Vous pouvez nous commander directement cet ouvrage par courriel.
La chanson, c’est le PPPC, le Plus Petit Produit Culturel!
En trois minutes, en quelques couplets, quelques refrains, vous avez une histoire, un roman, un film entier!
Que l’on pense à «La Mère à Titi» de Renaud: tout est là, le décor, la
vie quotidienne, la banlieue, les rapports entre les personnages!
Que Jacques Brel chante son «Plat pays», vous voyez défiler devant vous
mieux que tous les documentaires sur la Belgique! Avec la poésie et les
frissons en plus.
Écoutez «La Pinte vaudoise» ou «La Partie de Cave» de Jean
Villard-Gilles, c’est tout le canton de Vaud, c’est toute l’âme
vaudoise qui est là, ce sont les vignes pentues du Lavaux, et la lune
qui «se reflète au profond de l’eau qui dort»…
Contrairement à tous les autres produits culturels, la chanson peut
vivre sans support. Pour remplir son rôle, le cinéma a besoin d’un
écran et d’un projecteur, ou au moins d’un DVD et d’un lecteur. La
littérature n’existe pas sans papier, sans ordinateur; la peinture
nécessite une toile, la sculpture, un morceau de pierre ou de ferraille…
La chanson? Infiniment portable et pratique, elle se moque de ces
béquilles. Vous pouvez la mettre au fond de votre mémoire, l’emmener
partout, et la faire renaître au moment que vous choisirez! Elle
n’encombrera pas vos bagages, elle ne fera sonner aucun portillon de
sécurité, et vous pourrez, sans risquer la moindre question, passer
tranquillement avec elle devant les douaniers les plus suspicieux!
C’est l’objet d’art idéal. On ne le répétera jamais assez.
Michel Bühler
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Yes we sing!
Francophobie. Quand Michel
Bühler s’en prend à ceux qui méprisent la chanson, à commencer par
celle d’ici, ça fait siffler les oreilles de nos chers programmateurs.
C’est parti, comme bien souvent chez Michel Bühler, d’une saine colère.
Rapport au Sommet de la Francophonie tenu à Montreux en octobre de
l’année dernière et à quelques courriers échangés entre le chantiste de
L’Auberson et une certaine CB, productrice Carrément Bornée du gala
d’ouverture. Question posée: «Quelle
serait la place de la chanson romande dans ce qui, logique, devait être
prétexte à faire découvrir à l’ensemble de la dite francophonie la
production de ce coin de pays?» La réponse: «Aucune!» Puisque,
précision, l’émission s’intitulait: «Quarante ans, quarante tubes».
En piste donc, pour autant d’inepties, Mike Brandt, Sardou et autres
grimpions de hit-parades. Et à charge aux Sarcloret, Auberson,
Romanens, Rinaldi, Gerber, Bel Hubert et autres… Bühler d’assurer
seuls, au détour des petites salles, leur propre promotion.
Coup de sang, coup de gueule: en un peu plus de deux cents pages, ledit
Bühler règle son compte à la Consternante Besogneuse et par
prolongement à «notre radio» et à «notre télévision»; lesquelles, soit
redit en passant, viennent toutes deux de perdre leur qualificatif de
«romande»… Dans le même temps – et c’est bien l’essentiel du livre –,
l’auteur retrace l’histoire de la chanson, des campements du
paléolithique ancien (les premiers «hon, hon, hon») à l’industrie du
disque d’aujourd’hui, en passant par le salmigondis importé de «l’autre
côté du grand marécage» et qui se taille la part du lion (lion’s share) sur la bande FM.
ROGER JAUNIN, Vigousse
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Michel Bühler, la musique, les mots et la route
Chanteur et écrivain, l’artiste
vaudois réunit ses deux amours en consacrant un livre à la chanson. Un
livre né d’une colère, et qui se veut à la fois coup de gueule, recueil
de souvenirs et analyse d’un genre musical. Avec un peu d’aigreur et de
mauvaise foi.
20 octobre 2010. Pour fêter la Francophonie réunie à Montreux, la
Télévision suisse romande (TSR devenue aujourd’hui RTS, Radio
télévision suisse) organise un spectacle de variétés intitulé «Quarante ans, quarante tubes».
Défilent alors des artistes français (Alain Souchon, Sylvie Vartan,
Maxime Le Forestier, Camélia Jordana, Zaz), une Québécoise (Diane
Dufresne), des Belges (Maurane, Axelle Red), un Réunionnais (Gérald de
Palmas), des Maliens (Amadou & Mariam), un Algérien (Khaled), des
Haïtiens (le groupe «Haïti en scène»).
Côté suisse, outre une prestation de l’imitateur Yann Lambiel, le
chanteur Jérémie Kisling doit se limiter à donner une version du Lundi au soleil
de l’inénarrable Claude François. Eh oui, la Suisse manquant de
«tubes», les producteurs ont décidé de la représenter par une chanson
cosignée par l’Helvète Patrick Juvet.
Bref. À l’affiche, de la variété passablement calibrée, mais aucune
«chanson romande» répertoriée comme telle. Et une délégation helvétique
modeste. Le sang de Michel Bühler, mis au rancart malgré ses plus de
quarante ans de chanson au compteur, ne fait qu’un tour.
«De ma colère, de cette blessure – mais oui – est né ce que vous tenez
dans les mains. Qui pourrait avoir comme sous-titre: ʻDéfense de la
chanson’…», écrit-il.
Clé à molette
L’homme dégaine donc sa plume. Et signe un essai qui est à la fois une
déclaration d’amour à un genre musical qu’à la différence de Gainsbourg
il juge majeur, et une mise en accusation de tout ce qui ne va pas dans
le sens de sa vision du genre.
Michel Bühler commence par se souvenir de l’oncle Gustave, de la maison
familiale où l’on chantait, comme dans les bistrots de campagne
d’alors. Source de son parcours. Une chanson vivante, humaine,
spontanée, authentique, qui réchauffait les cœurs. Et Bühler de se
mettre à écrire à l’unisson: «Il y avait la belle Marianne, et Michel
son amoureux, plus un paysan, un électricien, le garagiste, le vieux
Willy et Adrien… ». On s’y croirait.
Parallèlement à ses souvenirs, il se lance avec humour dans une
histoire de la chanson en forme de clin d’œil rupestre. Du premier
borborygme vaguement musical poussé dans une caverne jusqu’à son
éclatement en une multitude de déclinaisons: la chanson qui charme,
celle qui émeut, celle qui fait penser, celle qui pousse les guerriers
à marcher au pas, celle qui aide les bonnes âmes à croire au «Grand
Lapin Bleu», celle qui fait marcher le tiroir-caisse…
Bref, la chanson, un outil unique et simple (une voix, des paroles, une
mélodie) pour une multiplicité d’emplois, d’où le titre jovial de
l’ouvrage, La chanson est une clé à molette, paru chez Bernard Campiche Éditeur.
Le livre de Michel Bühler est aussi le souvenir d’une époque où
triompha sous nos latitudes cette «chanson romande» dont il était –
c’est nous qui le disons – le fer de lance. Joli passage que le récit
ému de cette fameuse «Fête à la chanson romande» qui, le 1er septembre
1979, réunit toute l’équipe d’alors – Bühler, Auberson, Huser, Dès,
Buzzi, Schaeffer, Yvette Théraulaz et les autres – sous le parrainage
de Jean Villard-Gilles.
Un peu plus tôt, au début des années soixante-dix, régnait, selon le
chanteur cette fois, la multiculturalité. «Chaque pays, chaque région,
avec sa langue et son génie propre, apportait sa pierre à l’édifice.
Pas de mouvement centralisé, non, pas d’hégémonie d’une culture sur les
autres, toutes étaient les bienvenues, toutes étaient invitées à
participer à un foisonnement créatif extraordinaire», écrit-il.
Avant d’ajouter: «On entendait Dylan et Joan Baez, Vigneault, Leclerc,
les Chiliens, les Cubains, les Portugais, les Catalans, les Wallons. En
France {…}, on chantait en occitan, en breton, en alsacien… Dans ce
contexte, il était tout naturel qu’on revendique son appartenance à la
Suisse romande pour écrire ses chansons, parler d’ici. C’est ce qu’a
fait une génération d’auteurs-compositeurs qui affichaient
tranquillement leur origine valaisanne, jurassienne, fribourgeoise,
vaudoise. J’étais de ceux-là.»
Des propos qui sont pour Michel Bühler l’occasion de s’élever contre
les médias de service public actuels, la radio spécialement, qui selon
lui ne défend pas assez les artistes francophones de qualité en
général, ceux d’ici en particulier (voir encadré), ni aucune diversité.
Combat légitime. Mais mémoire un peu sélective: si le bouillonnement
multiculturel des années soixante-dix évoqué plus haut existait bel et bien dans
certains lieux de culture de l’époque, on ne peut pas dire que les
médias d’alors s’en faisait systématiquement le reflet…
La mise en accusation des médias se poursuit logiquement par un
réquisitoire contre l’invasion anglo-saxonne. Enfin, non. Pas
anglo-saxonne. Américaine. Car, pour Michel Bühler, le mal est
américain. C’est exclusivement d’outre-Atlantique que les miliciens
musicaux au service du Grand Capital déferlent sur l’Europe offerte et
soumise. «L’américanisation de nos ondes», écrit-il.
«The Times They Are A-Changin’»
Pourtant, il y a maintenant plus de quarante ans que la
Grande-Bretagne, pays insulaire sans doute mais néanmoins européen,
nous arrose de son génie musical: Beatles, Stones, U2, Simple Minds, Eurythmics, aujourd’hui Muse, Coldplay et bien d’autres, ont successivement squatté nos ondes, autant que les productions américaines.
Détail? Non. Car ce glissement artistico-politique n’est pas vraiment
innocent, tout comme l’idéalisation de la diversité des années
soixante-dix, déjà marquées par la toute-puissance de la variété
française et de la déferlante anglo-saxonne. Mais Michel Bühler a une
thèse à défendre…
La RTS n’est pas assez diverse et ne diffuse pas assez d’artistes
d’ici? On peut le penser. Mais constater aussi que le vrai gouffre en
matière de diffusion des productions locales, ce fut plutôt les années
quatre-vingts et quatre-vingts-dix, et qu’un changement d’attitude a été
amorcé. Il est vrai par contre que «musique suisse» n’est pas synonyme
de «chanson à texte en français», et c’est notamment là que Michel
Bühler se cogne douloureusement au présent.
En 2011, les jeunes artistes romands existent, nombreux. Bien sûr,
leurs modèles ne s’appellent plus Leclerc ou Vigneault. Ils pratiquent
chanson, rock, rap, électro, reggae, en français ou en anglais. À
l’heure du «global village», pardon, «village planétaire»,
conceptualisé par Marshall McLuhan dans les années soixante et
concrétisé aujourd’hui par Internet, souvent, la musique les intéresse
plus que l’ancrage dans une région.
The Times They Are A-Changin’, chantait Dylan en… 1964.
«Comme un amoureux qui défendrait sa bien-aimée», Michel Bühler raconte la chanson francophone
On ne peut que se sentir personnellement interpellés à la lecture du livre de Michel Bühler, La Chanson est une clé à molette.
D'une part, il fait un constat plutôt évident concernant la proéminence
de la musique anglo-saxonne dans notre paysage culturel, mais il
présente également des raisons à cet état de choses et des éventuels
changements qui pourraient sauver la chanson francophone.
Michel Bühler, artiste romand qu'on ne présente plus, pour avoir écrit
plus de deux cents chansons (en français!), trois livres, trois
récits, des pièces de théâtre sort un nouvel ouvrage. Articulé en trois
parties, le livre, publié chez Bernard Campiche Éditeur, présente
l'histoire de la chanson francophone, un état des lieux de la situation
actuelle et des hypothèses pour l'avenir. Dans cet essai, Michel Bühler
exprime sa colère et son inquiétude face à la disparition progressive
de la musique francophone en Suisse romande.
Le problème
En pays romand, la langue de Molière est la langue
officielle. Aussi, la chanson en français fait partie intégrante de la
culture romande. Or, à tous les coins de rue, au supermarché, dans les
parkings, dans l'ascenseur, à la radio et à la télévision, la musique
anglo-saxonne domine. La chanson romande et francophone est reléguée au
deuxième plan.
Pour Michel Bühler, chanter en français «permet de communiquer, de
transmettre des sensibilités, de faire rire. Vous avez déjà ri en
écoutant une chanson en anglais?». Force est de constater que la
réponse est non, bien rarement. Pour des raisons de compréhension, les
paroles des chansons n'importent plus tant, puisque bien peu de Romands
comprennent couramment l'anglais.
Définition
Mais de quoi s'agit-il lorsque l'on parle de chanson romande ou de chanson francophone? Michel Bühler, dans La chanson est une clé à molette,
défend la chanson écrite en français. De plus en plus d'artistes
suisses choisissent de s'exprimer en anglais. Pour des raisons de
diffusion, pour être compris dans tout le pays, ou pour être connus
internationalement, ce qui peut être un aspect déterminant. Toujours
est-il que
la chanson en français se fait rare.
Michel Bühler a intitulé son essai La chanson est une clé à molette
car «tout dépend de l'usage qu'on en fait». Aussi bien une clé à
molette est un outil pour un garagiste, elle peut être une arme
mortelle pour un assassin. Il écrit: «Voilà: je dirais qu’à partir de
la radio et du disque, à partir du moment où {la chanson} a pu être
diffusée largement, à partir surtout de l’instant où elle a pu rapporté
gros, elle a été kidnappée par le marché, et s’est transformée en
produit commercial. Et tout a changé pour elle» (p. 58).
Le débat
Lorsque Michel Bühler comptabilise la musique francophone qui est
diffusée sur les ondes de RTS-La Première, Couleurs 3 et Option
Musique, il ne trouve pas le même résultat que ce qu'annonce
l'organisme de service public. C'est qu'en matière de chanson
francophone la définition n'est pas la même pour Michel Bühler et pour
les programmateurs musicaux des chaînes du service public. Pour la
radio, l'élément déterminant concerne l'origine des artistes et non la
langue dans laquelle ils s'expriment. Michel Bühler ne compte que les
chansons en français, car c'est la langue de la chanson qui lui
importe. Par conséquent, les statistiques des deux parties ne sont pas
compatibles, et leurs chiffres diffèrent.
En substance, Michel Bühler souhaite défendre ce qu'il appelle le «plus
petit produit culturel» (PPPC). Un produit qui ne demande qu'un petit
espace dans sa mémoire pour pouvoir être utilisé sans restriction.
L'artiste regrette une période où la chanson francophone était présente
au quotidien et accompagnait travail, soirées en tout genre et fêtes de
famille. En résumé, une tradition régionale qui cède aujourd’hui le pas
à une culture d'outre-Atlantique qui n'est pas la nôtre.
L'éducation
N'accusant pas la radio d'être le seul coupable, Michel Bühler signale
que l'école a une responsabilité importante à prendre: «Il est évident
que ça devrait partir de l'école et de l'éducation, c'est là que les
enfants commencent à connaître et aimer les choses. C'est ce qu'ils
apprennent à l'école qui ensuite les suivra toute la vie.» Aussi,
poursuivant cette idée, Michel Bühler a envoyé son essai aux autorités
chargées de l'éducation, mais n'a pour l'instant pas eu de réactions de
leur côté.
Jouant la carte de l'humour, il propose de faire de la chanson pour les
enfants en anglais et imagine que l'artiste ferait un «bide total».
Pourquoi ne pas continuer alors avec une éducation musicale à l'école
qui n'oublierait pas qu'il existe une chanson francophone? «Il faudrait
qu'on apprenne aux enfants quand ils grandissent qu'on peut continuer à
écouter de la musique en français», argue Michel Bühler.
Des quotas?
Saluant les quotas mis en place en France et au Québec, Michel Bühler
constate malgré tout que les artistes en France et au Québec ne sont
pas non plus à l'abri du changement qui s'opère en faveur de la musique
anglo-saxonne. Malgré les quotas et les règlements plus strictes qu'en
Suisse, les artistes locaux sont en perte de vitesse face au «tsunami»
américain. Il propose donc une charte plus claire et plus stricte en
faveur des artistes régionaux chantant dans leur langue, pour
encourager et sauver une culture régionale.
Espérant attirer l'attention des organisateurs de festival, des
programmateurs radio et de spectacles, des autorités responsables de
l'éducation ainsi que du public en général, Michel Bühler présentera
également la substance de son livre lors de l'assemblée générale de la
SUISA. Non seulement une réflexion sur un état des choses, l'artiste
souhaite ouvrir grâce à la publication de son livre un débat et, dans
l'idéal, que des mesures soient prises pour encourager la création dans
la chanson francophone.
Plein d'ironie, sur un ton qui souvent fait sourire et même rire aux
éclats, Michel Bühler tire la sonnette d'alarme face à un état des
choses qui menace la culture régionale. Un livre qui touche, qui pique
au vif, qui fait réfléchir, et qui donne envie d'écouter du Brassens,
du Ferrat, du Bühler. Un régal qui se lit d'une traite, non sans
laisser un goût amer sur nos habitudes musicales de consommation de
masse.
JANAÏNE CORBOZ, Revue musicale suisse
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La chanson est une clé à molette
Un
livre? Un essai? Un coup de gueule «à la Michel Bühler»? Une diatribe?
Un libelle? Un peu de tout cela, sans doute. Mais d’abord, et pour moi,
dépassant tout, un acte d’amour.
Tout commence du reste par ces mots: «J’aime… j’aime les chansons,
j’aime la chanson», immédiatement suivi de «Tout est parti de l’oncle
Gustave».
C’est pourtant la caverne d’une désopilante tribu du paléolithique qui
va servir de scène à cette histoire, nous permettant d’y voir, en grand
accéléré, l’évolution de la chanson à travers celle de la tribu.
L’oncle Gustave… Ah! oui! Celui-là même «qui représentait la mémoire et
qui connaissait tout, d’un bout à l’autre, sans hésiter, tous les
couplets, tous les refrains».
Ce patriarche auquel Michel rend un hommage appuyé, et qui ouvre le
premier couplet de l’essai, celui de l’histoire de la chanson, et
singulièrement de la chanson française.
D’abord, avec un humour constamment présent en dépit de la noirceur du
constat, Michel érige un monument à la chanson, ce PPPC, plus petit
produit culturel, que chacun porte profondément en soi. «Vous – nous
questionne-t-il – avez-vous une chanson gravée dans votre tête, qui a
peut-être marqué votre vie?» Poser la question, c’est y répondre. Bien
sûr que nous avons tous une telle chanson, voire plusieurs, non
seulement en tête, mais dans le cœur, qui sont la musique et les mots
d’un instant de grâce, d’une émotion, d’une relation. Car la chanson
est un outil. Elle permet de la manière la plus simple qui soit de
fixer, puis de faire vivre et revivre l’instant du Temps des cerises,
hymne de la Commune de Paris, aux «petits pieds nus, tout humides de
rosée, de la tendre Ninon». Et en ce sens, elle est une clé à molette.
Alors quoi? Deuxième couplet… L’état des lieux.
«Une chanson, ici, n’est respectable pour les Chantal Bernheim,
productrice à la TSR, que si elle a plu aux représentants du showbiz
parisien.» Et pan dans le mille! On comprend vite que «notre» chanson,
celle qui est inscrite dans nos gènes, qui va de l’antique anonyme à
Brassens en passant par Ferré, Brel, Vigneault et, disons-le, Michel
Bühler, cette chanson-là fout le camp!
À coups de constats implacables, l’auteur met le doigt sur la
responsabilité accablante des médias dans cette évolution,
l’envahissement déferlant de l’anglo-saxon sur nos ondes et dans nos
habitudes. Citant le linguiste L. J. Calvet qui relevait que «les
dominés économiquement adoptent des mots, puis les coutumes du
dominant», Michel souligne le problème du «trop de présence»: «Le
problème, c’est que ce qui vient d’outre-Atlantique ne se comporte pas
comme un invité poli, que l’on accueille, chez soi, à qui on demande,
curieux, qu’avons-nous à partager? Non, pas de partage! C’est la
plupart du temps quelqu’un qui entre dans votre maison sans y avoir été
invité, et qui vous dit: «Ôte-toi de là, que je m’y mette!» Quel
comportement adopter face à un tel intrus?
Troisième couplet: l’avenir. «Qui n’a jamais chanté n’a pas vécu», conclut Michel.
Parmi les outils propres à corriger le tir, il en suggère quelques-uns:
des quotas à la radio et à la télévision, un nouvel état d’esprit dans
la population et dans les familles… Mais au fond je crois qu’il nous
invite surtout à retrouver cet élan de l’enfance et du cœur qui nous
pousse à chanter. Et à le faire dans la langue qui est nôtre, le français.
Merci, Michel, de le faire et de l’avoir écrit. Et à ceux, innombrables
j’espère, qui auront lu ton livre et qui te croiseront, je dis: si,
comme moi, vous avez grandement apprécié son essai, parlez-lui de clé à
molette et ne confondez surtout pas avec une clé anglaise.
BERNARD SIMON, Journal de Sainte-Croix
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«J’ai
tenté de montrer que cet art de pauvres était un lieu de rencontre, de
partage, porteur de mémoire, jamais innocent, capable de souder les
foules, de réunir des amis... et c’est pour ça que je l’aime...»
«Je ne suis qu’un cri», chantait Jean Ferrat, un Parisien exilé
volontaire à la montagne. Michel Bühler, un montagnard suisse, exilé
volontaire régulier à Paris, n’aurait aucun mal à reprendre
l’affirmation. Un cri tout en douceur, tout en amour mais un cri quand
même! Cri passionné souvent jubilatoire, cri alarme, cri réveil... La
chanson est une clé à molette dit combien «le Plus Petit Produit
Culturel» a compté et compte encore plus que tout dans sa vie
d’artiste. Usant d’exemples et d’anecdotes, remontant parfois à l’âge
de pierre et du feu naissant dans les cavernes, Michel Bühler ne cesse
d’argumenter. Il existe des chansons pour tout: aimer, quitter, faire
la guerre ou déserter, décrire ou interpréter, construire ou détruire,
rire ou pleurer... Qui mieux qu’une chanson accompagne les douceurs et
les violences d’une vie? Quel «produit culturel» est-il plus
partageable, transportable, «archivable»...? Michel Bühler n’a pas
assez de mots, un comble!
Mais le cri d’amour est aussi un cri de colère. Un goutte d’eau a fait
déborder son vase. Lors du Sommet de la Francophonie 2010, sur ses
terres, à Montreux, il constate que le gala organisé par la télévision
de la Suisse romande ne présente aucune chanson étiquetée «suisse».
Comme si la chanson francophone suisse était une exception marginale
pas assez sexy pour figurer en bonne place. Colère! Une colère
tranquille, exprimée avec humour et dérision, ce qui ne la rend que
plus puissante. Colère contre l’uniformisation qui guette! Qui guette
les jeunes chanteurs dans leur désir d’être célèbres et de vendre du
disque pensant que hors de l’anglais point de salut; qui guette les
programmateurs qui cèdent avec une facilité déconcertante à la petite
musique commerciale jouée par les maisons de disques; qui guette
l’auditeur qui n’est même plus choqué que la Suisse soit représentée au
Concours de l’Eurovision par une chanson anglaise... et s’il n’y avait
que la Suisse!
Derrière ce cri, lancé avec la bonhommie qui accompagne les convaincus
honnêtes, se cache une critique acerbe d’une société qui ne semble plus
capable de penser ensemble la solidarité entre les êtres et la
diversité des cultures. Depuis sa douce Suisse privilégiée sur bien des
plans, Michel Bühler parcours le monde à la dérive en homme libre, en
guitariste, en artisan couturier des mots et des pensées. Histoire de
vérifier que de la Palestine à Haïti, du canton de Vaud à Bali, de la
Tunisie au Québec les hommes se ressemblent grâce à leurs différences!
Au risque d’entendre le copain d’un soir, Bolivien du Titicaca, lui
réclamer agacé et agaçant: «Tu ne connais pas une chanson de Michael
Jackson?».
ZIGZAG
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C’est un «essai», du moins
l’ouvrage se présente-t-il ainsi, mais c’est surtout un coup de maître.
Un essai sur la chanson francophone, signé Michel Bühler – l’un des
grands auteurs-compositeurs-interprètes de Suisse romande, «cousin» de
François Béranger et de Gilles Vigneault –, qui met à plat les
problématiques auxquelles se heurte actuellement cet art millénaire et
réussit à la fois le prodige (le tour de passe-passe ?) de se
montrer (raisonnablement) optimiste quant à son devenir. Malgré ce
constat: «Être en rébellion aujourd’hui, chez nous, c’est chanter en
français.»
Format poche (240 pages), comme pour montrer le côté «portatif» de la
chanson, exclusif de cet enfant de l’amour entre des paroles et une
musique, ainsi que l’explique l’auteur: «La chanson, c’est le PPPC, le
Plus Petit Produit Culturel! En trois minutes, en quelques couplets,
quelques refrains, vous avez une histoire, un roman, un film
entier! Que l’on pense à La Mère à Titi
de Renaud: tout est là, le décor, la vie quotidienne, la banlieue, les
rapports entre les personnages! Que Jacques Brel chante son Plat pays,
vous voyez défiler devant vous mieux que tous les documentaires sur la
Belgique! Avec la poésie et les frissons en plus. Écoutez La Pinte vaudoise ou La Partie de Cave
de Jean Villard-Gilles, c’est tout le canton de Vaud, c’est toute l’âme
vaudoise qui est là, ce sont les vignes pentues du Lavaux, et la lune
qui “se reflète au profond de l’eau qui dort”….
»Contrairement à tous les autres produits culturels, la chanson peut
vivre sans support. Pour remplir son rôle, le cinéma a besoin d’un
écran et d’un projecteur, ou au moins d’un DVD et d’un lecteur. La
littérature n’existe pas sans papier, sans ordinateur; la peinture
nécessite une toile, la sculpture, un morceau de pierre ou de
ferraille… La chanson? Infiniment portable et pratique, elle se moque de
ces béquilles. Vous pouvez la mettre au fond de votre mémoire,
l’emmener partout, et la faire renaître au moment que vous choisirez!
Elle n’encombrera pas vos bagages, elle ne fera sonner aucun portillon
de sécurité, et vous pourrez, sans risquer la moindre question, passer
tranquillement avec elle devant les douaniers les plus suspicieux!
C’est l’objet d’art idéal. On ne le répétera jamais assez.»
Trois «couplets», proposant une vingtaine de mini-chapitres chacun
(suivis d’annexes sur le métier) composent cet hymne bühlérien,
véritable déclaration d’amour à la chanson… considérée comme «une clé à
molette»! Pourquoi ce titre si étrange, au fait? Parce «tout dépend de
l’usage qu’on en fait», écrit Michel. Simple outil pour un garagiste ou
un menuisier, une clé à molette peut en effet devenir une arme mortelle
entre les mains d’un assassin… À partir de là, extrapole l’auteur, «à
partir de la radio et du disque, à partir du moment où la chanson a pu
être diffusée largement, à partir surtout de l’instant où elle a pu
rapporter gros, elle a été kidnappée par le marché, et s’est
transformée en produit commercial. Et tout a changé pour elle».
«Les temps changent», chantait Bob Dylan, dès 1964. En l’espace d’un
demi-siècle, tout est allé très vite. Au début des années 70, rappelle
Bühler, régnait la multiculturalité. «Chaque pays, chaque région, avec
sa langue et son génie propre, apportait sa pierre à l’édifice. Pas de
mouvement centralisé, non, pas d’hégémonie d’une culture sur les
autres, toutes étaient les bienvenues, toutes étaient invitées à
participer à un foisonnement créatif extraordinaire. On entendait Dylan
et Joan Baez, Vigneault, Leclerc, les Chiliens, les Cubains, les
Portugais, les Catalans, les Wallons. En France, on chantait en
occitan, en breton, en alsacien… Dans ce contexte, il était tout
naturel qu’on revendique son appartenance à la Suisse romande pour
écrire ses chansons, parler d’ici. C’est ce qu’a fait une génération
d’auteurs-compositeurs qui affichaient tranquillement leur origine
valaisanne, jurassienne, fribourgeoise, vaudoise. J’étais de ceux-là.»
Parmi eux, ceux de la génération «parrainée» par le grand Jean
Villard-Gilles, il y avait Pascal Auberson, Michel Buzzi, Henri Dès,
Jean-Pierre Huser, Gaston Schaeffer, Sarcloret, Dominique Scheder,
Yvette Théraulaz…
Et puis, avec le temps, cette belle diversité a été battue en brèche,
en Suisse romande comme partout ailleurs, par le marketing agressif de
l’oncle Sam; ce que Michel Bühler nomme «le trop de présence»: «Le
problème, souligne-t-il, c’est que ce qui vient d’Outre-Atlantique ne
se comporte pas comme un invité poli, que l’on accueille, chez soi, à
qui on demande, curieux, qu’avons-nous à partager? Non, pas de partage!
C’est la plupart du temps quelqu’un qui entre dans votre maison sans y
avoir été invité, et qui vous dit: “Ôte-toi de là, que je m’y
mette !”»
Et nous voilà ce soir… comme disait Brel. Avec un intrus dans la
maison, qui vire tous les meubles et refait le décor à sa façon,
toujours la même, sans se soucier des goûts, us et coutumes de ses
habitants. Il reste pourtant «des raisons d’espérer», assure Bühler.
«Les nouveaux outils de communication et de stockage», d’abord, qui,
selon lui, «vont peut-être nous rendre un peu de liberté: Internet
donne la possibilité à chacun d’aller choisir, sur toute la planète,
les airs qui lui conviennent, sans être tributaires des goûts des
programmateurs radio ; les iPods nous permettent d’emporter et de
faire renaître partout les PPPCs qui nous plaisent». Et puis et surtout
le public, certes minoritaire mais toujours bien présent – car jamais
le virtuel, même s’il prend le pas sur la «galaxie Gutenberg» (celle du
livre… et du disque), ne pourra rivaliser avec le vivant. Le public du
village d’à côté, tellement plus authentique que celui du village
planétaire électronique prophétisé en son temps par McLuhan. Un public
«fervent et heureux [qui] remplit à longueur d’année les petits lieux
où l’on offre de la chanson belle.» Ce que Michel Trihoreau, dans un
livre unique en son genre, à recommander encore et encore, urbi et
orbi, nomme La Chanson de proximité…
Sorti il y a plus d’un an, mais trop discrètement et seulement en Suisse, La Chanson est une clé à molette demande à être découvert et partagé dans toute la francophonie. Les livres de ce genre, depuis l’indispensable Chante toujours, tu m’intéresses,
de Jacques Bertin (Le Seuil, 1981), se comptent en effet seulement sur
les doigts des deux mains. Et encore... Il le demande d’autant plus que
son auteur ne prétend pas détenir la vérité, n’ayant eu d’autre but que
«de provoquer la réflexion». Et «accessoirement » de montrer
« que cet art de pauvres [est] un lieu de rencontre, de partage,
porteur de mémoire, jamais innocent, capable de souder les foules, de
réunir des amis...» C’est bien ce qui se passe ici (et maintenant), non?
Pour le plaisir et parce qu’un disque, pas plus qu’un livre, ne se
périme dans un temps donné (au contraire, souvent il se bonifie avec le
temps) quand son auteur est un créateur-né, pas un faiseur
opportuniste, voici ce que nous disions ici de son dernier album en
public, paru en 2009.
Voyageur, 21 titres,
75’06 (distr. France : EPM, Suisse: Disques Office). Enregistré au
Théâtre de l’Échandole, à Yverdon (Suisse), du 23 au 26 septembre 2009,
avec trois musiciens aux guitares, contrebasse, accordéon et bandonéon,
Voyageur retrace Les Tribulations d’un chanteur en Suisse (et ailleurs dans le monde, au Kosovo, au Sahara, au Café arabe de Jésusalem… ou Rue de la Roquette), de son tout premier succès, Helvétiquement vôtre
(1969), à plusieurs inédits de l’année. De la tendresse, de la poésie
et de l’humour, que demander de plus ? La Simple histoire de
quarante ans de carrière phonographique résumée en un seul album dont
l’auteur (compositeur et interprète), malgré tout, malgré le temps qui
passe et le monde tel qu’il est et se défait, s’efforce encore et
toujours de croire en l’Homme: ouvert par une Berceuse pour un enfant qui vient, ce concert ne s’achève-t-il pas sous le signe de L’Espoir…?
Généreux et nécessaire Bubu ! (Voir ici, en complément d’info, une
interview vidéo donnée à la Radio Télévision Suisse Romande à la
sortie de cet album et du recueil On fait des chansons,
imposant volume – près de 500 pages grand format, couverture cartonnée
– de l’intégrale de ses chansons, textes et partitions).
Enfin, pour faire entièrement chorus avec le chanteur qui achève son
livre sur ces mots: «Regardons l’avenir…», sachez que Michel Bühler
vient tout juste de sortir son nouvel album studio, enregistré l’été
dernier. Treize chansons (Les Ardéchois, Avignon, À la manif, Et voilà!, Je me bats, Cher Monsieur – en duo avec le Bel Hubert, La Chanson de Fernand, Actualités 2012, Petite berceuse, Tunis 2011, Zoologie, Le Polonais, Est-ce écrit?), et un titre pour le résumer… et mettre le mot «fin» à ce sujet: Et voilà!
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