Auteure en 2018 du formidable 5 minutes 44 (à
lire!), Marie-Claire Gross retourne aujourd’hui le sablier
et, loin des exploits sportifs, prête sa plume à la fois lucide et
humaniste à l’univers peu engageant – et si riche cependant – d’une
maison de retraite, avec sa nébuleuse de vieillesse et de perte de
mémoire. En privilégiant une structure narrative originale et
ciselée, par rapport au simple récit de témoignage, Marie-Claire Gross
exprime en écrivain l’importance qu’elle accorde à son sujet, et qui
transparaît au fil de petites histoires qui s’accumulent, s’éparpillent
et se recombinent. En suivant le personnage dans ce que nous
considérerions comme ses pertes, et qu’elle-même considère au contraire
comme des traces et des repères, la mémoire prend une autre dimension,
plus généreuse, plus légère et souple que ce que la gériatrie en dit
https://evenements.payot.ch/evenement/marie-claire-gross-vevey-avril-2025/
Marie-Claire Gross est lʹinvitée de Pierre-Philippe Cadert à l'émission «Vertigo», RTS, mardi 28 janvier 2025
https://www.rts.ch/audio-podcast/2025/audio/marie-claire-gross-je-vous-ai-28771867.html
A l’EMS, où se croisent ombres et souvenirs
L. vit dans un EMS, La Maison, depuis quelques années. Elle s’y trouve
bien, «elle dit souvent qu’elle s’épanouit, qu’elle se sent comme en
vacances quand elle n’a pas trop mal quelque part». Sa fille émet
l’idée d’écrire «l’histoire d’une femme qui choisit de vivre dans un
home et y découvre une liberté nouvelle – Ce personnage serait un peu
toi et pas toi…»
Pour son troisième roman, la Vaudoise Marie-Claire Gross a choisi cette
histoire intime, à la fois ordinaire et d’une évidente puissance
émotive. Au fil des pages se dévoile d’un côté la vie quotidienne à La
Maison, avec ses activités, ses amitiés, ses douleurs et de l’autre le
passé, par bribes, de L., de sa famille. En s’adressant au personnage
de l’autrice par un «tu», la romancière introduit en outre une
distance, celle de la pudeur. Son livre gagne en universalité et ses
courts chapitres apparaissent comme autant de scènes brèves, des
instantanés où se croisent des échos de jadis et de l’actualité (dont
l’arrivée du Covid), des souvenirs, des ombres, des voix qui se sont
tues… Avec une sensibilité jamais larmoyante, Je vous ai
(le titre vient de l’expression «Je suis heureuse, j’ai de la chance,
je vous ai…») rend un hommage poignant à une mère à «la voix rouillée»
et aux yeux qui pétillent.
ERIC BULLIARD, La Gruyères
L.
vit depuis quelques années dans un home, La Maison. Sa voix ne porte
pas, elle n’entend pas très bien, mais ici, c’est chez elle. Elle s’y
sent en vacances, quand elle n’a pas trop mal quelque part. Entre les
maux et la mobilité réduite, sa mémoire proche s’étiole et les
réminiscences de l’enfance vont et viennent, comme des vagues. Que
reste-t-il ? Les mots. Et les présences, les voix. Celles des absents,
des habitants, des animatrices, des proches qui la visitent. Celles des
jeunes aussi, qui la reconnaissent et l'inspirent. Cette histoire, Aude
nous la raconte, dans des tableaux semblables aux vignettes échangées
et collées dans un album, quand on est enfant. Aude, pour qui
l’écriture est une manière de jongler avec les
lieux et les temps. Et de se rencontrer.
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