«Un
songe perclus d’inexistence s’attablait au chevet de ma mémoire.
J’étais couché sur le plancher. Dans une chambre vide et blanche.»
Étrangement, pas de panique pour l’amnésique! «J’étais nimbé de
bienveillance.» Mais plus loin: «J’ai ressenti un étirement de peur qui
semblait vouloir se prélasser dans mon corps.»
À la recherche d’indices sur son identité, il est rattrapé pas son
passé. Une femme entre dans l’appartement. Elle affirme être sa fille.
Vraiment? Et lui? Qui était-il? «Un anarchiste, un terroriste un
hors-la-loi, un malfrat, un fouteur de merde, un ennemi public)» C’est
ce que prétend Gorin. le flic lancé à ses trousses. Mais lui, Sol
Djelem, se moque de ce qu’il a été puisqu’il ne sait plus rien. «Je
suis une épure débarrassée des inconvenances de l’existence, des
interférences, des parasites qui encombrent ce pourquoi la vie a été
créée: la légèreté de l’âme et non pas la lourdeur de l’homme.»
Follement amoureux de sa femme, il avait ignoré sa fille. «J’aurais
tellement voulu qu’une seule fois tu me regardes comme tu regardais
maman… comme une chose parfaite, une œuvre d’art.» Une seule fois
pourtant, main dans la main, ils s’étaient promenés dans la forêt
sacrée. Puis il avait disparu. Vingt ans d’errance, de braquages, de
casses, de règlement de compte.
L’amour rédempteur? Sol s’y est accroché, comme à une bouée. «L’amour
est un semeur d’éblouissement.» Angelina lui avait dit: «Je nous ai
acheté des habits soleil.» Et plus tard: «Tu danses dans mon cœur.»
Mais Angelina est borderline. La description de l’asile psychiatrique
où elle a séjourné est terrible.
Desperado est un texte
musique, une symphonie pathétique. Ce récit vous prend aux tripes et ne
vous lâche plus. Ne jetez pas un regard à la dernière page! Suivez pas
à pas la recherche éperdue de ce père amnésique et de «sa» fille au
bord du précipice psychologique. Induite pas la chasse incessante de
Gorin, le flic. Pugnace, il n’abandonne jamais sa proie. Et Sol
est un gibier particulier qu’il s’est juré d’abattre.
Ce texte est d’une grande beauté avec des élans poétiques qui vous font
chavirer l’âme, surtout le monologue d’Angelina. Thierry Luterbacher
sculpte son roman avec des gestes sûrs, précis, inspirés. Sa
poésie est bouleversante. Sa finesse d’analyse des sentiments humains,
sa délicatesse pour les exprimer, son écriture superbe en font un roman
qui illumine la littérature romande.
Ce Biennois, récompensé par de nombreux prix, a publié sept romans chez Bernard Campiche Éditeur.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus
Beau vers l’œil
Thierry Luterbacher aime les personnages en marge, qu’ils soient joyeux loser (Le Sacre de l’inutile, 2009), fugitif permanent (Évasion à perpétuité, 2011) ou en décalage constant (Dernier dimanche de mars, 2014). Dans Desperado, l’auteur du Jura bernois met à nouveau en scène un héros hors cadre et hors normes. Hors la loi, même.
Quand il se réveille dans une chambre blanche, le narrateur ne sait
plus qui il est ni où il se trouve. Arrive une jeune femme qui se
présente comme sa fille. L’homme sans mémoire va tenter de reconstruire
son passé en découvrant qu’il a la police (et pas seulement elle) aux
trousses.
Entre polar rock’n’roll (une épigraphe annonce que «la musique de ce
livre est de Neil Young et de John Lennon») et quête d’identité, le
roman manie avec habileté émotion, onirisme et sens du suspense.
Thierry Luterbacher a le sens de l’image surprenante, fulgurante
(«débordant de tant de tristesse que le soleil a eu froid»). Mais son
écriture généreuse touche davantage quand elle vise la simplicité («Je
ne voulais pas m’arrêter avant d’arriver là où ça sentait bon») que
quand elle se laisse emporter: «Mon ventre a servi de tremplin aux
pleurs qui ont rebondi dans ma tête déversant le trop-plein par mes
yeux en me secouant comme si je tenais un marteau-piqueur qui me
faisait des trous au cœur.»
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
Thierry
Luterbacher vient de publier «Desperado» son septième roman. Un
thriller métaphysique sur la mémoire, la famille et l’identité
La mémoire dans la peau d’un desperado
Un homme se réveille dans une mystérieuse chambre vide aux murs blancs.
Blessé à la tête, il ne sait pas qui il est, où il se trouve ni d’où il
vient. «Mon cerveau lessivé, passé à l’eau de Javel – tout comme
l’appartement, nettoyé des éléments susceptibles d’être à même de
reconstituer mon puzzle», se dit l’homme amnésique qui va, dans un
premier temps, tenter de rassembler des indices en errant dans les
diverses pièces de ce logement. Un article de journal, un mot laissé
dans la poche de son pantalon, des odeurs, un air d’opéra puis, une
jeune femme faisant irruption font réapparaître ses antécédents de caïd
appartenant à un clan de gitans. Traqué par la police et ses ennemis,
il se met à la poursuite de son passé, faisant resurgir son identité
torturée. Et celle des autres… Notamment celle de sa fille qu’il a
lâchement abandonnée 20 ans plus tôt.
L’instinct refait surface
Dans son septième roman intitulé Desperado,
publié chez Bernard Campiche éditeur, l’écrivain biennois Thierry
Luterbacher navigue entre les genres et les espaces. D’un thriller
psychologique à huis clos, on passe à un roman de cavale sensuel, tout
en goûtant aux intrigues d’un polar noir. De nombreuses interrogations
barrent la route du protagoniste sans pour autant freiner le rythme du
récit. L’auteur insiste sur un point: si le roman prend racine dans un
terrain truffé de questions existentielles, l’histoire reste centrale.
«Quand j’écris, j’introduis des réflexions et des symboles sur
l’existence, en l’occurrence sur l’identité et la filiation. Mais ces
questions n’ont pas besoin d’être résolues et les lecteurs n’ont pas
besoin de les prendre à leur compte», résume Thierry Luterbacher. Dans
«Desperado», il est question de rédemption et d’oubli mais aussi
d’exploration de soi. «Le choix que cette chambre lui propose est de
redécouvrir l’homme qu’il a été et qu’il ne veut plus être, de renaître
à la vie, même s’il ne sait pas laquelle. Mais il se donne l’occasion
de la réinventer. A partir de ce moment-là, tout est danger et, en
même temps, tout est émerveillement.»
Petit à petit, le personnage se réapproprie son visage, sa voix et son
corps. «C’est extraordinaire de se dire qu’il a oublié le goût du miel
et qu’un jour, il le redécouvre. Qui n’aimerait pas vivre ça? Il est
vierge de tout sentiment, de toute émotion, de toute sensation.»
Malgré cette forme de naïveté retrouvée, les antécédents du
protagoniste pèsent lourd et refont parfois surface sans prévenir, avec
violence. «Est-ce qu’on peut nier toute une vie d’existence et échapper
à son passé?», s’interroge Thierry Luterbacher qui dit s’être penché
sur un desperado
issu des milieux gitans par fascination pour l’ambivalence de leur mode
de vie. «Ils se considèrent en dehors de toute norme. Il y a le côté
romance qui peut faire rêver, ce souffle incroyable de liberté, mais
aussi le côté moins brillant, plus violent. Cet esprit où tout tourne
autour de la tribu, du clan. On en revient presque à la meute de loups
avec son mâle alpha dominant. Je me demande si cette liberté anarchiste
est vouée au chaos.»
Pas près de raccrocher
Si Thierry Luterbacher dit s’inspirer d’idées qu’il attrape au vol, au
gré des expériences, des voyages et des errances de son esprit, ce
nouvel ouvrage a un ancrage inédit dans la vie de l’auteur. Le début de
l’écriture de ce septième roman correspond à son arrivée dans un nouvel
appartement. Installé à Romont durant près de 25 ans, il a déménagé à
Bienne en 2014. «J’ai découvert les lieux comme le fait mon personnage.
Cette prise de possession de l’endroit où j’allais vivre se déployait
de la même manière que mon histoire.»
L’auteur, qui explique avoir besoin d’un temple pour écrire, semble
avoir trouver chaussure à son pied puisque le huitième roman est déjà
en route tout comme une pièce de théâtre et un projet à quatre mains
avec un certain Jean-Pierre Rochat. À 67 ans, Thierry Luterbacher n’est
donc pas près de raccrocher. «Je ne pourrais pas arrêter, même si je le
voulais. Écrire c’est une aventure fantastique. C’est comme être le
défricheur d’une terre inconnue. Sauf que tu ne te frayes pas un chemin
avec une machette,
JULIEN BAUMANN, Journal du Jura
«Une fois maman m'a dit que tu étais un
desperado. J'ai pas bien compris et j'ai cherché dans le dictionnaire.
Ça disait: "hors-la-loi prêt à se battre jusqu'à la mort. »,» lui
dit un jour sa fille retrouvée, après quelque vingt ans d'absence.
Le desperado est amnésique. Il ne sait plus son nom, ni son âge, ni où
il habite. Il se réveille dans une chambre blanche et vide: «Quatre
murs comme autant de pages vierges, deux fenêtres, et, sous mes pieds
nus, un plancher.»
Il n'a pas que les pieds nus, il est tout nu. Il ne s'en rend pas
compte tout de suite. Il cherche surtout à sortir de cet endroit
insolite. Il avise une porte, mais elle ouvre sur une paroi. Dans la
plinthe de cette paroi, il y a une languette.
Du pied il appuie sur la languette. La paroi coulisse. Il se retrouve
dans un couloir. La paroi se referme derrière lui. Où est-il? Chez lui.
Il ne reconnaît rien, ou plutôt si, une odeur, la sienne, qui imprègne
des vêtements, sur une chaise...
Quand il est face aux portes miroir qui surmontent les deux lavabos de
la salle de bains, il ne se reconnaît pas. Il sait désormais à quoi il
ressemble. Il a une blessure au-dessus de l'oeil gauche. Peut-être
vient-elle de là son amnésie.
Dans l'appartement, il y a deux chambres, hormis la chambre blanche. La
sienne et une chambre de femme, de jeune femme: sa compagne, sa fille?
Quel âge a-t-elle? Comme ça, au premier coup d'œil, un peu moins que la
trentaine.
Lui se donne la cinquantaine. Il découvre un nom sur une enveloppe: Sol
Djelem. Il déplie un journal et reconnaît le visage qui lui est apparu
dans la salle de bains: c'est celui d'un certain Joseph Lair, qui
serait la tête pensante d'un groupe terroriste...
Quand une jeune femme s'adresse à lui en le tutoyant, il suppute
quelqu'un d'intime puisqu'elle est entrée dans «l’appart». Elle
l'appelle Sol: «C’était un bonheur sans nom de m'entendre appeler par
un nom, mon nom, du moins celui qu'elle me donnait.»
Quand la police sonne à la porte, l'inconnue lui demande de se cacher.
Il se réfugie dans la chambre blanche... Et, quand il en ressort, elle
n'est plus là. Un homme tapote à la vitre d'une fenêtre. C'est un
dénommé Cisco: «la môme» a été embarquée...
Il comprend que la môme, c'est sa fille, Nassima. Le fait est que
lorsque celle-ci revient, c'est bien sa fille, puisqu'elle en porte le
nom, sa fille qui lui apprend pourquoi on l'appelle Djelem, entre
autres: «En langage tzigane ça veut dire: “je suis parti”»…
Comme il est réellement traqué, il se dit alors: «Il [faut] que je me
tire de là, je finirais bien par me trouver, moi ou des bribes de moi,
pour savoir si [j'ai] envie de redevenir ce que j’étais.» En attendant,
il a surtout «une inexorable envie» d'être lui-même.
Pendant sa cavale, cet ex-insaisissable en vient à se connaître
lui-même et à s'interroger sur l'honnêteté des autres personnes qu'il
côtoie. De la beauté des gestes de l'une d'elles, il ne lui restera
bientôt plus que la cendre, après l'oubli...
Blog de FRANCIS RICHARD
Il
se réveille dans une chambre blanche. Nul sentiment de qui il est,
nulle idée où il est et ce qu’il y fait. Il part à la recherche de son
identité en suivant ses traces et ses odeurs. Une femme entre dans
l’appartement et prétend être sa fille. Il découvre peu à peu des bribes
de son passé qui lui révèlent qu’il n’est plus l’homme qu’il a été, un
desperado, un hors-la-loi prêt à se battre jusqu’à la mort.
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Un extrait de l’œuvre
Un songe perclus d’inexistence s’attablait au chevet de ma mémoire. Je
croyais dormir, bercé par une chanson douce. L’effusion de tendresse
d’un rayon de soleil m’a réveillé. J’étais couché sur le plancher.
J’entrevoyais une chambre vide et blanche. J’étais nimbé de
bienveillance. Je me suis hissé sur les coudes, je vaguais dans le
blanc, je ne savais rien, je n’étais rien. Un vide dans un vide. Je
n’étais pas une conscience, mais un vague amas de sensations avec des
émotions aussi imprévisibles que les poings d’un boxeur. Plus d’avant,
plus d’après.
Je me suis levé, d’abord pris d’un léger vertige, les jambes
flageolantes. Je cherchais à m’asseoir, à m’allonger, à me coucher, mais
pas de chaise, pas de sofa, pas de lit, rien. Quatre murs comme autant
de pages vierges, deux fenêtres, et, sous mes pieds nus, un plancher.
La chambre était blanche et vide. Un flux de sang a pulsé dans ma tête,
chassant le vertige. Il me fallait habiter mon corps. J’ai regardé mes
pieds nus et j’y ai concentré toute mon énergie jusqu’à les envelopper
de chaleur. Puis mes chevilles, mes jambes, mes cuisses… et j’ai
compris que j’étais nu.
« Je suis nu… »
Je me suis entendu parler, ça m’a fait du bien. Pourquoi étais-je nu, de corps et d’esprit, dans une chambre vide et blanche ?
« C’est moi… »
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