C.-F. Landry
nous fait le superbe portrait d’un homme solitaire, nommé major au Pays
de Vaud après des années au service de puissances étrangères.
Conscient des excès de la pesante autorité bernoise, et plus encore de
la déchéance d’un peuple qui la supporte, il s’interroge, tiraillé
entre ses convictions religieuses, son besoin de justice et la
certitude qu’il a une mission à accomplir. Après un long cheminement en
son for intérieur «là où les questions s’étaient posées et les
résolutions prises», il se sent libéré et n’aura plus aucune hésitation
à accomplir, avec constance et humilité, ce qui’il considère comme son
devoir.
L’auteur fustige les traîtres et les lâches qui, plus enclins à
protéger leurs avantages que le bien de leurs compatriotes, feindront
de l’entendre, lorsqu’il viendra à Lausanne, à la tête de
six cents hommes, pour lire le manifeste annonçant la fin de la
domination bernoise, mais s’empresseront d’avertir Leurs Excellences de
Berne et dès le lendemain, d’arrêter le major.
Emprisonné, torturé, il acceptera tout avec la rayonnante simplicité de
l’homme investi d’une mission et s’en ira à l’échafaud où il prononcera
un long discours avant de mourir.
C’est l’histoire d’un homme seul, qui vécut et mourut seul cette
rébellion qui, vaine à l’époque, laissa tout de même de nombreuses
traces. Un quatrain bien connu lui rend une justice qui, pour être
ironique, n’en est pas moins réelle: «Passant, qui que tu sois / Voici
l’illustre place / Où le brave Davel, d’une héroïque audace / Pour
avoir chatouillé notre ours un peu trop fort / Par un coup de sa patte
a terminé son sort.»
JULIETTE DAVID, Le Messager suisse
Récit tout à la fois historique et lyrique, le livre sur Davel, le patriote sans patrie,
de C.-F. Landry retrace la tentative d’un homme, naïf autant que
lucide, de libérer sans violence les Vaudois de la domination bernoise.
Parce qu’il y avait abus, procès, malversations, amendes, dîmes, parce
qu’il voulait défendre les petits et les droits de chacun. On apprend
qui était la «belle inconnue», cette vendangeuse de passage avec
laquelle le jeune Jean-Daniel-Abraham vit une expérience mystique
déterminante. Mais «on n’est jamais mieux trahi que par les siens»; les
bourgeois vaudois, ses compatriotes, «enfants d’un pays vassal», qui
ont nom Clavel, de Crousaz, Gaudard, Gerbex et autres de Muralt ou de
Bettens, le conseil municipal lausannois à qui il explique son projet,
le dénoncent à Leurs Excellences, et le font décapiter à Vidy. Davel
s’adresse dans son dernier discours devant l’échafaud à «ces hommes en
places qui voulaient garder leur place» et qui ne sortent pas grandis
de cet épisode de l’histoire vaudoise!
Il y a l’histoire certes, et il y a les lieux. Le récit est écrit dans
une langue qui touche parce qu’elle décrit si bien le pays, la ville de
Lausanne, sa cathédrale qui, n’ayant qu’une tour, «boîte dans le ciel»,
la vigne, les odeurs du lac, les senteurs de la terre, ainsi que les
gens, humbles ou notables, paysans, vignerons ou pêcheurs, saisis avec
tant de vérité et de compréhension. Tout se dit dans des détails qui
pourraient être anodins, mais sont révélateurs d’une terre, d’un
peuple. Hier comme aujourd’hui!
MIRIAM TÉTAZ, Avivo
«Patriote sans patrie». Terme violent. Toutes les lettres du temps
désavouent Davel, avec une rare unanimité. On croyait avoir cité les
plus terribles. Il en est encore, écrite par les Quatre Paroisses de La
Vaux. Ici, la dernière excuse tombe: Davel a travaillé là, fait le bien
là, aidé chrétiennement les humbles là, servi là cette petite société.
On lui a demandé plusieurs fois d’être parrain. On a eu recours à sa
bourse. On a fait appel à sa bienveillance. On écrit maintenant:
«Les châtelains et banderets commis des Quatre Paroisses de La Vaux,
vos très humbles et obéissants sujets prennent la liberté de témoigner
à Vos Excellences l’amère douleur et mortifiant chagrin que leur a
causé et que leur cause encore le séditieux et extravagant projet du
major Davel qui a donné lieu et occasion à Vos Excellences de douter de
la fidélité de leurs plus zélés sujets.» Pénétrés comme ils sont d’une
vive douleur, qu’il soit sorti du milieu d’eux un indigne et malheureux
sujet qui par une ingratitude la plus noire et une perfidie la plus
exécrable ait osé former un si odieux attentat contre l’heureux et doux
gouvernement de Vos Excellences sous lequel lesdits humbles exposants
ont le bonheur de vivre, ils supplient très humblement Vos Excellences
de regarder la marche de leurs compagnies comme une marque de leur
prompte obéissance et leurs ordres secrets que ce malheureux… leur
donnait assuré d’avoir en mains. »
On a voulu dire, encore, que le discours du pasteur de Saussure avait
été courageux. C’est un morceau de rhétorique habile, où il est
clairement expliqué au peuple que la rébellion est un crime, que ce
criminel Davel a de grandes excuses parce qu’il avait de bonnes
intentions, mais enfin, le thème est là: «Il y a telle voie qui paraît
droite à l’homme et dont les issues conduisent à la mort.» Autant nous
dire, en peu de mots, que ce criminel est un illuminé que l’on excuse
par sa folie même, et qu’un pasteur, payé par Berne, était un
fonctionnaire comme un autre, produisant de l’éloquence, et peu
sensible aux vérités spirituelles.
Davel, seul. – On regarde, on cherche, on en revient toujours là. Davel
était seul. Il était venu seul, à cette évolution spirituelle qui
l’engagea dans cette entreprise bien vaine, il a vécu seul, il est mort
seul. Un signe, peut-être: cette tête qui disparaît, la nuit même, et
que remplace le quatrain bien connu:
Passant, qui que tu sois! voici l’illustre place
Où le brave Davel, d’une héroïque audace
Pour avoir chatouillé notre ours un peu trop fort
Par un coup de sa patte a terminé son sort.
Mais c’est encore un trait de ce peuple, de donner à une juste
protestation la forme d’une raillerie, et d’oser de nuit, ce geste,
voler une tête qu’on n’a pas su maintenir sur les épaules.
Enfin, en terminant, je dirai pour justifier certains oublis de mon
texte, qu’ils sont volontaires. Par exemple, je ne pouvais parler des
étudiants qui demandèrent l’honneur de garder le Traître. Cela
dispersait l’attention. J’ai fait rencontrer de Crousaz à la descente
de l’Escalier du Marché. Davel l’avait rencontré plus haut. Le
mouvement d’intérêt poétique me forçait à faire jaser le merle avant le
délateur.
CHARLES-FRANÇOIS LANDRY
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