Au-delà des cendres
Où trouver la joie quand il ne reste plus rien? Quand il ne reste
littéralement plus rien, quand le monde a été réduit en cendres comme
dans le troisième ouvrage de Stéphane Blok, Les Fables de la joie.
Le roman s’ouvre sur un décor post-apocalyptique lorsqu’un homme, se
réveillant amnésique, s’extrait d’un tunnel pour déboucher sur une
terre dévastée. Tout a brûlé. Ne subsiste qu’un tapis de cendres
blanches, enveloppé dans un épais brouillard. La vie s’est éteinte, le
monde a disparu dans une blancheur funèbre. Ne sachant que faire
d’autre, l’homme se met en marche. «Le ciel était blanc, tout était
blanc, tout était silencieux, excepté le bruit de ses pas, feutrés par
la suie.»
Commence alors l’errance de cet homme «au milieu de rien, entouré de
vide». Il ne sait rien des causes du cataclysme, ignore ce qui lui est
arrivé. Tenaillé par le doute, harcelé par la faim et la soif, seul au
monde, perdu, il se laisse submerger par le désespoir. Mais tandis que
le brouillard se
dissipe gentiment sur cette terre désolée, l’homme connaît aussi des
sursauts d’optimisme, d’euphorie même. «(...) [L]a fureur dans laquelle
il s’était épuisé la veille l’avait comme lavé de tout désespoir et le
courage gonflait à nouveau son torse. Il respira à pleins poumons.
L’aventure ne finirait pas comme ça. » Une aventure qui, malgré tout,
reste pauvre en péripéties. L’homme aperçoit furtivement deux avions de
chasse et découvre quelques fourmis, signes que toute vie n’est pas
éradiquée. On n’en saura pas beaucoup plus. Le propos de Stéphane Blok
est ailleurs: où trouver la joie quand il ne reste plus rien?
Elle pourrait se nicher dans les contes que l’écrivain et musicien
vaudois insère dans son récit, contrepoints poétiques dans lesquels la
nuit dialogue avec le vent, la brindille avec le caillou, la mer avec
la forêt. Racontés par une femme à des enfants avant le coucher, ces
contes ouvrent des brèches lumineuses dans l’univers de cendres du
roman. Ils parviennent même à l’imprégner, à l’apaiser, laissant son
rescapé s’abandonner, par instants, à un dénuement joyeux. «Il se
sentait bien parmi les étoiles, les planètes, les pierres, l’air, le
sol. Tout ceci était sa maison, son chez-lui, son monde connu, son
existence. Il avait vécu au milieu de tout ça sans trop le remarquer,
mais maintenant qu’il n’était presque plus rien, au moment de dire
adieu, c’est à ce monde-là qu’il s’adressait, c’est le monde organique
qu’il saluait, qu’il remerciait d’un sourire qu’il n’avait même plus la
force d’esquisser.»
Maintenant qu’il n’était presque plus rien... Cette phrase pourrait servir de sous-titre aux Fables de la joie,
cette errance onirique d’un homme qui va à l’encontre de sa mort.
Peut-être même est-il déjà mort, ou en train de déambuler dans un
entre-deux, comme le tunnel initial – que l’on retrouve d’ailleurs dans
les récits d’expériences de mort imminente – pourrait le suggérer. Il
chemine en tout cas dans un monde poreux, où rêve et réalité se
mélangent, où vie et mort s’entremêlent. En cela, Les Fables de la joie
ressemblent à l’œuvre d’Antoine Volodine, adepte lui aussi des
personnages à la conscience flottante, réduits à vagabonder dans des
paysages post-apocalyptiques. Stéphane Blok s’y attelle toutefois avec
son style propre, avec un souci d’épurer son récit et son écriture. Il
en ressort quarante-deux brefs chapitres à la poésie dépouillée, comme
les derniers mots d’un moribond. La fin du roman augurant une suite, la
mort devra néanmoins patienter. Stéphane Blok n’en a pas fini de
chercher la joie dans le presque rien.
GRÉGOIRE SILACCI, La Cinquième Saison
«Il n’était pas encore mort, car il avait les yeux ouverts. Il n’était pas encore mort, car il marchait droit devant.»
Lorsqu’il parvient à sortir du tunnel, le paysage visible est blanc.
«Aucune trace de vie, aucun arbre, aucune herbe, rien. La suie est
partout.» Quelle catastrophe apocalyptique s’est donc abattue sur le
pays? Quel monstrueux incendie a réduit en cendres une région?
Il n’a rien à boire, rien à manger. Pas d’effets personnels. Il marche
dans un désert de cendre froide. Lorsque la nuit s’abat, la peur
l’envahit. Comme un marque-temps, il enfouit dans sa poche un caillou.
Voilà trois jours qu’il marche. Et soudain des traces de pas dessinent
un joli chemin. Ce sont ses propres pas. Il pleure sur lui-même et sur
sa mort. «C’est émouvant une vie, surtout quand elle vous quitte et
qu’il s’agit de la sienne.» Alors il hurle son désespoir, injurie les
cendres et le feu.
Au quatrième jour, il se met à pleuvoir. Une pluie qui humecte ses
lèvres gercées, son gosier en feu, réanimant du coup le fil ténu de
l’espoir. Une tache grise se révèle: le Jura. Son pays. C’est la
découverte d’un panneau métallique «La Sarraz» qui le guide vers le
bourg aux maisons éventrées, aux vitres éclatés… «La mort ne l’a pas
quitté une seconde, elle dort maintenant près de lui, comme une louve
protectrice.»
«Et puis, il y a cette femme qui aimerait chanter, histoire de se
sentir moins seule. Aux bourrasques de ses vocalises succèdent des
courants mélodieux de mots chauds.» À des enfants affamés, elle
raconte. Comme «La mer et la forêt», une fable superbe qui
réchauffe le cœur.
Ainsi cette marche éperdue est entrecoupée de contes très courts. Le
texte est ourlé de poésie. Délicate et fine. Le récit est un jeu
d’ombre et de lumière. L’ombre est cette errance de l’homme dans un
univers totalement hostile. La lumière, ce sont ces chants et ces
fables.
Les Fables de la joie
c’est un récit éminemment intelligent. Eminemment sensible. Le
Lausannois Stéphane Blok est un homme attachant au parcours atypique.
Autodidacte et musicien de rue, il suit pendant quatre ans des études à
l’École de jazz et musiques actuelles de Lausanne. Il écrit et compose.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus
«Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris.»
Les Fables de la joie,
de Stéphane Blok, font penser à ce verset de la Genèse: «Souviens-toi,
homme, que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière.» Ce
premier épisode de ce roman poétique parle en effet de vie et de mort.
Le narrateur raconte qu'il se trouve dans un tunnel; qu'au bout du
tunnel, il y a une porte et qu'après l'avoir forcée, il découvre un
décor d'apocalypse dans lequel il entreprend de marcher, car, que
peut-il faire d'autre?
«Il se mit en route sans savoir où aller. Le ciel était blanc, tout
était blanc, tout était silencieux, excepté le bruit de ses pas,
feutrés par la suie.»
Tout est sec. Tout a brûlé. Il ne reste plus que des cendres. Il est
seul au monde. Que sont devenus ses proches, ses amis, ses
connaissances? Il se souvient de tout, sauf de la catastrophe.
Que s'est-il passé? Comment s'est-il retrouvé dans le tunnel? La seule
chose qui est sûre est qu'il est en survie, pour le moment; qu'il a mal
au crâne; qu'il y a partout autour de lui des cendres froides et
blanches...
Tandis qu'il marche indéfiniment le jour et fait halte la nuit pendant
plusieurs jours de sa nouvelle vie, les éléments de la nature se
répondent dans les fables de la joie qu'une dame raconte aux enfants
avant de les coucher.
La nuit et le vent, le jour et la nuit, la brindille et le caillou, la
mer et la forêt, la montagne et le cours d'eau parlent dans ces fables
de commencement et de fin, de vie rêvée, comme quand on dort.
Et le narrateur sait que la mort veille sur tout, y compris sur son sommeil...
Blog de FRANCIS RICHARD, 23 mai 2017
Un conte sur la fin
Les Fables de la joie de Stéphane Blok, une échappée onirique, entre la vie et la mort
La force de la vision, c’est ce que l’on retient d’emblée des Fables de
la joie, troisième ouvrage de Stéphane Blok. Le conte démarre à la
façon des récits post-apocalyptiques: un homme se décide à sortir du
lieu où il se trouve, un tunnel, une sorte de cavité, dont il parvient
à défoncer la porte avec une barre métallique. On imagine un accident
de la route. Mais le paysage que le personnage découvre une fois à
l’air libre change la donne. Dans un brouillard épais se déploie un
paysage entièrement blanc, recouvert d’une couche de poussière blanche
qui s’avérera être de la suie, «aucune trace de vie, aucun arbre,
aucune herbe, aucune couleur, rien».
Méditation sur le vivant
Parfaitement seul, et incapable de se souvenir de ce qui l’a propulsé
dans cet environnement, il avance. La description des paysages de
collines et de lits de rivières recouverts par cette poudre minérale
est saisissante. Au cours de sa pérégrination, il y plonge par mégarde
et s’y démène comme dans des flots. Les phases d’espoir et de désespoir
s’enchaînent, tandis que de brèves comptines interrompent le récit: des
rencontres poétiques entre la nuit et le jour, la montagne et la forêt,
comme des brassées de vie, dans cet univers mort. Avant que les rêves
et les dédoublements n’écartent les rideaux du décor. Un conte en forme
de méditation sur le vivant.
LISBETH KOUTCHOUMOFF, Le Temps, 13 mai 2017
À travers les jours de suie et de ceux de cendre
Le titre, Les Fables de la joie,
se comprend comme une antiphrase. Il y a en effet de la fable, mais peu
de joie dans ce bref et intense roman de Stéphane Blok. Le musicien,
chanteur et écrivain vaudois sort son troisième livre (présenté comme
un «premier épisode») chez Bernard Campiche, avec toujours la même
liberté de ton et une remarquable puissance évocatrice.
Un homme se réveille dans un tunnel, blessé à la tête, amnésique, «il
se décida finalement à sortir.» À l’air libre, il ne reconnaît pas le
voyage tout est recouvert de cendre, brûlé, carbonisé. L’homme se met
en route dans ce paysage postapocalyptique. Par son écriture précise,
épurée, Stéphane Blok donne à sentir ces jours de marche dans la
cendre, ces jours de soif et de peur. Avec, insérés comme des
éclaircies dans la grisaille, de brefs chapitres aux allures de fables,
où se rencontrent la nuit et le vent, le jour et la nuit, la brindille
et le caillou… Comme des échos aux luttes, réels ou métaphoriques, que
livre le héros entre espoir et désespoir, courage et abandon… De quoi
donner encore une dimension poétique supplémentaire à ce texte
intrigant, fascinant, qui résonne bien au-delà des dernières pages,
bien après que le mystère de la catastrophe fut résolu.
ÉRIC BUILLARD, La Gruyère, 11 mai 2017
Marcher dans la cendre
On se croirait presque dans un jeu vidéo, de ceux à la troisième
personne où l’on tente de faire survivre un héros perdu dans un monde
mystérieux. Car on s’attache au destin solitaire du personnage des Fables de la joie
de Stéphane Blok: un homme qui se réveille un jour dans une sorte de
tunnel, d’où il s’extrait pour découvrir un paysage recouvert de
cendre. La vie est éteinte, tout semble avoir été carbonisé.
L’auteur, musicien et poète lausannois déploie ici une courte et
étrange quête. Quarante-deux chapitres dessinent un monde
postapocalyptique qui n’est pas sans rappeler le Stalker de Tarkowski ou le Terminus radieux
de Volodine. Mais avec une épure qui le rapproche plutôt de l’univers
graphique d’un Marc-Antoine Mathieu. Là aussi, un homme tente de donner
un sens à sa marche pour retrouver les siens autant que le souvenir de
ce qui a bien pu lui arriver. Une écriture dont les résonances
cosmiques et symboliques semblent appeler une suite. On ne peut que le
souhaiter.
THIERRY RABOUD, La Liberté, 29 avril 2017
Un extrait du roman
Il se mit en route sans savoir où aller. Le ciel était blanc, tout
était blanc, tout était silencieux, excepté le bruit de ses pas,
feutrés par la suie. La région était faite de collines basses et de
lits de ruisseaux desséchés. Il n’avait aucun souvenir d’être un jour
venu ici et ne reconnaissait rien. Il partit tout droit, laissant des
traces régulières derrière lui. La suie était partout, et en certains
endroits en telle quantité, notamment dans le creux des reliefs, qu’il
se disait possible qu’une épaisse forêt eût pu recouvrir la zone et
entièrement disparaître dans les flammes. Le soleil avait presque percé
les nuages quelques minutes plus tôt, une pâle lueur, qu’il avait
placée sur sa gauche : ainsi, si c’était bel et bien le matin comme il
l’estimait, en marchant droit devant, il partait vers le sud. Que
s’était-il passé ? Il était heureux d’être en vie sans savoir à quoi il
le devait, ni pourquoi ni comment. Des pensées contradictoires se
bousculaient en lui. Il n’avait rien à boire ni à manger et n’avait
encore croisé personne.
Les Fables de la joie est un roman métaphorique, une œuvre de
science-fiction rejouant le combat que se livrent en chaque humain
l’espoir et le désespoir, la volonté et l’abandon, la vie et la mort.
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