Olivier Pitteloud, l'esthétisme autour d'une famille où passent les générations
C'est aux éditions Bernard Campiche que l'écrivain d'origine valaisanne
Olivier Pitteloud, aujourd'hui enseignant à Fribourg, a fait paraître
son troisième roman, Combler la faille. Il s'agit d'un ouvrage résolument esthétique, court mais dense, crépusculaire aussi.
Si dense qu'il paraît difficile de résumer l'intrigue qui porte Combler la faille.
Voyons: le lecteur embarque à la suite d'une animatrice radio qui
apprend, alors qu'elle anime une émission face à des interlocuteurs
ennuyeux, que sa mère est morte. La voilà qui monte dans sa Buick huit
cylindres vers un village où l'attendent quelques secrets inattendus,
homicide inclus. L'arme du crime? Un coussin.
L'écrivain travaille son écriture en esthète, artisan du ressassement
qui vise à trouver la tournure la plus propre à ce qu'il faut dire. Par
moments, les mots font dès lors émerger des images qui vont marquer,
voire séduire le lecteur. Il y a par exemple la conception du travail
du bois chère au patriarche, portée par un procédé manuel qui respecte
le sens des veines pour que le matériau n'éclate jamais.
Il y a aussi ce piano sur lequel on hésite à jouer, porteur de
souvenirs de famille forts, liés à la contrainte des exercices
quotidiens et peu gratifiants. Enfin, le lecteur se souvient d'une
énigmatique jeune fille qui vit dans la demeure familiale, appelée à
disparaître alors qu'une génération s'efface. Cela fait image: les
parents n'ont jamais voulu renoncer à l'artisanat du bois, ni à un
certain type de croisillon aux fenêtres. Alors que Papa, mort en bon
homme d'une maladie diagnostiquée trop tard, et Maman sont décédés, il
est temps d'inaugurer une nouvelle page.
Ces éléments d'intrigue sont livrés par l'auteur de façon fragmentée,
comme si c'était le personnage principal, cette animatrice de radio,
qui les découvrait peu à peu et les laissait résonner en elle.
L'écriture est dense, on l'a dit, préservant la narration de tout éclat
hors de propos et la plaçant dans le rythme lent et implacable d'un
fleuve – le Rhône, peut-être? Elle est travaillée par la recherche du
mot exact quitte à que les phrases semblent se reprendre et rechercher,
un mot après l'autre, l'image exacte correspondant à ce qui se trame.
Blog de DANIEL FATTORE
La sombre radiographie d’Olivier Pitteloud
Avec son troisième roman, l’écrivain fribourgeois prolonge sa veine tragique aux hautes ambitions esthétiques.
C’est d’abord une langue, agglutination de courtes séquences cousues de
virgules, flux pulsé de doubles points, sans cesse relancé d’un
paragraphe à l’autre par l’élan d’un «et». A l’oralité très ramuzienne
du précédent roman d’Olivier Pitteloud succède ainsi cette prose plus
personnelle, à la fois rythmique et sinueuse, elliptique et comme
enroulée sur elle-même. On y retrouve toutefois cette opposition
structurante entre deux mondes, constitutive de l’œuvre de l’écrivain
fribourgeois, où la modernité urbaine incarnée par une animatrice radio
amoureuse de cylindrées américaines se heurte au silence épais du
village montagnard, gorgé de rancœurs anciennes, hanté par ces femmes
«revêches comme un vieux tapis» dont la «rigidité advenue», à en croire
le croque-mort, n’est pas toujours naturelle… Prolongeant sa veine
tragique autant que sa quête esthétique, Olivier Pitteloud offre avec Combler la faille
une sombre et complexe radiographie d’un corps familial déchiré par la
frustration, la violence, mais également l’étrange beauté du sauvage.
THIERRY RABOUD, La Liberté
Une
faille s’est ouverte, en elle et dans le monde: il ne fallait pas
laisser souffrir, et elle a laissé souffrir. Le reste ne sera,
peut-être, qu’une tentative de combler cette faille.
C’est ce que sent la sauvageonne. Elle viendra bientôt habiter au
village, dans la maison de la vieille femme et de sa fille musicienne.
Et quand la vieille femme mourra, son autre fille reviendra, celle qui
est devenue journaliste, celle qui est partie il y a longtemps.
Les trois femmes – les deux sœurs et la sauvageonne – se croiseront
sans jamais se rencontrer vraiment, hantées par la souffrance passée et
les traces que celle-ci a laissées jusqu’à aujourd’hui.
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