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Chroniqueur
des vertiges intimes et des ruptures sociales, Antonin Moeri
s’interroge avec le regard étonné d’un Huron dans les trente et une
nouvelles – terme auquel son narrateur préfère ceux de lignes, notes,
ou notations. De quoi parlent ces histoires déroutantes qui restent en
supens, à peine ébauchées, comme si l’attente et l’incertitude
constituaient leur climat d’élection? D’un monde où il est difficile de
trouver sa place, lorsqu’on se pose toutes sortes de questions sans
réponse. Mais l’écrivain enfermé dans sa chambre n’affirme-t-il pas que
«dormir, rêver et inventer, cela est délicieux, plus délicieux que
toute certitude»? L’enfance, l’adolescence, l’école, la famille, les
surprises de la vie défilent sous nos yeux comme les figures étranges et
familières d’un carrousel, qui tournent, montent et descendent : un
grutier décide de vivre en plein ciel, une jeune fille meurt de ne pas
trouver de raisons de vivre, un petit garçon apprend à pêcher, un
promeneur ravi par «les bruissements innombrables» des futaies se
souvient de son père en voyant un écureuil… Et le narrateur est là pour
raconter «ce qui (lui) advient dans l’écriture, cette utopie
d’exactitude, ce temps rare qu’on arrache à la mort».
ISABELLE MARTIN, Le Temps
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La réédition en poche de Paradise Now,
paru originellement en 2000, remet en lumière ce recueil, un des
meilleurs livres d'Antonin Moeri. Quand il a paru, la presse unanime,
citée à la fin du recueil, a célébré son art du bref. Les textes
d'Antonin Moeri font entre 3 et 5 pages. Ces courtes histoires «restent
en suspens», écrit Isabelle Martin dans Le Temps, «à peine ébauchées, comme si l'attente et l'incertitude constituaient leur climat d'élection».
Les 31 notes parfaitement écrites (on n'ose les appeler nouvelles tant
elles se dégagent de ce genre codifié) parlent de gens déstabilisés. Un
grutier ne veut plus descendre de son engin. Un top model chouchouté
voit son couple se déliter. L'écureuil que voit un promeneur lui
rappelle son père mourant... Courts fragments de vie discontinus.
Et chaque histoire, si on l'examine, peut encore être décomposée.
Prenons au hasard «Épiphanie». «Un jour d'hiver, Louis Bron, réparateur
de photocopieuses, vint au village où sa femme et leur fils passaient
des vacances.» Cette première phrase contient en germe plusieurs
micro-histoires, qui seront exposées en quatre pages et demie.
La première parle des stratégies que Bron a développées pour obtenir un
jour de congé dans son entreprise de photocopieuses. Puis le thème est
clos. De photocopieuses et de travail, il ne sera plus question. On
passe à une description percutante du village.
Troisième partie: Bron part faire du ski de fond et salue femme et
enfants. Toute une opacité familiale est brusquement saisie dans ces
quelques lignes: le malaise et la culpabilité de l'épouse qui voit que
le lieu choisi déplaît à Bron; la dépendance infantile de celui-ci à sa
femme.
Enfin il part, il est libre. La dernière scène arrive: Louis assis sur
un banc, devant une ferme, voit une magnifique femme blonde,
miraculeuse apparition. « Préférant garder le souvenir d'une
minute heureuse, Louis se leva discrètement, se détourna pudiquement,
chaussa ses skis et poursuivit sa balade inoubliable dans une région
romantique où la tremblante réverbération sur la neige durcie faisait
courir les étoiles dans un tourbillon de douceur. »
Tout l'art de Moeri est là: observation de faits, non-ingérence dans le
monde, suite d'instantanés, langue travaillée. Le monde qu'il décrit
est discontinu. La société contemporaine ne peut être comprise
globalement, semble dire Paradise Now. Mais cet univers fragmenté et incompréhensible est source de délices: les images, les vues, les mots.
Blog d’ALAIN BAGNOUD
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