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Sans bruit, sur la pointe des pieds
Un deuxième recueil de nouvelles de Claire Genoux, subtil, mélancolique et vénéneux.
«C'est ce qui m'est arrivé et que je n'ai pas vécu», dit Marguerite Duras en exergue de Ses Pieds nus,
dernier recueil de Claire Genoux. On ne saurait mieux cerner les
personnages de ces sept nouvelles: ils sont tous à l'écart de la vie,
de leur vie. Celui qui «photographie des femmes nues» qu'il croit
posséder parce qu'il les brutalise se trouve mis en échec par une
épouse silencieuse et déterminée. Le psychiatre qu'elle le somme de
consulter saura fissurer cette façade arrogante. Une jeune femme
prend le train pour Prague, c'est le plus loin qu'elle ose se risquer.
En route, il y aurait l'aventure, le plaisir, peut-être la passion. La
peur l'empêche de les accepter: finalement «Prague ne comptera pas».
Les copains d'Emile rêvent de grands départs en buvant des bières et
des whiskys. Lui ne va pas plus loin que l'hôtel City d'où il contemple
son balcon desséché. «J'aimerais dire que mon corps, de toute façon, je
ne peux pas le garder pour moi seule, vous comprenez», dit l'héroïne de
«L'eau, l'été», une jeune fille qui tente de «rester souple dans sa
tête».
Dans ces histoires mélancoliques, les contacts physiques, même sous
couvert de gestes affectueux, s'apparentent à des viols, à des abus.
Même le fait d'attendre un enfant est le résultat d'un malentendu:
Jeanne se disait «que les bébés ne s'attrapent pas comme ça, qu'il faut
les vouloir, et elle n'en voulait pas». Et quand elle finira par
accepter celui qui s'annonce, ce sera pour l'accaparer. «Tout le monde
a une douleur, comme un étang tranquille au milieu du corps. Sans la
douleur, on n'est rien», constate l'une de ces victimes. Sans révolte,
sans se plaindre. Le mieux qu'on peut faire, c'est s'approprier sa
mort, semble-t-il.
Il se dégage de ces récits une infinie tristesse. Il vaut mieux
affronter leur pessimisme par petites doses pour ne pas désespérer tout
à fait. Personne n'est jamais au bon endroit. Claire Genoux met au
service de toute cette impuissance un art réel de la suggestion. Elle
sait dessiner le détail juste pour matérialiser l'angoisse diffuse qui
émane de ses figures. Quand l'histoire s'égare sur un chemin de
traverse, se fixe sur des personnages anodins, ce n'est jamais sans
raison. Claire Genoux a commencé par la poésie - Soleil ovale et Saisons du corps (Ed. Empreintes). Elle en a gardé le sens de l'ellipse.
ISABELLE RÜF, Le Temps
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Voici sept nouvelles surprenantes et d’une belle écriture. On y suit
des personnages qui évoluent en rêveurs, dans une réalité à laquelle
ils participent tout en restant à distance, en dehors. On s’attache à
ces êtres et à leurs côtés déjantés, comme cette jeune femme qui va
prendre le train de nuit pour Prague, juste pour une balade au bord de
la Vlatva, tout en regrettant de ne pas être dans celui de Naples,
alors même que sa vie manque de basculer. Avec ces nouvelles portant la
marque de la difficulté d’être, mais aussi de la sensualité, Claire
Genoux confirme ses dons de prosatrice.
JANINE MASSARD, Mon choix, 24 Heures
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L’envers du décor
À 35 ans, la poétesse vaudoise publie Ses pieds nus, son deuxième
recueil de nouvelles. L’écriture est pour elle une révolte et une
respiration.
Sensualité et discipline, rage et mélancolie: elle est à l’image de ses
textes, travaillée de contrastes étonnants, oscillant entre deux
univers dans une sorte de mouvement fécond qui lui donne de la
profondeur. Les sept nouvelles qui composent Ses pieds nus
sont tissées de non-dits, de ces silences qui font naître la tristesse
derrière l’apparente banalité des faits. «Je suis plutôt optimiste mais
les côtés sombres m’intéressent, déclare Claire Genoux. J’aime l’envers
du décor, les sentiments ambivalents.» Dans ce café en face de la gare
de Morges, elle parle d’une voix douce de son dernier recueil de
nouvelles et de la naissance de sa fille, en juin. Elle vient de
s’installer à Lonay, entre Morges et Lausanne, enseigne le français au
Centre de langues de l’EPFL, et explique qu’elle s’est toujours
arrangée pour obtenir de «petits mandats précaires» qui la laissent
«libre pour écrire». Question d’équilibre.
C’est pour sa poésie que Claire Genoux se fait d’abord remarquer. Son premier recueil, Soleil ovale, paraît en 1997, l’année où elle obtient sa licence en lettres à Lausanne. Il sera suivi de Saisons du corps,
Prix Ramuz de poésie en 1999. Mais la jeune femme a toujours écrit
poèmes et prose en parallèle, et travaille de la même manière les deux
formes d’écriture. La seule différence, c’est que «les poèmes sont plus
denses. Je creuse plus profondément. Les nouvelles ont plus d’espace à
plat. Ça me permet de me dérouiller les jambes», explique-t-elle en
filant la métaphore sportive.
Travaux du corps
Car l’écriture est pour elle un geste, dans sa dimension tactile et
sensuelle. «J’ai toujours aimé l’acte d’écrire, dit-elle. Petite, quand
on devait faire des lignes de lettres, une fois l’exercice fini je
recommençais avec la main gauche, pour le plaisir du geste.» Elle écrit
à la main, sur la page de gauche d’un cahier, laissant celle de droite
vide pour les corrections. «Je recopie cette première version à
l’ordinateur, je l’imprime et je la colle sur la page de gauche de mon
cahier pour la retravailler. Il est important pour moi de pouvoir
noter, biffer, feuilleter, voir toutes ces strates de travail. Le
cahier devient épais, énorme, j’adore le sentir.»
Adolescente, en quête d’un moyen d’expression et d’une discipline, elle
se prend de passion pour la danse classique. «Mais je n’avais pas la
morphologie.» C’est dans l’écriture qu’elle trouvera ce plaisir – celui
de «maîtriser son corps» fait écho à celui de «livrer un texte qui
paraît fluide, facile, alors qu’il m’a fait suer». Claire Genoux cite
Marguerite Duras: «Écrire, c’est hurler en silence.» «Ma révolte emplit
mes poèmes et mes nouvelles.» On imagine la colère derrière sa douceur,
une violence qui s’exprime dans un corps à corps épuisant avec les
mots. «Quand je retravaille mes premières versions, les textes sont
comme des crêpes ou une pièce de viande qu’on retourne pour les saisir.
C’est très physique. Ça n’a l’air de rien, je reste immobile à mon
bureau, mais c’est un travail d’ouvrier sur une carrière. J’écris
quatre soirs par semaine pendant plusieurs heures, je suis épuisée
parfois jusqu’à la nausée.»
Musiques
C’est qu’en vraie danseuse du verbe, Claire Genoux est en quête
d’idéal. «J’ai une sorte d’idée parfaite de ce que je veux, et je dois
le trouver avec des mots qui sont au départ comme de gros souliers
plein de terre. Je dois affiner et épurer jusqu’à ce que ce soit léger,
aérien.»
Ses poèmes sont écrits en vers libres, sans ponctuation. Sa poésie
comme sa prose résonnent d’une voix singulière. Rythme, assonances et
allitérations leur donnent une respiration, dans une musique intime
apprise au fil de ses lectures. «J’ai besoin de beaucoup lire pour
écrire.» Elle cite Baudelaire, Anna Akhmatova, les auteurs suisses
découverts assez tardivement. «J’ai été surprise et frappée qu’on
écrive des choses aussi fortes ici.» Elle dit s’inscrire dans la
filiation de Ramuz, Gustave Roud, Corinna Bille, Alexandre Voisard
aujourd’hui. Tous ont écrit «avec cette attention à la nature, à la
campagne».
Décalages
Les titres de ses livres trahissent cette importance du corps et des éléments naturels – Saisons du corps, Soleil ovale, les recueils de nouvelles Poitrine d’écorce ou Ses pieds nus.
Pour Claire Genoux, l’être est d’abord existence physique, tout entier
dans une attention au présent, une écoute du monde, un regard qui fait
surgir le paysage. Mais cette présence s’avère souvent problématique,
synonyme d’inadéquation douloureuse. Claire Genoux écrit sur la
difficulté à être dans le paysage, sur un certain décalage avec soi.
Les personnages de Ses pieds nus semblent tous à côté de leur vie. Dans
«Prague ne comptera pas», Marie est à la «périphérie d’ellemême»;
Julien vit dans «l’appartement de son épouse. Pas un objet ne prouvait
son existence à lui et il n’en ressentait aucun manque» («Photographier
des femmes nues»); l’attitude d’Emile a «quelque chose de mal digéré»,
«il flotte» («Le pari d’Emile»); dans «L’Imposture», Jeanne vit sa
grossesse comme quelque chose d’étranger, son propre corps ne lui
appartient plus. Ce sont ces fêlures que Claire Genoux interroge,
ce jeu entre soi et le monde, ces failles qu’il importe surtout de ne
pas remplir. Car c’est dans cet espace que l’écriture est possible.
«Quand je suis joyeuse, je n’ai pas besoin d’écrire, raconte-t-elle. Le
besoin naît du manque.» Il y a quatre ans, de retour à Lausanne après
quelques mois passés à Paris au bénéfice d’une bourse de la Fondation
Leenaards, elle a éprouvé ce sentiment grisant d’être étrangère à sa
ville et à ce lac omniprésent. Elle aime la nuit, et c’est le soir que
surgit l’envie d’écrire. «Le monde extérieur s’éteint. Une autre vie en
moi s’allume. Il n’est plus question de faire des choses, de voir des
gens. Rien d’extérieur ne vient troubler ce silence, on peut alors
laisser aller les rêves, les fantasmes.»
Écrire lui permet ainsi de vivre plusieurs vies. Une phrase de
Marguerite Duras, encore elle, ouvre Ses pieds nus: «C’est ce qui m’est
arrivé et que je n’ai pas vécu.» Dans chaque nouvelle «il y a une
partie autobiographique, des choses que j’ai vécues, voulu vivre,
imaginé sentir. L’écriture me projette dans différentes aventures et
sentiments.» Elle ne sait pas si elle l’a choisie ou si elle a été
choisie par elle. Ce qui est sûr, c’est que l’écriture lui est
nécessaire. «Il m’est plus difficile de vivre sans écrire que d’écrire.
J’ai besoin de cette espèce de combat pour m’équilibrer, me construire,
respirer, vivre.»
ANNE PITTELOUD, Le Courrier
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Des vies décalées
Dès ses premiers poèmes publiés, Claire Genoux s’est imposée. Son deuxième recueil, Saisons du corps
aux éditions Empreintes, paru en 1999, alors qu’elle n’avait que
vingt-huit ans, lui a valu le Prix de poésie C. F. Ramuz. Un an
plus tard paraissait, chez Bernard Campiche, Poitrine d’écorce,
un recueil de nouvelles où l’on retrouvait sa perception de la
sensualité, souvent liée au lac, et manifestait du goût pour l’incongru
et les situations décalées. Pour la rentrée littéraire 2006, elle
publie un recueil de sept nouvelles, magnifiquement écrites, d’une
narration plus limpide que celles de Poitrine d’écorce,
mais qui reprennent les thèmes déjà évoqués. Nous y suivons des
personnages qui évoluent en rêveurs dans une réalité à laquelle ils
participent tout en restant en dehors. Ainsi de Julien, qui tout petit
déjà s’adonne à la photo, devient photographe de femmes nues et finit
par ne plus supporter la vie qu’il mène. Telle aussi cette jeune femme
qui prend le train de nuit à destination de Prague pour aller se
promener au bord de la Vltava tout en se demandant si elle n’aurait pas
mieux fait de partir à Naples et qui, durant son voyage en train,
pourrait voir sa vie basculer alors que, parce que c’est elle sans
doute, rien ne se passe. On suit aussi Emile, un type plutôt
indifférent au monde, amateur de bière, pigiste dans la rubrique locale
d’un journal, qui accepte un pari conclu en état d’ivresse: faire la
conquête d’une fille ou d’un mec la ou le plus moche possible et
l’amener au bar. Echec, bien sûr, mais qui se transformera en victoire
de papier. Plus loin, une jeune personne tout aussi mystérieuse
qu’Emile: passionnée de promenades sur le lac, elle noue une liaison
avec un employé de la compagnie de navigation, relation à la fois
froide et frémissante, comme si la présence de l’eau, l’été l’emportait
sur la nécessité de l’amant, par ailleurs marié et plutôt rustaud. Ou
encore, cette autre jeune femme qui en attend une autre dans une gare,
tout en se remémorant une relation d’enfance faite de bagarres
d’enfants et de gestes qu’elle évoque sans parvenir à mettre le vrai
mot sur la chose, et qui, dans son attente, rencontre un musicien et
boit du vin en sa compagnie. La dernière nouvelle du livre raconte une
fin de vie, la mort qui se pose progressivement sur Séverin. Pris d’un
malaise, il tape contre le radiateur et une jeune voisine en peignoir
accourt, lui porte secours, et lui rappelle de belles émotions. Si
aucune nouvelle ne porte le titre du recueil, c’est dans celle-ci qu’on
le trouvera, simple détail qui transformera la bienveillante jeune
femme en présence transparente adoucissant la fin. Toutes ces
nouvelles portent la marque de la solitude, de la difficulté d’être, de
l’informulé qui blesse, mais aussi la sensualité avec son potentiel
d’ambiguïtés, la présence de l’eau, de la chaleur, la nécessité de la
transformation.
Par ce livre, Claire Genoux confirme qu’elle excelle dans la nouvelle comme dans la poésie.
JANINE MASSARD, Le Passe-Muraille
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Le singulier du féminin pluriel
Trois livres illustrent, non sans parentés sensibles, la vitalité de l’écriture féminine romande contemporaine.
Le
féminin a-t-il une singularité en littérature? L’écriture des femmes se
distingue-t-elle en quoi que ce soit de celles des hommes? L’écrivain
Dominique de Roux nous disait un jour que la femme, appelée (réellement
ou virtuellement) à donner la vie ne sera jamais dupe des mots, des
idées et des formes, de la même façon que l’homme. Or même si les
spécificités de genres et de rôles tendent à se diluer aujourd’hui,
alors que le nombre d’auteurs femmes a littéralement explosé, le fait
est que le regard des femmes sur le monde, la politique, les relations
sociales ou privées, la filiation entre générations, l’amour, les
sentiments, la solitude, le corps, le plaisir, la maladie et la mort,
le sens de la vie, nous semble décidément singulier, disons pour les
écrivains de valeur: plus ancré dans la réalité quotidienne (on le voit
chez Alice Rivaz, Mireille Kuttel ou Anne Cuneo) et plus ouvert à la
fantaisie des contes et au mystère (de Corinna Bille à Sylviane
Chatelain, Anne-Lou Steininger ou Rose-Parie Pagnard), plus poreux dans
l’observation fine des mœurs sociales ou familiales (de Catherine
Colomb à Corinne Desarzens), autant que dans l’expression des relations
amoureuses et de la sensualité (chez Catherine Safonoff, Asa Lanova,
Claire Genoux ou Anne-Sylvie Sprenger), notamment. Cette perception «à
antennes», magnifiquement déployée dans La corde de mi, le
dernier roman d’Anne-Lise Grobéty, caractérise également le nouveau
livre de Pascale Kramer, véritable «inferno» familial où tout est
filtré comme en sourdine et sous un verre grossissant.
[…]
Doux oiseaux de violence
On
voit aujourd’hui se multiplier les livres et les films qui modulent ce
qu’on pourrait dire le blues de la trentaine, et dont témoignent aussi
les sept nouvelles de Ses pieds nus, deuxième recueil de Claire Genoux (née en 1971 à Lausanne) après Poitrine d’écorce et les poèmes de Saisons du corps (Prix Ramuz 1999).
Si la première nouvelle, Photographier des femmes nues,
évoquant les tribulations d’un certain Julien établi à New York,
s’oublie aussi vite qu’elle se lit, il en va tout autrement de L’Eau, l’été, et plus encore de L’Imposture,
dans laquelle une jeune femme détaille les désarrois lancinants d’une
jeune femme «en espérance», mélange de refus de l’enfant, de dégout et
de peur, mais aussi de soumission à la bonne vie la gonflant, toutes
sensations et émotions plus ou moins partagées par son conjoint aussi
désemparé qu’elle. Avec autant de sensibilité que de force expressive,
Claire Genoux rend admirablement cette situation dont on ne sait trop
si elle débouchera sur une catastrophe ou sur «la vie»…
C’est cependant dans Le pari d’Émile,
nouvelle plus âpre, voire plus scabreuse, plus originale surtout par
son type d’observation, rappelant les fascinants récits de Judith
Hermann, que le talent de Claire Genoux se montre le plus prometteur.
D’une écriture parfois inégale, son recueil en impose en revanche par
une force sourde et comme une douce violence qu’on sent bien ressentie.
JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures
Comment mettre à vif quelques fêlures intimes
Claire Genoux signe avec maîtrise un remarquable recueil de nouvelles
Souvent
ennuyeuse parce que redondante et molle, la littérature d’introspection
psychologique acquiert une réelle force quand l’écriture sait en
quelques pages décortiquer les fêlures intimes d’un individu. Les
mettre à vif. C’est ce talent qu’a Claire Genoux dans son recueil de
nouvelles Ses pieds nus. Sept petites machines remarquablement bien
huilées qui hypnotisent le lecteur. «Photographier des femmes nues»
décrit l’irrésistible chute dans la maladie d’un photographe, poussé
vers la folie par sa femme et son analyste. L’arrogance de l’artiste
perd pied face aux tabous et aux souffrances qui resurgissent.
« Prague ne comptera pas » narre le voyage en train vers la
capitale tchèque de Marie. Elle ne sait pas trop bien pourquoi passer
une nuit dans un train, mais va connaître un inattendu coup de foudre
pour Gaëlle, cantatrice extravertie qui voyage dans le même
compartiment. Une histoire avortée par la peur, le malaise. «Des
jeux dans la haie» est la confession d’une jeune fille dont sa mère a
abusé quand elle avait huit ans. Cette mère qu’elle attend à la gare et
dont elle raconte la folie, la cruauté. Les caresses indécentes qui
trouent le corps à jamais. Là, comme dans les meilleures de ses
nouvelles, Claire Genoux réussit à maintenir une tension dramatique de
bout en bout. Sans surcharge, elle décortique ce qui troue l’être, ce
qui le fêle à tout jamais. On entre immédiatement dans ces nouvelles.
On est happé par l’efficacité à emmener la lecture vers le trou noir de
l’indicible, de la paralysie. Poétesse remarquée, notamment par le Prix
Ramuz en 1999, Claire Genoux s’avère une nouvelliste convaincante de
par la maîtrise de sa prose.
JACQUES STERCHI, La Liberté
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La séduction selon Claire Genoux
Dans
son dernier recueil, la lausannoise Claire Genoux, 35 ans, gagne en
maturité en explorant les rapports de la femme à son corps et à la
séduction. Interview.
— Vous êtes
mère de Margot, 4 mois et demi. On parle souvent de l’écriture d’un
livre comme d’une « gestation », est-ce que c’est la
même chose pour vous ?
— Pendant la grossesse,
on ne fait rien, le corps agit seul. L’enfant grandit, on attend, on ne
fait qu’attendre. Alors qu’un livre, vous le fabriquez, vous êtes actif.
Vous aviez déclaré ne pas désirer d’enfant, et dans L’Imposture,
une des nouvelles de votre dernier recueil, vous parlez de la grossesse
comme d’une déformation qui aliène et «viole» le corps de la femme.
Comment avez-vous évolué si vite ?
—
Étonnamment, il y a peu de réactions par rapport à cette nouvelle, qui
s’attaque à une «valeur sacrée». Pour moi le désir d’enfant est lié à
une rencontre. Avec l’homme qui partage ma vie aujourd’hui, avoir un
enfant paraissait évident. Avant, c’était inconcevable. L’Imposture, je ne l’écrirais plus, je suis dans un autre état d’esprit.
—
Plusieurs de vos personnages tentent d’exister par la sexualité. Mais
celle-ci les dévore, et les souille. Les rapports d’attraction dans vos
textes sont proches de la prédation.
— Mes
personnages cherchent à participer à la vie. Ils se sentent distants de
tout et d’eux-mêmes, ils cherchent à se sentir vivants, même
violemment. Vivre et destructeur pour eux, mais c’est toujours mieux
que rien.
— Écrirez-vous sur votre maternité?
Je ne sais pas. C’est trop tôt pour le dire. Parfois j’oublie que je
suis maman, c’est incroyable, c’est trop neuf. Heureusement, ma fille a
commencé à dormir la nuit et j’ai un peu de temps pour moi. Elle
m’oblige à «revivre» ma propre enfance, à réenvisager les liens avec
mes parents, dans les joies comme dans les angoisses. C’est nourrissant
et il y aura beaucoup à écrire.
JULIEN BURRI, Femina
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Avec
ce recueil de nouvelles, l’auteur confirme, si besoin était, ce talent
rare de suggérer les corps, les fêlures intimes et les émotions. Une
écriture directe, d’une très grande sensibilité. Sept nouvelles
marquées par les blessures non dites, une subtile observation du
quotidien, par la difficulté de communiquer et par les sentiments non
exprimés, non vécus.
SERGE MOLLA, Revue de Crêt-Bérard
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L’art de la nouvelle
À 35 ans, la lausannoise Claire Genoux a le courage de ses
inclinations, en écrivant et publiant des genres littéraires qui ne
sont pas les plus courus. Des recueils de poèmes – Saisons du Corps
lui ont valu le Prix de poésie C. F. Ramuz en 1999 – et aujourd’hui des
nouvelles. En effet, même lorsqu’elle fait un détour par la prose, elle
échappe à la catégorie roman. Ses pieds nus rassemble sept
nouvelles, traversées de personnages aux prises avec des sentiments
parfois changeants comme le temps, avec leurs fêlures intimes et ces
émotions qui ne disent pas leur nom, entre affectation et cruauté,
douceur et crudité du désir.
CATHERINE PRÉLAZ, Générations
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Ses pieds nus
«Tout
le monde a une douleur, comme un étang tranquille au milieu du corps.
Sans la douleur, on n’est rien.» Cette citation pourrait être le fil
conducteur des sept nouvelles du deuxième recueil de prose de la jeune
écrivaine romande, Claire Genoux. Elle y met en scène des personnages
solitaires, observateurs de leur existence, coupés de leurs émotions et
gérant leurs blessures comme ils peuvent. Un photographe célèbre et
branché, photographie les femmes comme des objets, tels les camions et
les pneus, sujets de ses premières photographies. Il va très mal et des
séances chez un thérapeute new-yorkais vont déclencher un crise majeure
et peut-être salvatrice.
Marie va à Prague, en train de nuit. «Partir à l’étranger. N’importe
quel étranger». Elle n’y connaît personne, elle y va. «Marcher. Voir
comment c’est.» Seule, elle rentrera le soir même avec peut-être le
souvenir des jeunes rencontrés pendant le voyage.
Émile, journaliste raté couvrant les inaugurations de supermarchés,
fait avec ses compagnons d’infortune le pari monstrueux de séduire une
fille laide, ou un garçon, qu’importe.
Une employée de régie immobilière et un pilote de la CGN entament une
relation pendant les traversées du lac entre Évian et Lausanne. Elle
aime le lac, la beauté, l’été mais nous retiendrons plutôt la tristesse
de cette liaison un peu sordide qui part en quenouille avec la fin de
la saison.
Que deviendra l’enfant de cette jeune mère qui vit si mal sa grossesse
et se montre si indifférente à tout, et incapable d’établir une
relation avec le père?
Des jeux dans la haie
met en scène une jeune femme qui attend sa mère dans une gare. Pendant
cette attente incertaine, elle revit son enfance massacrée par cette
mère violente et incestueuse, qui l’a laissée à jamais anesthésiée.
Paradoxalement, le dernier texte – Il faudra se souvenir
– qui raconte la mort du vieux Séverin est le moins triste! Sa
rencontre avec la représentante de «Bien vivre sa mort» est tout à fait
réjouissante. Il est le seul à établir une vraie relation, avec une
jeune voisine qui lui vient en aide lorsqu’il fait une chute dans son
appartement. Livre mélancolique, remarquablement bien écrit, sobre,
sans pathos avec la distance juste à des émotions étouffées qui savent
nous toucher. À lire et relire, en plusieurs fois peut-être…
MARIANNE PERRENOUD, à tire d’elles – L’Inédite
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