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Michel Viala, photographié par Philippe Pache
Michel Viala, Théâtre incomplet II
Volume I
Monologues et pièces à deux personnages
V’là Viala. Préface inédite de Joël Aguet
IL (1971) Monologue
Hans Baldung Grien (1972)
Séance (1974)
Jeu de sable (1974)
L’Objet (1975)
La Remplaçante (1975)
Vérification d’identité (1975)
Chômage (1976)
Vacances (1976)
Le Parc (1977)
Par Dieu qu’on me laisse rentrer chez moi (1979) Monologue
Les Artistes (1982)
Cette douleur ce déracinement (1983)
Des raisons d’espérer (1987)
Michel Viala est incontestablement une figure emblématique de l’écriture en Suisse.
Homme de théâtre complet, il a pratiqué tous les métiers de la scène:
décorateur, metteur en scène, acteur, traducteur, adaptateur et auteur.
Il a écrit aussi pour le cinéma et la télévision.
Le volume I de Théâtre incomplet réunit quelques monologues (en prose et en vers) ainsi que
des pièces à deux personnages.
Le volume II est constitué de pièces à grandes distributions. Ce choix
est subjectif et non exhaustif. Avec cette vingtaine de pièces,
l’occasion est belle de rencontrer un auteur écorché vif parfois, rieur
souvent, toujours amoureux follement de la vie des gens modestes. Sa
réalité est dans les froissures du quotidien.
PHILIPPE MORAND
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Michel Viala: une réalité soulignée
Voir un texte de Michel Viala sur scène, cela fait un peu le même effet
que lorsqu'on voit le comédien Michel Viala jouer – que le texte soit
de lui ou d'Ibsen: il touche un nerf qu'on ne se soupçonnait souvent
pas, et l'on se surprend soudain à penser des choses, à ressentir des
événements, d'une manière nouvelle.
Michel Viala ne souligne pas la réalité de façon «réaliste». Il
n'avance pas de grandes théories. «Au théâtre, ce qui est intéressant,
ce sont des situations. Une fois qu'on a les situations, on peut même y
introduire des discours», dit-il.
Et les situations que Michel Viala dépeint inlassablement depuis une
trentaine d'années sont les nôtres. Nos situations de Suisses. Des
situations quotidiennes avec le petit détail surréaliste qui permet de
mettre en lumière une vérité qui va plus loin que les apparences. Qui
leur donne valeur de symbole.
L'œuvre de Viala est considérable. Feuilletons radio et TV, scénarios
sont difficiles à retrouver. Ils ont souvent disparu, se sont
transformés (ainsi, il n'existe plus aucun exemplaire du scénario de L'Invitation, le film de Goretta, qui est écrit par Viala).
Mais Viala a également écrit une œuvre théâtrale considérable: vingt
pièces retrouvées après un patient travail dans les archives les plus
diverses et que nous aimerions proposer à la lecture.
Car si la conscience suisse se souvient sans problème de ces deux
grands auteurs de théâtre que son Max Frisch et Friedrich Dürenmatt,
elle a jusqu'ici oublié d'inclure dans la liste des grands dramaturges
helvétiques Michel Viala, qui est aussi important qu'eux.
Son angle d'approche est différent: il prend les choses par en-dessous
et crée l'épique non par le cadre, mais par la situation-même, parfois
avec un seul personnage (comme dans Séance
par exemple). En tout cas, lorsque l'on sort de la lecture de ces
textes retrouvés, on est vivement frappé par l'originalité, la rigueur,
la cohérence d'une pensée toujours en éveil. On est frappé aussi par le
métier de cet homme de théâtre complet, qui est tout aussi excellent
comédien et metteur en scène qu'il est écrivain.
Nous pensons faire oeuvre utile en proposant la lecture du Théâtre incomplet
de Michel Viala (ce titre est choisi par l'auteur lui-même qui disait à
juste titre qu'à cinquante-cinq ans il pourrait encore écrire «quelques
pièces en passant»). Nous pensons que cette œuvre, dans son
originalité, sa profonde réalité, son caractère très humain, reflète un
certain nombre de réalités suisses dont la mise en lumière frappe
d'autant plus qu'on lit ces pièces les unes après les autres.
Nous pensons que cette oeuvre, que nous avons recueillie avec
difficulté, en ayant parfois l'impression que c'était in extremis, vaut
d'être préservée, publiée, lue, vue et revue par un public aussi large
que possible.
ANNE CUNEO
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Le théâtre saignant de Michel Viala
Les
Éditions Campiche publient vingt pièces en deux volumes du baroudeur de
la scène romande. Tête-à-tête avec un écrivain qui de ses deuils a fait
une œuvre puissante.
«Ah, c’est vous...»
grommelle Michel Viala, sur le seuil de sa chambre. À l’extérieur, le
ciel crachote à la mode hivernale. À l’intérieur, dans cette ancienne
maison de comtesse ravalée en hospice, une dame tricote dans un
fauteuil. Ailleurs, un vieillard hurle par intermittence. Michel Viala,
lui, ouvre la porte de son repaire. Aux murs, des coupures de presse.
Des images de Che Guevara aussi. Un dessin encore, l’œuvre de l’un de
ses petits-enfants. Et puis à droite, une table de bistrot transformée
en écritoire avec son ordinateur portable. Au Petit Bois, nom de
l’établissement, l’écrivain genevois est chez lui. Il y écrit et il y
rêve en fumant une Gauloise sur la terrasse de sa chambre. En ce
mardi après-midi, Michel Viala, 74 ans, reçoit en grognard. Ses
guerres, il les a derrière lui. Mais la carabine est planquée sous le
matelas, jurerait-on. La veille, c’était la première de Vacances, histoire d’un couple ensablé merveilleusement jouée par Thierry Meury et Caroline Gasser au Poche de Genève.
A la fin, Michel Viala est monté sur les planches saluer le public,
élégance farouche de celui qui s’est retiré des affaires. Puis il s’est
noyé dans un bain de foule, dans le foyer euphorique. Les amis étaient
là, ceux d’il y a cinquante ans comme l’acteur Maurice Aufair, émus
d’assister au nouveau come-back du boxeur du théâtre romand. Un
baroudeur qui aurait fait La Légion étrangère à la fin des années 1950
– il l’a souvent raconté – et qui aurait payé cet engagement de
plusieurs blessures – il nous l’a rappelé dans sa chambre. Un émule
genevois de Jack Kerouac et de Paul Bowles, ces écrivains qui ont fait
de l’air du large leur opium.
Vacances, c’était donc la fête à Viala. Avec, comme cadeau, la parution
au même moment de vingt de ses pièces, en deux volumes, dans la
collection Théâtre en camPoche
dirigée par Philippe Morand. Une mine que l’on doit à l’éditeur Bernard
Campiche. L’amateur peut s’y précipiter, il ne sera pas déçu. De Il (1971) à Chômage (1976), de Jeu de sable (1974) au poème-fleuve Par Dieu qu’on me laisse rentrer chez moi
(1979), Viala révèle une palette stupéfiante. Il sait confesser les
années 1970, le fumeur de Brunette comme la tricoteuse subjuguée par
Bernard Pichon; exposer les fêlures des sans-nom; saisir la perversion
au travail, la demande d’amour qui vire au rance. Il est le photographe
de son époque. Il cadre, développe, révèle, mais ne fige pas.
L’autre après-midi, on lui jette notre admiration à la figure. D’un
index ravi, on désigne le carton où gisent, dans un coin de sa chambre,
une dizaine d’exemplaires de son Théâtre incomplet. «C’est quelque
chose, ces pièces qu’on croyait perdues éditées avec tant de soin...»
s’enthousiasme-t-on. Et lui, de maugréer, manière Jean Gabin une nuit
de crachin: «Moi, je m’en fous complètement.» On insiste, on évoque Vacances,
ce face-à-face sur une plage espagnole entre une mercière fribourgeoise
et un serveur genevois. «Oui, j’ai aimé le spectacle. Mais je n’ai plus
vraiment en tête les circonstances dans lesquelles j’ai écrit le texte.
J’étais à Sitgès, en Espagne, je crois. Et il m’est arrivé une chose
incroyable: j’ai plongé dans une piscine sans eau.» Blague-t-il?
Pas sûr. Michel Viala a la mémoire pleine d’histoires rocambolesques,
ses classiques qu’il ressort parce qu’ils palpitent toujours. Sa virée
à Harlem avec deux Blacks qui le chaperonnent, lui le petit frère
blanc. La CIA qui tente de l’embrigader. Et puis ses nuits passées sur
un banc public, pour pouvoir écrire un jour Le Parc.
Le vrai, le faux importent peu. Michel Viala épouse ses fables. Il ne
triche pas. Il fait le mur à vue, rit de fuguer aussi bien. Et l’on
s’esclaffe avec lui, parce qu’il n’y a pas de raison de ne pas s’évader.
De ses blessures, Michel Viala a fait des poèmes qui sont sa survie. Dialogue pour un homme et une poupée, Il
(1971) est l’un des plus poignants. Il a 38 ans, n’a pas encore perdu
son frère jumeau et s’adresse à sa mère: «Je devais vous revoir de loin
en loin, m’apportant les mêmes mots... le même chocolat... à
l’internat... à l’hôpital... en prison... à l’asile...» Plus loin:
«Dans un jardin public, j’allais le cerveau blessé... Mon sillage
charriait des oiseaux morts... l’effort terrible de paraître normal
m’avait épuisé...» Se fondre, Viala n’a jamais su. Au début des
années 1970, il tempête dans les bars de Carouge, avec un jeune homme
aux yeux ciel qui ne jure que par Cendrars. C’est Jacques Probst, futur
acteur et auteur. «Ils montaient les deux sur les tables, se souvient
le critique de théâtre Daniel Jeannet. Viala lançait en fixant Probst:
«Voici Rimbaud et moi je suis Verlaine.» Et ils se jetaient alors, en
guise de joute oratoire, des recettes à la figure.»
Michel Viala est un acteur qui frappe. Une gueule de série B. Une
flamme. Et des éclipses, quand l’alcool jadis le tenaillait. «Il, je
l’ai joué pendant des années, dit-il. À poil même au bois de La Bâtie,
sur un ring de boxe.» S’il s’exhibe, il s’efface aussi quand il observe
l’inconnu d’à côté, tend l’oreille pour capter la musique de sa
solitude. «J’essaie d’écrire le plus simplement possible. J’ai horreur
de l’intellectualisme, des constructions métaphoriques. Il faut essayer
d’écrire des choses terre à terre. Et puis j’essaie toujours de vivre
les choses avant de les écrire.»
Le théâtre comme périscope. Dans Petit Bois
joué au Poche de Genève en octobre 2004, il racontait une passion à
l’hospice. Un feu de nuit. Ses voisins de pension l’inspirent-ils
encore? «Oh pas vraiment. J’essaie d’aller plus loin. De rêver.» Au
bout de ses doigts, des paysages attendent encore l’éveil. En 1979,
marqué par l’épisode du président tunisien Bourguiba fuyant l’hôpital
de Genève où il était soigné, il écrivait un poème lumière, Par Dieu qu’on me laisse rentrer chez moi.
On y lit notamment ces décasyllabes:
«Mais que je vous redise mon pays/La mer aux merveilleuses hanches
glauques/La plaine fauve où poussent les kharbanes/La montagne qu’agite
le vent rauque/Le désert bleu que la piste enrubanne/Les grands marais
où paissent les ibis/Et les lèvres du vent frôlant les lys.»
C’est un pays de splendeurs et de douleurs. C’est un poème dans lequel s’enrober. Michel Viala est de cette étoffe-là.
«La grâce et l’instinct de la langue»
«Viala,
c’est notre auteur!» s’enthousiasme Daniel Jeannet, mémoire vive du
théâtre suisse. L’ancien critique se rappelle le choc de sa découverte.
«C’était à La Chaux-de-Fonds en 1968, dans le cadre d’un festival
organisé par le Théâtre populaire romand. Des acteurs lisaient La Clinique du Docteur Helvétius ou le cas Bolomey.
La Suisse était comparée à un asile d’aliénés. Il y avait dans cette
satire un projet politique baroque, libre de ton et d’allure qui
tranchait avec un certain théâtre politique brechtien. Viala se
distinguait par une impertinence sidérante.» À quoi tient la force
de l’auteur? Son talent de dialoguiste d’abord. «Oui, confirme Daniel
Jeannet. C’est le fruit de sa formation. Le jeune Viala était peintre.
Pour gagner sa vie, il allait brosser les décors du Casino-Théâtre,
temple du vaudeville à l’époque. Très vite, il a accepté des petits
rôles. Et s’est familiarisé avec l’art de la réplique, essentiel dans
ce genre de théâtre. Le comique suppose une vivacité dans la répartie,
une relation électrique avec la salle.»
Michel Viala est aussi et surtout un inventeur de langue, comme le
prouve son poème Par Dieu qu’on me laisse rentrer chez moi. Spécialiste
de la scène romande, Joël Aguet qui signe la préface de Théâtre
incomplet 1 et 2 voit en lui un chercheur. «Cet autodidacte a un
instinct de la langue et une grâce. Son utilisation du décamètre, ce
vers à dix pieds, dans Par Dieu... a stupéfié plus d’un universitaire. Et puis ses pièces sont extraordinairement construites.»
Pourquoi alors cette œuvre a-t-elle si peu traversé les frontières? «Il
avait l’envergure pour percer ailleurs, souligne Daniel Jeannet. Deux
ou trois de ses pièces ont été montées à Paris, mais il n’y a pas eu de
suite.» «Notre ambition est de rendre cette écriture accessible, note
Joël Aguet. Qu’on réalise sa qualité!»
En Suisse romande, dans les années 1970, Michel Viala a pu compter sur
le soutien passionné de François Rochaix, directeur alors du Théâtre de
Carouge-Atelier. Le metteur en scène lui consacre en 1975 un festival.
C’est l’heure de gloire pour Viala. Mais il a ses démons et ses
absences. Des errances à la Verlaine. Au bord de tout, il griffonne
pourtant d’autres drames. Beaucoup ont été perdus. Ce trésor pourrait
bien remonter à la surface.
ALEXANDRE DEMIDOFF, Le Temps
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Michel Viala. Chambre avec vues
Auteur
d’une soixantaine de textes souvent dispersés, Michel Viala est à
l’honneur des éditions Campiche et du Théâtre de Poche. Rencontre.
Élégant,
portant cravate et boucle d’oreille, Michel Viala ouvre généreusement
la porte de la petite chambre qu’il occupe dans un EMS niché dans la
campagne vaudoise. C’est ici, au Petit-Bois, qu’il vit, écrit et reçoit
parfois, comme aujourd’hui, où l’effervescence publique l’a rattrapé
depuis la parution d’un recueil de textes inédits et la mise en scène
de Vacances, au Théâtre de Poche, à Genève. Aux murs,
photos, peintures et coupures de presse parlent de lui et de ses
bouillonnements, comme ailleurs, en Suisse et jusqu’au Canada ou en
Russie, ses nombreuses pièces, romans et poèmes. Le Che y côtoie ses
petits-enfants, ses «anges gardiens», comme il les appelle. Souha
Bechara, la résistante libanaise qui tenta d’assassiner le chef de
l’armée du Liban Sud, sourit près d’un tableau intitulé «Liberté»,
accroché au-dessus du lit, que Michel Viala a peint en 2006. Cette
liberté a le regard triste et les traits d’Ingrid Betancourt. Bénédict
Gampert, le comédien genevois décédé l’an dernier, regarde doucement
par la fenêtre; sous sa photo, un texte ému que l’auteur a écrit à sa
mort. Même la porte-fenêtre, qui ouvre sur une terrasse hivernale,
s’obscurcit peu à peu de coupures de presse et de dessins reçus des
enfants des soignantes et chargés de «Je t’aime»: «Je leur fais faire
de la peinture, forcément, ils adorent», explique-t-il.
Lui-même, né en 1933 à Genève, est venu au théâtre par les Beaux-Arts.
Lorsqu’il crée ses premiers décors de scène, il n’a qu’une vingtaine
d’années. En parallèle, il commence à jouer: dans Oncle Vania
de Tchekhov, par exemple. Près de 50 ans plus tard, le nom de l’auteur
russe résonne à nouveau dans la chambre modeste au confort presque
étudiant, avec celui d’autres auteurs aimés (Chessex, Rimbaud,
Beckett): Michel Viala s’en inspire lorsqu’il passe, dans les années
soixante, à l’écriture et à la mise en scène.
La Suisse au vitriol
Dans
un grand rire, l’auteur désigne maintenant une bouillotte au fourreau
rouge et à croix suisse. Un cadeau plein d’ironie pour celui qui a si
souvent traité la Suisse au vitriol et dont La Clinique du Docteur Helvetius
(1968), qui compare le système helvétique à un asile d’aliénés et
raille la neutralité, fut interdite par les autorités subventionnantes.
Au début des années septante, Viala contribue à fonder le Groupe
d’Olten, avec Max Frisch et Friedrich Dürrenmatt, en réaction au
conservatisme de la Société des écrivains suisses. Au cours de sa
longue carrière (sa première pièce est diffusée à la radio en 1963), il
semble avoir tout exploré: l’indigence du couple (Vacances) comme l’amour passionné et meurtrier (Hans Baldung Grien), les tragédies personnelles (IL) comme celles que précipitent la société (Chômage), l’horreur de la guerre (Datura ou la guerre est inexplicable) et le cynisme du pouvoir (Le Bunker). Tous ces textes-là, une vingtaine, sont aujourd’hui disponibles dans les deux volumes de Théâtre incomplet publiés cet automne aux éditions Campiche. Théâtre incomplet?
D’abord parce que l’auteur écrit toujours. Mais aussi parce que bien
des textes sont devenus introuvables. «Je ne me prends pas trop au
sérieux, vous savez», lance-t-il en guise d’explication, jouant avec
les bagues de sa main droite. L’éditeur a ainsi réuni maints écrits
égarés ou inédits. Jusqu’ici, seules vingt-cinq pièces de théâtre
avaient été imprimées et diffusées aléatoirement. Si la palette
de thèmes abordés est vaste, l’approche a de la constance: en homme de
théâtre venu des petites scènes, Michel Viala construit le sens à coups
de répliques souvent brèves, éclats de vie tranchants et dénués de cet
intellectualisme qu’il déteste, à l’image d’un Beckett dont il admire
l’économie de moyens. Et d’assener: «Les patchworks compliqués et
intellectuels d’aujourd’hui sont méprisables!» Pour parler du «miracle
du théâtre» non plus, il n’use pas de grands mots: «C’est... je ne sais
pas, moi, quand le message passe, quoi» dit-il de sa voix où vibre
encore chaque mot, comme jadis sur les scènes.
Mille vies superposées
Mais la vie coule trop fort dans ces veines-là pour tenir entre les
berges étroites d’une seule forme de création: Michel Viala cumule
scénarios, romans, poèmes et monologues lyriques comme l’émouvant Par Dieu, qu’on me laisse rentrer chez moi (1979); pour celui-ci, il choisit le décasyllabe, s’inspirant de la célèbre épopée en langue d’oc de la Chanson de Roland.
Dans ce monologue apparaissent des préoccupations existentielles que le
septuagénaire converti à l’islam ne renie pas: «Je ne dis pas que je
fais des études là-dessus, mais bon, voilà ce que je lis» marmonne-t-il
en tirant de sa bibliothèque Une Vie de Simone Veil.
Autre mur, autre souvenir: apparaissant à la fenêtre d’un train, deux
légionnaires sourient aux côtés d’une jeune pénitente qu’ils
accompagnent à Lourdes. C’est l’une des tâches qu’accomplissait la
Légion étrangère postée à Aubagne, en France. Cette armée, Michel Viala
l’intégra (puis déserta) à l’époque de la guerre d’Algérie, par
«chagrin d’amour et goût de l’aventure; mais ceux qui n’avaient qu’un
chagrin d’amour ne duraient pas longtemps».
Du théâtre et de l’écriture, l’entretien ne cesse de dériver vers la
biographie, comme si tout cela l’intéressait bien plus. «Pour dire les
choses, il faut les vivre», résume-t-il simplement. Forcément, dans ses
récits où se superposent mille vies (de père, de frère, de fils, de
mari, d’artiste), les dates et les lieux se télescopent. Mais si la
mémoire lui fait parfois défaut, l’homme de théâtre en tire soudain,
intact, avisant une carte postale où rumine une chèvre, un délicieux
poème où il est question d’une chèvre et ses deux petits et d’un
corsage où se cachent deux cabris.
Même à 74 ans, même confiné dans quelques mètres carrés débordants de
souvenirs, le rebelle n’est pas rentré dans le rang. Où qu’il soit, il
reste aux aguets, sensible à l’injustice et aux absurdités sociales: en
ouverture de Théâtre incomplet,
il adresse ses remerciements «au personnel soignant et nettoyant» du
Petit-Bois, en souvenir d’une fête à laquelle, dans un autre
établissement où il était pensionnaire, les nettoyeurs ne furent pas
invités. Ce qui ne l’empêche pas de souligner «la platitude étonnante
qu’on trouve ici, cette bêtise typique de la moyenne suisse». Mon banc,
publié vers 2000 à la suite d’années clochardes passées sur un banc à
observer une certaine Genève, témoigne de la même pugnacité
inaltérable: «Je n’y suis pas allé avec le dos de la cuillère avec les
banques», résume-t-il avec une pointe de fierté. S’il y a du jeu, bien
sûr, dans les multiples postures de Michel Viala, il n’y a pas de pose.
Sur la petite table où il écrit désormais trônent aussi des tubes
de couleurs tout écrasés: il copie des tableaux pour un ami galeriste
avant une exposition de ses propres oeuvres. Bien sûr, c’est de la
peinture à l’huile qu’il utilise, épaisse, fâchée, où les couleurs se
heurtent et s’affrontent. Pas de ce pastel où elles se fondraient
aimablement les unes aux autres.
DOMINIQUE HARTMANN, Le Courrier
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Les Vacances de Viala
Un homme et une femme. Pas la peine d'entonner le «chabadabada».
L'homme est un mufle et la femme s'est repliée sur ses névroses. Ils se
croisent sur un bout de plage. Contrairement à la chanson, ce sont eux
qui sont abandonnés. Elle, fragile et frêle, prend le soleil. Comme
dirait l'autre, c'est toujours ça de pris. Lui, une paire de jumelles
collée au torse, tente d'engager la conversation. Il y parvient, c'est
déjà un miracle...
Voilà les Vacances
selon Michel Viala. La pièce date de 1976. À la même époque, Lauzier
croquait les désillusions de ses contemporains et Reiser dessinait les
mésaventures de Gros dégueulasse. Les personnages de la pièce sont un
peu du même tonneau: eau croupie et amertume y tanguent dans un bain de
remugles. Vêtue d'un maillot de bain et d'un reste de pudeur,
Caroline Gasser interprète Denise. Une vendeuse, qui se fait passer
pour la patronne et qui, toute sa vie, s'est occupée de sa maman. La
comédienne est magnifique dans le rôle de cette vieille fille revenue
de tout et surtout d'elle-même.
En face et en short, il y a Thierry Meury. Il joue Henri, un serveur
qui se réinvente en chef de rang. Il aime les bateaux, le rosé frais et
prendre des vacances hors saison. Parce qu'il y a moins de monde et que
c'est moins cher. Un personnage un poil caricatural auquel l'humoriste
apporte de bénéfiques nuances.
Étreinte maladroite
Ce qui rapproche ces deux-là, c'est moins leur tendance à enjoliver
leurs CV respectifs que leur banalité. Et leur étroitesse d'esprit,
critique en creux d'une Suisse repliée sur elle-même. Philippe Lüscher,
qui met en scène, amplifie ce sentiment en confinant sa parcelle de
plage dans un cadre étroit et bétonné. Pour parfaire le morne tableau,
des détritus jonchent le sol et une armée de bulldozers s'active à
proximité. Des vacances promises par le titre, il n'en est finalement
guère question. Denise et Henri ne sont même pas en congé d'eux-mêmes.
Leur médiocrité se déplace avec eux et teinte leur environnement.
Phrases vides, étreintes maladroites et frilosité sont leur lot commun.
On croit que le vernis va craquer, que ces deux pavés dissimulent des
plages de sensibilité... Peine perdue. Michel Viala sacrifie les
dernières illusions du couple sur l'Hôtel de la Plage. Dans ces
Vacances-là, il y a le ciel, le soleil, et tout le reste est amer.
LIONEL CHIUCH, Tribune de Genève et 24 Heures
Une (plus ou moins) douce folie ordinaire
L’observation terre à terre de la réalité telle qu’elle se déploie au
jour le jour, autour de nous, a nourri toute une mouvance littéraire et
dramaturgique, dans les années 60-80 du siècle passé, à l’enseigne de
ce qu’on a appelé le théâtre du quotidien. A celui-ci se rattachent à
l’évidence les pièces de l’auteur genevois Michel Viala, même si
celui-ci est l’opposé, par sa personnalité farouchement indépendante,
d’un écrivain d’«école». Au reste, le théâtre de Viala conserve toute
sa vitalité du fait même qu’il échappe au reflet tautologique d’un réel
artificiellement dupliqué et borné (comme si l’imagination, le délire
et toute fantaisie ne faisaient pas partie aussi de la réalité) pour
basculer à tout moment dans les catégories du tragicomique, de la
satire, de l’émotion ou de la (plus ou moins douce) folie.
Un seul exemple: Le Parc
(1977), où deux femmes poussant chacune son landau entament, sur un
banc, un dialogue à ras la layette. Situation minimaliste, et qui
devient immédiatement théâtrale du fait que tout le non-dit ordinaire
est balancé par chaque protagoniste au public, et ce sont alors deux
entonnoirs existentiels dans lesquels on dévale en riant jaune…
Présenté par Joël Aguet qui rappelle la trajectoire atypique de Michel
Viala et son rôle en Suisse romande ou au-delà, le Théâtre incomplet
de l’auteur paraît en deux volumes (petites formes dans le premier,
grandes distributions dans le second) dans une édition élaborée par
Philippe Morand. Fait remarquable et plutôt rare: chaque pièce de Viala
se lit «comme un roman»…
JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures
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Assis sur la médiocrité de la vie
Michel
Viala. Une anthologie de ses pièces dramatiques paraît en deux volumes.
L’auteur genevois voit ses personnages, vingt à trente ans après,
revenir sur le devant de la scène.
Denise
et Henri se parlent sans s’écouter. Ils ne se laisseront pas
apprivoiser. Trentenaire ou quadra, tous deux célibataires, ils se
croisent sur une plage d’octobre où terrassent les bulldozers. Il y a
plus romantique comme endroit. Michel Viala a fait d’eux des «assis»,
ces personnages qui se contentent d’une vie banale et médiocre. Des
rêves? À peine. Des envies d’échapper au quotidien? Pas vraiment. Dans
leurs Vacances, leurs tics, leur étroitesse d’esprit, il y a
un peu de la société d’aujourd’hui, de cette Suisse engoncée, assistée,
sans initiative, que critique Viala.
Réunis en deux volumes très soignés à l’enseigne du Théâtre incomplet,
aux Éditions Campiche, il y en a d’autres comme eux, de ces assis des
années 70 ou 80, qui ressemblent furieusement à ceux de 2008. Il y a
par exemple Nicole et Sophie, mamans en mal de confidences, qui
détaillent la pauvreté de leur vie intime avec un mari décevant et qui
ont fait un enfant pour remplir leurs journées.
Sauvées in extremis
Pour les bassesses, les coups bas, le cynisme parfois, toutes ces
saynettes quotidiennes n’ont pas pris une ride. Plus actuel que jamais,
Viala. Comédien, auteur dramatique, bourlingueur, empêcheur de tourner
en rond ou SDF notoire, plusieurs fois au fond du trou durant une
carrière faite de hauts et de bas, le Genevois vit une petite
renaissance depuis son EMS de Céligny. Le Poche, à Genève, programme
jusqu’à fin janvier Vacances, tandis que paraît une anthologie de ses
œuvres, à petite distribution dans le volume I, à grande distribution
dans le volume II.
Vingt pièces au total, choisies par Philippe Morand, sauvées in
extremis pour certaines. Mais on n’a pas là toute la production
dramaturgique ni littéraire de Michel Viala, qui a écrit une bonne
soixantaine de pièces et a aussi œuvré comme scénariste pour le cinéma
et la télévision. L’Invitation de Claude Goretta, notamment, c’était lui.
Une folie sourde
De retour sur le devant de la scène, l’auteur de septante-quatre ans
voit ses pièces reconnues pour leur efficacité, leur construction
solide, leurs répliques assassines, affûtées, son style sans fioriture,
sans «intellectualisme». Des universitaires comparent la qualité de ses
décasyllabes de Par Dieu qu’on me laisse rentrer chez moi
à celle des meilleurs maîtres de la versification. Il est prêt à
rejoindre Max Frisch ou Friedrich Dürrenmatt au titre de grand
dramaturge helvétique, espère même Anne Cuneo. Un manque de
rayonnement, jusqu’ici, qu’il doit peut-être à son âme d’écorché vif,
ses éclipses à la Verlaine. Michel Viala a trouvé sa voie dans un
théâtre fait de situations, de quotidien, de vous et moi. S’il a su si
bien capter la Suisse de la fin des années 60 aux années 80, où l’on se
reconnaît encore aujourd’hui, c’est qu’il a gratifié la réalité
quotidienne, livrée crue, droit dans la figure, de pointes acérées
d’ironie, d’une folie sourde, menaçant sans cesse de prendre le dessus,
d’un amour indéfectible pour les petites gens jusque dans la caricature
de leurs travers. Une façon de dépasser la simple copie du réel, pour
lui donner un caractère intemporel, symbolique.
Prenez La Clinique du Docteur Helvétius ou le cas Bolomey,
écrite pendant les remous de 68. La pièce tourne la Suisse en dérision
en plaçant les travailleurs et fonctionnaires dans un asile d’aliénés.
Le seul homme politique de la pièce est un «manager». Mais derrière lui
un PDG tire les ficelles des décisions, tandis qu’un dictateur
étranger, bouffon de première et officiellement en cure, en profite
pour acheter des mitraillettes en douce. Pendant ce temps, les
«cadavres» de la liberté de pensée et des médias jonchent le sol. Et la
famille d’un banquier vaque à ses préoccupations quotidiennes et
dérisoires. Une satire féroce, une langue armée jusqu’aux dents. On
jubile. Mais l’impertinence de Viala n’aura pas passé la censure de
l’époque.
Douloureux monologue
De la critique politique et économique, Le Bunker
en fait aussi état. Elle déconstruit, par un incessant et infaillible
flash-back, la folie d’un grand patron cynique qui a élevé un empire
avec des méthodes douteuses et se suicide à la Hitler dans un bunker,
qu’il a fait construire pour pousser au maximum l’identification. La
folie, déclarée ou étouffée sous les apparences, est aussi une clef
d’un monologue douloureux, Il, que Viala lui-même a porté
durant plusieurs années, comme comédien. Un homme cherche à conjurer
ses démons d’enfant, ses angoisses d’adulte, en se livrant à une
poupée, à qui il se confie comme à sa mère. Quand la folie intérieure
ou celle du monde submergent l’écriture comme la lecture, peut-être
permettent-elles la rédemption.
ELISABETH HAAS, La Liberté
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Un auteur qui compte
Sous un titre soufflé par l’auteur, Théâtre Incomplet,
les Éditions Bernard Campiche publient en deux recueils des textes du
dramaturge suisse Michel Viala, à l’œuvre considérable. Venu au théâtre
par le fond de la scène (formé aux Beaux-Arts de Genève, il commence
par fabriquer des décors), l’auteur sera aussi comédien, metteur en
scène, traducteur et scénariste. Ses textes ont presque tous été joués
et parfois traduits en plusieurs langues.
Le Courrier
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Pour
les théâtreux de ma génération, le nom de Michel Viala évoque un
univers à la fois singulier et foisonnant. Sans doute le plus grand
auteur suisse (romand) des années 70-80. On se souvient de ses pièces
cultes, comme Séance (1974), Le Parc (1977) ou encore ce texte au titre magnifique : Par Dieu qu’on me laisse rentrer chez moi (1979). Chacune des créations de Viala constituait, ces années-là, des événements à ne pas manquer. On se souvient aussi de L’Invitation,
le chef-d’œuvre de Goretta, qui mettait en scène François Simon,
Jean-Luc Bideau, Corinne Coderey et tant d’autres : le scénario et les
dialogues étaient signés Viala. On mentionnera enfin les récits de
Viala, dont le poignant Jumeau, récit de la vie dramatique du frère de l’auteur, paru en 1996.
C’est l’éditeur Bernard Campiche qui a eu l’idée excellente de
rassembler tout le théâtre de Viala en deux gros volumes, le premier
reprenant les monologues et les pièces à deux personnages ; et le
second, les pièces à grande distribution. D’un coup, l’univers âpre et
violent de Viala nous revient comme l’essence même du théâtre de ces
années de grande liberté créatrice — à des lieues du théâtre
politiquement correct d’aujourd’hui. Il faut relire Vacances, par exemple, que Philippe Lüscher vient de mettre en scène avec succès à Genève et à Lausanne, ou Est-ce que les fous jouent-ils?
Ils témoignent d’un regard aiguisé sur le monde moderne et d’un souci
constant de la vérité du théâtre. Ils témoignent aussi d’un écorchement
et d’une blessure que seule la parole, parfois, parvient à soulager.
Ils mettent en scène, enfin, des personnages simples et modestes dont
l’amour est sans cesse entravé par les vicissitudes de la comédie
sociale.
JEAN-MICHEL OLIVIER, Scènes Magazine
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