HOUSSAM KHADOUR

LA CHARRETTE D'INFAMIE

Récits
traduits de l'arabe (Syrie) par Elisabeth Horem
2013. 200 pages. Prix: CHF 32.–
ISBN 978-2-88241-327-7


Biographie

Vous pouvez nous commander directement cet ouvrage par courriel.

Lors du séjour en Suisse de Houssam Khadour, nous avons eu la joie de partager quelques jours avec lui à Charmey.
À cette occasion, le réalisateur Jean-Marcel Schorderet a produit la vidéo d'une interview que vous pouvez découvrir en cliquant sur le lien en attache.
http://www.youtube.com/watch?v=Qal2K6QQSaM

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Initialement condamné à mort, Houssam Khadour a passé quinze ans dans la prison centrale de Damas pour «entrave à l’économie socialiste». Houssam Khadour, Damas à la vallée de Joux

L’écrivain syrien Houssam  Khadour, auteur des récits de prison La Charrette d’infamie, est l’invité de la Journée des Editions  Bernard Campiche le 21 juin 2014. Venu de Damas, il s’exprime dans nos colonnes.

Je suis heureux d’être ici. C’est grâce à la Suisse que j’ai pu publier mon livre La Charrette d’infamie: il a paru chez Bernard Campiche l’an dernier grâce à l’écrivaine et traductrice Elisabeth Horem et à son mari Martin Aeschbacher, qui a été ambassadeur de Suisse à Damas. Ce sont eux qui ont eu les premiers entre les mains le manuscrit du livre. J’ai passé quinze ans dans la prison centrale de Damas, de 1986 à 2001, pour «entrave à l’économie socialiste». Mais je suis socialiste! J’étais alors connu pour mon engagement envers les droits de l’homme. J’ai été condamné à mort, puis la peine a été commuée en 1995 à vingt ans d’emprisonnement. La plupart des nouvelles de La Charrette d’infamieont donc été écrites lorsque je pensais ne jamais sortir de prison, et même mourir. Ma femme d’alors, mère de mon fils né en 1983, et moi avons d’ailleurs divorcé. Elle était trop jeune pour rester mariée à un condamné à mort. Lorsque je suis sorti de prison, nous avons essayé de nous remettre ensemble, mais ça n’a pas marché. Elle est artiste peintre et vit en France. Mon fils Ahmed vit depuis dix ans à Chypre. Je suis remarié à une femme que j’adore, Hoda. Elle a vingt ans de moins que moi, je l’ai rencontrée chez des amis après être sorti de prison. Elle est traductrice pour un département de l’administration qui s’occupe de matières premières.
Mon livre a eu des échos dans Le Monde diplomatique et L’Humanité, et Al Jazeeraa traduit en arabe les articles en français. J’ai eu beaucoup de retours. Ce livre fait partie d’une trilogie inspirée par l’univers carcéral parue en arabe et que je suis en train de traduire en anglais. Le second raconte comment dans un pays, on fait entrer les gens en prison pour les guérir de maladies graves dont ils souffrent. C’est ce qu’on nous inculque en Syrie: vous êtes malades, on va vous guérir en prison. Tous ces livres ont été écrits durant ma détention. En quatorze ans, j’ai eu le temps…
Aujourd’hui, je suis toujours en train de découvrir le retour à la vie. Je suis traducteur pour une revue internationale, Arabic Literature, et secrétaire général de l’association des traducteurs de mon pays. J’habite avec mon épouse à Damas, dans le quartier de Mazzé, près des universités. Depuis le début de la guerre en 2011, la vie est devenue difficile et dangereuse. On ne sort plus de la maison à moins d’y être obligé. L’inflation est terrible, le pain ou les tomates coûtent dix fois plus cher qu’avant. La faute à la guerre mais aussi aux sanctions internationales. C’est une punition injuste qui met le peuple à genoux. Je suis pour un changement démocratique. La solution politique est la seule possible. Il faut commencer par stopper cette violence, séparer les pouvoirs politiques et de la justice, rendre la liberté d’expression possible. Le problème est le financement et l’assistance logistique qui permettent à un terrorisme extérieur de s’installer en Syrie. Les conférences qui ont eu lieu en Suisse font partie d’un processus plus long: il faut continuer. Viendra un jour où tous les partis seront prêts à négocier. Quant au président al-Assad, c’est au peuple de décider de son avenir. Il a ses partisans. Il n’est pas réaliste de l’exclure du processus. L’Occident s’est enfin rendu compte que l’on ne peut pas faire confiance aux partis islamistes. Regardez l’Égypte… Je me considère comme un humaniste avant d’être musulman. La culture est plus importante que la religion.
De mes années en prison, il me reste l’impression d’être constamment surveillé, et un besoin d’intimité très grand. Je suis Dieu merci sorti en relative bonne santé de ces années. Partir? La Syrie est mon pays. Si les citoyens le quittent, à qui vont-ils le laisser?


Propos recueillis par
ISABELLE FALCONNIER, L'Hebdo

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La «métamorphose» de l'être humain telle qu'on la pratique dans les prisons syriennes

Le Syrien Houssameddine Khadour consacre son premier recueil: 'Arabat az-Zull (paru à Damas aux éditions Charq-wa-Gharb; traduction française d'Elisabeth Horem, La Charrette d'infamie, parue en Suisse chez Bernard Campiche Éditeur) à «la justice aux yeux ouverts», par opposition à la justice aux yeux bandés, telle qu'on la représente couramment et dont on suppose qu'elle est la même pour tous et qu'elle ne fait pas de distinction entre un homme et un autre. Cette justice-là, en revanche, se révèle à l'opposé de la justice qu'on reconnaît comme telle, celle qui devrait être. C'est ce que l'auteur raconte dans ces récits qu'il a tirés de son expérience de détenu ayant passé quatorze ans dans les prisons du régime syrien.
Khadour mentionne dans sa préface que ces récits le replongent dans une période critique de sa vie, période qu'il a passée en grande partie à attendre qu'on exécute sa sentence de mort mais qui, d'un autre côté, lui a fait mesurer la force qu'il avait en lui. Il présente ces récits comme ceux d'un monde de désolation et pourtant palpitant de vie, bien qu'il s'agisse de la prison. Ils donnent, selon lui, une image fidèle du lieu qui a vu sa vie changer. Khadour essaie de mettre en lumière les situations qui se multiplient çà et là dans les grandes prisons en s'appliquant à décrire les méthodes de torture criminelles qui sont utilisées dans la prison et au-dehors d'elle, et à dénoncer le crime dévastateur qui consiste à transformer tout un pays en une vaste prison.
Dans ses récits, Khadour souligne la façon dont la prison métamorphose les gens en créatures qui n'ont d'autre aspiration que d'être libérées. Il pointe le fait qu'au lieu d'amender ceux qui sont considérés comme délinquants les prisons en font des criminels. Il souligne le comportement vindicatif que les autorités pénitentiaires ont à l'égard des détenus, et le fait que la sphère de pouvoir de ces autorités s'étend jusqu'à englober le gouvernement, lequel édicte des lois liberticides.
Ce recueil comporte dix-huit récits, parmi lesquels: La charrette d'infamie, Les visiteurs de l'aube, Meurtre de l'amateur de poulet rôti, Le rêve d'Abdel Qader, Les métamorphoses de Saleh Al-Atiq, La femme au jasmin, Sorti de prison mais pas rentré chez lui, Chahine, Histoire d'un tableau, Le moineau, Ma chatte, Abou Ma'an, L'amnistie générale.
La prison a de nombreux effets négatifs parmi lesquels celui que Khadour dénonce comme étant peut-être le pire, à savoir la perte de son intimité et la transformation de l'être humain en un numéro qu'on menotte. Il a essayé de retrouver une intimité virtuelle à travers l'écriture, comme s'il avait été envoyé en mission dans un monde inconnu – ainsi qu'il l'exprime – et que sa mission eût consisté à en faire, depuis l'intérieur, la description détaillée.
L'écrivain souligne le fait que la prison détruit le cours de la vie d'un homme et paralyse l'esprit d'initiative qui était en lui, avec les conséquences qui s'ensuivent. Il raconte comment la vie du prisonnier se sclérose pour se résumer à des demandes simples qui sont presque aussi difficiles à réaliser que des rêves et qui peuvent même tuer ceux qui les formulent, comme dans le récit Corps de sang où certains détenus se révoltent en réclamant «du pain, du soleil et des cigarettes», ce qui mène à leur encerclement, à leur châtiment et à l'exécution de l'un d'entre eux. L'auteur imagine alors le discours que la victime pourrait adresser au directeur de la prison: « Crois-moi, Commandant, mon histoire n'est rien de plus que le parcours d'un homme exploité par l'administration de cette prison que tu diriges. J'ai déjà vécu longtemps. Vingt ans en prison, c'est une longue existence.» (p.38)
Le narrateur rassemble différents tableaux de la réalité du monde carcéral et de ses engrenages, il dessine des personnages enlisés dans le désespoir et le déracinement, des personnages qu'on prive de volonté, de liberté, d'humanité, qu'on traite comme des objets consacrés au service de leur geôlier, otages de ses désirs insensés auxquels ils doivent complaire. Le geôlier n'est pas cantonné au monde de la prison, on le retrouve partout dans la réalité de la répression, de l'impunité et du crime. Ainsi le juge, supposé représenter l'un des étais de la justice, est le premier à anéantir sa structure, à en fausser la notion et l'essence. Il obéit à ce qui lui est prescrit, il est lui aussi prisonnier de l'homme des services de renseignements qui peut l'humilier et qui a tout pouvoir sur ce qu'il fait et sur les jugements qu'il rend, comme dans le récit intitulé Au tribunal.
Khadour raconte les tentatives des tortionnaires pour avilir et métamorphoser les détenus; ainsi dans le récit Les métamorphoses de Saleh Al- Atiq, il montre comment un homme se trouve dépouillé de son être, spolié de son essence, comment il se trouve obligé de reconnaître qu'il est une femme – preuve qu'il est dépossédé de sa masculinité –, tout cela de manière à l'humilier doublement en le privant à la fois de son humanité et de sa virilité. Il arrive aussi que ce soit le contraire, que l'abjection, le meurtre, la torture se trouvent dans le camp adverse, quand le détenu se venge de son geôlier: ainsi par le meurtre d'un des officiers dans Meurtre de l'amateur du poulet rôti et le retour, pour un instant, de son sentiment de puissance et de sa faculté d'initiative.
Il écrit comment, dans l'ombre de la dictature et du crime, les critères d'appartenance, de loyauté et de patriotisme sont jetés bas: les criminels restent en liberté et ont tout pouvoir sur les gens, ils font retentir des slogans pour défendre la patrie et ils collent à qui bon leur semble une accusation d'atteinte à la sûreté de l'État; ils se dissimulent derrière les impératifs de l'intérêt général pour accuser les autres de crime et les envoyer en prison ou à  la mort, suite à un ramassis d'accusations inventées et dépassant l'imagination, dont on rirait presque tant elles sont excentriques et qui révèlent par là même l'indigence des esprits qui les ont conçues. Le narrateur parle de la force d'endurance des détenus: le fouet de la faim, de la torture et des humiliations a beau déchirer leurs corps, les geôliers ne parviennent pas à arracher de leur âme le souffle vital du rêve, et leurs rêves leur offrent une échappatoire pour se libérer de leur terrible prison. Celui-ci rêve que sa bien-aimée vient lui rendre visite, un autre qu'il se promène dans la nature, un troisième rêve de richesse et de postérité, et ces rêves dissipent leur sentiment permanent d'être des vaincus, d'être réduits à l'état d'objet: par la force de son rêve et de son espoir le détenu triomphe de l'impossible.
Khadour aimerait présenter une œuvre qui éveille chez le lecteur le souci des valeurs humaines, qui sont les mêmes de l'Orient à l'Occident: la liberté, la justice. Les récits de Khadour rappelleront au lecteur le roman de Carlos Liscano, Le Fourgon des fous, inspiré de sa détention politique en Uruguay sous la dictature militaire dans les années 70 et 80. Liscano y a raconté sa détention et retracé l'histoire de sa vie dans l'intention de faire la lumière sur ce monde désolé qu'est la prison, en utilisant ses propres histoires et celles d'autres détenus, ce qui constitue pour cette longue période sanglante de l'histoire du pays un document sur la folie qui régna en Uruguay et sur les crimes qui y furent commis contre ses fils et contre l'avenir qu'ils pouvaient avoir dans leur pays.


HAYTHAM HUSSEIN
, Al-Hayat, traduit par Elisabeth Horem

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L’auteur a passé des années dans les prisons syriennes, à la fin du XXe siècle. On ne parlait pas encore de la révolution. Mais à observer la chape d’injustices, l’incohérence d’un pouvoir qui s’unissent pour ajouter aux tortures physiques la négation de toute valeur humaine, on comprend que c’était inéluctable.
Les récits sont écrits dans une langue dont la mesure ajoute à la dureté des faits et permet de passer de l’expérience vécue à quelque chose d’intemporel et de général.
La traduction d’Elisabeth Horem est remarquable, tant elle rend l’ambiance de cette société qu’elle a bien connue.


JULIETTE DAVID
, Suisse magazine

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«La division qui règne dans le pays ne peut que nous enfoncer davantage dans la guerre»

L'écrivain syrien Houssam Khadour, né en 1952 à Lattaquié, a passé quinze années de sa vie dans les prisons syriennes pour «obstruction à la législation socialiste». Il en a publié de courts récits dans La Charrette d'infamie. Aujourd'hui, cet ancien diplômé de sciences politiques de l'université de Moscou revient pour L'Humanité Dimanche sur la guerre civile qui touche son pays.

Entretien.

L'Humanité Dimanche. La situation en Syrie actuellement semble bien pire que celle que vous décrivez dans votre livre. Quelle est votre analyse?
Houssam Khadour. La Syrie est confrontée à une période difficile. Notre pays est victime d'une guerre horrible, une guerre civile par procuration. Des millions de Syriens sont contraints d'abandonner leurs foyers, leurs foyers détruits, et de chercher refuge ailleurs. Ils ont tout perdu hormis la haine, une haine contre tout le monde et contre personne. Ils se haïssent eux-mêmes. Les combats ont coupé notre pays en morceaux. Certaines zones sont contrôlées par le régime. D'autres par des groupes armés divers. Plusieurs grandes villes comme Alep et Homs sont contrôlées à la fois par les forces loyales au régime et celles de l'opposition. Hélas, rien de ce qui a été promis n'a été réalisé là où les groupes d'opposition se sont implantés. Ces groupes sont conduits par des islamistes qui, à l'aide de la charia et de leurs bannières noires, n'offrent aucune place aux démocrates. Ce ne sont pas des démocrates.


L'Humanité Dimanche. Est-ce que le mouvement de protestation syrien, apparu au moment des printemps arabes, existe encore?
Houssam Khadour. Au cours de la révolution, les espérances démocratiques et populaires du peuple ont été anéanties par la militarisation de la révolution qui a ouvert les portes aux groupes terroristes comme le Front al-Nousra, aux mouvements islamistes et djihadistes venus du monde entier et aux autres groupes armés comme l'Armée libre de Syrie. La militarisation du printemps arabe en Syrie a été un désastre. Le mouvement pacifiste et populaire initialement dirigé contre la dictature s'est transformé en une guerre civile par procuration qui vise le régime mais dont les buts sont autres, comme les relations avec l'Iran et le Hezbollah et avec, en arrière-plan, le conflit entre chiites et sunnites.
La population est aussi victime des difficultés économiques. Des milliers d'usines et d'ateliers ont été détruits ou démantelés par l'opposition pour être vendus en Turquie. La production agricole a chuté sensiblement pour trois raisons: démantèlement du pays, destruction des biens et des propriétés (provoquant l'exode de millions de réfugiés à l'intérieur et à l'extérieur du pays), sanctions économiques et financières imposées par les États-Unis et l'Europe.

L'Humanité Dimanche. Quel rôle joue l'Occident?
Houssam Khadour. L'Occident aurait pu jouer un rôle positif en Syrie mais il ne l'a pas fait. Il a au contraire imposé des sanctions immorales et illégales sur le plan économique et financier contre notre pays. Ces sanctions ont accru les difficultés de la vie quotidienne et de la population. À tout cela s'est ajoutée la suspension des relations diplomatiques avec la Syrie. L'Occident a décidé de renverser le régime mais sans se soucier de savoir comment, ni des conséquences. C'est un jeu très dangereux. L'Occident devrait faire preuve de plus de sagesse.

L'Humanité Dimanche. Des solutions existent, selon vous, face à la situation tragique que vit la Syrie?
Houssam Khadour. Il y a deux solutions pour mettre un terme à la guerre civile. La première consiste en une victoire de l'armée du régime contre les groupes armés. Mais cette solution paraît difficile dans les circonstances actuelles, sans une aide régionale et internationale.
La seconde piste est une solution politique qui passe par la réunion de la conférence dite de Genève 2 sous l'égide du Conseil de sécurité de l'ONU afin de parvenir à un règlement qui conduirait à une solution réaliste.
Personnellement, je suis favorable à Genève 2 qui pourrait déboucher sur un processus démocratique, une victoire du peuple. A contrario, si l'une des parties au conflit, le régime ou les oppositions armées remportent la mise, on peut craindre une catastrophe nationale. Nous sommes confrontés à un problème clé: nous ne possédons pas d'élite politique ni de partis en mesure de suppléer au régime en place. C'est pourquoi il aurait été préférable de poursuivre la lutte pacifique pour la démocratie et contre la corruption et le favoritisme.
La division qui règne dans le pays ne peut que nous enfoncer davantage dans la guerre. Deux courants opposés existent an Syrie: un premier courant est d'obédience nationaliste (bassiste, et nassérien, etc.), le deuxième est islamiste. Le premier prône l'unité arabe, le deuxième veut l'unité islamiste. Actuellement, sur le terrain, nous assistons à la lutte contre le régime menée par des combattants islamistes originaires de pays arabes et même d'Europe, dont le but est de fonder un État islamiste, qui pourrait être la base d'un futur empire islamiste.
Personne ne veut la scission de la Syrie sauf les seigneurs de la guerre. Bachar Al-Assad veut préserver l'unicité de la Syrie, pas moins. Même les Kurdes ne souhaitent pas la création d'un État séparatiste en Syrie alors qu'ils sont favorables à un État kurde indépendant pour rassembler les peuples kurdes de Turquie, d'Irak, d'Iran et de Syrie.

L'Humanité Dimanche. Est-ce que la Syrie peut connaître le même sort que l'Irak?
Houssam Khadour. La situation de l'Irak est différente. Il y a eu une intervention militaire étrangère. Les États-Unis ont détruit l'armée irakienne et leurs services secrets. La Syrie possède une armée puissante et des services secrets efficaces. C'est un atout majeur pour préserver l'unité du pays, notamment si les camps opposés parviennent à un accord.

L'Humanité Dimanche. Ce qui se passe en Syrie a un impact sur vos projets d'écriture?
Houssam Khadour. Je suis accablé par la crise actuelle. Je rassemble des éléments pour l'avenir. Je compare le printemps (politique) syrien au vrai printemps. C'est prometteur, mais seules les fleurs ont éclos, qui laissent espérer des fruits… Je crains que nous ne soyons pas à la veille d'une moisson prochaine. Je suis particulièrement sensible aux exemples des hommes et des femmes qui s'engagent dans l'aide humanitaire. Ils travaillent bénévolement pour alléger la souffrance des gens. J'en connais beaucoup. Ce sont des héros qui méritent d'être reconnus par tous.


Entretien réalisé par
PATRICK KAMENKA


Quinze années d'incarcération en 191 pages

La Charrette d'infamie est un recueil de récits courts et incisifs sur ses quinze années d'incarcération, condamné pour «obstruction à la législation socialiste». Il y dépeint le monde carcéral de la prison centrale de Damas des années 1990, qui «loin d'être dépassées, peuvent peut-être aider à mieux saisir la spécificité de l'embrasement syrien», souligne la traductrice du livre, Elisabeth Horem. Houssam Khadour a été arrêté en 1986. Condamné à mort, il a vu sa peine commuée en détention. Pour l'auteur, la vie derrière les murs d'une prison conduit le prisonnier à perdre son intimité, à être «toujours sous le regard d'autrui». «C'est terrible, c'est inhumain», lance l'écrivain syrien pour qui la privation de liberté transforme le détenu «en bête».


L'Humanité Dimanche


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L’écrivain syrien Houssam Khadour évoque, à travers une série de récits, la situation des détenus au cours des années 1990 dans son pays. Lui-même a été arrêté en 1986, condamné à mort pour «obstruction à la législation socialiste», puis libéré en 2001, après quinze ans de prison. Sans jamais hausser le ton, La Charrette d’infamie raconte les horreurs subies et le dépouillement de l’écriture contribue à souligner la «dépersonnalisation» du prisonnier qu’on transforme en bête, les peurs les phobies, les obsessions qui viennent le hanter.
Les scènes de désespérance se mêlent à des moments empreints de poésie, comme dans «La femme au jasmin», qui conte la visite d’une femme à un détenu politique, Houssam lui-même. Ou avec «L’arrivée du moineau» dans la cellule, qui se transforme alors en une véritable fenêtre ouverte sur le monde. Mais le final claque comme un couperet: «Ne te fie pas à un prisonnier. Comme il ne peut pas s’envoler, il pourrait bien t’enfermer avec lui», dit le détenu au moineau.


PATRICK KAMENKA
, Le Monde diplomatique

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Au moment de sa parution à Damas, en 2012, le livre du Syrien Houssameddine Khadour n'a rencontré aucun écho dans le monde arabe malgré sa remarquable valeur littéraire et bien qu'il offre un témoignage unique et impressionnant sur la situation dans les prisons syriennes où l'auteur a passé quinze ans pour «obstruction à l'application des lois socialistes». Une traduction française en a été a récemment publiée par l'éditeur suisse Bernard Campiche.
Il faut d'abord souligner que le «délit» pour lequel Khadour a été arrêté était en fait d'avoir acheté à quelqu'un des devises étrangères (mille dollars) pour faire un voyage en Espagne! Un délit qui a failli le mener à la potence puisqu'il a été condamné à mort, cette peine de mort ayant été par la suite commuée en vingt ans d'emprisonnement.
C'est pendant les longues années qu'il a passées à la prison centrale de Damas, de 1986 à 2001, que Khadour a écrit ce livre afin de faire connaître les horreurs dont il a été témoin à l'intérieur de cette prison mais aussi pour échapper au désespoir qui le guettait chaque jour et pour se garantir, par le biais de l'écriture, un peu d' «intimité virtuelle» dans un lieu qui prive de toute intimité.

Des récits très sombres

Le livre se compose de dix-huit récits brefs, à la construction très maîtrisée, dans lesquels Khadour traite des humiliations et des tortures que subissent les prisonniers de droit commun en Syrie, et tout particulièrement la souffrance quotidienne que leur infligent la faim, la peur et l'isolement. Il s'attache à évoquer les rapports que les détenus entretiennent entre eux et qui vont de la fraternité à la violence gratuite. Il traite aussi le thème du temps qui, à l'intérieur de la prison, est suspendu et il évoque les discussions idéologiques ou personnelles qui s'y déroulent, sans oublier la comédie des tribunaux ni le désir constant et sans espoir que le détenu a de la liberté.
Des récits dont la noirceur n'est atténuée que par la visite d'un oiseau à l'un des prisonniers, par exemple, ou par la tendresse avec laquelle un autre prend soin d'un chat. Bien que Khadour cherche à dénoncer par ces récits les traitements barbares que subissent les «pensionnaires» de la prison, son but n'est pas d'entacher systématiquement de sang son discours. Quelques mots suffisent dans chaque histoire à dire la terreur, à décrire la souffrance, et réussissent à montrer comment l'homme peut transformer son frère, homme, en animal ou en machine.
Dans l'un des récits, par exemple, un geôlier force sans cesse un détenu à aboyer, si bien que celui-ci en vient à perdre le langage des hommes. Ailleurs un prisonnier braie comme un âne pour faire rire ses tortionnaires afin qu'ils cessent de le torturer ou encore, dans une troisième histoire, un détenu, à force d'être en butte aux moqueries de ses camarades, perd toute volonté, toute dignité, et finit par se transformer en automate qui exécute sans broncher tout ce qu'on lui demande, y compris de commettre un meurtre.  
Il y a, parmi ces histoires impressionnantes, celle où certains détenus se révoltent contre leurs tortionnaires pour améliorer les sombres conditions de leur emprisonnement, ce qui aboutit à la mort par balles de l'instigateur de la mutinerie; celle où un prisonnier s'endort avec l'espoir de rencontrer la femme qu'il a vue une fois en rêve; celle où un avocat emprisonné qui, après avoir été relâché, ne rentrera pas chez lui – et on ne sait si la raison en est sa folie ou sa peur d'être arrêté de nouveau – ou bien sa liquidation par les mukhabarat syriens dès sa sortie de prison, parce qu'il a connaissance de secrets qui pourraient exposer certains hauts responsables de l'appareil d'État à un scandale retentissant.
Il y a dans ce livre des histoires qu'on peut difficilement oublier comme celle du prisonnier Hicham qui finit par préférer la torture à l'épreuve de l'isolement et du silence, ou celle de Khaled, encore mineur, qu'on accompagne dans les derniers moments de sa vie, juste avant qu'il soit pendu, ou encore l'histoire de Saad, un jeune homme qui sort de prison atteint de phobies et sujet à des convulsions suite aux viols qu'il a subi pendant son emprisonnement.

Un monde kafkaïen

Dans la dernière histoire, celle  qui a pour titre «L'amnistie générale», Khadour met en lumière l'espoir d'être libéré qui  s'empare des détenus à chaque fois que se déroule la comédie des élections présidentielles en Syrie – un espoir qui se change bientôt en mirage après avoir suscité bien des rêves.
Khadour nous invite dans La Charrette d'infamie à un voyage à l'intérieur de l'enfer en dessinant un monde fermé, tissé de douleur, de désespoir, de mort. Par ses aspects cauchemardesques et par la psychologie des geôliers, il évoque Le Procès de Kafka .
Un tel rapprochement n'a rien d'exagéré, car plus qu'un simple témoignage brut des souffrances des prisonniers ou qu'un discours contre l'arbitraire du pouvoir en Syrie ce livre, avec sa langue concise et dense, son  style fluide, son riche vocabulaire, représente une authentique œuvre littéraire dans laquelle Khadour mène une réflexion profonde et pénétrante sur la prison en général et les dommages qu'elle cause aux détenus, en s'appuyant sur son expérience personnelle qui fut longue et amère dans la prison de Damas,  «typique»  à beaucoup d'égards.
Dans ce contexte, la peinture qu'il fait de la psychologie des geôliers se distingue par une précision clinique qu'on retrouve aussi quand il montre des détenus emprisonnés depuis longtemps dans des scènes où il excelle à faire ressortir leurs désirs, leurs rêves, leurs phobies. Plus encore, dans l'une de ces histoires, Khadour réussit à se glisser avec nous dans la peau d'un juge siégeant au tribunal et à nous révéler ce qui se passe dans son esprit, opération qu'il répète avec le jeune Khaled en nous dévoilant avec une perspicacité rare les réflexions qui lui passent par la tête et les réactions de son corps, avant et pendant l'ultime moment de son exécution.


ANTOINE JOCKEY
, Al-Jezirah {traduit par Elisabeth Horem}

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Coup de Coeur

Alors que l’actualité s’intéresse de moins en moins à la guerre civile qui ravage la Syrie, cette Charrette et son pitoyable chargement d’histoires sordides ou cruelles nous ramène au cœur de la prison de Damas, où l’auteur a passé de nombreuses années. Solitude, délation, torture, exécution parfois sont le quotidien des détenus, et Houssam Khadour n’en cache rien. Pourtant, les tableaux de cette vie de misère sont empreints d’une humanité profonde, d’un réalisme presque bienveillant, y compris pour les bassesses et les compromissions auxquelles la peur accule. La belle traduction d’Élisabeth Horem leur donne en outre l’élégance de ne pas tomber dans l’excès, préservant au contraire par sa simplicité l’horreur de chaque détail. Antérieurs d’une vingtaine d’années aux faits actuels, ces témoignages indirects expliquent les racines de la révolte contre une dictature ubuesque, et font de ces récits d’un autre monde l’équivalent de la Journée d’Ivan Denissovitch.


JOËLLE BRACK
, payot.ch

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Votre traduction m'a accompagné quelques semaines, je n'abusais pas. Une nouvelle de La Charrette d'infamie chaque soir et voilà que j'en ai terminé avant-hier. Difficile de commenter de telles lectures. Elles nous font du bien et du mal, on ne sait quelle part de nous y plonge plus profondément. Le cru triomphe sur la pensée. On n'ose dire «aimer» ou «ne pas aimer», on n'ose même parler littérature. Nous nous attachons à des êtres mais nous savons qu'ils seront bientôt absents de nous, dans leur contour et leur singularité. Il ne faut pas le blâmer. Au contraire! Nous leur rendons leur liberté, une fois accomplie leur tâche. Demeurent alors, dans notre mémoire, une phrase, une attitude particulière devant la souffrance ou la mort. Mais guère plus. Et cela suffit à nos lentes transformations. Grâce à Hicham, à «La Clef», à «Saad», je peux dire que je ne suis plus le même. J'ignore comment s'opèrent de tels changements mais ces livres changent quelque chose au fond de nous. Une fine pellicule se rajoute sur le regard que nous portons aux autres et sur le monde même si nous n'avons pas conscience de chacune de ces épaisseurs. C'est cela l'important du lecteur. «Mon important». Devenir autre à chaque lecture et pour cela donc, je vous remercie.

CHRISTOPHE FOURNEL, écrivain

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Dans les prisons de Damas

L’écrivaine suisse Elisabeth Horem se fait passeuse pour nous faire découvrir les récits superbes et terribles du Syrien Houssam Khadour, auteur de La Charrette d’infamie

C’était il y a trois ans, en 2010, quelques mois avant que la Syrie ne plonge dans une guerre civile  meurtrière. Un vieil ami turc de Martin Aeschbacher, alors ambassadeur de Suisse à Damas, lui parle d’un cousin à lui, Syrien, qui écrivait sans avoir jamais été publié. Avec sa femme, Elisabeth Horem, Prix Georges-Nicole 1994 pour «Le Ring»  et auteure de sept livres chez Bernard Campiche, l’ambassadeur va rendre visite à l’écrivain, se voit remettre une liasse de feuilles dactylographiées: des textes sans titres écrits pendant les quinze années que Houssam Khadour a passées dans les prisons syriennes de 1986 à 2011, sous Hafez el-Assad, condamné à mort puis à vingt ans de réclusion pour une simple affaire de devises étrangères achetées illégalement alors qu’il travaillait au port de Lattaquié.
Les époux Aeschbacher, de fins et cultivés arabophiles, se passionnent pour ces récits puissants, et Elisabeth Horem s’attelle à leur traduction. «J’ai tout de suite aimé leur ton direct, concret, fort, sans les fioritures habituelles de la littérature arabe. Le fait que Houssam ait fait des études d’anglais n’est sans doute pas étranger à son style. «J’ai toujours voulu faire une traduction en complément à mes activités d’écrivain.» Le thème de la prison lui est cher: au début des années 80, alors déléguée du CICR, elle visitait des prisons à Gaza. «Une expérience qui m’a marquée. De manière générale, j’aime particulièrement la liberté; du coup, le thème de la prison me touche.»
En Syrie, les événements se précipitent et son mari est rappelé en Suisse courant 2011. Les échanges avec Khadour se poursuivent par courriels. En 2012, celui-ci arrive à publier La Charrette d’infamie ainsi que deux autres romans dans la petite maison d’édition qu’il a créée à Damas. Hasard des choses: il est soutenu par l’éditeur syrien qui a traduit en arabe deux livres d’Elisabeth Horem, Shrapnels et Un jardin à Bagdad, carnets de bord d’un quotidien vécu en recluse dans une ville assiégée. L’écho, à la suite de la publication en arabe de «La Charrette d’infamie», est quasi nul: «Les gens ont hélas d’autres soucis en Syrie et, étonnamment, les récits de Houssam ne sont pas lus comme des récits politiques mais comme de la littérature.»

Intimité virtuelle

C’est toute leur force: ces récits, écrits alors que Houssam Khadour, condamné à mort, pense ne jamais sortir de prison, sont certes ancrés dans des lieux précis et une époque définie (les prisons syriennes dans les années 80), mais ils portent bien au-delà et parlent, comme l’auteur l’écrit dans sa préface, de «toutes les prisons du monde». L’écriture l’a sauvé de la folie, il en est certain. «Le pire en prison était sans doute d’avoir perdu mon intimité (…) C’est terrible, c’est inhumain. J’ai tâché de faire en sorte que l’écriture soit mon intimité virtuelle, comme si j’avais été envoyé dans un monde inexploré et que me mission personnelle y fût de le décrire de l’intérieur et en détail.»
En 18 récits saisissants, souvent terribles, impeccablement construits et toujours d’une sobriété exemplaire, Khadour évoque l’humiliation, la torture, les cachots humides et le temps qui s’arrête, la faim, la peur, la folie qui guette, mais aussi les rapports de force entre les détenus, les procès expéditifs, la justice aveugle, les débats idéologiques qui se poursuivent jusque dans les dortoirs, le retour impossible à la vie dehors. Un moineau apprivoisé, sujet d’un des récits les plus courts et les plus délicats, vient à peine adoucir la traversée de ces années de plomb.
Elisabeth Horem et son ambassadeur de mari sont aujourd’hui basés au Qatar. Il leur reste deux ans avant la retraite, qu’ils passeront sans doute en partie dans leur maison d’été en Bretagne. Houssam Khadour survit à Damas, où il a femme et grands enfants qu’il n’a pas vus grandir. «Pour Houssam, cette traduction est importante, confie Elisabeth Horem. Chaque écho qu’il entend de ce livre est comme une fenêtre ouverte dans cette nouvelle prison qu’est la Syrie aujourd’hui.»


ISABELLE FALCONNIER
, L’Hebdo

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Et puis on termine avec un livre sur la Syrie et, plus précisément, sur la prison que son auteur doit bien connaître, hein?, puisqu’il y a passé quinze ans…
Oui, et quand on a fini de lire les dix-huit nouvelles signées Houssam Khadour, on se dit que cet homme devait posséder une force inouïe pour avoir survécu à l’enfer qu’il décrit et qu’une fois de plus, et c’est vrai, la littérature est une planche de salut. En tout cas, elle l’a protégé, lui, de la folie, du désespoir aussi, sans doute parce qu’il en a fait, comme il le dit dans sa préface, son «intimité virtuelle dans un lieu où il n’y a jamais d’intimité».

Est-ce qu’il dit pourquoi il est allé en prison, pourquoi et quand et comment aussi?
Non. En fait, il parle plutôt des autres, mais dans sa préface il explique que ce qu’il va décrire dans ce livre, c’est la prison de droits communs et donc pas la prison des détenus politiques. Et dans la présentation que Bernard Campiche, son éditeur, fait de lui, on apprend tout simplement qu’il a été emprisonné et condamné à mort pour «obstruction à la législation socialiste». Mais quand on apprend les motifs qui ont conduits d’autres détenus à être enfermés, ce dont il parle dans son livre, comme par exemple l’échange de devises,  on se dit que la formule «obstruction» peut donner place à toutes sortes d’arbitraires…

Alors, ça c’était pour le «pourquoi» et le «comment», reste encore le «quand»? Alors c’était quand?, C’était forcément avant la révolution syrienne? C’est ça?
Oui, c’était sous Hafez al-Assad qui a gouverné le pays plus de trente ans, jusqu’à sa mort, en 2000, date à laquelle c’est Bachar al-Assad, son fils, qui a repris le pouvoir. Houssam Khadour le dit, donc lui il a passé les quinze dernières années du XXe siècle en prison. Alors, on peut s’étonner du décalage dans le temps entre le moment où ont été écrits ces récits et sa publication aujourd’hui à l’heure où il se passe ce qu’il se passe en Syrie… Et pourtant, la traductrice de ces textes, qui n’est autre que l'auteur suisse romande, Française de naissance, Elisabeth Horem, une femme qui a vécu dans de nombreux pays du Proche-Orient, dont la Syrie, cet auteur nous explique que la lenteur, la violence et les caractéristiques de la révolution syrienne tiennent justement à ces décennies de dictature de la Famille al-Assad, qu’on trouve expliqué ici justement…

Et, en plus, malheureusement, la prison a quelque chose d’universel…
Comme vous dites… Et ce trait commun c’est la barbarie de l’homme… Et avec Houssam Khadour, on est vraiment servis… Non pas qu’il tartine de sang tout son propos, mais en quelques mots il réussit à dire l’horreur, la torture, celle du «tapis volant» ou du «pneu», que je ne vais pas décrire ici… Et, comme tous les grands écrivains qui parlent de l’univers carcéral, il décrit surtout comment l’homme parvient à faire d’un autre homme une bête. Il y a une nouvelle sur un homme qu’on oblige à aboyer, et qui finit littéralement par en perdre le langage humain, c’est absolument terrifiant… Il y a, en plus, jamais un mot de trop dans ces textes; c’est une écriture très sobre mais, en même temps, classique, et on sent très bien dans la superbe traduction d’Elisabeth Horem la richesse du vocabulaire de l’auteur, mais le parti de ne dire que ce qui est strictement nécessaire…

Est-ce que parmi ces nouvelles, Geneviève, il y en a une, ou un portrait de détenu, ou un événement dans la vie de la prison qui vous a marqué?
Alors il y en plein, évidemment, mais il faut préciser que ce ne sont pas uniquement des témoignages… Il y a, par exemple, le récit d’une mutinerie, celui d’une exécution; il y a le récit des rêves qu’un détenu fait régulièrement; les bisbilles entre un cheikh, c’est-à-dire un homme de foi et un professeur qui, lui, est accroché à la raison; il y a aussi un texte sur une chatte qui est adoptée par un détenu qui s’y attache de manière complètement maladive. Et dans toutes ces voix, il y en a une, quand même, qui se détache, c’est celle d’un homme qui dit comment l’épreuve du cachot, de la solitude, lui fait préférer la torture… On est mal, franchement, quand on entend cette voix et elle résonne dans nos têtes longtemps après qu’on a refermé le livre.


GENEVIÈVE BRIDEL
, Quartier livres

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Dans les geôles de Syrie

«Vite, ils retirèrent la chaise de sous [les] pieds [du condamné] et le bourreau le tira avec force vers le bas.» Scène ordinaire dans une prison syrienne. Car c’est en Syrie que se situent les récits du recueil de Houssam Khadour La Charrette d’infamie. Non pas la Syrie en proie à l’insurrection actuelle, mais celle d’avant la rébellion, encore entièrement sous la férule de la lignée des Assad. De surcroît, le lecteur est confronté ici à la Syrie côté prison(s), soit une approche par la face obscure de cet État proche-oriental. Un monde que Houssam Khadour connaît bien: né à Lattaquié en 1952, il a été arrêté en 1986 et condamné à la peine capitale. Confirmée d’abord en 1988, cette sentence a été commuée en 1995 en une peine de vingt ans de détention. Libéré en 2001, Houssam Khadour est à présent écrivain, éditeur et traducteur.
Au fil des dix-huit récits de La Charrette d’infamie, le lecteur croise différents personnages. Y compris un jeune condamné à mort par pendaison dont la peine, contrairement à ce qui est arrivé à l’écrivain, n’est pas commuée. Ailleurs, un homme est libéré de prison, mais il ne rentre pas chez lui, à croire que quelque chose s’est brisé sans remède. Et il arrive à un détenu de souffrir peu à peu d’une irrépressible phobie de la solitude, de l’isolement: l’homme malmené en vient même, un comble, à supporter la torture (on torture, dans ce livre, et plus d’une fois), à la préférer aux journées entières en cellule d’isolement. Dans le dernier des récits du recueil, «L’amnistie générale», une rumeur enfle, suscite l’espoir: lors de la réélection du président, on va libérer des prisonniers. Mais ce n’est qu’un mirage: «En période d’amnistie, on rêve davantage», cela ne porte pas à conséquence.
On l’aura compris, le monde de La Charrette d’infamie recèle douleur, mort et abandon, peur et sang, le tout rapporté sans fard ni fioritures. «Ici tu es un détenu, ici tu ne fonctionnes plus», avertit le narrateur au début du livre, dans une nouvelle au titre lapidaire: «Tu es un détenu». Houssam Khadour soulève une grille qui ouvre sur un univers kafkaïen, et convie le lecteur à visiter cet enfer.


MARC-OLIVIER PARLATANO
, Le Courrier, repris dans le blog du Monde sur la Syrie

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La Charrette d’infamie est un recueil de nouvelles de l’écrivain syrien, Houssam Khadour.
La prison en constitue le lieu du récit, comme elle fut celui de l’écriture.
Si les questions de liberté, de justice, de dignité en Syrie sont politiques, alors ce livre est politique. Si celles relatives à l’exercice du pouvoir et à ses excès sont subversives, alors ce recueil est subversif. L’auteur déclare une simple ambition: «Ouvrir les yeux à la justice aveugle, afin qu’elle voie qu’il faut paver le chemin du retour à ceux qui sont sortis de son sein». Ce ne serait pas lui rendre justice que d’omettre d’affirmer qu’il a fait oeuvre littéraire.

Extrait de la nouvelle «Corps de sang»:
Quel dommage que tu te sois hâté de me tuer, Commandant [de la prison]. Cela veut dire que tu ne désires pas connaître la trame de mon existence, que tu ne veux pas voir dans toute sa réalité la pyramide qu’il y a au-dessous de toi. Il semble que rien ne t’importe hormis que le calme règne. C’est ton affaire. Mais je vais te dire la vérité : c’est la première fois que je m’engage pour une cause juste, sans que personne de ta pyramide m’y ait incité.

Et parce que traduire est en l’occurrence un choix, celui d’une femme de lettres, Elisabeth Horem, on lira avec intérêt sa postface.

Blog de MICHEL GUÉRIN

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Récits du fond des geôles

Pour La Charrette d’infamie, l’écrivain Houssam Khadour a été inspiré par sa longue détention dans les prisons syriennes

De cette Syrie qui vit aujourd’hui une effroyable tragédie, l’éditeur Bernard Campiche nous fait connaître un écrivain. La vie de Houssam Khadour n’a pas été banale. Né à Lattaquié en 1952, il a obtenu à Moscou un diplôme en Sciences sociales et politiques. Arrêté, il est condamné à mort en 1987 (donc à l’époque de Hafez el-Assad) pour «obstruction à l’application de la législation socialiste». Pendant sept ans, il attend chaque jour sa pendaison. Grâcié en 1995, il restera cependant en prison jusqu’en 2001. Il vit aujourd’hui à Damas, où il est écrivain, traducteur de l’anglais à l’arabe et éditeur.
Le recueil de La Charrette d’infamie est constitué de dix-huit récits évoquant tous, mais de manière distanciées, les longues années passées par l’auteur à la prison de Damas. Ce n’est pas un témoignage brut, comme l’a été par exemple La Pacification pour la torture et les crimes de l’armée française en Algérie. Ce n’est pas non plus un pamphlet politique . «Ce récit n’est pas une tribune pour tenir des discours contre l’arbitraire du pouvoir.» C’est un véritable travail d’écrivain, à la langue précise et usant d’un arabe classique, pour autant qu’on puisse en juger par la traduction. C’est enfin une réflexion sur la prison en général et de tous les temps, incluant aussi bien les prisonniers de droit commun que les «politiques». Ces textes sont parfois insoutenables. Ainsi l’évocation des différentes tortures pratiquées, ou encore le récit minutieux de l'exécution par pendaison, avec ses rites sinistres, du jeune Khaled. Houssam Khadour recourt parfois à l’humour noir. La Syrie utilisait à l’époque le bon vieux procédé de la pendaison traditionnelle (le tabouret que l’on retire sous les pieds du condamné et la mort par strangulation), par rapport à la pendaison «à l’anglaise» (la trappe qui s’ouvre, le corps qui tombe, les vertèbres cervicales brisées, une mort que l’on dit rapide et quasi indolore…) Et l’auteur d’écrire: «Il faut croire qu’il n’existe pas {de potence} en Occident, que nous pourrions importer pour notre consommation locale.» Pire peut-être que la mort, la dégradation que les autorités pénitentiaires obtiennent d’un détenu, comme ce Salah Al-Atiq réduit à l’état de bête, et contraint par la torture «à parler» par aboiements. Sans doute une certaine fraternité humaine existe-t-elle en prison, mais aussi la violence entre détenus, souvent encouragée par les gardiens. La mère de Saad a appelé un médecin pour soigner les phobies et les crises de convulsions de son fils récemment libéré. Or le praticien, avec aveuglement, se montre incapable de comprendre qu’elles sont dues aux sodomisations forcées que celui-ci a endurées en détention. Khadour use parfois de la litote. Un avocat incarcéré pour d’injustes raisons ose accuser, dans une lettre de protestation, les services de renseignement; une semaine plus tard il est libéré, «mais il ne rentra pas chez lui.» Le Pouvoir – celui de l’État et celui de la prison – apparaît comme une instance impersonnelle, qui fait songer aux responsables de «La Colonie pénitentiaire» de Kafka. Dans l’attente d’une hypothétique «Amnistie générale» (le titre du dernier récit), que reste-t-il aux détenus de la prison, ce concentré de violence, d’inhumanité et d'ennui, sinon la parole, parfois logorrhéique? D’où l’affrontement verbal entre le cheikh islamique et le professeur laïque, qui reproduit dans l’enfermement les débats qui agitent la société civile.
Sans doute ces textes, au ton grave mais jamais désespéré, s’inscrivent-ils dans la réalité syrienne des années 1990. Mais, comme l’écrit la traductrice, ils «parlent, dans une certaine mesure, de toutes les prisons du monde.»


PIERRE JEANNERET
, Gauchebdo

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Préface:

Cette préface est délicate à écrire – complexe. Elle me replonge dans une période critique de ma vie, une période passée en grande partie à attendre qu’on exécutât ma sentence de mort. D’un autre côté, pourtant, ces années-là m’ont fait éprouver la force et le pouvoir de la création. Et quel bonheur de triompher de la mort pour revenir à la vie!
Bien. Ces récits sont tirés d’un monde réel de désolation mais palpitant de vie bien qu’il fût une prison. C’est que la vie consiste en changements – et ces récits renvoient l’image du lieu qui a vu ma vie changer.
Le pire en prison était sans doute d’avoir perdu mon intimité. Personne ne peut connaître vraiment l’acuité de ce problème si ce n’est le détenu qui se sent toujours sous le regard d’autrui, tout le temps. C’est terrible, c’est inhumain.
J’ai tâché de faire en sorte que l’écriture soit mon intimité virtuelle, comme si j’avais été envoyé dans un monde inexploré et que ma mission personnelle y fût de le décrire de l’intérieur et en détail. J’ai tiré ces récits d’événements survenus dans la prison, ainsi que des pensées et des aspirations des détenus. Ils peignent sur le vif la prison centrale de Damas où j’ai passé les quatorze dernières années du vingtième siècle.
Ce recueil traite de la prison de droit commun. Les héros de ces histoires sont donc issus de toutes les couches de la société, ce qui va à contre-courant de la tendance générale de la littérature de prison dans le monde arabe, laquelle traite de la prison politique. À mon avis, sur un certain plan, tous les détenus, qu’ils soient politiques ou non, se retrouvent de plain-pied, vu que la prison métamorphose les gens en êtres qui n’ont d’autre désir que de retrouver leur liberté : l’homme est d’abord une créature biologique, avant d’être une créature idéologique.
Ces récits ont été écrits en prison, à une époque où je n’imaginais pas en sortir un jour. C’est une particularité notable qui, à ma connaissance, n’existe pas dans d’autres recueils.
Si les textes réunis ici reflètent bel et bien la réalité de la prison syrienne à une époque historique précise, ils comportent toutefois, dans une certaine mesure, des traits analogues à toutes les prisons du monde. Celles-ci ont pour dénominateur commun d’être des lieux où la liberté est enchaînée. Ceux qui s’y trouvent sont très proches du portrait que j’ai fait dans le prologue de ce recueil sous le titre: Tu es un détenu.
J’espère présenter au lecteur un ouvrage qui éveille en lui l’universel souci des valeurs humaines de l’Orient à l’Occident: la liberté, la justice, la dignité. J’espère enfin que ces textes l’inciteront à avoir une pensée pour tous ceux-là qui vivent dans des lieux où leur liberté est pour un temps enchaînée. La société a le pouvoir de faire ouvrir les yeux à la justice aveugle, afin qu’elle voie qu’il faut paver le chemin du retour à ceux qui sont sortis de son sein : qu’ils puissent retourner vers elle, guéris et convaincus de ne pas avoir subi une injustice, et qu’ils soient pleins d’humaine compassion, car rien n’est plus important que la compassion dans les temps difficiles.

Houssam Khadour
Damas, le 25 octobre 2011


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