Le Grand Fred, une autre vision de Friderici
Dans un récit, le fils d’Alfred
Friderici relate, sans fard, la vie de son père et le développement de
l’entreprise de transports
Quatre jours après avoir soufflé ses 68 bougies et peu avant de céder
les rênes de la Maison du dessin de presse, Pierre Friderici, qui la
préside depuis ses débuts, vernit ce vendredi le récit qu’il vient de
publier aux éditions Bernard Campiche. Dans ce petit ouvrage vivant et
rythmé, intitulé Le Grand Fred, il retrace la vie de son père, Alfred Friderici, entrepreneur morgien inévitablement associé à l’histoire des transports.
La vie de ce voyageur sédentaire n’a rien de palpitant, le Grand Fred a
énormément voyagé sans quitter son bureau. Dans sa salopette relevée
d’une cravate, il passait des heures sur les cartes routières, traçant
des itinéraires qu’il était incapable de lire ensuite sur le disque du
tachygraphe, au retour du camion.
Des secrets de famille
Mais la biographie est aussi prétexte à évoquer l’histoire du
développement des transports en Suisse, de l’entreprise et la chronique
locale du siècle dernier à Morges. «Cet amateur de poids lourds qu’il
envoyait partout était l’homme le plus casanier du monde. La Côte était
son biotope, son milieu vital», écrit Pierre Friderici qui remarque
que, hormis son cousin, tous les Friderici ont épousé des filles de
Morges ou des villages directement voisins.
En filigrane, c’est aussi l’occasion de revenir sur la saga familiale
qui a duré quatre générations jusqu’à la scission des deux frères Paul
et Alfred en 1979, qui a vu le premier rester seul aux commandes du
groupe et le second s’éloigner avec le sentiment d’avoir été grugé sur
la valeur de l’entreprise.
«La rédaction de ce récit est une entreprise délicate parce que toute
famille a ses secrets, ses non-dits, ses tensions, ses conflits.» Après
avoir écrit cela en préambule, Pierre Friderici se défend pourtant
d’avoir voulu publier une réponse à l’ouvrage édité par son oncle,
Paul, paru il y a quatre ans sous le titre De l’avoine au diesel.
Émancipé du darbysme
«Mais il est vrai que je n’ai guère goûté au sous-titre qui annonçait
“l’histoire d’une famille chrétienne”. Pour moi, cela sous-entendait
que si on n’était pas chrétien affirmé, on n’était pas admis dans la
famille Friderici. Or ce n’est que par le mariage de mon grand-père que
le darbysme est entré dans notre famille et mon père, qui avait subi
cette éducation religieuse, y avait renoncé dès ses 16 ans», affirme
tout de go le sexagénaire passionné de moto.
L’empreinte de la doctrine religieuse de John Nelson Darby prend une
place d’importance dans le récit rédigé «avec l’aide indispensable de
mon ami journaliste et historien Jean Steinauer», comme le décrit le
résident de Tolochenaz. «À l’époque, plusieurs familles darbystes
étaient des piliers de l’économie vaudoise: les Bourgeois, marchands de
vins de Ballaigues, les Cuendet aux Moulins de Cossonay, les Demaurex
qui ont fondé Aligro et les André, parmi les plus gros négociants en
grains au monde. Mon père et ses deux fils, nous étions un peu pointés
du doigt de ne pas suivre le reste de la famille quatre fois par
semaine à l’’église.»
Transporteurs sans visibilité
Mais ce qui ressort de ce récit, c’est que le pionnier – l’une des plus
grosses firmes de transports en Suisse romande – était géré quasiment
«à la bonne franquette», sans budget et sans stratégie claire. Selon
Pierre Friderici, l’entêtement de Paul et de ses fils à viser les
voyages, parfois spectaculaires, vers le Moyen-Orient, ajouté à des
achats compulsifs qui faisaient de Friderici la plus puissante flotte
de Suisse, ont amené à des pertes, des tensions et au divorce entre les
deux frères, alors que le Grand Fred n’affichait que 62 ans.
«J’ai tenu à rédiger la biographie de mon père afin de lui rendre
justice parce qu’il a fini sa vie sans avoir pu la conclure comme il le
méritait», confie son fils, qui souligne le côté bon vivant de son
paternel. Un important chapitre résume ainsi le réseau de fidèles amis
qui entouraient le transporteur de la rue des Charpentiers dans un
Morges d’antan qu’on ne reconnaît que partiellement aujourd’hui.
Le Grand Fred s’est éteint en 1996, mais il revit dans le livre qui
sera verni ce vendredi à 18 heures, à la librairie Payot de Morges en
présence de ses deux auteurs. Ceux-ci siègeront aussi face à leurs
lecteurs lors du prochain Livre sur les quais.
DIDIER SANDOZ, La Côte, 30 août 2019
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Friderici ou les génies du transport
Active depuis cent
quarante-cinq ans, la famille Friderici s’est forgé une légende en
réalisant de multiples exploits vers quarante-cinq pays sous
l’impulsion de «Monsieur Paul», malgré les réserves de son frère
Alfred. Un livre révèle les secrets de famille entre ces deux hommes
«Tout le monde savait que c’était impossible. Il en est venu un, qui ne
le savait pas et qui l’a fait». Ce trait d’esprit de Marcel Pagnol est
affiché au siège des transports Friderici, basés à Tolochenaz en
Suisse. Il illustre la mentalité qui anime cette famille depuis cinq
générations. Tous les membres de la famille? Non! Alfred et ses fils ne
partageaient pas cette audace de Paul et de ses fils, d’où la scission
survenue voici quarante ans.
On apprend ce lourd secret de famille avec la sortie du livre Le Grand Fred,
écrit par Pierre Friderici, le fils d’Alfred. Un ouvrage probablement
inspiré par le succès du livre écrit en 2016 par Paul sous le titre De
l’avoine… au diesel. Décidément, tout est démesuré dans la folle
histoire de Friderici, qui fait rêver des milliers de passionnés de
camions et d’aventures.
Règlement de comptes et légendes
Tout a débuté vers 1875 avec Charles-Émile, qui livre du bois et des
barriques de vin dans le canton de Vaud avec ses chevaux. Son fils
Charles-Félix commande les premiers camions Saurer AC à pneus
gonflables de la région, vers 1926. Le représentant de la deuxième
génération achète un petit Saurer pour son fils Alfred (né en 1917),
placé en location avec son frère Paul (né en 1923) pour l’armée Suisse
en 1939.
À la Libération, la Croix-Rouge leur demande de livrer des colis de
secours aux Français. Grâce à une connaissance, Alfred obtient des
autorisations auprès de l’Aftri afin de rouler sous régime TIR dès les
années 50. Les Suisses ramènent dans leurs citernes du vin d’Algérie
depuis le port de Sète ou de Marseille, du Malaga espagnol ou du Porto.
En rejoignant plusieurs confrères au sein du groupement Transport Union
dès 1954, Friderici recharge partout en Suisse, mais son huitième
camion, le nouveau porteur remorqueur Saurer 6 C de cent
quarante-chevaux, s’impose avec un tel volume qu’il ne laisse sur les
quais aucun colis à ses confrères!
Malgré le protectionnisme en faveur des constructeurs locaux (Saurer –
trois ans d’attente avec un acompte d’un tiers à la commande, Berna ou
FBW), Friderici est autorisé en 1961 à acheter massivement des
Henschel. En effet, les fils Alfred et Paul (qui a roulé durant treize
ans) viennent de décrocher les «appros» sur le chantier de l’autoroute
Genève-Lausanne-Villeneuve. Les besoins de camions bennes et de convois
de soixante tonnes sont si urgents que l’on ne peut pas attendre le
délai de livraison de trois ans des Saurer! Friderici jette son dévolu
sur des dizaines de Henschel HS 120 à benne basculante sur le côté avec
remorques, des HS 140 et 165 tractant des citernes alimentaires et à
goudron Esso, sans oublier les modèles 4x4 ou à capot pour tirer les
convois imaginés par Paul, avec deux modules d’essieux 2+2 traversiers
pour les longues poutres de pont en béton armé. Arrivent les premiers
Unimog, des chargeurs sur pneus et les grues Gottwald. Quant aux
ensembles bâchés HS 16 et 19, ils partent chaque semaine vers la France
ou vers les ports d’Hambourg et de Rotterdam.
Secrets de famille
Tout roule avec la précision d’une montre Suisse pour Alfred à
l’exploitation et Paul à la technique. «Une clarté trompeuse», nuance
Pierre, le fils d’Alfred. D’ailleurs, tout bascule avec la crise
énergétique de 1974 et l’arrivée de la quatrième génération: Pierre et
Charles du côté d’Alfred, Jean-Paul et André du côté de Paul. «Puisque
le travail se faisait plus rare en Suisse et en France (perte de 50 %
du CA), se souvient Pierre, Paul et son fils ainé Jean-Paul se sont
tournés vers le long cours».
Une audace saluée: «Le Moyen-Orient, c’est l’avenir! Quel courage!
Bravo les jeunes de la famille Friderici!», reprennent en cœur les
membres de la Transport Union. «Il faut se rappeler qu’à cette époque,
la mythologie du routier à grande gueule et gros bras battait son plein
dans les médias, souligne Pierre. Les chauffeurs de la ligne avaient
une espèce d’Homère radiophonique du nom de Max Meynier (avec son
émission “Les routiers sont sympas”) qui les persuadait de se voir
comme les héros de l’Odyssée motorisée». Suivant l’exemple de l’anglais
Astran, des français Gruau, Couchet, VIT et Stouff, ou encore des
pionniers suisses Laustauto (avec des Unic Izoard 270 chevaux V8 dès
1969) et Wuthrich (Volvo F88), Friderici s’engouffre vers ces marchés
prometteurs. C’est à cette époque, vers 1975, qu’une quinzaine de
routiers français sont recrutés pour desservir l’Iran, l’Irak qui
modernisera l’aéroport de Bagdad (chantier Fougerolle-Spie) en 1980,
puis l’Arabie Saoudite.
Deux visions du métier
Lorsque les transporteurs français ne sont plus les bienvenus après la
chute du Shah d’Iran et les attentats du Liban, Friderici exploite sa
neutralité diplomatique suisse. Paul Friderici et ses fils Jean-Paul ou
André brillent avec leur flotte de Ken rutilants. Paul suggère même à
Kenworth de rehausser la cabine sur son K 100 pour sortir la version
Aérodyne. Les médias raffolent de leurs exploits (3 375 voyages au
Moyen-Orient) sous le soleil, dans les déserts et face aux douaniers
les plus hostiles.
Une famille au bord de l’implosion!
Restés dans l’ombre, Pierre Friderici et son père Alfred ruminent:
«Pendant ce temps-là, les transporteurs alémaniques s’implantent dans
notre région». Privés des meilleurs matériels (cinquante ensembles
affectés aux pays arabes), des investissements et des meilleurs
conducteurs, Alfred et ses deux fils ont du mal à satisfaire les
clients sur le marché intérieur suisse.
Malgré les tarifs de 20 000 CHF le voyage sur l’Iran (soit 18 150 €),
Pierre certifie qu’économiquement, ce fut un cruel fiasco avec une
perte estimée à 10 millions de CHF (9 millions d’euros), au dire
d’experts! «Nous étions tenus dans l’ignorance de la situation
financière, traités comme des employés et ignorés lors des choix
stratégiques», déplore Pierre, amer.
Alfred et ses fils sont évincés fin 1979 lors d’un accord, à l’issue
d’une longue lutte intestine qui ruine la santé du «Grand Fred»
(Alfred). Libres d’une clause de non-concurrence, ses deux fils fondent
la Compagnie d’expéditions et de transports, revendue en 1996 à Arthur
Ziegler. La CET restera concentrée sur le marché national de la
messagerie, avec une centaine de moteurs.
Le voyage où tout a basculé
Pierre Friderici revient sur le premier voyage de ce qui aurait dû être
un fabuleux contrat avec le groupe français Alsthom: «Un faux pas
gigantesque, un mirage, un rêve tournant au cauchemar!, persifle le
fils du grand Fred. lI a fallu faire construire (chez Nicolas) une
remorque spéciale de douze lignes d’essieux à nonante-six roues, pour
charger une colonne de refroidissement de cent quatre tonnes, ce qui
exigeait un investissement de 408 000 CHF».
Le convoi de cent septante-deux tonnes au total et de quarante-deux
mètres de long, tiré par un K 100 de quatre cent vingt-cinq chevaux
lesté et poussé dans la poussière par «le Concorde» (Henschel F 261
V10), escalade les 2 465 m du col du Tahir (Turquie). Un exploit
incroyable réalisé par «Chouchou», l’expérimenté Jean-Daniel Favre et
par Michel Cudré, qui s’extraient d’un enlisement mémorable dans le
sable! Mais en arrivant à la frontière avec l’Iran durant l’été 79, le
régime du Shah est tombé et les Ayatollahs stoppent le chantier de la
centrale de Tabriz. Pierre dresse un terrible bilan: «Nous avons dû
rapatrier les chauffeurs, immobiliser le monstre durant trois mois et
le rapatrier dans la neige du Tahir. Paul a négocié le retour à coups
de voyages éclairs coûteux et de bakchichs, mais en pure perte! Nous
avons même rencontré des problèmes de paiement et la remorque a été
sciée en deux, afin de poursuivre sa carrière!».
Une perte, mais pour combien de bénéfices ensuite?
Pour prendre du recul, un témoin s’impose: Gérald Gioanni, le lignard
français le plus célèbre, avec à son palmarès six cent trente-cinq
convois exceptionnels avec Friderici dans
trente-trois pays. «Cet exploit inachevé m’a tellement fasciné que
c’est précisément en 1980 que j’ai postulé pour entrer chez Friderici.
À l’âge de vingt et un ans, on m’a confié un premier Ken».
L’ambassadeur Friderici tient à préciser: «Malgré ce premier voyage à
perte, Friderici va conserver la confiance d’Alsthom durant quarante
ans et décrocher le contrat ABB, son homologue suisse!».
En 2005, Friderici, leader aussi dans le levage (vingt-cinq grues), a
compté jusqu’à quatre cents moteurs et neuf cents salariés, avant de
revendre Planzer et de se concentrer dans le «Spécial» avec cent
septante-cinq conducteurs pour huitante moteurs. Gérald Gioanni
précise: «Dans le nucléaire, on a de la mémoire. Ce fut le cas il y a
près de dix ans entre Rouen et Poitiers (en passant par l’Arc de
triomphe), ou en mars 2014 vers Millau, lorsqu’EDF a dû rapatrier
d’urgence un transfo de secours de cent soixante-sept tonnes, Friderici
était le seul à répondre. Qui d’autre pouvait disposer immédiatement
d’un système poutres (brancards) pour des convois de trois cent
soixante tonnes de PTR? Adapté aux routes de montagne, il avait été
perfectionné par André Friderici».
C’était du cabotage confié à des Suisses, mais l’intérêt national de la
France s’est imposé, jusqu’à élargir l’appel d’offres, avant que Scalès
investisse à son tour dans les poutres porteuses. «C’est la plus
magistrale reconnaissance de leur expertise!», martèle Gérald Gioanni,
qui remarque avec cynisme: «Pour sortir son livre, Pierre Friderici a
bizarrement attendu la mort de Monsieur Paul, le 13 novembre 2018. Il
allait avoir nonante-cinq ans».
Aujourd’hui encore, lorsqu’un industriel recherche une solution pour
livrer aux limites de l’Asie et du Moyen-Orient, seule la cinquième
génération Friderici (avec Stéphane, Clément et Blaise) est encore en
mesure de remettre un tarif et un délai. Mais à condition d’y mettre le
prix! Qualité suisse certifiée…
À propos du livre Le grand Fred
Né en 1951, Pierre Friderici suivra son père dans la création de sa
société de messagerie CET, avant de fonder CET Distribution, avec son
frère Charles. Durant près de quarante ans, il exercera des fonctions
de directeur ou d’administrateur dans le transport, avant d’organiser
des voyages pour les amateurs de motos et de raids.
Avec la complicité de son ami journaliste, Jean Steinauer, Pierre tenait à rendre hommage
à son père le «Grand Fred, qui a tant œuvré lors de l’ouverture de Friderici vers l’international entre 1956 et 1979. (…)
FLETSCHER, Les Routiers, No 983 - Janvier 2020
La réponse de Pierre Friderici:
Bonjour Monsieur Lancerau,
Voici un très bel article qui ravira votre lectorat. Je vous félicite
d’avoir, pour une fois, mis en avant André Friderici, qui, en tant
qu’un des plus grands spécialistes en Europe des transports spéciaux,
le mérite amplement. Vous êtes mieux placé que moi pour juger, mais je
dirai le meilleur!
C’est, donc, volontiers que je recevrai un exemplaire de votre journal.
Un point à relever toutefois, car je pense que vous êtes passé à côté
de mon livre. Aucun regret, aucune amertume dans cet écrit, qui n’avait
pour but que de redonner à mon père la place qu’il n’avait pas trouvée
dans le livre de mon oncle Paul. Si vous avez ressenti de tels
sentiments, je m’en excuse, ce n’était pas le but recherché en éditant Le Grand Fred.
C’est, évidemment, l’histoire d’un divorce et il est difficile de
l’expliquer en disant que tout le monde s’entendait à merveille, d’où
peut-être certaines tournures de phrases qui ont pu vous laisser penser
que je digérai mal cette séparation de quarante ans. Je vous rassure,
j’ai mené une vie professionnelle et privée très bien remplie avec
beaucoup d’activités enrichissantes.
Si j’ai un regret, quand même, je le partage avec votre «spécialiste
autoproclamé» de la famille Friderici, Monsieur Gérald Gioanni. En
effet, les hasards de l’écriture, de l’impression, ont fait sortir ce
livre après le décès de mon oncle qui n’a pas pu l’apprécier à sa juste
valeur.
Avec mes meilleures et amicales salutations.
PIERRE FRIDERICI
Comme une série télé
Le Grand Fred
n’est pas un livre d’histoire, mais
une histoire racontée à plusieurs mains. Il y a le récit d’Alfred
Friderici, le Grand Fred, décédé en
1996, interrogé par Jean Steinauer
quatre ans avant sa mort, il
y a les souvenirs de son fils Pierre, coauteur de ce
récit, et enfin la plume de notre ancien
membre du comité et toujours actif
sociétaire Jean Steinauer qui rend ce récit vivant et alerte. Alfred
Friderici a été à la tête de ce qui fut, à un moment donné,
la plus grosse maison de transports
de Suisse. Son grand-père avait
fondé, à Morges, en 1880, une
entreprise de livraisons à cheval. C’est donc un pan de l’histoire des
transports routiers en Suisse qui se dévoile au fil des pages, un pan
aussi de la transformation de La Côte, en même temps qu'une saga
dynastique digne des séries télévisées : secrets de famille et luttes
de pouvoir à chaque épisode! Chabrol aurait adoré.
Société d’Histoire du Canton de Fribourg, septembre 2019
Le Grand Fred, un livre sur Alfred Friderici
Le Grand Fred, tel est le titre du
livre que Pierre Friderici vient de publier sur son père Alfred
Friderici chez Bernard Campiche Editeur. Cet ouvrage a été écrit avec
le journaliste Jean Steinauer
Sur la quatrième page de couverture, sur laquelle figure la photo d’un
camion de la célèbre entreprise de transport, on peut notamment lire ce
qui suit: «Traversée par l’autoroute depuis près de 60 ans, la ville de
Morges l’a été plus longtemps encore par les éclats de rire d’Alfred
Friderici. Directeur avec son frère Paul de la plus grande structure de
transport routier en Suisse, le Grand Fred, qui se présentait toujours
comme chauffeur, se dépensa sans compter pour les siens, pour ses amis,
son métier et son entreprise. Seule celle-ci qui lui échappa
finalement, ne lui rendit pas ce qu’elle avait reçu de lui. Son fils,
Pierre Friderici, avec la complicité du journaliste Jean Steinauer,
raconte la vie ordinaire d’un homme qui ne l’était pas et soulève le
capot des poids lourds. Voici des aventures et des personnages hauts en
couleurs, des secrets de famille et des luttes de pouvoir.»
Le «cruel fiasco» du Moyen-Orient
À la page 36, Pierre Friderici, qui écrit que «tous les Friderici ne se
ressemblent pas», distingue les «lignes de conflit qui aboutiront à la
scission de l’entreprise». Pour y voir plus clair, il publie l’arbre
généalogique des Friderici. On y voit qu’Alfred Friderici
(1917-1996) est issu de l’union de Charles-Félix Friderici (889-1958)
et d’Élise Julie Bussy (1889-1921) alors que son demi-frère Paul
Friderici (1923-2018) est issu de l’union de ce m^me Charles-Félix
Friderici et d’Alice Isaline Bussy (1902-1978). Après un premier
mariage en 1914, Charles-Félix Friderici s’était en effet remarié en
1923 avec la sœur de sa première épouse, décédée en 1921.
Quant aux «luttes de pouvoir» évoquées plus haut, Pierre Friderici
écrit à la page 58 que «les transports au Moyen-Orient se soldèrent par
un cruel fiasco.» Il est vrai que l’entreprise n’avait pas de conseil
d’administration, «l’oncle Paulet professant qu’il n’avait rien à faire
à ce niveau d’un type ne possédant pas de permis poids lourd…» déplore
Pierre Friderici à la page 62.
LAURENT MISSBAUER, Camion, octobre 2019
Passionnant, ce récit écrit à quatre mains par Pierre Friderici pour les souvenirs et par Jean Steinauer pour la forme!
Le premier appartient à une dynastie de transporteurs et le second est
journaliste. Pierre est le fils du Grand Fred, personnage truculent et
haut en couleurs, travailleur acharné, se dépensant sans compter pour
les siens et les amis.
Il partagera avec son frère Paul l’une des plus grosses entreprises suisses de transport.
Alfred Friderici est né en 1917 «alors que la guerre hurlait encore».
Il est mort en 1996. La Côte est son biotope avec Morges comme point
d’attache. Sous sa direction, ni publicité ni relations publiques. La
bouche à oreille lui amène les clients. Penché sur ses cartes
routières, en salopettes et cravate, il déclare: «Quels beaux voyages
j’ai faits dans mon bureau.»
«Dans le temps, si le transporteur ne pouvait pas compter sur sa femme
pour le secrétariat et les comptes, il ne tenait pas.» Et les femmes ne
font pas de la figuration dans la famille Friderici! Paul est le
responsable technique, Alfred le chef de la partie commerciale. Paul
court les salons et commande des camions. «Il était comme un gamin dans
un magasin de jouets.»
Dès les débuts, les transports s’effectuaient avec les chevaux. En
1998, il ont été «liquidés». Il y en avait encore quarante-huit. Dans
les années 60, l’entreprise est florissante.
Elle assure des déménagements, des transports de chantiers. C’est le
début des camions-grues et des transports spéciaux comme le vin et le
moût à partir de Bordeaux en camions-citernes.
Elle effectue des travaux pour la poste et les CFF. L’entreprise tente le Moyen-Orient. Les pertes sont énormes.
Le darbysme a-t-il été le ferment de la dissension entre Alfred et
Paul? Il a été un déclencheur, mais des erreurs stratégiques, un
retournement conjoncturel d’envergure mondiale ont mené à l’éclatement
de l’entreprise.
En 1977, Alfred jette l’éponge, «catastrophé d’en arriver là après de
longues et fertiles années passées avec mon frère à créer l’empire
Friderici SA.» La métamorphose du grand Fred en grand-papa gâteau rend
le personnage encore plus attachant.
La saga Friderici se savoure comme un roman. Un arbre généalogique
permet au lecteur de s’y retrouver dans le méandre de cette famille qui
a modelé le paysage économique du canton.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus, octobre 2019
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«J’ai voulu écrire la biographie de mon père afin de lui rendre justice
d'abord, parce qu'il a fini sa vie sans avoir pu la conclure comme il
le méritait; et afin de transmettre à mon tour ce qu'il m'a donné: un
art de vivre, une éthique du métier», écrit Pierre Friderici dans le
prologue.
Ce récit est plus qu'une biographie, l'hommage d'un fils à son père,
pour lequel il éprouve de la fierté. Pour ce faire, ayant du temps,
mais pas d'expérience, ni d'argent à mettre, il a demandé de l'aide à
Jean Steinauer, journaliste, historien et ami de longue date.
Comme on peut le voir sur la photo de couverture (à gauche), son père,
Alfred Friderici, est un patron (dans le domaine du transport routier)
comme on n'en fait plus: sa tenue de travail est une salopette bleue,
«qu’il porte entrouverte sur une chemise et une cravate».
Alfred (1917-1996) est le responsable commercial et son frère Paul
(1923-2018) le responsable technique de l'entreprise familiale, que
tous deux, autodidactes, ont repris à la mort de leur père,
Charles-Félix, en 1958, sans connaissances particulières en management.
Cela ne va pas les empêcher de la développer formidablement, localement
et à l'international, et de la diversifier jusqu'au début des années
1970, en dépit des réglementations et des protectionnismes, jusqu'à ce
que le département Moyen-Orient lui soit fatal.
Ce qui caractérise «Le Grand Fred», surnom qui lui a été donné par ses
amis, c'est son enracinement local à Morges, où, sur plusieurs
générations, tous les Friderici, ou presque, ont trouvé femme. Son fils
Pierre parle du «biotope originel morgien» de la Maison Friderici...
Ce qui caractérise le Grand Fred également, c'est qu'il prend depuis
longtemps «une irrémédiable distance avec la secte» darbyste, qui a
marqué de son empreinte sa famille avec le mariage de son père avec les
deux soeurs Bussy qui en sont adeptes.
Cette secte sera un facteur «déclencheur» de la chute de la Maison
Friderici: «Mais pour venir à bout de la plus grande structure de
transport routier du pays, il faudra des erreurs stratégiques et pas
moins qu'un retournement conjoncturel d'ampleur internationale…»
Du Grand Fred, qu'a-t-on envie de retenir? Ce portrait que dresse de lui son fils:
«Alfred n'a jamais été un homme d'argent. Il est mû par le goût
d'entreprendre, pas celui d'accumuler. Il applique beaucoup de rigueur
au contrôle des dépenses et des encaissements, mais ne montre nulle
âpreté au gain. Ce bon vivant ne crache ni dans un bon vin ni sur une
fine table, mais il a dans son quotidien des goûts simples et ne croit
pas à la sincérité des signes extérieurs de richesse.»
Blog de FRANCIS RICHARD
Traversée
par l’autoroute depuis près de soixante ans, la ville de Morges l’a été
plus longtemps encore par les éclats de voix et les éclats de rire
d’Alfred Friderici. Directeur avec son frère Paul de la plus grande
structure de transport routier en Suisse, le Grand Fred, qui se
présentait toujours comme chauffeur, se dépensa sans compter pour les
siens, pour ses amis, son métier et son entreprise. Seule celle-ci, qui
lui échappa finalement, ne lui rendit pas ce qu’elle avait reçu de lui.
Son fils Pierre, avec la complicité du journaliste Jean Steinauer,
raconte la vie ordinaire d’un homme qui ne l’était pas, et soulève le
capot des poids lourds. Voici des aventures picaresques, des
personnages hauts en couleurs, des secrets de famille et des luttes de
pouvoir. Chabrol aurait adoré.
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