L’Autre Chemin de Michel Bühler chez camPoche
«Peut-être ailleurs, ou plus tard, ou plus loin, je trouverai l’autre
chemin.» Ces chroniques, c’est dix années de votre vie, Michel Bühler,
où l’engagement occupe une place de choix. Elles sont rythmées par le
bruit sourd et agaçant des éoliennes que des promoteurs veulent ériger
sur la terre jurassienne, cette terre où vous avez planté des racines
adventives et qui vous est si chère. Ces promoteurs, vous avez une dent
contre eux.
Vos chevaux de bataille sont nombreux et vous les défendez bec et
ongles. Ils ont nom: centrale nucléaire de Kaiseraugst – pas construite
grâce à des «presque traîtres à la Patrie» dont vous étiez – Guatanamo
– la honte d’un pays que l’on dit civilisé – la Palestine, les accords
de Dublin, l’affaire Novartis, le Gripen, les Boat people, les émigrés…
La liste est très loin d’être exhaustive, hélas!
À vous lire, le désespoir est sur le seuil, cogne à notre porte. Vous
nous secouez. Nous, citoyens lambda, nous zappons. Une protection pour
ne pas être écrasé par des réalités qui nous submergent? Un tsunami
d’images, de mots d’un monde en déliquescence. Bon, vous y mettez de
l’humour! Ça aide! Vous ne vous contentez pas de crier votre colère
dans vos chansons, dans vos écrits, vous parcourez la planète. Vous
vous investissez dans des projets qui tendent à rendre leur dignité aux
plus humbles.
Vous, le collègue dont j’avais repris la chambre au Brassus, n’avez pas
enseigné longtemps. Vous avez tracé votre propre voie, votre propre
chemin. Chapeau bas, Michel Bühler! Vous êtes de notre terre, mais plus
encore de la Terre. Cette Terre saccagée, pillée, exsangue pour le
pofit d’une infime minorité. Courageux, vous l’êtes infiniment. Dans la
lignée de ceux et celles qui se lèvent contre la violence, l’injustice,
la liberté foulée aux pieds. À l’instar de Yvan Leyvraz de Saint-Cergue
parti au Nicaragua afin de participer à la révolution qui promettait la
santé, l’éducation, la réforme agraire. Et tombé à trente-deux ans dans
une embuscade.
«La solidarité est la tendresse des peuples» chante le poète Tomas
Borge. Et il y a cette phrase de Nikos Kazantzakis qui vous accompagne
depuis l’adolescence. «J’ai dit à l’amandier: frère parle-moi de Dieu.
Et l’amandier a fleuri.» Mots sublimes dans leur simplicité. Michel,
vous avez choisi un autre chemin. Des jeunes vous emboîtent le pas.
Ces chroniques sont parues dans Résistance, la revue du POP et dans Le Courrier de 2008 à 2018. Elles sont sorties ce printemps chez camPoche.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus, vendredi 19 juillet 2019, No 673
Révolte et engagements contre les scandales du monde
Dix ans de chronique de Michel Bühler dans différents journaux sont réunies en un ouvrage
Beaucoup de nos lecteurs auront lu les textes incisifs de notre ami Michel Bühler soit dans Résistance, le journal du POP vaudois, soit dans Le Courrier.
L’une des premières chroniques, parue en mars 2008, résume bien une
partie des engagements de cet homme en état de révolte permanente:
l’opposition à l’intervention américaine au Vietnam, le refus d’une
centrale nucléaire à Kaiseraugst, le soutien aux objecteurs de
conscience, la participation aux défilés contre la guerre de Bush en
Irak, la défense couronnée de succès des 523 demandeurs d’asile que le
canton de Vaud allait renvoyer, la lutte pour une agriculture sans OGM.
À cela s’ajoutent les séjours en Palestine et la condamnation de
l’occupation israélienne, les attaques frontales contre des sociétés
comme Monsanto ou Novartis. «Leur moteur, c’est l’égoïsme, leur
religion, la cupidité», écrit-il dans l’une de ces formules qui font
mouche. Il y a aussi les combats de proximité, par exemple contre les
éoliennes dans le Jura, auxquels on n’est pas obligé de souscrire… Le
leitmotiv de Michel Bühler, c’est la condamnation du «capitalisme
sauvage», du «libéralisme mondialisé», de la «main invisible du
marché», qui provoquent chômage dans les pays riches et misère dans les
pays pauvres. Son combat est aussi culturel, notamment contre
«l’américanisation» et l’appauvrissement qu’il induit, en particulier
dans le domaine de la chanson qui est le sien. Il dit son respect pour
les poètes, au premier desquels il place Aragon. Il exprime aussi son
amour pour son Jura vaudois natal.
Comme Michel Bühler aime et promeut le débat démocratique, nous le
contredirons sur un seul point. Dans une chronique parue dans Résistance
en août 2008, il attribue les horreurs nazies (dont son père lui a
montré des photos alors qu’il était enfant), à la «guerre», alors
qu’elles sont le résultat de la monstrueuse idéologie du régime. Et
c’est bien – hélas pour le pacifiste absolu qu’il est que je respecte –
par la guerre et les armes que les Alliés l’ont mis à terre, non en
agitant des rameaux d’oliviers. Son antibellicisme radical ne l’empêche
par ailleurs pas d’exprimer son admiration pour les femmes engagées
dans la guérilla salvadorienne.
Ici ou là, on sent chez lui quelque chose de désespéré devant l’échec
de beaucoup de ses espoirs. Ainsi des révolutions du printemps arabe:
«Tunisie, Égypte, Syrie, à chaque pas l’espoir semble s’éloigner». Mais
il ajoute: «A-t-on pour autant le droit de cesser d’espérer?» et
encore: «Au contraire, espérer toujours, c’est garder allumée une
bougie au plus profond des ténèbres». Et de mettre en valeur des ONG
humanitaires actives en Afrique.
On le voit, les chroniques de Michel Bühler, c’est aussi un style,
vivant, efficace, journalistique. Il aime les phrases courtes. Il
interpelle le lecteur. Il recourt au dialogue. Il utilise volontiers le
point d’exclamation. Il insère parfois dans ses textes des extraits de
ses poèmes ou de ses chansons. En bref, ses chroniques valent non
seulement pour le message qu’elles délivrent, mais aussi par leur ton.
On les (re)lira donc avec intérêt et plaisir. Elles témoignent de son
don d’écrivain qu’il met au service de ses engagements.
PIERRE JEANNERET, Gauchebdo, No 24
«À suivre sa propre route
À sans cesse dire non
À ces foules qui n’écoutent
Que les donneurs de leçons
On apprend tout ce qu’il en coûte,
Restent peu de compagnons.
Je suis celui qui s’écarte
Je suis celui qui s’en va
Toujours en dehors des cartes
Toujours rebelle à vos lois
Il faut demain que je reparte
Nous vivons comme à l’étroit
Peut-être ailleurs, ou plus tard, ou plus loin
Je trouverai l’autre chemin»
Michel Bühler s’est toujours méfié des autoroutes et de ces voies qu’on
dit toutes tracées. Et s’il lui est arrivé d’en emprunter
quelques-unes, ce n’est jamais que pour mieux, en connaissance de
cause, en dénoncer les effets pervers.
Auteur compositeur, interprète, romancier, essayiste, peu importe
finalement quel costume il endosse: Bühler ne supporte ni l’injustice
ni le mépris des puissants, et encore moins le silence, assourdissant,
de ceux qui sont rentrés dans le rang. Alors, après l’avoir chanté
pendant un demi-siècle, écrit et décrit à travers une bonne dizaine de
romans et/ou de pièces de théâtre, le voici, inlassable, qui continue
de battre le fer. Le bouquin qu’il publie aujourd’hui chez Bernard
Campiche, son éditeur de toujours, est un recueil de chroniques parue
entre 2008 et 2018 dans Résistance ainsi que dans Le Courrier
de Genève. Chacune des quelques 250 pages qu’il comporte est un appel
au refus, un cri de révolte. Bühler a vu les usines fermer et les
ouvriers contraints de quitter les villages bientôt transformés en
cités-dortoirs. Il a parcouru le monde, du Guatemala à l’Algérie, de
l’Argentine au Burkina Faso, de la Palestine à la Roumanie, il est allé
partout où la terre, et avec elle les hommes, les femmes et les enfants
saignent. Il y a perdu des compagnons de route, il en est revenu plus
convaincu que jamais de ne jamais renoncer, de ne jamais se taire. Et
dit:
«L’espoir c’est plus fort que la mort
La fleur qui perce le goudron
Le soleil qui s’lèv’ra encore
Sur les fûts rouillés des canons
C’est cette flamme qui vacille
Ce feu que je tiens dans ma main
Fragile et fort comme ma vie
C’est tout ce qui me fait humain
L’espoir»
ROGER JAUNIN, «Vigousse», «Les Copains d'abord»
Un
politicien bien ancré à droite me disait l’autre jour, entre
condescendance et ironie: «Toi dont les convictions n’ont pas changé
depuis notre jeunesse, tu n’en as pas marre d’être éternellement dans
le camp des perdants? N’as-tu pas le sentiment de t’être trompé toute
ta vie?»
Sur le moment, je n’ai pas su quoi rétorquer. À la réflexion, voici ce que j’aurais dû répondre
La première fois que j’ai manifesté, c’était pour marquer mon
opposition à l’intervention américaine au Viêtnam. Tu nous traitais de
gauchistes, d’ennemis de l’Occident et de la démocratie. Oserais-tu
maintenant soutenir que cette guerre n’était pas une saloperie, inutile
et cruelle ? Entre nous :
j’avais raison.
Je me souviens d’un samedi à Kaiseraugst, là où tu voulais implanter
une centrale nucléaire, indispensable au pays ! Nous étions des
milliers à dire non. Tu nous accusais de vouloir mettre à bas
l’économie, nous étions de mauvais Suisses, des traîtres à la Patrie !
Kaiseraugst ne s’est pas construite. Pourtant le pays n’est pas ruiné.
J’avais raison.
J’ai témoigné plus tard au procès d’un objecteur de conscience. Pour
toi, ces idéalistes préparaient le lit des hordes barbares venues de
l’Est, et s’apprêtaient à livrer nos femmes aux violeurs de toutes
sortes. Maintenant, l’objection de conscience est admise, les
convictions différentes respectées. Désolé mais, là aussi, j’avais
raison…
… La dernière fois que j’ai rejoint des protestataires, c’était pour
suivre un cours de fauchage, pour être prêt au cas où Monsanto et
toi-même parveniez à imposer les OGM dans nos champs. Il est un peu tôt
pour juger, mais je crois hélas que le temps dira que j’ai eu raison.
Cela dit, mon vieux, si tu as besoin de conseils, n’hésite pas à me rappeler !
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