«Les directives anticipées sont un acte de vie, pas un testament»
Quelle limite met-on aux soins
si l’on est inconscient? Éric Masserey a couché ses volontés sur le
papier. Un exercice délicat dont le médecin a tiré une pièce, jouée à
Renens
Vous venez d'avoir un AVC. Vous êtes aux soins intensifs, inconscient.
Quels traitements acceptez-vous? Souhaitez-vous une réanimation à tout
prix? Quelles conséquences êtes-vous prêt à assumer? Des questions
complexes, éminemment personnelles. Éric Masserey fait partie des rares
Vaudois (14% environ) à avoir rédigé des directives anticipées. «Peu de
gens les connaissent, peu de gens les écrivent, regrette l'écrivain –
par ailleurs médecin cantonal adjoint. Tout ce qui est médicalement
possible n'est pas souhaitable, ni souhaité.» S'il juge la démarche
fondamentale, il pointe du doigt l'hermétisme des formulaires ad hoc et
la difficulté à les remplir. Un «parcours du combattant» dont il a
tiré, en 2016, un spectacle intitulé J'ai pas fini!.
C'est un décès dans sa famille qui décide Éric Masserey à édicter ses
directives médicales anticipées. «Une fois devant le formulaire, ça
s'est gâté. Comment répondre à ces questions? Comment expliquer mon
attitude face à la vie, mes craintes par rapport à la maladie et à la
mort, aux dépendances, à la douleur, aux limitations physiques?»
Le choix des cinq sens
Éric Masserey prend du recul, réfléchit. Il identifie les fonctions
dont il refuse de se passer: l'attention, la concentration, le
raisonnement, la mémoire, les émotions. Il précise dans ses directives
– publiées aux Éditions Bernard Campiche – qu'il souhaite une expertise
médicale pointue sur la question. «Si, selon toutes probabilités, il
n'y a pas de récupération possible ou seulement limitée de ces
fonctions cérébrales supérieures, je ne veux pas être réanimé.»
Il se penche aussi sur les entraves physique qu'il est prêt – ou
non – à accepter. «Je pourrais me passer du goût et de l'ouïe. Je
supporterai d'être paraplégique mais pas tétraplégique parce qu'une
définition de la mort, pour moi, est de ne plus pouvoir tourner les
pages d'un livre.»
Autre point central: la gestion de la douleur. Éric Masserey demande au
corps médical de recourir à tous les moyens pour l'«éteindre», même si
cela doit le plonger dans l'inconscience. «Dans un monde idéal,
j'aimerais mourir les yeux ouverts et ne pas manquer ce moment. Mais je
ne veux pas souffrir. Je préfère être non souffrant et inconscient que
conscient et souffrant.» Il ajoute sa «volonté médicale ultime: Je ne
veux en aucun cas mourir de soif. Jamais! Quand tout sera fini,
l'espoir, la vie, demain, je demande à être arrosé, hydraté
correctement.» Et de donner des instructions précises aux équipes en
prévision de l'heure du grand départ: augmenter massivement les doses
de morphine, débrancher les appareils et laisser la morphine couler
jusqu'à l'arrêt respiratoire.
«Les directives anticipées font peur car les gens les voient comme des
dernières volontés. Mais ce n'est pas regarder la mort en face; c'est
regarder la vie en face. C'est un acte de vie, pas un testament.»
Quelle vie, pour chacun d'entre nous, vaut la peine d'être vécue? Cette
question est au cœur des formulaires, selon l'écrivain. «Y répondre
permet au corps médical de savoir ce qui est important pour le patient
et oriente la prise en charge. Les gens s'accordent en général pour
dire qu'ils refusent l'acharnement thérapeutique. Mais cette notion est
vague. Où commence et où s'arrête une réanimation? Ce n'est pas si
clair. Autant donner son avis et éviter que d'autres décident pour
nous. Le droit à l'autodétermination est un enjeu absolument crucial.»
Il relève qu'en plus de rester acteur de sa destinée, poser les limites
de sa prise en charge libère ses proches. «Ils ont autre chose à vivre
que décider si les médecins doivent aller jusqu'au bout de ce qu'ils
peuvent faire.»
Des conseils pour se lancer? «Se laisser parler, écrire sans détour ce
qu'on aime dans la vie: sortir dans la rue, boire son café, jouer de la
musique… L'exercice peut être pris comme un récit de vie.»
Dur de s'y coller tout seul
Avec de l'aide, c'est plus facile. Éric Masserey rêve «d'une rédaction
systématique accompagnée par des professionnels ayant la capacité de
faire émerger ces directives anticipées. Je pense au médecin
généraliste, par exemple. Fournir des formulaires – par exemple à
l'entrée en EMS – ne suffit pas. Cela va plutôt continuer à faire peur.»
Certains médecins en ont fait un thème central d'échange avec leurs
patients, comme le Dr Michaël Hagmann, généraliste à Pully. «Les
discussions consenties pour la rédaction des directives anticipées sont
la source de clarifications salutaires sur un sujet que beaucoup
n'osent pas aborder spontanément», écrit-il dans le dernier «Courrier
de l'AVIVO, l'Association de défense des retraités». Si cette
discussion est intense, elle aboutit paradoxalement à des directives
courtes puisque le représentant thérapeutique devient alors très
éclairé.»
L'AVIVO soutient le mouvement et organise, à l'issue de la
représentation de la pièce d'Éric Masserey le 13 novembre, un débat qui
laissera une large place aux questions du public. L'occasion de lever
les doutes, et peut-être quelques peurs.
MARIE NICOLLIER, 24 Heures
«La médecine est devenue une puissante machinerie»
Médecin et écrivain. Éric Masserey a fait des fameuses «directives anticipées» une pièce explosive
Encore méconnues, les
directives anticipées sont des dispositions qui indiquent ce qu'on
souhaite ou ce qu'on refuse en termes de soins en cas de perte de
discernement. Liées à la fin de vie, des questions éthiques profondes
dont s'est emparé le médecin et écrivain Éric Masserey pour en faire un
livre, puis, l'année dernière, une pièce de théâtre explosive,
désormais appelée à tourner en Suisse romande. Médecin cantonal adjoint
dans le canton de Vaud
Blaise Willa. Pourquoi les directives anticipées ont-elles si peu de succès en Suisse?
Éric Masserey. Par
méconnaissance, d'abord: très peu de gens en ont entendu parler. Quant
à ceux qui les connaissent, ils en ont souvent été informés
tardivement, dans des circonstances liées à la fin de vie.
Blaise Willa. À quoi servent ces directives?
Éric Masserey. Elles
permettent de dire ce que vous voudrez ou ne voudrez pas lorsque vous
aurez besoin de soins. Aujourd'hui, la médecine est devenue une
puissante machinerie où l'on est soigné avec des procédures et des
algorithmes. Les soignants sont donc moins engagés dans l'art personnel
de soigner. Comme individu, il devient donc essentiel de dire ce qu'on
veut. Cele donne à chacun une garantie que les soins qu'on reçoit sont
bien ceux qu'on voulait. Mais que ces soins, aussi, ne seront pas
donnés au-delà de nos vœux.
Blaise Willa. L'objectif est donc légitime!
Éric Masserey. Oui, mais
est-il atteignable? Depuis 2013, ces directives sont contraignantes et
doivent faire autorité par rapport au pouvoir médical. Mais, en
pratique, tout devient très vite complexe: quand commence et finit la
réanimation? La perfusion de soutien cardiaque est-elle de la
réanimation? Vous avez 82 ans et vous avez rempli vos directives
anticipées demandant clairement de ne pas être réanimé. Les médecins
l'ont pourtant fait, car tout le reste était O.K. C'est là, à mon avis,
que devrait intervenir l'art de soigner, qui semble avoir un peu
disparu des soins aigus.
Blaise Willa. L'art de soigner, c'est quoi? Le bon sens du médecin?
Éric Masserey. On a
énormément gagné en capacité de soins, aujourd'hui. Nos moyens pour
maintenir la vie sont devenus extraordinaires. Ajoutez à cela la
manière dont fonctionne le système de santé, moins personnalisé:
beaucoup de métiers sont devenus médicotechniques et le médecin qui
reçoit le patient à l'hôpital ne le connaît pas. La personnalisation du
lien s'est donc distendue. Pour ma part, je date d'une époque où le
médecin suivait son patient avant, pendant et après l'hôpital, que le
médecin ait congé ou non. Le sens qu'on donnait aux soins et les moyens
mis en œuvre étaient naturellement impliqués dans l'engagement
relationnel. De cette absence, je pense, sont nées les directives
anticipées.
Blaise Willa. Des questions économiques se sont aussi greffées sur le débat…
Éric Masserey. C'est
vrai, on est toujours à un millimètre de parler de gros sous! Dans ma
pièce, c'est du reste un assureur qui évoque les directives de manière
très provocante. Il dit des choses épouvantables et la dame en est
stupéfaite. Ne serait-elle donc qu'un numéro, comme le laisse supposer
la pièce? Qu'une mesure d'économie? Entre l'époque où il n'était pas
question de laisser une personne dans un EMS sans soins aigus et,
aujourd'hui, où des patients refusent d'aller à l'hôpital pour vivre
une fin de vie confortable, accompagnés par la morphine, il y a des
différences de prix énormes, pour ne mentionner que cet aspect.
Quelques milliers de francs par jour à l'hôpital. Mais il y a aussi un
coût humain: des gens seront peut-être choqués qu'on laisse mourir une
personne à la maison ou dans un EMS… Il manque, là, un discours et une
pédagogie qui dépassent clairement le formulaire!
Blaise Willa. Comment faire passer le message?
Éric Masserey. L'objectif premier est dans le partage: les directives
anticipées, c'est un sujet qui doit être discuté entre le patient, la
famille, les accompagnants, les soignants, les jeunes, et aussi à
l'échelle de la société. Tous font partie de la même aventure commune.
Blaise Willa. Quels mots utiliser?
Éric Masserey. Le
formulaire est forcément imparfait: soit trop court, soit ce qu'il
faudrait est trop long. La seule chose qui garantit que les soins
soient ceux que l'on désire, c'est la connaissance de sa propre
histoire. Autrement dit, ce qui, ce qui a compté pour nous dans notre
vie, ce qui est là: des choses simples et profondes. Vais-je à
l'église, a-t-elle une valeur pour moi? Ai-je vécu en société ou plutôt
seul? Quel rapport ai-je à la souffrance, à la peur de la mort? Que
signifie pour moi avoir une belle mort? Autant d'informations qui
aiguilleraient les soignants dans le soin et dans sa durée.
Blaise Willa. Un leitmotiv qu'on entend souvent, c'est surtout «Je ne veux pas souffrir…»
Éric Masserey. Je
comprends. Mais jusqu'où va-t-on? jusqu'à l'inconscience? Cette
question peut déprendre de mille choses, de l'évaluation que j'ai eue
comme patient, des relations que j'ai avec mon entourage, de ce que
j'ai réglé ou non. Je ne veux pas souffrir certes, mais je ne veux pas
faire souffrir non plus! Si mon enfant a besoin de régler des comptes
avec moi, gardes-mots, conscient… On a un problème de limite. Toutes
ces questions exigent une capacité d'introspection qui n'est, de loin,
pas commune et qui manque de repères depuis la fin de l'hégémonie des
religions et des rituels funéraires.
Blaise Willa. Mais un formulaire suffit-il pour autant?
Éric Masserey. Il faut
longuement détricoter le texte pour le comprendre. C'est l'Académie
suisse des sciences médicales qui l'a introduit, comme outil pour les
médecins. Mais, pour les patients, le formulaire ne suffit pas: tant la
forme que les questions qu'il pose sont à mon avis trop confrontantes?
Dans ma pièce, je montre bien que ce formulaire n'est pas facile
d'accès. Sans le disqualifier, j'ai voulu en montrer les limites, en
posant des questions de fond: qu'est-ce que cela dit de nous, qui
utilisons un formulaire pour poser ces questions? Qu'est-ce que cela
dit des soins actuellement?
Blaise Willa. Et qu'est-ce que cela dit des médecins? Se sont-ils égarés sur la route?
Éric Masserey. Chacun, je
crois, se sent très seul face à ces questions, aujourd'hui. Ni la
société ni les passeurs d'autrefois ne sont là pour nous accompagner.
Un formulaire, c'est terrible, mais c'est aussi un début fantastique,
car il va nous permettre de nous réapproprier ces questions.
Blaise Willa. Alors, comment faire passer ce formulaire?
Éric Masserey. Faut-il
des mots, qui affrontent aussi directement notre propre mort? Si cette
démarche est symbolique, pourquoi ne pas prendre plutôt, par exemple,
des images de paysages? De la musique? Des visages? Tout dépendra de
chaque individu. Il faut surtout créer un cadre de confiance, un
dialogue qui a peut-être disparu. Le formulaire, idéalement, devrait
être là pour lancer la discussion, afin qu'on se réapproprie ces thèmes
trop négligés.
Blaise Willa. Pratiquement, on fait comment?
Éric Masserey. Penser
d'abord à une rencontre de famille ou à un bon repas pour en parler
ensemble. C'est un acte de vie à partager et qui permet de réaffirmer
ce qui compte. C'est d'une certaine manière l'humanité d'une personne
qui va interroger l'humanité de ses proches ou des soignants.
Blaise Willa. Et qui devrait assurer cette pédagogie?
Éric Masserey. Le
médecin, avant la famille. Il doit être partie prenante. C'est lui peu
ou prou qui est en contact avec son patient dans cette période. Et
c'est aux patients et à leurs proches de l'interpeller! Tiens,
demandez-lui de l'aide pour remplir le questionnaire: vous verrez,
c'est ainsi que naîtra, je l'espère, le processus de réflexion qui
permettra d'être le plus clair possible sur la manière dont on veut
être soigné. Mais au nom de quoi engager ces réflexions, allez-vous
dire? Mais au nom de notre humanité, de notre finitude! Cette question
peut être esquivée, bien sûr, mais si on l'entreprend, c'est une
réflexion féconde, qu'on peut mener essentiellement et même avec un
brin d'humour.
Blaise Willa. Pour le médecin, où commence et ou s'arrête le laisser vivre?
Éric Masserey. Une fois
signées, ces directives, je le rappelle, sont contraignantes. Elles
rendent donc service au soignant. Et, pour le patient, elles lui
permettent d'être encore lui quand il ne peut plus le dire. Bien sûr,
certains vœux vont entrer en confrontation avec les protocoles
médicaux, comme le fait d'hydrater une personne qui a demandé à ne plus
l'être… La loi interdit l'euthanasie active. Comment règle-t-on cela?
L'art de soigner, c'est aussi l'art d'accompagner dans la mort. Je
regrette qu'Exit ait un tel succès, mais je comprends à quoi cela
répond: ce sont les types de soins qu'on prodigue aujourd'hui qui ont
permis cela. Exit a fait son nid dans un espace que rien ne remplit.
Les directives ne sont pas une alternative. Mais, par la réflexion et
les garanties qu'elles donnent, cela évite que le recours à Exit reste
pulsionnel, parce qu'on estime qu'il ne reste rien d'autre.
Blaise Willa. À titre personnel, quelle serait la limite pour vous?
Éric Masserey. Si j'ai,
un jour, 90 ans, si j'ai bien vécu, mais que je ne peux plus lire et
que personne ne me fait la lecture, si je dois aller à l'hôpital pour
la troisième fois pour un AVC, et bien, là, je demanderai à ce qu'on ne
me laisse pas «traîner». Même si j'ai des arrière-petits-enfants que
j'adore, cela sera ma décision.
Blaise Willa. Et si vous changez d'avis au dernier moment?
Éric Masserey. Les directives deviennent alors automatiquement caduques. Nous restons libres jusqu'au bout.
Blaise Willa. Qu'attendez-vous de votre pièce?
Éric Masserey. À titre
personnel, je dois vous dire que je serai satisfait quand ma pièce aura
contribué à l'émergence d'un discours. Il faut investir des nouvelles
façons de parler, qui interpellent et interrogent le spirituel. Oui, je
crois qu'on peut parler ici de théâtre engagé.
Propos recueillis par BLAISE WILLA, Générations Plus, mai 2017
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Les directives anticipées
Les directives anticipées permettent de fixer, à l'avance, les mesures
médicales qu'on approuve et celles qu'on refuse en cas de perte
soudaine de discernement, à la suite d'un accident ou d'une maladie.
Elles permettent ainsi légalement aux médecins de prendre plus
facilement des décisions difficiles et de décharger les proches. Les
directives anticipées de la FMH et de l'ASSM sont disponibles dans une
version légèrement remaniée, qui tient compte du nouveau droit de la
protection de l'enfant et de l'adulte, entré en vigueur le 1er janvier
2013 et qui reprend la terminologie du Code civil.
www. fmh.ch/fr/services/directives_anticipees.html
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Directives anticipées: parlons-en!
Comment voudrais-je être soigné, une fois à l'hôpital? À quel moment
vais-je renoncer aux traitements? Serai-je seulement capable de le
dire? A contrario, quand vais-je les exiger, moi qui tiens tant à dire
adieu à chacun? Et puis comment pourrai-je être certain que l'hôpital
et ses médecins, avec leur cortège de machines et d'algorithmes, ne me
réaniment pas contre mon gré, moi qui suis prêt, je crois, à mourir?
De toutes ces questions, graves, existentielles et pourtant très
pratiques, un médecin, Éric Masserey, en a fait un texte. Puis une
pièce de théâtre, J'ai pas fini,
présentée il y a quelques mois au Salon Planète Santé et appelée, on
l'espère bien, à tourner dans toute la Suisse romande. De quoi
parle-t-elle donc, cette pièce? D'un drôle de formulaire, inventé par
l'Académie suisse des sciences médicales, nommé «directives
anticipées». En gros, quatre pages aussi aimables qu'une déclaration
fiscale, qui vise à «fixer à l'avance les mesures médicales que l'on
approuve et celles que l'on refuse en cas de perte soudaine de
discernement suite à un accident ou à une maladie». Un formulaire,
lit-on aussi, qui permettra aux médecins «de prendre plus facilement
des décisions difficiles et de décharger les proches.»
Dans sa pièce, Éric Masserey met surtout en scène ce que ce formulaire,
dans son inhumanité, peut être un questionnaire administratif et froid,
comme seules les assurances maladie savent en produire. Mais l'auteur,
dans l'interview qu'il donne à «Générations Plus», s'explique et va
plus loin: ce que les directives, dans leur brutalité, disent de nous
et de notre temps, c'est surtout notre incapacité à parler de la mort,
à produire une pédagogie adéquate pour la comprendre, mais aussi notre
incapacité à l'introspection, à la confiance donnée, que nous déléguons
aujourd'hui à la science.
Éric Masserey, toutefois, reste optimiste: ces directives anticipées ne
sont pas suffisantes mais ne sont pas inutiles non plus. Avec un petit
effort, en particulier de son médecin, elles pourraient être une chance
d'ouvrir enfin la discussion, autour d'un repas, à la maison, sur ce
que l'on croit ou ne croit pas, sur ses valeurs, sur le cheminement de
sa vie, bref, sur tout ce qui pourra éclairer nos choix et les faire
connaître le moment venu. Ces directives seraient alors ce qu'elles
devraient être: une ouverture sur le sens et sur l'intime qui
résonnerait alors comme une apaisant réconciliation.
Éditorial de BLAISE WILLA, directeur de publication et rédacteur en chef de Générations Plus, mai 2017
Fin de vie: les directives anticipées au théâtre
La Fédération des médecins
suisses (FMH) propose un formulaire permettant à chacun de choisir
comment il préfère mourir. Mais rares sont ceux qui y ont recours. Une
pièce de théâtre, d'Eric Masserey, pose les questions essentielles
Acharnement thérapeutique ou refus d'une réanimation en soins
intensifs, don d'organe ou pas, les «directives anticipées» permettent
à chacun de poser par écrit ses choix personnels pour la fin de vie. La
Fédération des médecins suisses (FMH) propose un formulaire avec les
questions essentielles en 4 pages et une version plus courte sur le
modèle d'un questionnaire à choix multiples: en cas d'accident grave et
en incapacité de discernement, acceptez-vous d'être réanimé? Oui/non.
Ces dispositions existent depuis plus de 15 ans, mais qui les connaît?
Une grande majorité des patients en fin de vie n'y ont pas eu recours.
La santé publique de l'État de Vaud a décidé de nourrir le débat avec
une pièce de théâtre de l'écrivain et médecin Eric Masserey et dont la
première a eu lieu vendredi dernier dans le cadre du salon Planète
Santé à Lausanne.
Changement de paradigme
Le système de santé doit s'adapter aux nouvelles pathologies liées au
vieillissement de la population. Auparavant, centré sur la maladie à
guérir, il est désormais confronté à une prévalence des maladies
chroniques, explique Stéfanie Monod, cheffe du service de la santé
publique de l'État de Vaud et qui a une solide expérience en gériatrie,
sa spécialité: «Par le passé, le malade avait pour horizon la guérison
ou la mort. Aujourd'hui, les patients âgés, de plus en plus nombreux et
souffrant de plusieurs affections, n'ont plus pour perspective la
guérison totale, mais une rémission partielle, en d'autres termes la
meilleure option possible pour que tout ou partie de leur qualité de
vie soit préservée.» Il s'agit de repousser la mort en maintenant une
existence digne, dont seul le patient peut juger si elle vaut d'être
vécue ou non.
Mais le système de santé est mal armé pour s'adapter à ce changement de
paradigme. Il peine à répondre aux exigences d'un suivi continu,
explique Stéfanie Monod: «Les objectifs thérapeutiques sont partie d'un
équilibre subjectif entre ce que le sujet préfère en fonction de ses
valeurs et les réponses singulières que peut apporter le personnel
soignant.» C'est là qu'interviennent les directives anticipées: grâce à
elles, le patient couche sur le papier ses choix en matière de référent
thérapeutique, de réanimation, de transplantation et des traitements à
prescrire pour dissiper la douleur quitte à ce que ce dernier entraînât
la mort. Les dernières lignes concernent l'accompagnement spirituel
désiré et les dispositions sur le don d'organe. Une base légale rend
contraignants les souhaits consignés: le corps médical a l'obligation
d'en tenir compte.
Questionnaire délaissé
Pourtant, selon une étude menée dans le canton de Vaud, seuls 14% des
septuagénaires ont rédigé leurs «directives anticipées». Pourquoi donc
ces questions fondamentales autour de la fin de vie ne suscitent-elles
pas un plus grand écho? Elles confrontent à la mort, une pensée que
certains préfèrent éluder. En plus, cette expression presque
testamentaire fige l'état d'une réflexion à un moment donné. Si j'écris
mes souhaits maintenant, puis-je encore changer d'avis? «Nous avons une
énorme capacité de résilience. Une personne saine peut théoriquement
préférer la mort plutôt que de souffrir un lourd handicap. Mais la même
personne confrontée à la réalité de l'événement peut très bien
s'accrocher à la vie», continue Stéfanie Monod. Du côté médical, on
retrouve les mêmes réticences mais pour d'autres raisons. Les
urgentistes plébiscitent des consignes claires lorsqu'il faut décider
rapidement de risquer une opération de la dernière contreviennent à
leur pratique.
Les «directives anticipées» constituent un outil difficile à utiliser.
Celles portant sur le don d'organe font consensus mais pas celles qui
règlent la fin de vie. Soit, mais alors pourquoi les promouvoir? Pour
Stéfanie Monod, leur principale vertu est de provoquer le débat: «Elles
redonnent une légitimité à la parole du patient. En retour, le
personnel de santé doit remettre en question ses pratiques. Ce
processus qui va du malade au médecin et revient au malade est fécond.
Il peut aider à une réforme de la prise en charge des patients en fin
de vie et permettre, idéalement, le retour d'une médecine
personnalisée». Une approche humaine qui met l'individu au centre des
préoccupations médicales: «Une dimension que l'on s'autorise de moins
en moins».
«Le patient n'est pas qu'une carcasse»
Éric Masserey pose des questions essentielles dans J'ai pas fini, une pièce qui aborde la problématique des «directives anticipées»
BORIS MABILLARD, Le Temps
Comment je veux quitter ce monde.
Que j'aurai tant aimé malgré toutes ses sottises,
Et surtout comment je ne veux pas mourir.
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