ANTONIN MOERI

PAP’S

Roman
2015. 232 pages. Prix: CHF 30.–
ISBN 978-2-88241-394-9


Biographie

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L’auteur a conservé pendant quinze ans les cahiers que son père lui avait remis avant sa mort. Quand il se décide à les lire, il part à la recherche de cet homme qu’il avait connu notable et ami des arts.
Il découvre un être tourmenté qui envisage, mais en vain, de devenir un jour écrivain.
Le mélange des citations du père, des souvenirs du fils et des questions qui restent posées en fait une œuvre touffue, riche et d’un style alerte.
On y sent toujours le mystère qu’a entretenu sa vie durant ce cardiologue connu, fils d’un facteur qui rêvait d’art et d’une œuvre que finalement son fils a accomplie pour lui.
La nature humaine cache souvent bien des tourments derrière une façade «propre en ordre».

JULIETTE DAVID
, Suisse Magazie, No 325-326, septembre-octobre 2016

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Quelque temps avant sa mort, Émile, le fils du facteur des postes, remet à son fils une valise contenant quatre cahiers à la couverture noire. Une sorte de legs testamentaire. C’est alors que le narrateur entre – avec un profond respect – dans l’univers de ce père, éminent cardiologue. Il lui a fallu quinze ans pour que l’auteurse décide à lever le voile sur cet être énigmatique qui se rêvait écrivain et qui a élevé l’Art au panthéon des activités humaines. Sa route croisera celle de Charles-Albert Cingria, de Gustave Roud, de Georges Borgeaud…
«Ce qui me touche dans ces cahiers, c’est l’enthousiasme, l’inquiétude, le besoin de grandeur…» Car cet élégant jeune homme né dans un village vigneron a «la prétention de se mesurer à ceux que légitime leur rang social». Au cours de la Seconde guerre mondiale, il entame des études de médecine avec une farouche détermination. Il tombe amoureux fou d’une jeune fille solaire mais fantasque. Elle le quitte. Le médecin nouvellement assermenté rejoint la Palestine. Elle est déchirée par la guerre avec Israël. Avant de rentrer en Suisse, il part pour l’Égypte. «Une multitude d’enfants accourent, la main tendue vers les étoiles».
Il n’est pas tendre avec ses confrères qu’il qualifie de «poireaux gonflés de science et qui éjaculent du bonheur de se sentir savants». Il prend femme, découvre la paternité avec étonnement. Mais il sait qu’un jour, il s’embarquera pour le Mexique…
Pap’s est un livre magnifique, incandescent. C’est une sorte dialogue posthume entre en père et son fils. Ce dernier témoigne, tout en citant des passages à l’écriture raffinée, mâtinée de poésie. Car c’est dans ces cahiers qu’Émile, le fils du facteur des postes, le métier du grand-père revient comme un leitmotiv, a enfoui ses rêves d’écrivain. C’est dans ces mots peu à peu apprivoisés …qu’il aurait fait chanter les oiseaux qui nichent en eux».

ÉLIANE JUNOD
, L'Omnibus

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La lecture de Pap’s, de l’ami Antonin, me rappelle à la fois le personnage et la personne d’Émile Moeri, son père qui fut mon ami, et mon propre père avec lequel j’ai pu nouer, aussi, de tardifs liens d’amitié.

La question de l’intimité se pose avec la pratique de l’Internet, et la nécessité d’une protection s’imposera de plus en plus. Il s’agit de protéger son corps et son cœur, donc son esprit et son âme, puisque le corps et l’âme ne font qu’un. L’âme est la partie la plus personnelle de la personne, qui doit être protégée parce qu’elle est aussi la plus sensible et la plus secrète.

En lisant le Pap’s d’Antonin Moeri, je découvre un aspect d’Émile que j’ignorais, lié à sa recherche personnelle de jeune homme en quête d’absolu et en mal de créativité littéraire. Les velléités d’écriture du père, devenu médecin, ont été formulées dans les quatre cahiers noirs qu’il a remis à son fils avant sa mort, et l’on y perçoit une réelle nature d’individualiste possiblement créateur, en rupture avec son milieu de vignerons vaudois mais sans la force nécessaire à la poursuite, de front et sur la durée, d’une activité de médecin et d’écrivain. À en juger par les extraits de ces cahiers, autant que par les nombreuses cartes postales que j’ai reçues d’Émile, celui-ci avait une qualité d’observation et d’expression révélant une certaine originalité, mais ses essais en matière de narration ne semblent guère, en revanche, bien concluants.
Assez curieusement, ce travail de mémoire du fils marque, plus qu’une relation de fils à père, celle d’un fils à l’égard d’un autre fils, avec le décalage d’une génération.
Pour ce qui me concerne, je vois au moins deux raisons de m’intéresser à ce livre, qui éclaire une personnalité que j’ai bien connue tout en faisant revivre une époque et un milieu – toute une société en voie de disparition. De Pierre Estoppey à Georges Haldas, Olivier Charles ou Jeannot l’Oiseau, entre vingt autres écrivains ou artistes, tous les amis d’Émile, à part l’abbé Vincent, ont disparu. Or Antonin, à travers le portrait «en creux» de son père, restitue bel et bien quelque chose de cette époque, avec ses créateurs et ses amateurs éclairés, même si l’on eût pu en dire beaucoup plus sur les relations d’Émile et de Charles-Albert Cingria, ou de Louis Moilliet.

Blog de
JEAN-LOUIS KUFFER

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Mon père cet inconnu

À propos de Pap's, d'Antonin Moeri.

En lisant le dernier récit d’Antonin Moeri, intitulé Pap’s et inspiré par la découverte des cahiers de jeunesse que lui a confiés son père avant sa mort, me sont revenus les mots du prélude de L’Ange exilé de Thomas Wolfe, et plus précisément le fragment de litanie qui m’est revenu tant de fois: «Qui de nous a connu son frère? Qui de nous a lu dans le cœur de son père? Qui de nous n’est à jamais resté prisonnier? Qui de nous ne demeure à jamais étranger et seul?»
Ensuite, au fil du livre, c’est aussi bien un Émile Moeri différent de celui que j’ai bien connu, qui m’est apparu à travers les pages qu’il a écrites dans les premières années de ses pérégrinations de jeune médecin attiré par la littérature et la «vraie vie», évoquant tour à tour une mission en Israël, un premier amour, divers voyages, enfin la rencontre de la pétulante Elsa, sa future épouse et mère de son futur premier fils (l’écrivain) au Mexique.
Or Antonin Moeri semble avoir été aussi touché à la lecture des cahiers que lui a remis son père, que nous le sommes en découvrant leurs fragments insérés comme «en abyme» dans son récit assez peu circonstancié au demeurant; mais il est émouvant de retrouver, sous la plume du fils écrivain, cette trace des velléités littéraires du fils d’un employé postal fuyant la médiocre débonnaireté vaudoise et s’appliquant à l’observation du monde qui l’entoure, au récit de ses rencontres et expériences diverses, ou à l’esquisse d’un roman jamais achevé.
Ceux qui, comme moi, ont bien connu Émile Moeri, cardiologue veveysan estimé, ami de nombreux peintres et écrivains (de Charles-Albert Cingria à Georges Haldas, ou de Lélo Fiaux à Louis Moillet, notamment), auront sans doute apprécié les qualités de grand lecteur qui furent les siennes, autant que sa fine verve de correspondancier maintes fois constatée dans ses épatantes cartes postales. Mais Émile écrivain? C’était peut-être son rêve en ses années de formation, finalement réalisé «à travers» son fils, mais jamais nous n’aurons eu le sentiment qu’il y avait eu chez lui un écrivain «empêché», sinon raté...
Assez curieusement, et à cela tient sans doute l’espèce de tendresse amicale qui s’en dégage, Pap’s, plus qu’un rapport de fils à père, instaure la relation diachronique de deux fils proches par leur rejet des conventions et leur vénération de la littérature, qui se retrouvent ainsi liés, par delà les eaux sombres, dans le cercle magique, sans rien de sentimentalement complaisant, d’un récit littérairement achevé nourri par des notes restées «du côté de la vie».

Blog de JEAN-LOUIS KUFFER

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Il capte les voix humaines et les réenchante

À l’heure où paraît son sixième roman, l’infatuation ne l’étouffe pas comme d’autres écrivains suisses de sa génération. Antonin Moeri a la modestie souriante. Il s’intéresse moins à la politique qu’aux voyageurs qu’il entend parler dans le tram 14 de Genève, où il vit depuis trente-cinq ans, comme dans le train qui souvent le conduit vers Lavaux. Il y possède une maison familiale et peut remuscler son corps de sexagénaire en faisant de l’aviron sur le Léman. «Ces gens ordinaires, j’enregistre leurs conversations les plus banales, car elles traduisent plus justement que tout discours les désarrois actuels, l’absurdité du temps qu’on vit.» Une absurdité à la fois bouffonne et tragique, comme chez Samuel Beckett, qu’il avait failli rencontrer à Paris quand il y était comédien, grâce au metteur en scène Roger Blin, le créateur de Fin de partie en 1957. Il prise tout autant Thomas Bernhard, le grand auteur autrichien, Robert Walser et Ludwig Hohl, dont il traduit les livres quand la rédaction de ses propres écritures lui en laisse le temps.
Il y reporte ces paroles capturées au vol, consignées auparavant dans des carnets. Mais il se fait un devoir de les reciseler à sa manière, les réenchanter, quand il faut tout mettre «au propre» sur la page blanche, puis sur l’écran. «J’ai un ordinateur, mais il me faut d’abord rédiger manuellement. Je n’ai pas de parti pris contre les ordinateurs, mais je crois que, chez moi, il y a un lien direct entre la main et le cerveau.» Et Antonin Moeri de rire de cette assertion qui sonne prétentiarde. Un rire qui fait rayonner son visage et le pencher de côté à la manière des oiseaux. Pourtant, dans la sérénité de ses yeux vert amande, qui ont l’élégance de ne jamais quitter les vôtres, on ne discerne point la saillie de curiosité, l’acuité d’observation qui fait la force de la douzaine de livres – romans, récits et nouvelles – qu’il a publiés depuis vingt-six ans, d’abord à L’Âge d’Homme, par l’entremise de Jean-Louis Kuffer, puis chez Bernard Campiche. Des proses au style très maîtrisé, mais aérien, picaresque, avec une dimension musicale. Et d’un réalisme troublant, car on y devine une part prépondérante d’imagination. L’auteur n’en disconvient pas: «La vie réelle n’a pas les mêmes structures que la vie dans l’écriture; dans ce livre, Pap’s, je raconte la vie de mon père à partir de cahiers à couverture noire qu’il m’avait remis, que je n’ai voulu lire que quinze ans après sa mort, en 1990.»
Antonin Moeri a fini par s’en inspirer pour narrer l’existence de son père, Émile, en citant souvent des extraits exacts de son journal intime de voyage au Moyen-Orient, de médecin malgré lui, d’hédoniste au cœur triste. Car il admirait les peintres et les poètes, était un ami de Charles-Albert Cingria et rêvait sans y croire, et sans espoir, de devenir à son tour un écrivain. Il légua à son fils, avant de mourir, une valise en cuir contenant des souvenirs inavoués. «Il avait peut-être sa petite idée», reconnaît Antonin Moeri.
«Pap’s», c’est le surnom qu’il donne à son papa, dont il ne trahit jamais les réflexions mais dont il embellit à son gré poétique l’épopée grandiose et le destin tragique. Rejeton d’un facteur des Postes, Moeri père étudia la médecine sans savoir qu’il deviendrait un jour le cardiologue le plus important de Vevey.
À Berne, il épouse une laborantine qui y enfante Antonin et, deux ans après, une fille qui deviendra flûtiste classique. La famille séjourne trois ans à Mexico, revient en Suisse, à Zurich, où les enfants apprennent le Schwyzerdütsch. Une étape à Clarens dans un vieux manoir, puis installation à Vevey, où Antonin fait ses premières écoles avant de les continuer à Lausanne, au Gymnase du Belvédère. «Durant mes scolarités, j’ai eu des problèmes de comportement, mais c’étaient peut être des désirs de discipline.» Il trouvera celle-ci à la fameuse école de théâtre de Strasbourg, en y subissant la férule de professeurs exigeants. Suivront des tournées en France avec Peter Brook entre autres. Mais son expérience théâtrale prend fin à Genève en 1980, lorsqu’il doit incarner le personnage d’Aumerle dans le Richard II de Shakespeare, mis en scène par François Rochaix, au Théâtre de Carouge. «Je m’y suis trouvé si mauvais acteur que j’ai quitté la scène définitivement.»
De cette expérience, Antonin Moeri a hérité une diction impeccable de comédien. Et un goût du ping-pong dramaturgique qui rend si vivants ses dialogues romanesques. Mais ses héros à lui ne se veulent pas shakespeariens. Ils babillent dans le tram 14.


GILBERT SALEM
, 24 Heures, Tribune de Genève

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Les carnets du père

Feu Émile, le cardiologue réputé d’une ville de vingt mille habitants a laissé nombre de cahiers d’écriture derrière lui. Ce praticien appliqué et pas toujours aimé a en outre été l’ami de Charles-Albert Cingria, Gustave Roud, Philippe Jaccottet, Georges Borgeaud, Lélo Fiaux et Carlo Coccioli. Autant de personnalités du monde littéraire, dont l’une, le poète vaudois Gustave Roud, fait actuellement l’objet d’une exposition au Musée d’art de Pully.
Intitulé Pap’s, le dernier livre d’Antonin Moeri met en scène la redécouverte du père disparu par le narrateur. L’ouvrage prend forme autour d’un schéma narratif basé sur l’exploration et le traitement de notes héritées par un descendant. Entraînant le lecteur dans une riche aventure familiale et humaine.
Égypte, Soudan, Assouan, Karnak, Le Caire, Paris, le British Museum de Londres, Grenade ou encore Cordoue, autant de lieu jalonnant le parcours d’Émile – ce Pap’s défunt que le fils découvre au fil des pages de ses carnets. Après une mission en Palestine, Émile n’a eu de cesse de voyager avant d’être rappelé en Suisse pour raisons professionnelles. La narration met en évidence, à plusieurs reprises, une déchirure dans ce protagoniste plus ténébreux que ses airs de notable ne le laissent paraître. Certes, il réussit son parcours universitaire, dans le domaine médical, jusqu’à se bâtir une certaine renommée en qualité de cardiologue. Mais voilà, Émile n’aime pas les «squelettes figés», les «hommes de bois».
Sous ces appellations imagées transparaissent les représentants d’un conformisme suisse bon teint. De plus, Émile sait que certains regards posés sur lui dissimulent de nombreuses arrière-pensées, spécialement ceux que lui jettent les «villageois au coin des ruelles», alertés par l’allure de ce fils de facteur des postes, affublé de son «costume bien taillé». Ils sentent que le nouveau médecin, qui plus est amateur d’art et amis d’écrivains n’est pas des leurs. Ce que confirme le narrateur: «Émile ne fréquente pas n’importe qui, il se sent par conséquent de plus en plus seul.»
Néanmoins, Pap’s préserve un élan, une dynamique positive, à savoir celle d’un homme qui s’est demandé s’il allait devenir peintre ou écrivain, qui n’a jamais renoncé à sa passion pour les arts même si celle-ci ne débouchera pas sur la publication de livres. Mais il a soigneusement rempli des cahiers à couverture noire où il a notamment rédigé ces mots involontairement prophétiques: «Malgré moi j’éclaterai. Comme une graine mûre.» En italique dans l’ouvrage, ces notes prises au cours d’une vie reflètent la «voix» d’outre-tombe du cardiologue. Une voix qui, grâce à la curiosité du fils, va peu à peu éclore pour révéler les contours secrets d’un homme épris et tourmenté.

MARC-OLIVIER PARLANTANO
, Le Courrier


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{…} Il y a des histoires de famille dans l’air avec l’auteur, comédien et traducteur Antonin Moeri, qui dans Pap’s (Bernard Campiche) tente de retracer la jeunesse de son père Émile, fils de facteur devenu le premier cardiologue d’une ville de vingt mille habitants, à l’aide des cahiers que celui-ci lui a légués un an avant de mourir. Il le suit sur une plage de Tel-Aviv en 1948, tente de «cheminer au plus près d’un individu» qui l’intrigue, lui a appris à «parler, à raconter des histoires», le regarde voyager de Mexico à Cully, retrouve les notes prises à sa naissance. Cette mise en abîme de la mémoire familiale est vertigineuse et puissante. {…}

ISABELLE FALCONNIER
, L'Hebdo

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Comment les pères sont-ils appelés, ou se font-ils appeler, par leurs enfants? De nos jours d’aucuns parmi les pères, se targuant d’une proximité illusoire avec leur progéniture, aiment se faire appeler par leur prénom, mais la plupart des pères sont encore appelés, ou se font encore appeler, affectueusement, Papa ou Dad...
Dans le roman d’Antonin Moeri, Émile, c’est Pap’s. Et Pap’s, un médecin, fils d’un facteur des postes, a un fils, le narrateur, né de ses amours avec Elsa, une laborantine, fille d’un marchand de vins, qu’il a connue lors d’un souper dans un restaurant de Berne, le Bierquelle, réunissant outre Elsa, Fabiola, une amie à elle, et deux ou trois toubibs. L’alcôve où se trouve la table des convives porte sur le mur une inscription:
«L’amour est plus fort que les principes…»
Pendant longtemps, quinze ans, le narrateur s’est abstenu d’ouvrir la valise de cuir dans laquelle son père, Pap’s, a glissé à son intention, avant de mourir, quatre cahiers à la couverture noire, remplis de son écriture lignée. Mais, un jour, sans réfléchir, il ouvre le deuxième et tombe sur un passage écrit à Tel-Aviv, le 25 août 1948, alors qu’Émile a vingt-cinq ans. Et une phrase se détache:
«Le hasard peut nous mêler à des faits héroïques. Mais où est le vrai héros?»
Il n’en faut pas plus pour que ces cahiers, journal intime de son paternel, donne envie au narrateur d’en savoir davantage sur cet homme de père qui l’intrigue. En le lisant, il essaie donc de reconstituer ce qu’il fut, tel qu’il ne lui est pas apparu de son vivant, et tel qu’il a voulu que son fils le découvre. Lequel ne laissera pas de s’interroger sur le pourquoi d’un tel legs.
À la suite du narrateur le lecteur découvre un homme comme il en existait au siècle précédent. C’est à dire à la fois un homme qu’il connaît, cardiologue et père, à la voix chaude et bien timbrée, et un homme qu’il ne connaît pas, un homme angoissé, souffrant d’une faille, d’une fêlure ou d’une fissure, derrière un bonheur apparent, laquelle affecte ce scientifique doublé d’un passionné d’art, qui est pour lui une véritable religion.
Dans ces cahiers, Émile essaie de comprendre ce qu’il est vraiment. Pour cela il se raconte, passe en revue les grands moments de sa vie passée qui constituent son éducation et font de lui ce qu’il est quand il écrit: l’enfant qui bégaie, les plongeons dans le lac, l’amour pour la fille capricieuse, la rencontre de Charles-Albert, les études de médecine, la mort de son ami, la guerre en Palestine, la mort de sa mère, le voyage en Égypte, le suicide de son oncle...
Émile lit beaucoup. Il a une grande soif de connaissances, mais ce ne sont pas de connaissances désincarnées dont il s’agit: Il pense que la recherche scientifique et la création artistique sont deux manifestations analogues de l’homme. Et, quand il sera un médecin bien établi, ce ne seront pas les notables qu’il invitera à sa table, mais des écrivains, des peintres, des artistes en somme, comme il aimerait en être un et comme il ne le sera jamais. Voire...
Dans ce récit, le narrateur d’Antonin Moeri cite longuement des passages tirés des cahiers à couverture noire de son père. Il les commente. Il les confronte à ses souvenirs. Il se livre à des conjectures pour redessiner la figure du père dont les incertitudes le rassurent et qui place l’art sans doute trop haut, parce qu’il retarde toujours le moment où il lui sacrifiera tout. Mais ses cahiers, tels quels, ne sont-ils pas l’oeuvre d’art de cet humaniste, où il forge une langue qui est sienne?
Pap’s écrit dans un de ses cahiers ce passage révélateur: «Mais que cherches-tu donc? Et je réponds toujours: l’HOMME. J’en ai rencontré un, il y a quelques jours. Il avançait dans la plaine en fixant l’horizon. Ses gestes, sa démarche, étaient d’un grand seigneur. Je n’ai pas osé lui parler. Mais j’entends encore le bruit de ses pas.»


Blog de
FRANCIS RICHARD

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Antonin Moeri raconte l’histoire d’un homme qui se cherche. C’est son père. Pap’s. Un récit construit à partir des cahiers que tenait ce dernier, qui écrivait une sorte de journal. Il les a remis à son fils juste avant de mourir. «Je te les donnes tu en feras ce que tu voudras.» Ce qu’Antonin Moeri en a fait, c’est un livre, en même temps tombeau, enquête et engendrement passionnant.
Qui était Émile? Un adolescent, fils d’un facteur des postes, qui rêvait d’être peintre, mais qui a promis à sa mère de devenir médecin, qui a fait des études brillantes, qui est devenu le premier cardiologue de Vevey. Un «docteur compétent, bienveillant, souriant et généreux». Un «homme élégant et enjoué». Un «pater familias attentif et parfois sarcastique». Tout ça mais encore autre chose que vont révéler les carnets remis dans une valise en cuir, avec d’autres documents, dont certains très intimes: des photos, des lettres d’amour.
Le fils aura attendu quinze ans pour ouvrir la mallette et se consacrer à la recherche de cet homme, intéressé par les arts et les artistes, qui fut l’ami de Georges Borgeaud, Philippe Jacottet, Gustave Roud, Lélo Fiaux, Carlo Coccioli. Qui a beaucoup fréquenté Charles-Albert Cingria, avec qui il nageait dans le lac et se baladait, écoutant avec délices les improvisations de cet extraordinaire conteur.
Les documents de la valise en cuir sont complétés par des récits de la mère, des souvenirs. Tout ça dresse un portrait du cardiologue et révèle une surprise. Derrière le futur notable s’impatiente un homme sensible, agité, nerveux, inquiet, et livré à l’indicible. Ce que découvre Antonin Moeri, c’est que dans les années de jeunesse, la médecine ennuyait Émile. Il rêvait de la quitter et de devenir écrivain.
Hélas pour lui, s’il y a l’aspiration, il y a aussi l’impuissance. Émile n’aura écrit aucun livre. Dans les carnets même qu’Antonin Moeri cite abondamment, on perçoit de la sensibilité mais les phrases sont souvent creuses et emphatiques, solennelles et vides.
Cependant l’appel persiste, et la souffrance de ne pas pouvoir se réaliser en tant qu’artiste aussi, qui durera des années, à travers des errances dans le sud, un séjour au Mexique, jusqu’à ce que le médecin se résolve à s’installer au bord du lac qu’il aime tant, à ouvrir un cabinet. Il faut dire qu’Emile a connaissance des stratégies de Cingria pour survivre, et a surpris cet autre écrivain, à genoux devant une vieille aristocrate qu’il doit se concilier pour pouvoir manger. Ces exemples n’incitent pas notre homme à idéaliser la vie de bohème.
«En vérité, écrit Antonin Moeri, ce qui me touche dans ces cahiers, c’est l’enthousiasme, l’inquiétude, le besoin de grandeur.» En partant de cette instabilité intérieure d’Émile, de cette recherche de profondeur, de sens, le fils réinvente son père, un père qui lui ressemble sûrement, et dont il finit par réaliser le destin rêvé.
On sent par moments, sous le récit, un peu de fantasme. Le père, par exemple, visite l’Acropole et se dit fasciné par un Américain avec qui il se lie. Antonin Moeri écrit: «Le fils du facteur des postes aurait-il passé la nuit dans les bras du Texan déterminé, ultraprécis dans sa minutieuse exploration du monde?» Autre exemple un peu littéraire à propos d’une jeune fille nubienne que le médecin a photographiée: «L’étonnant voyageur l’aurait-il "baisée" sur une natte de paille...» Suit une citation de Flaubert lors de son voyage en Orient, référence et modèle de l’écrivain en voyage exotique.
Si Antonin Moeri cherche à comprendre la nature énigmatique de son père, il la nourrit donc aussi par la même occasion. Sans doute y a-t-il en Émile beaucoup plus ou beaucoup moins que ce que le fils imagine, fantasme et palpe. Les êtres connus de tout près, examinés si proches, sont plus mystérieux que vus de loin, le point de vue fasciné et en gros plan aveugle, la proximité est un miroir.
C’est ce qui fait l’intérêt de Pap’s. Cet entremêlement de vérité, d’imaginaire, ces interrogations ambiguës, cette relation entre les écrits du père et les commentaires du fils, cette attraction pour une figure dont les mystères pourraient être anodins s’ils n’étaient pas ceux du géniteur, de la grande fonction fascinante, de la référence monolithique de l’enfance, de la statue qui, vue sous d’autres aspects, révèle des profils et des angles insoupçonnés.
Pap’s prend place dans la veine «familiale» de Moeri. Il y avait eu la trilogie initiale, Le Fils à maman, Les Yeux safran, L’île intérieure, qui traitaient peut-être du même matériel mais sous un autre angle. Il y a eu Juste un jour, plus calé sur la famille du fils.
Pap’s continue l’entreprise, servi par une maturité fertile. Dans ce récit bien composé, la langue d’Antonin charme, souple et inventive, encore mise en relief par les citations de son père. Ce père dont il a finalement réalisé la vocation.

Blog d’ALAIN BAGNOUD

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Celui qu’on appelait «Pap’s» reste une énigme pour ceux qui l’ont connu… Avant de mourir, il m’a remis des cahiers à couverture noire en disant: «Tu en feras ce que tu voudras»… Quinze ans après sa mort, j’ouvre ces cahiers et décide de raconter l’aventure (années quarante et cinquante) d’un fils de ­facteur des postes qui se rêvait écrivain… Ce fils de facteur des postes deviendra le premier cardiologue d’une ville de vingt mille habitants… Il fut l’ami, entre autres, de Charles-Albert Cingria, Philippe Jaccottet, Lélo Fiaux, Georges Borgeaud, Gustave Roud, Carlo Coccioli…


Un extrait du roman:
«Je travaille dans un vieil hôpital. Le Maître, digne professeur, ami de Hans Bellmer et d’Oskar Kokoschka, très humain et très vivant, d’un grand âge, l’œil vif encore, la réplique aussi, dans cette langue d’ici qui est un dialecte allemand. Certes, je ne crois plus à cette vocation. Une transformation étrange s’est faite en moi. Elle a commencé il y a déjà longtemps. J’en ignore l’aboutissement. Ce travail de médecin, je le ferai. J’ai trouvé le cadre qui peut, dans ces conditions, me convenir le mieux : cette clini­que humaine, qui ne se prétend pas scientifique et parle à l’homme. Discipline suffisante pour me tenir en main. Ce travail me permettra de vivre, d’entretenir une famille sans m’anéantir. Au-delà de cette activité, je saurai bien retrouver la vraie vie, qui est cette sève riche et chaude, ma religion: l’art. Cette période sera difficile. Je le sais. Il faudra percer le mur auquel je me heurte. J’ai connu une liberté divine que la prison même ne saurait m’arracher. Un jour que je pressens, mais qui est peut-être encore très loin, m’apportera la lumière sur ce que je dois faire. L’homme doit choisir et, une fois compromis, ne pas tenter l’évasion.
Malgré moi, j’éclaterai. Comme une graine mûre. Ah Cézanne, ah Gauguin, vous êtes pour moi des exemples terribles. Le problème auquel je dois réfléchir et pour lequel je dois trouver une solution est celui-ci: comment exprimer ce qui fermente en moi? Toute mon angoisse vient de là, je crois. J’erre à la recherche de cet outil et ne le trouve pas. En être ­conscient est déjà un grand pas vers la lumière.»


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