire réelle de la dramatique fin de carrière du célèbre
sexologue, ce roman explore cette tendance propre à toute société
humaine à légiférer nos préférences sexuelles, jusqu’à nous assigner
une «juste place» sur l’échelle des genres.
Extrait
Berlin, 28 février 1933
Marinus, qui vient de la mer. Marinus Van der Lubbe, vingt-quatre ans,
citoyen hollandais, auto-stoppeur. Les nazis tenaient déjà leur
coupable: un garçon hirsute, torse nu, errant hier soir dans le
Reichstag en flammes. En sueur, l’air hagard, disaient les journaux, il
sortait de la salle Bismarck, quand il s’était fait prendre. Ce matin,
les manchettes étaient sans appel: l’incendiaire est communiste.
Communiste et homosexuel.
Magnus, le grand. Magnus Hirschfeld, soixante-cinq ans, citoyen
allemand, sexologue, fondateur de l’Institut de sexologie de Berlin.
Ennemi désigné du Reich: fornicateur, incite la jeunesse à la
dépravation. Homosexuel. Juif. En voyage. La Gestapo précisait: retour
en Allemagne incertain.
Entre le Reichstag, ou ce qu’il en restait, et l’ancien hôtel
particulier du Prince Hatzfeld, aujourd’hui dédié à la recherche en
sexologie, il n’y avait que six cents mètres. Une courte distance
parcourue à cette heure tardive par un homme qui s’était mis en tête de
corriger le sens que prenaient les événements. Non pas qu’il cherchât à
résister à l’installation des forces nouvelles. Au contraire, son
uniforme, dissimulé ce soir par un manteau de ville et un élégant
chapeau à larges bords, marquait sa foi absolue dans l’ordre qui
s’établissait sous la bannière à croix gammée. Or, c’est précisément
pour conserver son rang dans la Waffen SS que cet homme allait, dans un
instant, entrer par effraction dans l’Institut de sexologie. Il lui
fallait à tout prix y précéder les enquêteurs de la police secrète.
De Marinus Van der Lubbe, cet homme ne connaissait rien. Sinon son
portrait diffusé dans les communiqués de la Preussische Pressedienst.
De Magnus Hirschfeld, il conservait le souvenir détestable de leurs
promenades dans le Tiergarten. Le Docteur, après l’avoir reçu une
première fois dans son luxueux bureau, lui avait proposé une série de
consultations en plein air. C’était son habitude. Il prenait ses
patients par le bras et les conduisait dans les allées du parc. Le
Docteur disait qu’on devise plus facilement en déambulant qu’en restant
assis dans un fauteuil. Les mots, lors de leur première sortie, étaient
venus tout seuls, c’est vrai. Il avait pu lui dire ce qui le
tourmentait. Le Docteur, à l’écoute, hochait la tête, il l’encourageait
à tout raconter. À sa grande surprise, il lui avait dit que son cas
n’avait rien d’extraordinaire. Il n’était pas malade, il n’avait rien à
se reprocher.
Lu dans la presse
Croix gammée, croupes gainées
En 1933 à Berlin, les nazis surveillent de près l’Institut des sciences
sexuelles du docteur Hirschfeld. Pour la race supérieure, dont
l’ouverture d’esprit n’a d’égale que la délicatesse, cette clinique
spécialisée dans l’homosexualité n’est «qu’un nid de perversion et de
pédés» qu’il s’agit d’anéantir au plus vite. Pourtant, plusieurs SS
tremblent à l’idée que la liste des patients du fameux docteur tombe
entre de mauvaises mains… Pas sûr que leur patron Heinrich Himmler se
montrerait conciliant en apprenant que certains de ses hommes adorent
se mettre à quatre pattes pour recevoir la fessée…
Vingt-cinq ans plus tard, alors que le Mossad recherche un ancien
criminel de guerre nazi fétichiste des cheveux tressés et sectionnés,
une piste va lancer les soldats israéliens sur la trace de ces dossiers
compromettants.
Entre Berlin et Tel Aviv, travestis et nazis, ce récit nous emporte
dans une passionnante chasse à la liberté et au respect. Fortement
inspiré de la vie du sexologue allemand Magnus Hirschfeld, qui s’opposa
au paragraphe 175 du Code pénal allemand condamnant l’homosexualité, ce
roman décortique avec subtilité la voile, la vapeur et les peurs.
(Alinda Dufey, Vigousse)
L’auteur
Nicolas Verdan est né à Vevey en 1971. Sa vie se partage entre la Suisse et la Grèce, sa seconde patrie.
Euromedia
Le désir et la mort
Nicolas Verdan, Joël Dicker et
Arnaud Maret reviennent chacun sur la Seconde Guerre mondiale dans des
récits prenants où les trajectoires intimes se heurtent à la violence
de l’Histoire.
Hasard du calendrier ou air du temps? Ces derniers mois, trois jeunes
écrivains romands ont exploré des facettes peu connues de la Seconde
Guerre mondiale. Le Vaudois Nicolas Verdan s’attaque aux persécutions
qui ont frappé les homosexuels sous le IIIe Reich dans Le Patient du docteur Hirschfeld,
qui vient de recevoir l’un des Prix Schiller ainsi que le Prix du
public de la RTS; le Genevois Joël Dicker évoque une branche cachée des
services secrets britanniques dans Les Derniers Jours de nos pères; le Valaisan Arnaud Maret signe une fiction plus intimiste avec Les Écumes noires,
où son jeune héros découvre le passé obscur de son père. Si les trois
romans diffèrent dans le ton comme par les sujets abordés, tous allient
travail d’enquête et plaisir de la fiction. Enfin, alors que les deux
premiers se concentrent sur des faits réels assez peu documentés,
laissant autant d’espace à leur imagination de romancier, la guerre est
chez le troisième davantage une toile de fond à des questions
existentielles sur la mémoire, la faute et la transmission.
Le contrôle des sexualités
Rage purificatrice, persécution des homosexuels et culte trouble du physique viril: Nicolas Verdan dépeint dans Le Patient du docteur Hirschfeld
un régime nazi obsédé par le corps, fasciné par le désir et la mort.
Porté par une écriture efficace et sans fioritures, le récit allie
Histoire et énigme, fiction et réalité, éclairant avec subtilité la
violence des pouvoirs quand ils se mêlent de contrôler les sexualités.
Verdan met en regard les époques et les points de vue, du Berlin des
années 1930 au Tel Aviv de 1958 où vit Karl Fein, ancien patient du
docteur Magnus Hirschfeld. Ce dernier a fondé l’Institut des sciences
sexuelles à Berlin, lieu pionnier dans le domaine de la recherche sur
l’homosexualité, mis à sac par les nazis dès l’arrivée au pouvoir
d’Hitler après un autodafé de sa riche bibliothèque – scène terrible du
roman où se mêlent sauvagerie et fascination sidérée. Dans leur traque
des homosexuels autant que pour faire disparaître des preuves gênantes
pour certains dignitaires du parti, les nazis tentent alors de mettre
la main sur les listes des patients du médecin. En 1958, ce sera au
tour du Mossad de les rechercher: sur les traces d’un ancien nazi, ses
agents mettront Karl Fein à contribution.
Nicolas Verdan explore alors les barrières mouvantes de l’identité à
travers une galerie de personnages complexes. De Karl Fein, juif et
homosexuel qui ne veut plus être considéré comme un «patient», à
l’androgyne agente du Mossad, en passant par l’officier nazi chargé de
n’autoriser que les mariages garants de la pureté aryenne et qui
s’avère au final fétichiste et peu clair sur son genre, l’auteur montre
l’absurdité délirante à laquelle est vouée toute tentative d’enfermer
les êtres dans des catégories. Et rappelle que le fameux paragraphe 175
du Code pénal allemand réprimant l’homosexualité ne sera abrogé qu’en
1994.
Autre épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale, abordé par Joël Dicker dans son premier roman Les Derniers Jours de nos pères:
en 1940 à Londres, Winston Churchill crée une branche des services
secrets chargée de mener des actions de sabotage et de renseignements
sur le continent, à l’intérieur des lignes ennemies. Il s’agit du
Special Operation Executive (SOE). Afin de passer inaperçus, ses
membres sont recrutés parmi les populations locales. Joël Dicker
raconte la formation puis l’action sur le terrain d’un groupe de jeunes
volontaires français, se focalisant sur Pal qui a quitté Paris et son
père pour gagner la Résistance. Recruté par les SOE, il suit en
Angleterre la rude formation des services secrets. Face aux difficultés
puis au danger qui les attendent, les élèves du groupe se lieront de
manière très forte, petite communauté indissoluble soudée contre la
violence et la peur. Pal y trouvera aussi l’amour. Devenu un excellent
agent, envoyé sur le terrain, le héros fera pourtant une erreur fatale.
C’est qu’il a le cœur brisé d’avoir abandonné son père veuf, auquel il
n’a pas le droit de donner des nouvelles...
Les Derniers Jours de nos pères tient du récit initiatique, qui voit
ces très jeunes recrues devenir des adultes en découvrant la guerre et
l’amour. Loyauté, culpabilité, questionnement sur le bien et le mal,
sur ce qui fait les Hommes (avec une majuscule un peu pompeuse), sur
les dettes des fils envers leurs pères... c’est tout ceci que brasse
l’auteur dans cette fresque généreuse et bien documentée, riche épopée
qui se lit avec plaisir. On regrettera cependant une tendance à
l’emphase qui dessert parfois le propos – certaines envolées lyriques,
certains élans stéréotypés, un style aux accents étonnamment
classiques. Reste que l’auteur né en 1985 signe un roman ambitieux, et
l’un des premiers à évoquer les relations entre la Résistance et la
Grande-Bretagne de Churchill.
Tragédie intime
On pourrait faire le même reproche de lyrisme exagéré, parfois à la
limite du poncif, à Arnaud Maret, jeune Valaisan né en 1986. Force est
pourtant de reconnaître ici aussi l’ambition des Écumes noires,
qui tient de la saga familiale et du roman d’apprentissage, étalé sur
plusieurs années. En 1989, Julien, jeune professeur à l’Université de
Fribourg, apprend que son père – qui l’a élevé seul – a été assassiné
dans sa villa au sud de Munich. Au fil de l’enquête, où les soupçons se
dirigent d’abord sur lui, il va découvrir un pan insoupçonné du passé
de son père. Des découvertes qui remettent en question sa vision du
monde et de lui-même.
Le roman brasse avec sensibilité drame historique et tragédie intime,
passé et présent, questionnement sur les fautes paternelles et le poids
de l’héritage. Les états d’âme du héros auraient gagnés à davantage de
sobriété: on a de la peine à croire à sa posture désabusée, à son
cynisme absolu et un brin ostentatoire quand il déclare sa vie finie et
l’amour envolé pour toujours, alors qu’il n’a pas trente ans... Saluons
pourtant une construction impeccable, la maîtrise du rythme et la
grande richesse thématique de ce premier roman. Prometteur.
ANNE PITTELOUP, Le Courrier
Nicolas Verdan aime se colleter avec des personnages réels. Dans Saga. Le Corbusier, le vieil architecte voit défiler sa vie au moment de sa mort. Dans Le Patient du docteur Hirschfeld,
le romancier procède d’une façon plus distanciée: il part de faits
historiques à travers la figure un peu oubliée du docteur Hirschfeld
(1868-1935). Ce chercheur créa, en 1919, l’Institut de sexologie, sis à
Berlin. Il y développa une théorie de l’identité sexuelle vue comme une
échelle qui va du masculin au féminin, avec de nombreuses marches
intermédiaires. Juif, il s’exila en Suisse. Dès 1933, l’institut,
fréquenté par de nombreuses personnalités de tout bord, fut la
cible des nazis et mis à sac. La liste des patients avait disparu. La
quête de ce document compromettant tant pour les nazis que pour les
Juifs qui avaient fréquenté l’institut,est au cœur de ce roman qui va
et vient entre trois strates temporelles: vers 1933, à Berlin; au
tournant de la guerre, vers 1943; en 1958 à Tel Aviv, où le patient du
titre, avocat juif et homosexuel, a pu s’exiler; et en Argentine, sur
les traces d’un criminel de guerre coupeur de nattes recherché par le
Mossad. Très documenté, le récit rappelle le sort des homosexuels sous
le régime nazi, mais aussi la discrimination dont ils ont été (et sont
encore) l’objet dans le monde entier. Un ouvrage qui tient un peu du
roman d’espionnage, mais qui est surtout un document à charge contre
l’exclusion sous toutes ses manifestations et contre l’assignation à
une identité figée, sexuelle, religieuse, politique.
ISABELLE RÜF, Le Phare
Une réalité si proche
Avec Le Patient du docteur Hirschfeld, l’écrivain vaudois signe un ouvrage traitant de l’homophobie sous le troisième Reich.
Muets, les livres d’histoire sont muets, ou presque, autour du dernier sujet du très bon roman de Nicolas Verdan: Le Patient du Docteur Hirschfeld.
En traitant de l’homophobie sous le troisième Reich, cette fine gâchette de
la jeune garde littéraire romande écarte le voile sur une thématique
étrangement aphone au regard de l’histoire contemporaine. L’ancien
rédacteur en chef adjoint de 24 Heures
est né à Vevey en 1971. Son chemin l’a conduit à plusieurs reprises au
Proche-Orient et sa vie se partage entre la Suisse et la Grèce, sa
seconde patrie. Son premier roman, Le Rendez-vous de Thessalonique, a reçu le Prix Bibliomedia Suisse 2006. Rencontre.
La Côte: La trame de votre roman n’est pas banale, qu’est-ce qui vous amené à ce sujet?
Nicolas Verdan: J’ai
travaillé comme j’en ai l’habitude. Je suis parti de faits réels pour
arriver à mon scénario. En l’occurrence, c’est lors d’un voyage à
Berlin que j’ai découvert que l’ancien cabinet du docteur Magnus
Hirschfeld se situait à six cents mètres du Reichstag. Ce médecin y
avait fondé en 1919, dans un ancien hôtel prussien – l’Institut des
sciences sexuelles de Berlin. Hirschfeld avait beaucoup travaillé sur
le traitement des pulsions homosexuelles. C’est un des premiers bureaux
qui a été mis à sac par les nazis lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir.
Cela a été accompagné d’un autodafé de ses ouvrages.
La Côte: C’est une scène
saisissante de votre livre, ces bûchers qui annihilent la différence.
Vous semblez avoir capté l’essence même de la barbarie.
Nicolas Verdan: Mais, je
dois dire que cette période de l’histoire me passionne parce qu’elle
recèle à elle seule des éléments qui se répètent invariablement: le
bien, le mal, l’organisation de l’État. Ce sont des préceptes que l’on
retrouve dans l’histoire du nazisme mais qui font complètement écho à notre modernité.
La Côte: Votre ouvrage, c’est aussi un livre sur l’exclusion, non?
Nicolas Verdan: J’ai
envie de dire finalement oui! Mais c’est vrai que j’ai une sensibilité
particulière qui fait que je suis attentif aux questions qui concernent
les exclus. Jusqu’à maintenant, je m’étais plutôt intéressé aux
migrants. Là, avec les homosexuels, l’exclusion à travers l’identité
sexuelle est manifeste.
Étrangement, c’est quelque chose dont on ne parle pas ou peu dans les
livres d’histoire! Ce n’est pas pour autant que j’ai signé un ouvrage
militant, je ne défends pas une cause qui est mienne, je constate,
c’est tout…
La Côte: Durant votre
travail d’approche romanesque, les différentes communautés – notamment
homosexuelle –, savaient-elles que vous écriviez un livre?
Nicolas Verdan: Pas
toujours, parce que si je me pose d’emblée comme un observateur,
certains contacts peuvent bloquer. Je pense en particulier à la scène
transgenre que l’on voit actuellement à Berlin. C’est, ni plus ni
moins, la version XXIe siècle du Berlin des cabarets. Cela étant,
c’était plus un gros travail d’imagination à partir de sources de
lectures que de reproduction d’ambiances.
La Côte: Vous décrivez avec beaucoup de finesse la dimension érotique, voire pornographique du nazisme, l’ombre de Jean Genet?
Nicolas Verdan: Oui,
totalement. Genet a su parfaitement capter cette dimension dans ses
écrits. La fameuse esthétique du mal, celle qui est mise en exergue
dans les films de Leni Riefenstahl. Mais vous savez, ce qu’il y a
d’inquiétant, c’est que cette période de l’histoire pourrait revenir.
(Il réfléchit.) Finalement, le politiquement correct que nous vivons
actuellement n’est pas très loin de cette réalité.
Commentaire
Le livre de Nicolas Verdan est intelligent à plus d’un titre.
Premièrement, il souligne la barbarie innommable d’une époque pas si
lointaine que ça. Mais surtout, il met en exergue une réalité qui nous
concerne tous: celle de l’exclusion. Nicolas Verdan, qui partage ses
racines avec la Grèce, parle volontiers de la crise démentielle que
traverse ce pays. Un travestissement contemporain de ce qu’a été le
délire hystérique nazi? Peut-être bien finalement.
DANIEL BUJARD, La Côte
Croix gammée, croupes gainées
En 1933 à Berlin, les nazis surveillent de près l’Institut des sciences
sexuelles du docteur Hirschfeld. Pour la race supérieure, dont
l’ouverture d’esprit n’a d’égale que la délicatesse, cette clinique
spécialisée dans l’homosexualité n’est «qu’un nid de perversion et de
pédés» qu’il s’agit d’anéantir au plus vite. Pourtant, plusieurs SS
tremblent à l’idée que la liste des patients du fameux docteur tombe
entre de mauvaises mains… Pas sûr que leur patron Heinrich Himmler se
montrerait conciliant en apprenant que certains de ses hommes adorent
se mettre à quatre pattes pour recevoir la fessée…
Vingt-cinq ans plus tard, alors que le Mossad recherche un ancien
criminel de guerre nazi fétichiste des cheveux tressés et sectionnés,
une piste va lancer les soldats israéliens sur la trace de ces dossiers
compromettants.
Entre Berlin et Tel Aviv, travestis et nazis, ce récit nous emporte
dans une passionnante chasse à la liberté et au respect. Fortement
inspiré de la vie du sexologue allemand Magnus Hirschfeld, qui s’opposa
au paragraphe 175 du Code pénal allemand condamnant l’homosexualité, ce
roman décortique avec subtilité la voile, la vapeur et les peurs.
ALINDA DUFEY, Vigousse
Voici
un roman très intéressant. Il mélange l’histoire (surtout de
l’Allemagne nazie), le sujet de l’homosexualité et la chasse aux
anciens nazis. Mi-récit historique, mi-roman d’espionnage, ce livre
aborde le douloureux problème des différences. Comment vivre en
Allemagne nazie en étant et juif et homosexuel?
Nicolas Verdan promène le lecteur successivement de 1932-1933 à 1958,
de Berlin à Zurich, en passant par Brno, Tel Aviv, Thessalonique et
l’Argentine.
Le docteur Hirschfeld a existé. Il avait ouvert, en précurseur, à
Berlin, un institut de soins pour les sujets aux pulsions déviées et
qui en souffraient. Il a ainsi contribué à soigner de nombreux patients
dont de futurs responsables nazis en les aidant à accepter leur
différence. Mais ce docteur, en bon chercheur, avait l’habitude
d’archiver les comptes rendus des entretiens avec l’identité des
patients et leurs maux. D’où la recherche effrénée, dès 1939, de
responsables nazis pour effacer des dossiers compromettants et, après
la guerre, d’agents du Mossad, pour identifier et retrouver d’anciens
Allemands responsables des déportations de Juifs.
Si l’auteur insiste, un peu trop, plusieurs fois, sur certains
fétichismes, il a le mérite de montrer que, derrière l’habit de la
respectabilité, se cachent bien souvent des êtres qui souffrent.
Style agréable et roman bien construit.
http://cfrancophonieb.blogspot.com/
Lire Le Patient du docteur Hirschfeld à Berlin
Rien de mieux que d’évoquer le dernier roman de Nicolas Verdan, Le Patient du docteur Hirschfeld,
dans la capitale allemande. Le récit se déroule parallèlement sur deux
époques, dans deux villes: le Berlin de la montée du nazisme et le Tel
Aviv de la construction israélienne. Le héros, Karl Fein, l’un des
patients du docteur Hirschfeld, célèbre sexologue allemand des années
trente, est à la fois juif et homosexuel, double raison d’être
persécuté… Nicolas Verdan n’a pas commis un roman de plus à propos de
l’horreur nazie mais un plaidoyer à la tolérance, à l’ouverture
d’esprit et à la compassion. Au fil du texte, les gentils ne sont pas
si gentils, les méchants ont leurs raisons et Karl Fein semble rester
la victime perpétuelle du système, quel qu’il soit.
Accessoirement, Verdan nous promène dans le Berlin éternel des
cabarets et de la vie urbaine, dans l’espoir des matins nouveaux du
jeune État d’Israël, dans l’exotisme de l’Argentine germanisante. Étonnamment,
les régions et les époques s’imbriquent les unes dans les autres sans
se «contredire» et finissent par former une mosaïque complexe et
touchante au long d’un récit à valeur historique, relevé de multiples
rebondissements. Il y a du suspense au coin de chaque chapitre, et
mille anecdotes plaisantes: devinez quel dignitaire nazi – et je ne
parle pas du général Röhm – sortait travesti faire la tournée des
boîtes berlinoises et était connu sous le sobriquet de schwarze Maria?
Nicolas Verdan, avec ce brillant roman, aux Éditions Campiche, témoigne
de l’intérêt croissant de la Suisse romande pour la culture allemande
et, particulièrement, pour la lointaine Berlin. Ses mille drames, ses
possibilités gigantesques, sa nonchalance et son petit genre canaille
mais bon fond nous changent du propre en ordre stérile de notre bout de
pays et ses atermoiements, toujours à balancer entre germanium et
latinium. Pour mémoire, les Éditions Zoé ont étonné le monde littéraire
français avec la publication de la traduction du Matthias Zschokke, Maurice à la poule qui se déroule intégralement à Berlin. Zoé, Campiche, et après? à qui le tour?
FRÉDÉRIC VALLOTTON, frevall-blogspot.com
Dans
ce quatrième roman, Nicolas Verdan témoigne d’une réalité trop méconnue
ou tue: la persécution des homosexuels sous le IIIe Reich. «Une
histoire tragique qui, aujourd’hui toujours, demeure dans l’ombre de la
Shoah», note le romancier dans une postface éclairante, où il revient
sur les parts de fiction et de réalité de son récit.
Les historiens peinent à établir les faits, à énoncer des chiffres,
mais on estime (sans doute à la baisse) qu’en Allemagne, entre 1933 et
1945, cent mille hommes ont été arrêtés pour
homosexualité; de dix à quinze mille d’entre eux ont été déportés.
En 1919, Magnus Hirschfeld fonde à Berlin un institut de sexologie qui
acquit une réputation mondiale de par ses études consacrées à
l’homosexualité et son rôle de soutien psychologique. L’institut a été
détruit en 1933 par les nazis, qui tentèrent auparavant de mettre la
main sur la liste des patients de l’institut. Nicolas Verdan a choisi
pour fil rouge cette liste de noms, que la Gestapo a réellement
traquée, «tant pour mener la chasse aux homosexuels et faire chanter
des personnalités gênantes que pour protéger la réputation de membres
du parti nazi qui figurèrent au nombre des patients du Docteur».
Les informations au sujet de cette liste Hirschfeld sont minces;
Nicolas Verdan ne déplore pas ce manque autant que les historiens car,
s’il s’est documenté de manière très fouillée, il reste avant tout un
romancier, qui remplit les blancs de la mémoire, les lacunes de
l’histoire, la petite et la grande: «l’Histoire avec sa grande hache»,
écrivait l’écrivain Georges Perec, dont la famille juive a été décimée
par la guerre.
Ainsi, le héros de ce roman est-il un Juif dont l’Histoire a perdu la
trace, et dont Nicolas Verdan réinvente le destin. Présenté dès le
titre du roman, Karl Fein est un ancien patient du docteur Hirschfeld plus
chanceux que certains, puisqu’il a évité les camps en fuyant
l’Allemagne en 1939. On le retrouve à Tel Aviv en 1958, année où le
Mossad (agence de renseignements israélienne) l’approche pour retrouver
cette fameuse liste du docteur Hirschfeld. Celle-ci permettrait d’identifier
un SS encore en vie, un des acteurs principaux de la déportation des
Juifs de Grèce et de Yougoslavie. La passion de ce criminel pour les
tresses des jeunes filles devrait par ailleurs faciliter son
arrestation.
Cohérence et ouverture de l’écriture.
Cohérence et ouverture de l’écriture
Le premier roman de Nicolas Verdan (Le Rendez-vous de Thessalonique, Campiche, 2005, 110 pages) suivait la dérive géographique et intime d’un homme en Grèce; son deuxième roman (Chromosome 68,
Campiche, 2008, 150 pages) mesurait le fossé entre la génération Flower
Power et celle d’après Mai 68; son troisième roman revient sur la vie
et l’œuvre du Corbusier (Saga. Le Corbusier, Campiche, 2009, 192 pages). Le Patient du docteur Hirschfeld,
son quatrième roman, poursuit cette progression autant au niveau du
nombre de pages (ici 295) que de l’ouverture de l’écriture, de
l’individuel au collectif, de l’anecdote à l’histoire, sans néanmoins
négliger les ressorts intimes et l’unicité de chacun-e. De fait, ses
personnages ne sont ni des stéréotypes ni des créatures sans épaisseur.
Il s’inquiète à la fois de leur donner une existence physique et
psychique, de la vraisemblance, et a en cela le sens du détail parlant.
En outre, le romancier a une extraordinaire capacité à restituer le
décor extérieur, à y montrer l’empreinte du passé et du présent, de sa
population.
En plus de se baser sur des faits historiques tout en installant sa
propre intrigue, Nicolas Verdan entretient un rapport personnel avec
son récit. En effet, le protagoniste nazi recherché est montré envoyant
le dernier wagon de Juifs pour la Pologne, après sept mois à
Thessalonique pour y effacer «quatre cent cinquante ans de
présence juive». Nous revoilà donc dans la ville du premier titre
de l’auteur, et dans un de ses pays d’origine et d’habitation,
puisqu’il exerce ses métiers de journaliste indépendant et d’écrivain
entre la Suisse et la Grèce.
Nicolas Verdan explore «cette tendance propre à toute société humaine à
légiférer nos préférences sexuelles, jusqu’à nous assigner “une juste
place” sur l’échelle des genres». En rappelant l’existence du «Bureau
pour la race et le peuplement» du IIIe Reich, chargé d’examiner
les demandes en mariage pour garantir «une ligne pure», en revenant sur
un des pans de la folie nazie (l’homophobie), il lutte contre l’oubli;
mais il en appelle également à notre vigilance face à ce besoin de
normalisation qui ne peut qu’engendrer des dérives.
La sélection de la semaine avec Gérard Collard de La Griffe noire à Saint Maur et Lidye Zannini de la Librairie du Théâtre à Bourg-en-Bresse
Ça s’appelle Nicolas Verdan, Le Patient du docteur Hirschfeld,
chez Bernard Campiche. Alors, le docteur Hirschfeld, c’est celui qui a
créé la première école de sexologie, enfin la maison de la sexologie à
Berlin, avant les nazis. Le problème pour cet homme, c’est qu’il a
plein de fichiers sur ces grands dirigeants nazis qui n’étaient pas
très nets au niveau du sexe. Et donc ces gens veulent récupérer leur
dossier. Heureusement, ces dossiers vont disparaître, on va les cacher
en Suisse. Et là va commencer une course-poursuite pour récupérer ces
dossiers. Le truc, c’est que vous avez l’histoire d’un gars qui va
causer le génocide en Yougoslavie, mais il est obsédé par une chose,
c’est qu’il coupe les nattes des femmes avant de les tuer. C’est
tragique. On est en 1958 et, en 1958, on s’aperçoit qu’en Argentine
sévit un «serial-killer» qui, lui aussi, coupe les nattes de ses
victimes, et le Mossad va se mettre à la recherche de cet homme en
pensant que c’est le gars qui a créé le génocide en Yougoslavie et en
Grèce. C’est à la fois un polar, c’est efficace, intelligent… C’est un
tout petit éditeur qui se bat pour faire des choses comme ça, et c’est
vraiment extraordinaire si vous aimez cette époque, ou même si vous ne
l’aimez pas, vous allez découvrir quelque chose…
GÉRARD COLLARD, La Griffe noire, France Info, À livres ouverts
Si fragiles sont les frontières
Parmi les journalistes de Terre & Nature, il y a un écrivain de talent, Nicolas Verdan, qui vient de publier son quatrième roman. Inspiré de faits réels, Le Patient du docteur Hirschfeld
traite l’une des zones d’ombre de la Seconde Guerre mondiale: la
persécution des homosexuels par les nazis. Alternant les époques comme
les points de vue des personnages, ce récit explore avec sensibilité
les déchirements qui sont au fondement de l’humanité. Et montre à quel
point sont ténues les frontières qui séparent les nations, les peuples,
les races, les religions, les sexes. On sait la trouble intimité qui
lie le désir à la mort et c’est l’une des forces de ce texte que
l’incarner.
CÉLINE PRIOR, Terre & Nature
Voyageons un peu avec Nicolas Verdan
On disait jadis que, pour voyager, le LSD revient moins cher que les
CFF. On pourrait en dire autant du genre romanesque, comme l’a compris
l’écrivain vaudois Nicolas Verdan qui profite de ses livres pour faire
voyager son lecteur. Le Rendez-vous de Thessalonique (2005) l’emmenait en Grèce; Chromosome 68 (2008) en Italie et en France. Avec Saga. Le Corbusier (2009), ça virait même à la bougeotte: Paris, Alger, New York, Chandigarh, Corseaux...
Nicolas Verdan n’a pas tort de promouvoir le transport romanesque: son
empreinte carbone est négligeable. Avec son nouveau roman, Le Patient du docteur Hirschfeld,
on circule ainsi à travers l’Allemagne du troisième Reich, le jeune État
d’Israël et l’Argentine de l’après-guerre où se planquent des nazis en
fuite. Précisons qu’il y a deux escales en Suisse. L’une à Zurich. Et
l’autre au Tessin, sur le Monte Verità où séjourne parfois le docteur
Hirschfeld.
Clef de voûte du roman, Magnus Hirschfeld a existé. Pétri du scientisme
de son temps, mais d’une audace en avance sur son époque, il a fondé en
1919, à Berlin, un institut de sexologie qui œuvrait pour la libération
homosexuelle. Ce qui est romanesque, en revanche, c’est le récit
construit autour de deux anciens patients. Karl Fein, avocat juif qui
pratique le travestisme. Et Wilfried Blume, engagé chez les SS malgré
sa passion fétichiste: trancher les nattes des jeunes filles. Leurs
destins, happés par la fureur nazie, s’opposent et se répondent dans
une intrigue que Nicolas Verdan orchestre avec doigté.
Il restitue aussi très bien le climat de névrose sexuelle dans lequel
se construit le troisième Reich. D’un côté, persécution de l’homosexualité,
rage purificatrice, triangles roses. De l’autre, culte trouble du corps
viril, «esprit de corps» très particulier des Sections d’Assaut...
Cette dimension historique est habilement intégrée au roman, sans y
faire de grumeaux.
MICHEL AUDÉTAT, Blog
Hommage au docteur Hirschfeld
Le fondateur de l’Institut de sexologie de Berlin, pillé par les nazis avant la guerre, revit sous la plume de Nicolas Verdan
C’est un livre plein d’allant, de suspense, et qui est traversé par
l’histoire. Le Patient du docteur Hirschfeld, quatrième roman de
l’auteur suisse Nicolas Verdan, auteur du Rendez-vous de Thessalonique, se lit d’un trait tant il multiplie les aventures, les
rebondissements, mêlant reconstitutions historiques et scènes
imaginaires. Cette belle énergie narrative est au service d’un sujet
grave: la persécution des homosexuels sous le IIIe Reich. «Près de
soixante mille d’entre eux ont été emprisonnés comme tels et entre dix
et quinze mille ont été déportés», explique Nicolas Verdan dans les
notes détaillées qu’il fournit à la fin de son roman.
La force de son récit est de s’attacher à la belle et émouvante figure
historique de Magnus Hirschfeld qui s’établit en 1919 à Berlin comme
spécialiste de maladies psychiques et sexuelles. Il y fonde un
institut, voué à l’étude de «cas» divers, qui sera pillé par les nazis.
C’est autour des anciens patients de ce médecin, qui fut aussi un
militant de la cause homosexuelle, que se noue l’intrigue qui court sur
plusieurs époques et plusieurs pays: le Berlin du début des années
1930, Israël à la fin des années 1950, l’Amérique du Sud, refuge
d’anciens nazis. Prenant, documenté et vivant.
ÉLÉONORE SULSER, Le Temps
— Le premier des deux livres sur lequel on va s’arrêter à présent est intitulé Le Patient du docteur Hirschfeld,
c’est le quatrième roman de Nicolas’ Verdan, un auteur vaudois par son
père, grec par sa mère, et le docteur Hirschfeld, lui, a vraiment
existé, Geneviève, c’était un sexologue allemand poursuivi par les
nazis… — Exactement, qui voyaient en lui une double menace pour la race aryenne,
puisqu’il était juif et homosexuel et qu’en 1933, et jusqu’en 1994, il
faut le savoir!, sévissait en Allemagne le fameux paragraphe 175,
c’est-à-dire l’article 175 du Code pénal allemand, qui condamnait
l’homosexualité masculine et qui a provoqué la déportation de près de
cent mille homosexuels par les nazis… Magnus Hirschfeld a pu s’enfuir,
lui, et il a fini ses jours à Nice en 1935.
— Le patient cité dans le titre raconte l’histoire de son médecin. C’est ça? — Pas vraiment. Finalement c’est son histoire à lui qu’il va raconter, en
tout cas qu’on va découvrir. Son nom c’est Karl. Il a lui-même quitté
Berlin en 1939, après avoir vu les SS saccager et incendier la maison
d’Hirschfeld, qu’il avait effectivement consulté pour accepter son
homosexualité, ce personnage d’avocat met en lieu sûr la liste des
patients d’Hirschfeld, liste que les nazis recherchaient activement,
d’une part pour poursuivre les homosexuels mais surtout pour éviter
qu’on ne trouve sur cette liste le nom de personnalités nazies. Torturé
puis libéré, Karl va être mis sur un bateau à destination de la
Palestine et le livre se déroule au fond sur trois périodes précises:
l’année 1933, avec la montée des violences raciales et de
l’intolérance, l’année 1939, avec l’arrivée de Karl en Terre promise,
et l’année 1958 où il est contacté par les Services spéciaux israéliens…
— Et pourquoi? Ils veulent son aide pour trouver des nazis? — Exactement. Et c’est ce qui donne à ce livre un côté «roman
d’espionnage», au fond. Le lien, c’est le docteur Hirschfeld, qui a
suivi l’homme que recherche le Mossad, il l’a suivi parce que cet homme
avait une forme de fétichisme sur les tresses des jeunes filles. Alors,
évidemment ce n’est pas ça qui intéresse le Mossad mais surtout qu’il
s’agissait d’un individu responsable de la déportation des juifs de
Belgrade et de Salonique. Karl n’est pas emballé par cette mission, il
n’a vraiment rien d’un espion, si vous voulez, mais il n’a pas vraiment
le choix et en plus il donne l’impression d’être comme soulagé quand
enfin quelqu’un s’intéresse à son passé…
— Donc, au final, on peut dire que c’est un livre sur la punition? — C’est plutôt un livre sur la tolérance et le respect des différences.
Nicolas Verdan signe ici un livre contre la catégorisation, et en cela
il est assez critique vis-à-vis de Hirschfeld qui, lui, avait
tendance à classer ses patients selon leurs habitudes sexuelles. Karl
est une magnifique illustration du besoin de transgression. Il voudrait
par exemple se déguiser en femme, ce qui ne veut pas dire pour autant
qu’il renie sa virilité… Tout ce livre tourne autour de la notion
d’être «et et» et pas «ou ou» si vous le voulez, c’est-à-dire, par
exemple, gay mais pas militant, ou juif et Allemand ou Israélien et
Européen. Et peut-être qu’à force de vouloir traiter plein de thèmes
dans son livre, Verdan a un peu négligé l’écriture. On tombe sur
quelques expressions comme «se reproduire parmi» qui font un peu
«local» et qui désservent son propos très universel. Par ailleurs, en
mêlant fiction et réalité, essai et énigme, l’auteur qui est
journaliste, écrivain, scénariste refuse qu’on l’enferme dans un seul
genre. Bref, il milite pour la diversité et c’est un des mérites de son
livre…
GENEVIÈVE BRIDEL, Quartier-Livres, Le Journal du Samedi, RTS La Première
Haut de la page
Mais
pourquoi veulent-ils tous mettre la main sur la liste des patients du
docteur Hirschfeld? Peu avant de mettre à sac son prestigieux Institut
des sciences sexuelles de Berlin, en 1933, les nazis fouillent le
bureau de ce sexologue qui en sait trop sur des hauts dignitaires du
Reich. En vain! Les dossiers comportant notamment le nom de centaines
d’homosexuels allemands ont disparu. Vingt-cinq ans plus tard, le
Mossad s’intéresse à son tour à cette fameuse liste. Construit à partir
de l’histoire réelle de la dramatique fin de carrière du célèbre
sexologue, ce roman explore cette tendance propre à toute société
humaine à légiférer nos préférences sexuelles, jusqu’à nous assigner
une «juste place» sur l’échelle des genres.
NICOLAS VERDAN
Autour du livre
Depuis,
bien des choses ont changé. Depuis ce jour de mai 1933 où les nazis ont
mis à sac l’Institut de sexologie. Depuis 1958, cette année où Karl
Fein est retourné à Berlin. Que s’est-il passé, depuis?
1) La première Gay Pride de Berlin, dénommée Christopher Street Day, a lieu en 1979.
2) L’abolition, en 1994, du paragraphe 175 en Allemagne de l’Ouest.
3) Yaron Cohen, un Israélien opéré en 1992 à l’âge de vingt ans pour
une modification de sexe, remporte le concours Eurovision de la chanson
en 1998 avec la chanson Diva et sous le nom d’artiste de Dana
International.
4) En 2008, à l’occasion des soixante ans de la création de l’État
d’Israël, Angela Merkel, chancelière de la RFA, réaffirme le lien
indéfectible unissant l’Allemagne et Israël à travers la Shoah. Ce
disant, elle souligne aussi le fait que son pays est le premier
partenaire économique de l’État hébreu en Europe.
J’interromps cette liste de faits historiques pour y ajouter aussitôt
un événement qui relève autant de la fiction que de la réalité. Au 10 de
la Brunnenstrasse, là où vivait mon personnage Karl Fein dans les
années trente, une soirée gay friendly a été organisée dans l’arrière-cour de l’immeuble, dans une ancienne fabrique de meubles:
Samedi 08.01, Brunnenstrasse
10, ZURMOEBELFABRIK, Meschugge// The Unkosher Jewish Night! Gay
Friendly. (S’annonce chaud, donc dis à ta maman de rester à la maison
ce soir).
Je suis tombé par hasard, hier, sur cette affichette placardée sur les
murs lépreux de Prenzlauer Berg, un quartier situé à l’est de Berlin.
Fiction: Karl Fein n’a jamais vécu à cette adresse mais c’est précisément cette soirée qui m’a donné l’idée de situer là son domicile.
Réalité: cette soirée
«non casher» s’est bien déroulée hier, le 8 janvier 2011. J’y étais. Un
spectacle étonnant : des homosexuels, israéliens et allemands, réunis
sous une guirlande de drapeaux de l’État hébreu, dans une cave au décor
rudimentaire. Aux platines, une jeune femme à l’allure post-kibboutzim,
avec sa chemise jaune à carreaux, ses salopettes en jeans et ses bottes
tout-terrain. La musique? De la pop israélienne, Alpha Blondie, les Pet
Shop Boys, la kitchissime chanteuse Roni Superstar, et, bien entendu,
Dana International. Sur une paroi de briques suintant l’humidité, les
organisateurs de la soirée, israéliens, projettent un étonnant
diaporama où se succèdent les clichés de Golda Meir, le visage
las, feu la chanteuse Ofra Haza, des cochons, des travestis en tenue de
gala sur fond de palmiers de Jaffa, des soldats de Tsahal torse nu et
le pantalon kaki déboutonné.
On en revient aux points 1, 2, 3 et 4 cités plus hauts : sans
l’abolition du paragraphe cent soixante-quinze, sans la libération des
mœurs, en Allemagne comme en Israël, sans la reconstruction des liens
entre Israël et l’Allemagne, cette soirée n’aurait pas eu lieu. Mais
c’est vrai, les vieux démons hantent encore les rues de Berlin. Dehors,
à quelques centaines de mètres, des policiers allemands gardent la
synagogue d’Oranienburger Strasse. Des barrières de sécurité protègent
un café avec enseigne en hébreu. Mais tout de même, quelque chose s’est
passé. Depuis. Ce soir, dans le quartier de Wedding, la voix d’Aviv
Russ, trente-trois ans, né à Tel Aviv, parle en hébreu sur la FM « Alex
». Il annonce la soirée Meschugge au club ZMF.
Karl aurait-il aimé cette soirée non casher ? Il aurait été sensible à
la transgression : l’histoire d’Israël travestie sur les murs du club.
Le retour à Berlin des petits-enfants des survivants de l’Holocauste.
Leur façon de se jouer de l’histoire, déguisés, maquillés, pour
certains habillés en femme.
Réalité: Karl Fein, né le 9 mars 1894, a bel et bien existé. Juif, il était avocat en Tchécoslovaquie, une démocratie alors en sursis.
Poursuivi par les nazis, Karl Giese trouva refuge chez Fein, à Brno,
cette petite ville appelée Brunn par les Allemands et dont la langue et
la culture imprégnaient la culture locale. Giese se suicida chez lui en
1938, quand les troupes du Reich envahirent la Tchécoslovaquie.
Quelques sources laissent entendre que Karl Fein mourut en déportation
en 1942. Vérification faite auprès de la communauté juive de Brno, cette
information n’est pas confirmée.
L’architecte Jaroslav Klenovsky, qui veille à la préservation des
monuments et de la culture juive en Slovaquie, n’a pas retrouvé la
trace de Karl Fein dans la liste des déportés de Brno. À l’en croire,
il serait mort à Prague à une date indéterminée. Directeur de la
Fédération des communautés juives en République tchèque, le Dr Tomas
Kraus n’a lui non plus trouvé aucune trace de Fein parmi les noms des
Juifs de Bohème et de Moravie déportés à Lodz et à Theresienstadt.
À tous les deux, j’adresse mes remerciements pour leur aide.
Fiction: mon personnage de Karl Fein, dont rien ne dit qu’il était homosexuel ou travesti.
Réalité: Le Dr Magnus
Hirschfeld est curieusement peu connu de nos jours, du moins en dehors
du monde de la médecine et de la sexologie et en particulier dans
l’espace francophone. Ce grand défenseur de la cause homosexuelle est
né en 1868 à Kolberg (Kòlobrzeg), sur les bords de la mer Baltique,
dans ce qui se nommait alors la Poméranie occidentale, au nord-ouest de
la Pologne actuelle. Son père était un médecin réputé. Sa philanthropie
lui valut une stèle commémorative dans un parc qui fut démolie par les
nazis durant les années trente.
Magnus Hirschfeld se voua d’abord à la philosophie et à la philologie
avant de s’adonner aux sciences et à la médecine. À la toute fin du XIXe
siècle, il entreprit de grands voyages en Amérique, en Orient et en
Europe avant de s’installer à Magdebourg où il exerça la médecine. En
1910, il s’établit à Berlin comme spécialiste des maladies psychiques
sexuelles. En 1897, il fonda le Comité scientifique humanitaire (Wissenschaftlich humanitäres Komitee)
visant à l’éducation de l’opinion publique en faveur des droits des
homosexuels. Magnus Hirschfeld s’offusquait des préjugés à leur
encontre et il choisit la science pour les combattre. En 1897 toujours,
il lance une pétition visant l’abrogation du paragraphe cent
soixante-quinze du Code pénal allemand réprimant l’homosexualité. Il
obtient plus de six mille signatures. Parmi celles-ci, et non des
moindres: Einstein, Freud, Gide, Mann, Proust, Rilke, Wilde, Zola,
Zweig.
Les théories du docteur Hirschfeld reposent sur le stéréotype de l’inverti
efféminé. À partir de quatre critères (organes sexuels, caractères
physiques, instinct sexuel et caractères moraux), il classe les
individus au sein d’un vaste intermédiaire sexuel reliant le «type
mâle» parfait et le «type femelle» parfait. Il ne rejette pas
complètement le facteur héréditaire tout en luttant contre l’idée d’une
dégénérescence.
Parmi ses ouvrages les plus illustres, on trouve Les Homosexuels de
Berlin (1908 pour la première traduction française), écrit à la manière
d’un reportage journalistique et qui donne une illustration détaillée
de la vie des homosexuels, leurs pratiques et les lieux qu’ils
fréquentent.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, en 1919, Magnus Hirschfeld
ouvre à Berlin l’Institut de sexologie qui fit autorité dans le monde
entier avec ses études de l’homosexualité et comme lieu de soutien
psychologique.
Magnus Hirschfeld participa aussi en 1919 à l’écriture d’un film
documentaire, Anders als die Andern (Différent des autres), qui visait
à informer et à rassurer la population allemande sur l’homosexualité.
Réalisé par Richard Oswald, avec l’acteur Conrad Veidt et Magnus
Hirschfeld jouant son propre rôle, ce documentaire-fiction, aujourd’hui
disponible en DVD, mais sous forme fragmentaire, plaide pour la
dépénalisation de l’homosexualité et dénonce les chantages dont sont
victimes les homosexuels poussés parfois au suicide.
Sous son toit, l’institut de Hirschfeld rassembla la plus grande
collection d’archives traitant de l’amour entre hommes jamais réunie:
plus de vingt mille ouvrages (documents anthropologiques, médicaux,
légaux, sociaux), et quelque trente-cinq mille photos. L’institut
employait en général quatre médecins et de nombreux assistants, qui
donnaient des consultations en tout genre, de l’avortement aux maladies
vénériennes, en passant par l’homosexualité.
Comme décrit dans mon roman, l’Institut de sexologie fut détruit par
les nazis le 6 mai 1933 et sa mise à sac constitua la première action
d’envergure du nouveau pouvoir en place à Berlin. Durant les quelques
semaines qui précédèrent cet événement, la Gestapo tenta à plusieurs
reprises de mettre la main sur les précieuses listes du Dr Hirschfeld,
tant pour mener la chasse aux homosexuels et faire chanter des
personnalités gênantes que pour protéger la réputation de membres du
parti nazi qui figurèrent au nombre des patients du Docteur. Mais les
informations à ce propos sont maigres et peu détaillées, ce qui
constitue à la fois un obstacle et un avantage pour le romancier : peu
de sources à disposition, mais libre cours à l’imagination. À noter que
les descriptions que je fais de l’Institut de sexologie, dont il ne
reste qu’une maquette des murs extérieurs et de l’agencement des pièces
au Schwules Museum de Berlin, sont inspirées par les témoignages de
visiteurs et de pensionnaires des lieux. Christopher Isherwood
(1904-1986), romancier anglais, en parle dans son célèbre et délicieux
Goodbye to Berlin (1939). Louis-Charles Royer (1896-1970), un
littérateur érotique français, décrit lui aussi avec force détails les
pièces de l’institut dans L’Amour en Allemagne (1946), un ouvrage de
sociologie pour le moins fantasque.
Il existe peu d’ouvrages en français traitant de la vie de Magnus
Hirschfeld. Pour tout savoir sur ce savant d’un autre âge, une
biographie remarquable s’avère incontournable: Magnus Hirschfeld, a
portrait of a pioneer in sexology (1986) signé par Charlotte Wolff
(1897-1986), une sexologue et chirologue allemande qui connut Magnus
Hirschfeld. Je conseille aussi la lecture de l’excellente biographie
intitulée Magnus Hirschfeld, Deutscher – Jude – Weltbürger (2005) par
Ralf Dose, fondateur et directeur de la Société Magnus Hirschfeld à
Berlin.
Déchu de sa nationalité par les nazis qui auraient souhaité l’arrêter,
en exil forcé adouci par la présence à ses côtés de son ami chinois Tao
Li, Magnus Hirschfeld mourut en exil à Nice en 1935.
Fiction: mon roman
témoigne d’une réalité: la persécution des homosexuels sous le
troisième Reich. Une histoire tragique qui, aujourd’hui toujours,
demeure dans l’ombre de la Shoah. Entre 1933 et 1945, en Allemagne, on
estime que cent mille hommes considérés comme des homosexuels ont été
arrêtés par la police. Près de soixante mille d’entre eux ont été
emprisonnés comme tels et entre dix et quinze mille ont été déportés.
Mais ces statistiques seraient en dessous de la réalité et les
historiens peinent à établir les faits. Pas étonnant quand on sait que
les sociétés d’après-guerre n’ont pas abandonné les lois répressives
contre l’homosexualité. Le Code pénal allemand a conservé intégralement
le paragraphe cent soixante-quinze, sans même corriger les peines
doublées par les nazis, jusqu’en 1969 où il fut enfin modifié. Il a
fallu attendre 1994 pour le voir abrogé.
Berlin, le 9 janvier 2011
NICOLAS VERDAN
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