ANTONIN MOERI

L’HOMME EN VESTE DE PYJAMA

Roman
2017. 256 pages. Prix: CHF 31.–
ISBN 978-2-88241-425-0


Biographie

Vous pouvez nous commander directement cet ouvrage par courriel.


Antonin Moeri au conditionnel passé du plus-que-présent

Le dernier livre d’Antonin Moeri est à mes yeux son premier roman. L’Homme en veste de pyjama marque en effet la conclusion provisoire d’une recherche ponctuée par une douzaine d’autres livres, dont trois sont déjà qualifiés de romans, mais ce roman l’est plus que les autres, de même que Le Temps retrouvé, qui clôt la Recherche proustienne, est le départ reconnu de celle-ci.
L’Homme en veste de pyjama
est une espèce de quête des heures de la sensation vraie, une espèce de grappillage de «minutes heureuses», pour citer Haldas citant Baudelaire, une espèce de description des débuts et des développements d’une espèce d’écrivain, une espèce d’histoire de fou qui se jouerait sur la scène d’un vaste asile de dingues parlant à tort et à travers mais gravement, doctement, correctement et pour ainsi dire scientifiquement, sans aucun sens du comique, à l’inverse du discours de L’Homme en pyjama dont la vis comica est la vertu.

Quand le comique ouvre ses vannes

Le comique est rare dans les lettres romandes, et guère plus fréquent dans les lettres françaises – si l’on excepte évidemment Proust et Céline, ou Rabelais et Molière ou Michel Houellebecq avant et après ces deux joyeux drilles –, mais les lettres mondiales sont moins avares en la matière, surtout dans leurs souches antiques et populaires.
Quant à l’humour, dont la littérature de tous les temps et de partout est pleine, autant que de tendresse (couple sympathique incessamment valorisé dans les prières d’insérer de romans contemporains), il n’est pas à confondre avec le comique en veste de pyjama ou en caleçon long.
Quand je dis que L’Homme en veste de pyjama est à mes yeux le premier roman d’Antonin Moeri, j’entends par là que pour la première fois je lis un roman de cet auteur qui n’est pas spécifiquement un «roman de Moeri» comme les romans de Philippe Sollers, qui ne sont pas à mes yeux de vrais romans, sont spécifiquement des «romans de Sollers». Plus précisément, les personnages de L’Homme en veste de pyjama se sont affranchis, à mes yeux, de leur tutelle implicitement autobiographique, comme les personnages des nouvelles d’Antonin Moeri se distinguent des figures de ce qu’on pourrait dire les autofictions de l’auteur.
L’Homme en veste de pyjama est à mes yeux un vrai roman par l’écart soudain que l’auteur marque par rapport à lui-même, et surtout par la modulation nouvelle, théâtrale et poétique, d’une écriture qui se ressaisit elle-même dans les tenants de sa motivation existentielle et se projette dans les aboutissants d’une forme à la fois plus consciente d’elle-même et plus libre – plus librement volubile et plus riche en bifurcations virtuelles et précisions non-dites, de coqs-à-l’âne en points de suspension.   
Ceux-ci marquent-ils, chez le Moeri lecteur féru de Céline, l’influence de celui-ci? Non: c’est autre chose: les points de suspension de L’Homme en veste de pyjama ne sont pas les ponctuations rythmiques d’un discours en flux tendu mais les espaces réservés, les parenthèses entrouvertes au lecteur, les échappées virtuelles, les possibilités de découvrir une autre île derrière la vague de la phrase, les innombrables suggestions perceptibles dans la folâtre et bientôt torrentielle foulée des mots.

Vie et destin du quidam «typé»

Il y a la vie, qui est une base de données, et le destin qui en fait une affaire personnelle, l’un et l’autre formant une espèce de croix.
De la vie aux multiples avatars, Antonin Moeri n’a cessé d’achopper dans ses douze livres précédents, dès Le Fils à maman dont plusieurs analystes, jusqu’au Japon, ont relevé le caractère œdipien, et l’avant-dernier ouvrage de l’auteur, familièrement intitulé Pap’s, marque la rencontre du fils en question avec cet autre fils que fut son père en sa jeunesse, constituant alors, si l’on ose dire, la sortie par le haut de L’Homme en pyjama dont le protagoniste est pensé pour la première fois, il me semble, comme un artisan actif de sa petite destinée
Si j’ai évoqué Le Temps retrouvé à propos de la décision d’écrire du fonctionnaire à main potelée destiné à devenir l’homme en veste de pyjama, ce n’est pas pour comparer l’incomparable mais pour indiquer ce moment de la vie qui fait de l’homme sans autre qualification que celle d’individu quelconque, dit aussi quidam, un potentiel potier, un espion en mission ou un preneur de notes anticipant la formidable, vaniteuse ou peut-être sacrée prétention d’écrire. Pour le Narrateur du Temps retrouvé, l’alternative se réduira implicitement à la formule secrète: devenir Marcel Proust ou s’abstenir. De la même façon, avec le grain de sel du comique d’autodérision bonnement exacerbé dans ce premier roman d’une destinée, si modeste fût-elle, se fonde-t-il sur la décision d’endosser la fameuse veste de pyjama, sinon rien
Certains analystes, dont un Finlandais notoire, prétendront peut-être que la qualification de l’homme en veste de pyjama, comme celle de la femme à la frange de gamine, découle d’une manière de typologie inspirée par l’homme au loup ou la femme au cigare de Freud lui-même – celui-là même que Vladimir Nabokov qualifiait de «charlatan de Vienne»?
La question est ouverte, mais ce qui est sûr est que le procédé littéraire en question, comme celui des points de suspension, contribue à la meilleure identification des rôles en jeu et des masques portés.

Une story d’époque et ce qui s’ensuit

La lectrice et le lecteur s’impatientent alors, à bon droit, de connaître au moins le pitch de L’Homme en veste de pyjama. Ce qui donne ceci en moins de 280 caractères: «Deux compères, un ancien fonctionnaire fondu en littérature de niche, et un sculpteur connu à l’international, échangent, le temps d’un gros orage, à propos de l’amour fou vécu par le plus empoté et le plus volubile des deux – le futur homme en veste de pyjama.»
À mi-parcours de la narration de L’Homme en veste de pyjama, assumée par diverses voix (un Nous semi-divin succédant à un Je aussi mobile que les regards des protagonistes se croisant ou s’inversant), le futur écrivain se reproche de ne pas filer son feuilleton en storyteller soucieux de prendre le lecteur par la main, pure ironie on s’en doute alors que ce qui se raconte là-dedans pourrait se résumer à l’histoire d’une écriture dressant sa vitalité «contre la vie».
Là encore on retrouve le projet proustien consistant à inventer un langage vivant sans se borner au copier/coller de l’«universel reportage» décrié par Mallarmé, et le vivant déferle alors de façon nouvelle, imprévisible parfois et suivant pourtant sa logique narrative comme un cours d’eau à multiples ramifications et rebonds, lesquels proposent autant de suggestions de lecture. C’est là, à mon sens, l’aspect le plus intéressant de L’Homme en veste de pyjama, qui nous force la main plus qu’il ne nous la prend, convoquant notre propre mémoire et nos affects, nos «minutes heureuses» et nos vertiges récurrents. Tout cela par les vecteurs de situations et autres scènes, au fil du jeu de rôles et des délires plus ou moins contrôlés par l’attention flottante de l’auteur et du lecteur, personnages à l’appui.
Je ne sais plus qui a dit que tout un pan de la littérature russe du siècle passé était sorti du manteau de Gogol, mais ce que je constate est que d’une veste de pyjama peut aussi sortir une flopée de personnages en mouvement dans le temps.
L’homme en veste de pyjama, lui-même, a passé par divers avatars socialement définis et en évolution. Sa propre story est médiatisée par son ami le sculpteur de boules mobiles, dit aussi l’artiste au petit chapeau rond, conjoint d’une journaliste à la coule portée sur l’opéra wagnérien. Quant aux figures transitionnelles de la story amoureuses du futur homme en veste de pyjama, elles sont typées physiquement en fille du feu pour celle qui a marqué la vie du protagoniste au point de le transformer, et en femme à frange de gamine s’agissant d’une voisine soumise à son voyeurisme actuel de romancier en pyjama.
Le portrait à facettes de celui-ci se constitue donc, en creux, à partir des regards et des dits ou écrits (les lettres enflammées ou accusatrices de la fille au regard de feu) des intermittents de ce drôle de spectacle en déconstruction, dont le texte romanesque se produit à la débridée.

Vers l’extension du domaine du verbe

Antonin Moeri est né le 5 juin 1953 à Berne, et Michel Houellebecq le 5 mai 1956, à Saint-Pierre de la Réunion. Les deux ados étaient encore peu armés, socialement et idéologiquement parlant, pour se jucher sur des barricades en mai 1968 et participer la nuit à de longs débats sur la sensibilisation des masses laborieuses et l’alternative des groupes de fusion.
Or, sans entrer dans le détail de leurs positions ou réactions respectives par rapport à Mai 68, je constate, chez ces deux auteurs contemporains, le rejet commun de ce qu’on a appelé le politiquement correct et, en rupture avec les idéologies au sens large, le recours à un nouveau type d’observation (en francophonie tout au moins) qu’on pourrait taxer de behaviourisme critique. Celui-ci caractérise, me semble-t-il, la position du narrateur d’Extension du domaine de la lutte, paru en 1994, et c’est le même regard, et la même façon d’absorber et de parodier la novlangue de l’époque, – langue de bois des politiques ou langue de coton des administrations et bientôt des citoyens -, qu’on trouvera de plus en plus souvent dans les romans  et plus encore dans les nouvelles d’Antonin Moeri, notamment dans Allegro amoroso (1994), Le Sourire de MickeyParadise now ou Encore chéri!
Houellebecq et Moeri ont une façon parente – même si celui-ci n’a pas la formidable amplitude thématique et expressive de celui-là, pas plus qu’il n’a le génie «universel» de Proust –, de prendre sur eux les névroses de l’époque, dont ils sont eux-mêmes travaillés, et de participer, à partir du langage et des lieux communs en cours, à une sorte de retournement salubre.
Tous deux sont des moralistes paniques récusant virulemment l’usage de la moraline des biens pensants et autres ligues de vertu. Antonin Moeri a souligné un jour le comique des romans de Michel Houellebecq, mélange unique de douleur et de drôlerie, et de même peut-on trouver, dans L’Homme en veste de pyjama, bien plus que de la dérision ou de la moquerie à courte vue, ce même composé de désarroi et de rage, mais aussi de saine révolte et de vitalité relancée par l’écriture elle-même, à tous les temps de sa ressaisie.
Le conditionnel est omniprésent dans L’Homme en veste de pyjama, dont le mouvement de mémoire suit une ligne qu’on pourrait dire d’une sorte de futur antérieur incessamment inventif, là encore à la manière proustienne, pour aboutir au présent cru de l’immanence, il faudrait dire: au plus-que-présent.

JEAN-LOUIS KUFFER, La Cinquième Saison 

Haut de la page

Signalement du lien http://www.mediathque.ch/valais/cafelitteraire-5135.html concernant le Café littéraire avec Antonin Moeri à la Médiathèque de Saint-Maurice.

Haut de la page

Au lever du rideau, trois personnages. Le lecteur qui observe l’homme à la veste de pyjama dans son fauteuil Biedermeier,  les coudes appuyés sur son bureau Empire. Lequel homme observe, de l’autre côté de la rue, la jeune femme à la frange de gamine. Et puis, il y a Miko, le sculpteur qui a réussi, l’ami indéfectible à qui il raconte sa vie de raté.
En effet, l’homme à la veste de pyjama semble s’être creusé un sillon profond dans le bourbier de sa vie. Il la rêvait sa vie! Fantasmait son existence. Il s’était accroché à une épave. Un amour qu’il avait cru insubmersible. Un amour qui incendiait ses jours illuminait ses nuits. Il avait connu avec Young Lady «une intensité peu commune, un bonheur hors norme, une joie sans pareille.» Et puis cet amour extatique s’était consumé comme un fétu de paille. Young Lady, sans crier gare, lui a signifié qu’elle ne reviendrait pas.
Sidéré, le petit fonctionnaire prognathe! Propulsé à des années-lumières de la planète Terre! Il a saisi la pinte émergée d’un astéroïde qui passait par là des exigences autrement plus vastes que celle de la femme-météore qu’il a tant aimée. Elle qui lui écrivait: «Tu es venu dans la belle lumière du mois d’avril, comme un miracle que je n’attendais plus.» Comment ne pas se perdre à corps et cœur perdus, soulevé par de telles déclarations?
L’Homme en veste de pyjama, c’est la lente dérive physique et psychique d’un être dont les rêves se sont échoués sur une grève déserte. L’auteur qui s’exprime avec le pronom «nous» est le metteur en scène de ce mélodrame. Né à Berne, Antonin Moeri fut acteur en France et en Belgique. Il y a dans son roman la pâte qui modèle l’expression théâtrale.
Le lecteur devient acteur. L’auteur n’écrit-il pas? «Il faut le prendre par la main, ce lecteur, le conduire dans votre vaste caverne aux mille reflets où fermentent les rousseurs exquises ou amère de l’amour.»
Le style est souple, le vocabulaire très riche. C’est celui d’un lettré. Ce roman se lit aisément, se déguste comme une gourmandise. Il est paru chez Bernard Campiche Éditeur.

ÉLIANE JUNOD, L’Omnibus

Haut de la page

Une narration réellement frappadingue, celle de L'Homme en veste de pyjama, dernier  roman d'Antonin Moeri qu'on n'insultera pas en le situant une fois de plus dans la filiation de Robert Walser (qu'il a d'ailleurs traduit), de Ludwig Hohl (qu'il traduit) ou de Thomas Bernhard, même s'il trouve ici une nouvelle vigueur inventive et une façon inédite de pratiquer le roman à multiples miroirs construisant peu à peu ses personnages dans la durée du récit.

«L'infini à la portée des caniches»

La Suisse romande de ce récit (quelque part entre le bout et le bord du même lac, on pourrait dire Geneva International et Cully), s'étend à vrai dire sur l'espace virtuel de ce que Limonov appelait le grand hospice occidental, et là encore il va s'agir de folie ordinaire, détaillée par un présumé «homme sans qualités» peu fait pour la réussite sociale et vite fatigué au marathon de l'amour fou, dont on est prié de supposer qu'il l'a connu même si rien n'est tout à fait sûr dans cette remémoration du Big Bang amoureux dont Céline estimait qu'il se réduisait à «l'infini à la portée des caniches».
Pas loin d'un Michel Houellebecq ou d'un Philippe Muray dans le regard qu'il porte sur la société contemporaine, dont il recycle à sa manière l'omniprésente novlangue à base de positivité suave et de nivellement vertueux, Antonin Moeri pousse ici plus loin que dans ses livres précédents (nouvelles et romans) par le truchement d'une dramaturgie portée par la langue, laquelle mime l'omniprésente et gesticulante  jactance constituant l'arrière-plan social du roman.
Guerre des sexes, comédie sociale investissant bientôt le monde de la Star Ac littéraire (car le futur homme à veste de pyjama griffonne sur des calepins autant qu'il zyeute), allers et retours de la mémoire qui invente en même temps qu'elle recycle, multiplication des conditionnels et des masques de rechange fusionnent en thèmes et variations au délire très contrôlé, et l'exorcisme se fait en beauté, une fois encore affaire de style, si débridé qu'il soit dans sa joyeuse et libératrice folie.

Blog de
JEAN-LOUIS KUFFER

Haut de la page

«Aujourd'hui, pour la première fois depuis longtemps, la région magnifique où je vis et dont les coteaux mûris par le soleil offrent de joyeuses échappées, cette région éveille en moi des sentiments plus subtils.»

Cette région magnifique serait celle du lac Léman, représentée sur le tableau de Ferdinand Hodler, peint en 1904, qui fait la couverture du dernier roman d'Antonin Moeri. Et le narrateur serait L'Homme en veste de pyjama.
Certes il commence par écrire à la première personne, puis il préfère employer la troisième pour faire le récit de son autre moi, de cet homme qui, au début de l'histoire, n'est encore que le futur homme en veste de pyjama. Cet homme est un obscur fonctionnaire, un employé prognathe, qui se prend pour un artiste. Auparavant il était plutôt taiseux. À la grande surprise de son ami Niko, le sculpteur, il est devenu un «bavard incontinent».
N'est-ce pas après avoir fait la rencontre bouleversante de la demoiselle au regard de feu dans une brasserie? «Elle alliait finesse du raisonnement, plaisir de la contemplation, intelligence de la situation et désir de vaincre…»
Niko lui demande de lui raconter cette rencontre, d'abord lors d'une promenade en forêt, ensuite chez lui pendant que sa compagne Marie-Laure sort avec son amie Anouchka «pour assister à la représentation d'un opéra.»
S'il lui avait raconté cette rencontre, son «inconnue aurait porté des collants noirs mi-transparents qui allongent la silhouette, une jupe dentelle crochet, un tee-shirt à col rond évasé, [...] un Perfecto couleur tomate à zips argentés…»
En fait cette «Young Lady» voulait construire sa vie: «Je veux vivre avec un homme. J'aurai des enfants avec lui et, dans le même temps, je m'accomplirai sur le plan professionnel.» Cet homme aurait pu être lui, mais il aurait fallu...
Il aurait fallu q'«il se décidât, ouvrît les yeux sur le monde qui l'entourait et, en particulier, sur celle qu'il prétendait aimer.» Mais il n'en a pas été ainsi: elle n'a pas su le comprendre et, lui, il n'a pas su non plus l'écouter.
Il s'est pris pour un artiste. Il a commencé par publier Machine à gazouiller  mais n'a recueilli qu'un succès d'estime parce qu'il n'a pas su se conformer à ce que le milieu littéraire attend aujourd'hui d'un auteur.
Cette publication a pourtant changé sa vie... Depuis sa fenêtre, accoudé à son bureau Empire, en apesanteur «au-dessus de son fauteuil Bidermeier,» il aperçoit dans l'immeuble en face «la jeune femme à frange de gamine».
Cette jeune femme se donne en spectacle, elle danse, «elle se penche pour prendre appui sur le bord de la fenêtre, elle laisse entrevoir deux seins bien séparés, fermes et ronds, blancs...» Alors, ses yeux à lui «se fixent sur eux.».…
Maintenant il essaie de se souvenir: «Il sait que la demoiselle au regard de feu et la jeune fille à frange de gamine se confondent dans son esprit troublé...» Et ses troubles expliquent pourquoi il s'est retrouvé un jour en veste de pyjama...

Blog  de
FRANCIS RICHARD

Haut de la page

Quand le soleil descend doucement sur une des plus belles régions du monde, lui prêtant quelque chose de la somptuosité des forêts tropicales, l'homme en veste de pyjama tente de se souvenir. Il se demande entre autre pourquoi la fille au regard de feu, quand l’orage menaçait de s’abattre sur eux, ne cessait de lui parler de l'artiste germano-suisse Meret Oppenheim. Il semblerait que tout ça, l’homme en veste de pyjama l’ait raconté à son ami, un sculpteur qui vend ses œuvres par-delà les frontières.

Un extrait de l'œuvre

Je demeurai ce jour-là cloué sur mon siège, dans un état qu’on pourrait dire crépusculaire, état dans lequel, sans avoir absorbé ni drogue ni substance chi­mique, ma relation au monde se modifiait, état dans lequel ma perception de l’espace et de ma propre identité variait… Je restais de longs moments à regarder le ciel par la fenêtre…
Un ciel qui était comme un voile que j’aurais voulu déchirer pour parvenir à voir ces choses que l’on ne voit pas d’habitude… Un ciel qui s’éclaircirait subitement ou bien, au contraire, s’assombrirait avec une inquiétante rapidité… Atmosphère de splendeur sidérante qui pourrait suspendre le temps alors que d’émouvantes formations nuageuses se rétractaient ou s’allongeaient au-dessus de moi…
Comme si une autre réalité allait peu à peu imposer ses ombres à celle que m’offrait le spectacle de ce ciel décidément très changeant… Comme si des heures englouties allaient, tout à coup ou peu à peu, surgir des brumes d’un lointain passé… Comme si, à l’intérieur de mon crâne, entre l’écaille du temporal, les plaques osseuses de la voûte et le massif facial, allaient valser un ici et un ailleurs trébuchants… Comme s’il fallait reconstituer ce qui fut, un jour… ce qui advint une nuit ou un soir… ce qui me fit brusquement émerger d’une longue léthargie.
J’enlevais parfois mes lunettes pour que les contours de l’univers se mettent à danser sur un autre rythme : air de polka qui ferait giguer mes phrases sur la page d’un grand cahier à spirale… Je savais que, là-bas, de l’autre côté de la rue, une fenêtre s’ouvrirait dans l’avant-nuit qui n’en finissait pas d’incendier les arbres de la place voisine, leur prêtant quelque chose de la somptuosité des forêts tropicales, le bitume dégageant sa capiteuse odeur de psoralée…


Vous pouvez nous commander directement cet ouvrage par courriel.


Haut de la page