Manifestations, rencontres et signatures Index des auteurs
Dans son très beau, sensible et pudique troisième roman, l’écrivaine
suisse Marie-Claire Gross détache délicatement l’étiquette «mouroir»
qui colle si souvent aux maisons de retraite. Elle recolle à la place
près d’une centaine de vignettes très vivantes, donnant à voir, à
entendre, à sentir et à ressentir la vie (quotidienne) de personnes
bien en vie dans un home que la narratrice Aude fréquente régulièrement
pour y rendre visite à sa mère L. Elle vit dans La Maison depuis
quelques années. C’est chez elle. Elle s’y sent plutôt bien, libre,
presque en vacances. Home sweet home.
L. n’entend pas très bien et parle tout bas, en brouille avec sa voix.
La littérature et les mots lui en redonnent une ainsi qu’à toutes ces
personnes invisibles des «EMS». Leur quotidien donc, leurs habitudes,
leurs activités, leurs conversations, leurs maux, leurs souvenirs,
leurs mémoires, le temps qui passe ou qui s’échappe: le roman n’est pas
un reportage ni un simple témoignage, c’est un collage intimiste, un
riche patchwork d’instantanés, de tranches de vies et petites histoires.
L. est au cœur du livre, mais c’est tout un monde qui l’entoure, les
habitants, le personnel soignant, les animatrices, les proches, la
famille. Heureuse et chanceuse de «les avoir» (d’où le magnifique titre
Je vous ai), ses enfants
et petits-enfants. Avec ses vignettes narratives, sa douce musique et
son goût des sensations, Marie-Claire Gross joue avec le temps, les
temps, le lieu (du présent), les lieux (du passé), jongle avec la perte
de la mémoire et les réminiscences de l’enfance, tout en explorant la
vieillesse et la finitude.
Site de EAN-FRANÇOIS SCHWAB
A l’EMS, où se croisent ombres et souvenirs
L. vit dans un EMS, La Maison, depuis quelques années. Elle s’y trouve
bien, «elle dit souvent qu’elle s’épanouit, qu’elle se sent comme en
vacances quand elle n’a pas trop mal quelque part». Sa fille émet
l’idée d’écrire «l’histoire d’une femme qui choisit de vivre dans un
home et y découvre une liberté nouvelle – Ce personnage serait un peu
toi et pas toi…»
Pour son troisième roman, la Vaudoise Marie-Claire Gross a choisi cette
histoire intime, à la fois ordinaire et d’une évidente puissance
émotive. Au fil des pages se dévoile d’un côté la vie quotidienne à La
Maison, avec ses activités, ses amitiés, ses douleurs et de l’autre le
passé, par bribes, de L., de sa famille. En s’adressant au personnage
de l’autrice par un «tu», la romancière introduit en outre une
distance, celle de la pudeur. Son livre gagne en universalité et ses
courts chapitres apparaissent comme autant de scènes brèves, des
instantanés où se croisent des échos de jadis et de l’actualité (dont
l’arrivée du Covid), des souvenirs, des ombres, des voix qui se sont
tues… Avec une sensibilité jamais larmoyante, Je vous ai
(le titre vient de l’expression «Je suis heureuse, j’ai de la chance,
je vous ai…») rend un hommage poignant à une mère à «la voix rouillée»
et aux yeux qui pétillent.
ERIC BULLIARD, La Gruyères
L.
vit depuis quelques années dans un home, La Maison. Sa voix ne porte
pas, elle n’entend pas très bien, mais ici, c’est chez elle. Elle s’y
sent en vacances, quand elle n’a pas trop mal quelque part. Entre les
maux et la mobilité réduite, sa mémoire proche s’étiole et les
réminiscences de l’enfance vont et viennent, comme des vagues. Que
reste-t-il ? Les mots. Et les présences, les voix. Celles des absents,
des habitants, des animatrices, des proches qui la visitent. Celles des
jeunes aussi, qui la reconnaissent et l'inspirent. Cette histoire, Aude
nous la raconte, dans des tableaux semblables aux vignettes échangées
et collées dans un album, quand on est enfant. Aude, pour qui
l’écriture est une manière de jongler avec les
lieux et les temps. Et de se rencontrer.
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