Michel Bühler revient sur quatre décennies d’une belle carrière musicale
Michel Bühler est un chanteur engagé. Depuis quarante ans, sa plume et
sa guitare, qui penchent à gauche, il les met au service de gens
simples dont la vie ne l’est pas toujours. En relatant les troubles
sociopolitiques. Alors, quand il se souvient que c’est en 1969 qu’il a
débarqué à Paris, on a presque envie de lui dire que, en bon Vaudois,
il était quelques mois en retard sur Mai 68 et l’Histoire. Le poète de
L’Auberson ne l’entend pas tout à fait de cette oreille. Parce que, au
tournant des années 1970, la Ville Lumière était toujours en pleine
effervescence. «On était sûrs qu’on allait changer le monde. Si on
m’avait dit à ce moment-là où on en serait aujourd’hui, j’aurais ri. Ou
plutôt pleuré… Maintenant, je cherche les pistes pour comprendre.» Son
dernier livre, Un si beau printemps, s’en fait l’écho.
Merci, Vigneault
Michel Bühler affiche donc quarante ans de carrière au compteur.
Quelque deux cents chansons, souvent têtues, et l’homme tourne
toujours. La verve du gaillard n’est d’ailleurs en rien altérée par le
temps. Ceux qui ont vu ses passages à L’Échandole d’Yverdon et à Ivry-sur-Seine en attestent.
Cette longévité fait de «Bubu» un cas à part dans le monde de la
chanson romande. Alors quand il parle de lui, avec pudeur mais
conviction, on a envie d’écouter. «Je suis parti à Paris après avoir
fait la connaissance de Gilles Vigneault.» Le Québécois croit en lui et
le recrute dans sa maison de disques, L’Escargot. Mieux, il lui offre les planches de ses premières parties dans des lieux mythiques, Bobino ou l’Olympia.
À cette époque, le rideau tombe doucement sur les cabarets de la Rive
gauche. Michel Bühler en fréquente un ou deux, mais c’est un autre
circuit qui le fait sillonner la France pendant une douzaine d’années.
Des années rythmées par l’enregistrement de trente-trois tours qui
atterrissent dans les bacs des disquaires avec la régularité d’un
métronome. «À l’époque, les artistes avaient l’opportunité de chanter
dans les Maisons des jeunes et de la culture.»
Sur la route, le Sainte-Crix de L’Auberson côtoie une foultitude
d’artistes. «François Béranger, des Algériens, des Bretons. On avait le
sentiment de faire de la chanson qui raconte la vie des gens. Et
parfois un peu de politique…» En lâchant plusieurs chansons
helvétiquement siennes, Michel Bühler se fait remarquer. «Pour les
Français, les Suisses étaient soit banquiers, soit horlogers. Le côté
exotique ne m’a pas plus servi que desservi!» Il lui a même attiré
certaines sympathies: «L’autre jour à Ivry, j’étais très étonné
d’entendre des gens me dire qu’ils me suivaient depuis toutes ces
années…»
Difficiles années 1980
De fait, les quinze années passées en France résonnent comme le temps
des copains et de l’aventure… «On a rigolé comme des fous. On n’était
pas seulement comme des collègues, on était des amis. Et si L’Escargot
a fait faillite, c’est parce qu’on a bu et qu’on a mangé», sourit-il
sans renier une seule seconde le passé. Au début d’années 1980 qui
s’annoncent difficiles, cette faillite vient tout bouleverser.
Bizarrement, elle intervient au moment où la gauche prend le pouvoir. «
On n’avait sans doute plus besoin de nous…», rigole-t-il.
La cassure est aggravée encore par le décès d’un père dont il était
très proche. De retour à Sainte-Croix, il vit donc de l’intérieur la
fermeture des anciennes usines Paillard et les mouvements ouvriers qui
s’ensuivent. «J’ai eu envie qu’il y ait des traces, sous forme
romancée, de certaines actions qui ont rendu à des ouvriers un peu de
dignité.» Alors, après avoir été auteur de spectacle – le succès fou du
Retour du major Davel, à son retour de Paris, lui remet le pied à l’étrier–, Bühler devient écrivain et signe donc La Parole volée. Depuis, il mène de front ces trois carrières.
Actuellement, c’est la chanson. Le spectacle qu’il présentera à Vidy
retrace sa longue carrière. Et celui de Beausobre, à Morges, sera
particulier. «J’ai invité des amis à me rejoindre sur scène.
Malheureusement, j’ai dû faire des choix: certains bons copains ne
seront pas là. J’espère qu’ils comprendront…» Les planches de Beausobre
verront donc défiler Anne Sylvestre, Gilbert Laffaille, Bel Hubert ou
encore Thierry Romanens. «Il y aura aussi Nono Müller et Léon
Francioli, qui ont été mes musiciens. J’aurais aimé accueillir Graeme
Allwright et Gilles Vigneault. »
Une fête à la mesure de celle de la chanson romande, organisée il y a
trente ans en hommage à Jean Villard-Gilles? «Quel souvenir magnifique!
Trois mille à cinq mille personnes rassemblées sous un chapiteau à
Vidy. C’était l’âge d’or de la chanson romande. Le public avait réservé
une ovation à Gilles. Rien que d’y penser, j’en ai les larmes aux yeux.»
FRÉDÉRIC RAVUSSIN, 24 Heures
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