Les Maîtres du vent
Où il est question du parc éolien de Sainte-Croix
Deux décennies et plus de lutte
pour finalement la perdre à cause d’un diktat du Tribunal Fédéral, la
pilule est amère. Elle l’est pour tous les opposants au projet, et tout
particulièrement pour Michel Bühler, leur porte-étendard
Don Quichotte et les moulins à vent
Dans son récit Les Maîtres du vent,
le chanteur, écrivain et défenseur de nobles causes, relate la croisade
menée par les opposants pour tenter de saborder ce projet qui a divisé
la population entre deux camps presque égaux.
«Il s’agit là d’un texte partisan. Oui, j’utilise parfois des termes
qu’on pourra juger excessifs. Je les assume.» Le narrateur annonce la
couleur. C’est l’indignation, la colère, une infinie tristesse qui ont
mobilisé sa prise de position et son coup de gueule.
Déni de justice, mensonges et dissimulation, Bühler ne botte pas en
touche. Il s’insurge contre les affirmations erronées du TF. Il s’était
fendu d’une lettre adressée aux membres du Conseil national et du
Conseil des États. Sur 246 personnes contactées, seul un conseiller UDC
lui a répondu aimablement.
Retour sur image
À la fin des années 90, un promoteur – qui a le feu vert du Canton – a
le projet d’implanter quatre éoliennes sur le Mont des Cerfs et trois
autres aux alentours des hameaux de Gittaz. Neuf ans plus tard, à la
demande de Romande Énergie SA, la commune accepte de débloquer
CHF 30’000.00 afin de participer au financement d’un crédit
d’étude.
À peine le projet connu, une association se constitue. En 1999, elle
réunit suffisamment de signatures pour provoquer un référendum. 60 %
des citoyens de la commune refusent ce crédit. La commune se retire de
l’affaire. Mais les autorités cantonales ont la dent dure. Elles
reprennent le projet à leur compte.
Faire le procès de l’éolien, les opposants s’y sont attelés. Bien que
conscients des enjeux énergétiques, ils se sont informés sur les
nuisances que les aérogénérateurs engendrent, sur leur faible
rendement, sur les coût énormes de leur fabrication et de leur
installation, sur les subventions empochées par le promoteur, etc., etc.
En 2005, le Canton confie le dossier à Romande Énergie. Sept ans plus
tard, votation populaire. La catastrophe de Fukushima vient de se
produire. C’est «oui» aux hélices.
Et l’on connaît la suite. Pour les détails de l’affaire, se référer au
récit de l’habitant de Sainte-Croix qui a consulté force de documents.
«Dans ces pages, il se peut que de menues incertitudes apparaissent ici
ou là. Elles sont dues au sentiment d’urgence qui m’a poussé à écrire
et ne changent rien au fond de l’affaire.»
Il porte l’estocade. «Toucher au domaine de l’éolien et la Suisse se
transforme en république bananière», Bühler dixit. Et d’ajouter dans la
foulée: «Ce n’est pas le vent qui fait tourner les hélices, mais les
subventions.»
Fin de la partie. Les trax ont débarqué au Mont des Cerfs et aux
Gittaz. Il ne reste plus aux opposants qu’à remiser les calicots,
ravaler leurs larmes et leur colère.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus, vendredi 11 mars 2021
Le vent a le goût salé des larmes
On connaît le Michel Bühler chanteur, auteur, compositeur. On retrouve le Michel Bühler écrivain et chroniqueur. Dans Les Maîtres du vent,
il raconte son combat contre la construction d’éoliennes sur les
hauteurs dominant Sainte-Croix et L’Auberson, dans le Nord vaudois.
L’enfant de la région raconte les affrontements autour du projet, au
sein de la population divisée quasi à parts égales, avec les autorités
locales et les responsables du projet, les diverses étapes
démocratiques. Le livre est traversé par la fougue et l’indignation.
Normal, Michel Bühler l’a écrit avec ses larmes.
G.S., Le Matin Dimanche, 16 janvier 2022
Très remonté contre l’éolien, Michel Bühler vient de
commettre un ouvrage qui s’en prend vertement au lobby soutenant le
développement de cette énergie. Sa cible: le parc sur les hauteurs de
Sainte-Croix et L’Auberson, dans son jardin vaudois. «J’écris pour
qu’une trace existe de ce qui est arrivé dans un tout petit coin de la
Suisse», écrit-il en préambule. Après vingt ans de lutte, le
chanteur se dit «indigné, atterré, en colère et triste» de voir des
bulldozers se comporter maintenant comme des envahisseurs. «On déboise,
on coule dans nos prés des tonnes de béton», dit-il. Sans compter que
ce site a divisé le village en deux. Publié chez Campiche, l’essai Les Maîtres du vent
revient sans aménité sur l’arrêt prononcé en mars 2021 par le Tribunal
fédéral, justifiant l’intérêt national de ce projet. Pour Michel
Bühler, cette décision a «des conséquences d’une gravité extrême» sur
la crédibilité du TF et sur les populations subissant les nuisances de
l’éolien. Les journalistes en prennent pour leur grade. Peu critiques
et inféodés aux promoteurs, selon lui. Son constat est sans appel. Ces
pales «ce n’est pas le vent qui les fait tourner, ce sont les
subventions». Il n’a pas hésité non plus à s’adresser par courrier à
toute la classe politique à Berne «pour dénoncer cette pantalonnade».
Un seul député UDC lui a répondu. «Je ne m’attendais pas à une telle
unanimité dans le déni. Dès qu’on touche à l’éolien, la Suisse se
transforme en république bananière.» De plus, «notre région n’est pas
assez ventée».
AMR, Le Courrier, 22 janvier 2022
Courant d’airs
Bühler contre bulldozers
Lui-même, depuis plusieurs
décennies, tourne grâce à des airs. Pourtant, le chanteur vaudois
Michel Bühler combat les éoliennes, notamment celles qu’industriels et
autorités veulent à tout prix ériger dans sa commune de Sainte-Croix.
Mais il a des arguments et ce n’est pas du vent
À voir l’encore et toujours rebelle Michel Bûhler se démener comme un
beau diable contre les moulins à vent, on pourrait se méprendre. Ce
vieux ronchon ne serait-il pas rétif à toute forme de nouveauté? Ce
nostalgique têtu se cramponerait-il à ses sapins et à ses bouses en
refusant la moindre atteinte aux crêtes du cru? Le poète enragé contre
tout projet du pouvoir? Le Zapata du Jura larguerait-il la solidarité
dès qu’on touche à son pâturage carré? Préférerait-il à l’électricité
mitonnée dans les marmites nucléaires? Abuserait-il de la gentiane?
Non. En réalité, c’est sur une démonstration solidement étayée que
Michel Bühler fonde sa fronde. Au fil d’un récit limpide paru sous le
titre Les Maîtres du vent, il
retrace l’histoire du projet de parc éolien à Sainte-Croix et à
L’Auberson, assène les données et cite les sources, confronte les
promesses et les faits, décortique les aberrations et les manigances.
Bref: en lisant ses pages pugnaces, on comprend l’ardeur de l’auteur à
défendre ses hauteurs.
Forcément partisan, Bühler à le verbe fort et il l’assume: «Je suis
indigné, en colère, infiniment triste. Quand on a le sentiment d’être
victime d’un déni de justice, quand on est confronté au mensonge et à
la dissimulation {…} on est peu enclin à pratiquer une politesse
exquise.» Tant mieux. Mais quels sont ses griefs? Zoom arrière.
Référendum ignoré
Dans les années 1990, Romande Énergie S.A. et l’État de Vaud prévoient
de dresser sept éoliennes par là-bas en haut. Appâté, le Conseil
communal de Sainte-Croix se rallie au projet. mais la jacquerie gronde.
Groupés en association, les opposants obtiennent en 1999 un référendum
local qui flanque une bonne baffe aux autorités: 60% de non à un crédit
d’étude municipal. Ignorer ce vote, selon des états de droit demandés
alors par les vainqueurs, serait un «déni de droit démocratique», mais
les promoteurs et le Canton ignorent ce vote. Ça commence bien, et ça
préfigure la suite.
Au début, Bühler n’a rien contre les machines à vent. Pesant le pour et
le contre, il s’informe avec soin avant de conclure que le contre est
nettement plus lourd. D’abord, le rendement énergétique prévu est
plutôt faiblard, d’autant qu’en plein processus la Confédération revoit
ses calculs: entre 2016 et 2019, la force estimée des vents sur le site
de Sainte-Croix est carrément réduite de moitié, et la production du
parc en kilowattheures aussi. Est-il bien raisonnable de cochonner pour
si peu une nature intacte? Sans compter que la fabrication des hélices,
riches en matériaux rares, est salement polluante, que les engins ne
tournent que vingt ans et qu’ils ne sont pas recyclables. Que les
nuisances sur la qualité de vie des riverains sont amplement avérées.
Qu’à cet égard les normes suisses quant à la distance requise
entre un mât et une habitation datent du temps où les éoliennes ne
culminaient qu’à 30 mètres contre 150, voire 200 mètres aujourd’hui.
Que les machines trucident pas mal d’oiseaux et que leur implantation
écœure cervidés et galinettes sauvages. Qu’elles contrarient le
tourisme. Qu’elles dévaluent les bâtiments du coin et donc amenuisent
les recettes fiscales. Entre autres tares.
De fait, de plus en plus de scientifiques et de politiques, dont des
écolos convaincus, considèrent que l’éolien n’est plus la panacée.
Selon eux, il est bien plus futé de miser sur le solaire. C’est
d’ailleurs ce qu’a fait Bühler chez lui: grâce à l’isolation de ses
murs et aux panneaux sur son toit, le Vaudois produit plus de jus qu’il
n’en consomme («jus» s’entend ici au sens électrique uniquement).
Mais la résistance bühlérienne aux hélices draine aussi des réflexions
de fond. De un, le courant éolien profite à tous, mais ne nuit qu’à des
montagnards dont les voix comptent peu. Est-ce juste? Que se
passerait-il si l’on voulait imposer des hélices géantes en ville ou au
bord du Léman? Bonnes questions. De deux, les éoliennes rapportent: «Ce
n’est pas le vent qui les fait tourner, mais les subventions», souligne
Bühler. En clair, les contribuables paient, les consommateurs repaient
et les actionnaires encaissent. Un lobbying intensif aiguillonne dès
lors le zèle des autorités, avec à la clé des procédures douteuses et
des arguments rotors. À Sante-Croix en tout cas, et de trois, les
cachotteries, les diktats et autres combines, ainsi qu’un verdict
saugrenu du Tribunal fédéral, entachent la mise sur pied du projet
éolien. C’est gênant.
Documents à l’appui, Michel Bühler met tout ça en lumière tandis que
les bulldozers, depuis l’automne, raturent les pâturages: son combat
obstiné et argumenté contre les marchands de vent mérite une bise.
LAURENT FLUTSCH, Vigousse, 21 janvier 2022
Les Maîtres du vent,
c’est un titre qui inspire… Qui, de prime abord, insuffle un air de
poésie. Vent du dieu Éole, force invisible qu’on apprivoise pour en
tirer de l’énergie… Vent des paroles, celles, insidieuses, que l’on
sème et qui se dispersent parfois sans laisser de traces… Ce n’est que
du vent… Et pourtant ce souffle impalpable agite les esprits, provoque
bien des turbulences… Vent qui empêche de dormir la nuit…
Le texte en soi n’a rien de poétique: c’est le récit d’un long combat
juridique, où l’âme du poète y perd son latin en s’empêtrant dans les
articles de lois, les arrêtés du tribunal fédéral, le langage tatillon
des juristes, et surtout les complots qu’on ourdit, les tractations
silencieuses qui tissent leur toile de fond.
L’enjeu est pourtant clair: l’installation d’un parc d’éoliennes sur
les hauteurs de Sainte-Croix. Au départ, il s’agit d’une simple
confrontation d’opinions; il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont
contre. Chacun avance ses arguments. Là où certains ne voient qu’une
belle source d’énergie verte, d’autres mettent en doute ce dogme de la
bonne conscience écologique et questionnent à propos des nuisances sur
la santé, le paysage… Il faut voter… Et puis le combat change
radicalement de visage quand on se rend compte que les jeux sont déjà
faits, que le sort est scellé depuis longtemps sur le terrain de la
politique et des lobbies économiques. Quand on comprend qu’on nous
traite comme de petits pions sur l’échiquier des «parties prenantes».
On se bat désormais pour une cause existentielle: sa légitimité de
citoyen, son droit, ses valeurs… Et sa fierté de péquenot! N’en
déplaise aux visionnaires qui pensent voir plus haut, plus loin que
tout le monde. Cette histoire qui pourrait être perçue comme une petite
affaire loco-régionale de peu d’envergure, prend soudain une dimension
universelle: c’est le symbole de la résistance contre la logique du
pouvoir et de l’argent.
Mais quand les Maîtres du vent ont détourné l’élément à leur profit, il
ne reste que le silence du désarroi. D’où peut-être l’urgence de sortir
ce livre, tel un cri du cœur, une diatribe contre la résignation de
ceux qui ont laissé faire. Un texte militant, mais l’écriture sert
aussi à défendre des causes, les grandes comme les petites. Dans ce
registre, la parole de Michel Bühler est sincère et percutante. Il
faudra sans doute un peu de temps et une certaine prise de distance
pour que le chanteur et l’écrivain puisse nous faire sentir l’esprit
des montagnes de Sainte-Croix et l’âme de ses habitants qui, quoi qu’il
arrive, ne se laisseront pas mystifier et détourner par les Maîtres du
Vent.
Blog de FRÉDÉRIC LAMOTH
«Les technologies vertes – devenir vert – c’est plus gros
qu’Internet. Cela pourrait être la plus grosse opportunité économique
du XXIe siècle ». John Doerr, Salvation (and Profit) in Greentech
John Doerr est un capital-risqueur, l’un des premiers investisseurs de Google et d’Amazon.
L’éditeur Bernard Campiche, dorénavant installé à Sainte-Croix, a
commencé en fin d’année dernière à publier les œuvres complètes, en
version poche (camPoche), de Michel Bühler, le plus connu des habitants
de Sainte-Croix. Le second volume, paru en décembre 2021, est un
inédit, intitulé Les Maîtres du vent,
qui prend justement pour cadre cette commune du canton de Vaud, située
dans le district du Jura-Nord vaudois entre Yverdon-les-Bains, Fleurier
et Pontarlier. Un titre dont on perçoit dès les premières pages la
portée ironique: ces Maîtres du vent ne dominent leur élément que du
haut de leur prétention, de leurs mensonges et de leur cupidité.
De quoi s’agit-il?
Un parc industriel éolien va s’implanter de gré ou de force (les
travaux de défrichement ont débuté l’année dernière) sur les hauteurs
dominant Sainte-Croix et L'Auberson. L’acharnement des industriels et
des autorités vaudoises à imposer ce projet, malgré vingt ans
d’oppositions qui ont déchiré la population, vient du fait que les
éoliennes de Sainte-Croix, en tant que plus ancien projet vaudois, sont
devenues un symbole: si la résistance citoyenne devait l’emporter, tous
les autres parcs prévus seraient remis en question; dans le cas
contraire, la voie deviendrait libre pour dénaturer les crêtes du Jura
par l’implantation d’une nouvelle espèce d’arbres de 150 mètres de
hauteur et dont l’espérance de vie – mais sûrement pas l’exposition de
leurs carcasses – ne dépasserait pas vingt ans.
Les Maîtres du vent est
la chronique de cette résistance citoyenne tenue par un membre du
conseil communal – Michel Bühler était alors élu socialiste au conseil
communal de Sainte-Croix avant qu’il ne démissionnât de l’un et de
l’autre –, une chronique qui se transforme vite en une sorte de
catalogue de toutes les entorses au processus démocratique qu’une
Municipalité, en l’occurrence celle de Sainte-Croix (et derrière elle
les investisseurs qui la téléguident), emploie pour s’imposer au
conseil communal (contrats secrets, rétention d’informations, politique
du fait accompli, manipulations, omissions, mensonges, etc.)
L’auteur commence par planter le décor: la commune de Sainte-Croix se
situe «à une altitude de mille mètres. Presque six mille habitants. Un
gros village dans une cuvette, Sainte-Croix, où vit la majorité de la
population. Au nord ouest, une longue crête, le Mont des Cerfs. De
l’autre côté, un village rue, L'Auberson, et divers hameaux sur le
plateaux des Granges. La frontière avec la France court pas loin, dans
les forêts de sapins. Autour, des montagnes dont les plus hautes
culminent à mille six cents mètres, le Chasseron, le Cochet, les
Aiguilles de Baumes.» Autrement dit, des lieux épargnés par la
modernité, dont les constructions les plus récentes remontent à
cinquante ans au moins.
Personne, même le plus illuminé des promoteurs, n’aurait l’idée
saugrenue de construire une zone industrielle dans un tel décor, et si
c’était le cas, il ne se trouverait pas un seul citoyen qui ne s’y
opposerait pas aussitôt. Et pourtant, l’idéologie écologique peut être
si aveuglante (et les profits qu’elle engendre si importants) qu’une
bonne partie de la population ne voit pas d’un si mauvais œil
l’implantation d’un parc éolien en un lieu naturel préservé.
Car il ne faut pas s’y tromper, l’implantation d’aérogénérateurs, une
fois le vert de l’idéologie effacé, c’est ni plus ni moins
l’industrialisation des campagnes et des montagnes: pollution du sol
(par éolienne, 1500 tonnes de béton, des tonnes d’acier, de fonte, de
cuivre et d’aluminium, présents dans la nacelle et le mât), pollution
sonore (jusqu’à 40 dBA par éolienne), effets sur la santé des habitants
(stress, maux de têtes et dépressions provoqués par les infrasons), des
pales qu’on ne peut pas recycler, qu’il faudra enterrer en fin de vie,
sur lesquelles se forment en hiver, lorsqu’elles sont à l’arrêt, des
blocs de glace pouvant être projetés à trois cents mètres au moment de
la remise en marche (gare aux promeneurs et aux skieurs de fond) – à ce
sujet, il est prévu de chauffer les pales pour éviter ce risque; avec
de l’électricité d’origine nucléaire?
Seulement voilà! Le plus souvent, l’idéologie verte ne fleurit pas dans
nos montagnes et dans nos campagnes, mais dans nos villes, par une
espèce communément surnommée «bobo», des citadins qui ont parfois
acheté un petit bout de terrain et qui s’opposeraient férocement à
l’implantation d’éoliennes dans leur arrière cour ou sur les lacs dont
ils dominent la vue. Mais du moment que ces grandes hélices tournent
loin de leur regard… Qu’ils imaginent pourtant une cinquantaine
d’éoliennes sur le Léman, de Cologny à Nyon. Ça vous aurait une de ces
gueules!
Mais je m’égare. Revenons à nos moutons et à Sainte-Croix.
Ce qui provoque avant tout l’ire de Michel Bühler, c’est le jugement
rendu par le Tribunal fédéral suisse (TF), le 18 mars 2021, par lequel
le parc industriel éolien prévu sur les hauts de Sainte-croix se voit
attribuer l’appellation d’«intérêt national». En voici la justification:
«Les installations de production d’énergie éolienne offrent en effet de
la flexibilité de production dans le temps et en fonction des besoins
du marché et contribuent de manière significative à la sécurité de
l’approvisionnement, en particulier en hiver où la consommation
électrique est la plus élevée, en permettant de charger ou de décharger
le réseau selon les besoins.»
Ah bon! En somme, selon les juges fédéraux qui ont rendu publiques ces
insanités – des juges dont le pouvoir est absolu et dont la parole ne
peut être contestée – les éoliennes peuvent fournir du courant même
lorsqu’il n’y a pas de vent, et fonctionner à volonté, dans les deux
sens, comme si elles étaient dotées à leur base d’un petit robinet
qu’on pourrait ouvrir et fermer au gré de nos besoins. À moins que, en
fait de robinets qu’on ouvre, il ne faille voir là la magie des
subventions fédérales qui font tourner les pales et qui assurent la
rentabilité de ces engins plus sûrement que le vent. (Pour information,
la Confédération assure aux promoteurs un rachat de chaque
kilowattheure à un tarif bien supérieur au prix du marché, un cadeau
aux actionnaires généreusement financé par vous et moi).
«Même les partisans les plus convaincus de l’industrie éolienne, même
les lobbyistes les plus grassement payés et les plus acharnés
n’oseraient pas publier des âneries comme celles qui sont proférées
ci-dessus», s’écrie l’auteur. On le comprend. Tout le monde sait, même
le plus ignorant, que l’énergie produite par des aérogénérateurs est
une énergie dite «intermittente», c’est-à-dire correspondant à des flux
naturels qui ne sont pas utilisables en permanence et dont la
disponibilité varie fortement sans possibilité de contrôle. Exactement
le contraire des affirmations du TF dont les arrêts, aussi ineptes
soient-ils, sont pourtant sans appel. «Qu’est-ce donc qui peut
expliquer l’existence, ici, d’une telle faute professionnelle?
L’incompétence, le manque d’information, le travail de sape des
lobbies? Bien sûr, j’hésiterais à ajouter à cette liste de suppositions
d’autres raisons...» se questionne légitimement Michel Bühler. (Selon
des estimations, on devrait hérisser la Suisse d’au moins 4500
éoliennes pour espérer remplacer les centrales nucléaires, «en priant
Dieu qu’il fît du vent» comme le chante Brassens.)
Sauf que, même incohérent, même mensonger, l’arrêt du TF est un oukase
qui sonne le glas des résistants de Sainte-Croix. Quand il est question
d’énergie renouvelable, la démocratie s’efface. Aux opposants, il reste
la dérision. C’est en ce sens que Michel Bühler se propose de créer une
nouvelle ONG répondant au sigle SSF (Souffleurs Sans Frontières), qui
serait formée de volontaires ayant pour mission, les jours où Éole
paresse ou fait grève, d’aller souffler sur les pales pour les faire
tourner. Ainsi, le Tribunal suprême, qui ne peut pas avoir tort, ne
sera pas pris en défaut. Car si la réalité se trouve en contradiction
avec une affirmation d’une de nos institutions essentielles, dont les
arrêts sont sans appel, c’est donc sur la réalité qu’il faut agir.
CQFD. Dans les tragédies classiques, celles de Racine particulièrement,
cette rédemption à l’envers est celle de Dieu par l’homme. À
Sainte-Croix, plus modestement, ce sera celle des Institutions pas les
citoyens. Patriotes, à vos marques!
Michel Bühler précise que certains habitants des villes qui rêvent de
polluer les crêtes, jurassiennes ou autres, pourraient être obligés, au
vu de leurs opinions, de venir souffler solidairement avec lui. Mais
que ceux-ci se réjouissent! Outre la bouche et le nez, les souffleurs,
pour éviter au TF le ridicule, pourront mettre à contribution d’autres
orifices naturels. Après un bon repas, quel joyeux défoulement! Et l’on
verra bien, alors, qui sont vraiment les maîtres du vent! Dernière
précision: les animaux sont admis (les vaches souhaitées), et tant pis
pour les émissions de CO2!
Enfin, pour se mettre au diapason des usages en vigueur dans les
milieux de l’éolien, il sera observé la même opacité: toute
contribution financière à cette ONG salvatrice de nos institutions
restera strictement confidentielle. Vous êtes donc tous invités à
passer au domicile de Michel Bühler à Sainte-Croix pour glisser vos
billets sous sa table.
Vive la Confédération! Vive le TF!
PIERRE BÉGUIN, Blogres
https://blogres.blog.tdg.ch/archive/2022/01/07/les-maitres-du-vent-319524.html
«Les mots sont mes seules armes.»
Avec Les Maîtres du vent,
paru chez Bernard Campiche, Michel Bühler signe un texte partisan, qui
retrace, de son point de vue, les péripéties et les rebondissements du
projet de parc éolien de Sainte-Croix. Un devoir de mémoire.
La construction en cours du parc éolien à La Gittaz et au
Mont-des-Cerfs. sur les crêtes dominant Sainte-Croix, est le dernier
acte d'une saga qui a débuté il y a une vingtaine d'années déjà. Une
perspective qui a divisé et divise encore la population de la commune
qui, depuis le séisme de la désindustrialisation dans les années 1980,
s'appuie sur un artisanat haut de gamme dans la mécanique d'art
et sur le tourisme doux. Les visiteurs viennent de Suisse alémanique,
de Lausanne ou de Genève pour profiter de la nature et de la
tranquillité.
L'écrivain et chansonnier Michel Bühler a ressenti le besoin de se
pencher sur ces années, et de convoquer sa mémoire pour rédiger Les Maîtres du vent,
paru chez Bernard Campiche. L'auteur explique dans un préambule avoir
consulté de nombreux documents, dont il tient les références à la
disposition des lecteurs qui souhaiteraient en prendre connaissance. Il
admet que «de menues inexactitudes peuvent apparaître ici ou là. Elles
sont dues au sentiment d'urgence qui ma poussé à écrire et qui ne
changent rien au fond de l'affaire», relève-t-il.
Laisser une trace
«Depuis toujours, les mots sont mes seules armes, tant dans mes
chansons que dans mes autres écrits», évoque l'écrivain. «Aujourd'hui,
en face, nous avons d'énormes intérêts financiers, je le sais. Mais je
crois en le pouvoir de la vérité. Je n'ai pas peur», confie le
septuagénaire à propos de sa motivation pour écrire ce livre. «J'écris
là pour qu’une trace existe, de mon point de vue, de ce qui est arrivé
dans un tout petit coin de la Suissee...»
À travers l'exemple de Sainte-Croix, il relaie les doutes et les
craintes de ceux qui se sont interrogés au fil du temps sur ces
machines encore peu connues en Suisse dans les années 1990, que l'on
suppose brasser l’air en silence comme de gigantesques moulins à vent.
À l'époque, on ne parle ni d'infrasons, ni de problèmes de santé, ni
d'oiseaux déchiquetés ou de tonnes de béton enfouis dans les pâturages
et forêts. «À l'évidence, et pour beaucoup, l'éolienne représentait le
progrès qui permettait, en plus, de se tirer des griffes de l'hydre
nucléaire», écrit Michel Bühler, qui relève aussi que «déjà, dans la
commune, quelques personnes ne sont pas convaincues par cette image
idyllique».
Le lecteur découvrira au fil des 140 pages de l'ouvrage l'argumentaire
de Michel Bühler, tel qu'exprimé lors de ses prises de position,
notamment au Conseil communal où il a siégé jusqu'à la fin de la
législature. «J'utilise parfois des termes que l'on pourra juger
excessifs, je les assume», prévient l'auteur. On retrouve ce ton
incisif et accusateur quant à diverses prises de position de la
Municipalité de Sainte-Croix, mais aussi à la décision du Tribunal
fédéral qui anéantit la démarche des opposants en argumentant,
notamment, que l'énergie éolienne est actionnable à la demande.
Pesée d'intérêts
Michel Bühler, engagé depuis vingt ans avec d'autres dans une
résistance «déterminée et motivée» contre les côtés sombres des
aérogénérateurs, l'affirme: «...comme une importante partie des
habitants de la Commune, je pense que le parc industriel éolien est
néfaste pour la région, tant pour ce qui concerne la santé des
habitants que sur les plans financier et touristique. Une simple pesée
d'intérêts fait nettement pencher la balance en défaveur de ces énormes
machines.»
Qu'attend-il, avec la parution de ce livre?» «Le TF“autorise”la
construction, il ne l“oblige”pas! Si le parc se fait, c'est qu'il y a
une volonté de la Municipalité et de Romande Énergie. J'attends qu'en
conséquence, on renonce à cette construction et qu'on remette nos
pâturages dans leur état d'origine», répond Michel Bühler.
Dans cet ouvrage où l'amertume et la véhémence du propos se côtoient
souvent, on trouve aussi des passages plutôt sarcastiques, comme la
création des Souffleurs sans frontière.
«C'est un gag, une nouvelle ONG que j'ai imaginée pour souligner le
ridicule de la décision du TF. En effet, ce tribunal suprême ne peut
avoir tort, jamais! Donc, pour qu'il ait raison, en tout temps, je
propose de former des brigades de volontaires qui iront, les jours sans
vent, souffler sous les éoliennes pour les faire tourner. Ainsi, le TF
aura raison, et tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes!»
L'auteur a d’ailleurs envoyé un exemplaire des Maîtres du vent à la Présidente du Tribunal fédéral, en lui souhaitant une bonne lecture.
CLAUDINE DUBOIS, Journal de Sainte-Croix et environs, 31 décembre 2021
Un
parc industriel éolien est projeté sur les hauteurs dominant
Sainte-Croix et L'Auberson depuis plus de vingt ans, par des gens qui
semblent se prendre pour les maîtres du vent.
Depuis plus de vingt ans, cette perspective divise la population de toute la commune en deux camps quasiment égaux.
Tandis que les municipalités successives, les autorités cantonales et
le promoteur Romande Énergie faisaient tout ce qui était en leur
pouvoir pour que ce parc voie le jour, des citoyens et des associations
multipliaient les recours et les actions pour échapper à ce qu'ils
considéraient comme une calamité.
Au fil du temps, les péripéties et les rebondissements ont été nombreux.
Alors qu'un nouvel acte (le dernier?) est en train de se jouer, il me
paraît indispensable de revenir sur ces événements. J'osais espérer que
le sujet intéresserait quelqu'un, un journaliste par exemple… Personne
ne se penchant sur ces années, je me suis mis à l’ouvrage, j'ai pris
mon plus beau clavier et convoqué ma mémoire.
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