29 mars 2016
Le Tribunal régional des Montagnes et du Val-de-Ruz interdit à titre provisionnel la diffusion et la vente de Prison ferme
à la demande des deux filles de l'auteur, Marion et Marie. À la suite
de cette décision inouïe, tous les exemplaires diffusés du livre sont
rappelés par l'éditeur.
14 avril 2016
Un compromis est trouvé à l'audience du tribunal: la diffusion et la
vente du livre sont autorisées à condition qu'en soit supprimé un
certain nombre de pages. Bernard Campiche, l'éditeur, s'engage à
arracher lui-même lesdites pages des 3 100 exemplaires de cette
première édition.
Dans l'exemplaire que j'ai entre les mains, il y a ainsi 14 pages
arrachées: les pages 15-16, 23-24, 27 à 32, 35-36 et 77-78. Comme la
table des matières est la même qu'avant l'arrachage, les titres des 5
courts chapitres manquants demeurent: «Un ami», «Tu ne nous aimes pas»,
«Elles partent en vacances», «Faites quelque chose», «Obsessions», «Le
drame» et «L’anniversaire».
Marcel Nicolet, l'auteur, soixante ans, est incarcéré à la prison de
Bellevue à Gorgier, dans le canton de Neuchâtel. Ce gastro-entérologue
de La Chaux-de-Fonds a tué, il y a sept ans, son ex-femme Stéphanie et
il a été condamné à une peine de prison ferme de 14 ans. Il a écrit
cette autobiographie pour tenter de comprendre son acte et de le faire
comprendre à ses filles d'abord, ensuite à ses amis, enfin à tous ceux
qui prendront la peine de le lire.
Le lecteur, en tout cas, a bien du mal à le comprendre cet acte
criminel, peut-être parce que, parmi les pages manquantes, se trouvent
entre autres celles du drame, raconté en six pages. Il ne sait donc
rien des circonstances du crime, qu'elles soient atténuantes ou pas.
Aussi l'intérêt du livre ne subsiste-t-il que parce que le détenu,
alias Marco Nitti pour ses gardiens et ses co-détenus, raconte ce qui a
précédé ce drame et ce qui l'a suivi.
Les allusions à ses relations avec Stéphanie sont en effet
insuffisantes pour expliquer son passage à l'acte meurtrier, pour
lequel il éprouve remords et demande pardon à sa victime et à ses
filles. Ce meurtre trouverait son origine dans sa haine pour Stéphanie
quand elle l'a traité de père indigne, et dans sa boulimie, ses excès
en tous genres:
«Un jour Stéphanie m'a trompé. Lassée sans doute de mes excès, elle fut
séduite par un homme regardant ses beaux yeux plutôt que son assiette.»
«Je peux [...] voir dans ma boulimie comme une sorte de comportement
écran masquant mon mal-être. Stéphanie a dû aussi le percevoir sans
bien le comprendre.»
«Lorsque Stéphanie m'a reproché ma boulimie, j'ai basculé dans le
drame. La jalousie de la savoir avec un autre? Je ne pense pas. Je n'ai
pas besoin de posséder l'autre. Seulement d'être aimé. Ou mieux, de ne
pas être abandonné. Je vivais la rupture non pas comme un divorce, mais
comme un abandon.»
Il faut sans doute chercher dans son enfance cette hantise de
l'abandon. Marcel Nicolet n'était pas désiré par ses parents. Si elle
en avait eu les moyens matériels, sa mère aurait avorté. Elle et son
père se sont comportés comme si, à leurs yeux, il n'existait pas: «Une
non-existence qui engendre la peur d'aimer à l'âge adulte.»
Cette hantise de l'abandon, il faut donc aussi la chercher dans son
rapport avec les femmes, qui en est la suite logique: dans son premier
mariage avec une infirmière, dont il va divorcer, son inaptitude
chronique à la concertation perdurant; dans son deuxième mariage avec
Stéphanie, dont il va également divorcer, inévitablement.
Cette peur d'aimer à l'âge adulte va se traduire ainsi: «Les émotions
brûlent, et de ne pas en avoir évite de se faire mal. Une bonne raison
pour masquer mes sentiments derrière un rempart d'ironie, quand ce
n'est pas de cynisme.»
Ce qui a suivi le drame et qu'il raconte, c'est la prison. Et là,
justement, le portrait que Marcel Nicolet fait de l'univers carcéral
est d'une ironie décapante, empreint d'un humour qui fait peut-être le
grand intérêt de ce livre: l'auteur y manie l'autodérision avec
maestria et une belle connaissance de la langue française; il s'y
montre observateur aiguisé et intelligent de ce monde clos et kafkaïen,
tout bonnement inimaginable de l'extérieur.
Ce qui sauve Marcel Nicolet aujourd'hui, c'est, outre sa grande
résilience, qu'il n'est pas vraiment abandonné. Il a de nombreuses
visites. Qui sont ses visiteurs? Ce sont «le plus souvent des amis de
longue date qui me connaissent depuis l'enfance. Qui savent que ma
façon d'être n'est pas le meurtre mais le respect de l’autre:
Que s'est-il passé? Eux aussi veulent savoir. Pour comprendre. Pas pour
faire un dossier à charge. Évidemment ils condamnent le meurtre et
trouvent méritée la peine de prison. Ils approuvent ma remise en
question, me poussent à regarder dans tous les recoins de ma
personnalité et insistent pour que je ne laisse aucune zone d’ombre.»
C'est grâce à leur appui que Marcel Nicolet s'accroche, développe des
projets, «comme celui d'une reconversion humanitaire», maintient ses
connaissances médicales, a pu entreprendre des études de sciences
économiques et mathématiques et qu'il a passé avec succès un Bachelor
dans les deux domaines.
Toutefois, pour la société, il est encore et toujours un «criminel qui
a tué sa femme et un récidiviste potentiel: la Justice peine à définir
le risque de récidive. En multipliant les expertises, elle dilue les
décisions qui sont reportées d'année en année, fermant progressivement
la prison. Il y est "Qu'il y reste!"»
Blog de FRANCIS RICHARD
Prison ferme ou la difficile mise à nu
Sous le titre Prison ferme,
l’ancien gastro-entérologue de La Chaux-de-Fonds Marcel Nicolet vient
de publier chez Bernard Campiche un ouvrage dans lequel il raconte par
le menu son quotidien de détenu à la prison de Bellevue à Gorgier (NE).
Détenu pour 14 ans comme meurtrier de son épouse, Nicolet explique vers
la fin de l’ouvrage que sa principale motivation, au travers de cet
exercice, est de pouvoir, le jour venu, offrir la possibilité à ses
deux filles de connaître leur père. Deux filles, l’une majeure et
l’autre proche de la majorité, qui ont rompu toute attache avec le
meurtrier de leur mère. Si sur les 270 pages du récit, l’auteur dégaine
ses phrases courtes et ses mots incisifs non sans une certaine agilité,
si sa critique de la condition de détenu dans un système carcéral
bétifiant et terriblement inculte mérite le ton ironique qu’il emploie,
on a cependant un peu de peine à le suivre lorsqu’il passe aux choses
qu’il veut sérieuses, à savoir les explications profondes de son
attitude coupable et les clés de sa personnalité. On comprend qu’il
était jaloux. On comprend qu’il était boulimique. On comprend qu’il a
eu une enfance marquée par une inattention parentale navrante. On
comprend qu’il est brillant et boulimique aussi de connaissance et de
reconnaissance. Mais s’il souhaite vraiment que ses filles sachent un
jour qui il est, il semble manquer sa cible. Pour ce faire en effet, il
eût fallu qu’il se déboutonne vraiment un peu et abandonne aussi ce ton
critique et cet humour pas toujours hilarant qui enrobent bon nombre de
ses chapitres.
OLIVIER GFELLER, L’Omnibus
Un meurtrier peut-il dédicacer son ouvrage au Salon du Livre?
Autoriser un individu en
exécution de peine à promouvoir un bouquin qui évoque son acte, est-ce
l’aider à se réinsérer dans la société? Neuchâtel a dit non
Faut-il autoriser un meurtrier qui purge sa peine à se rendre au Salon
du livre de Genève pour dédicacer un ouvrage dans lequel il revient sur
son crime? Le premier réflexe est de répondre non. Cet individu agira
comme il l’entend une fois sa peine purgée, mais il doit faire profil
bas d’ici là. Le raisonnement peut se tenir, mais c’est oublier
que des autorisations de sortie sont accordées aux condamnés pour leur
permettre d’entretenir des relations avec le monde extérieur et
préparer leur libération.
Cette question vient de se poser à Neuchâtel. Dans le rôle du
demandeur, un médecin de La Chaux-de-Fonds qui a écopé de 14 ans de
prison le meurtre de son ex-femme. Incarcéré depuis janvier 2008, il
pourrait bénéficier d’une libération conditionnelle en janvier 2017, au
plus tôt.
En cours d’exécution de peine, ce meurtrier a rédigé un livre (Prison ferme)
où il raconte sa vie derrière les barreaux. Il évoque aussi l’acte
commis en 2008 et lance un cri d’amour à ses deux filles de 18 et 15
ans, nées de son union avec la défunte. Il n’a plus aucun contact avec
elles. À l’occasion de la publication de cet ouvrage, il a soumis
deux demandes de congé au Service pénitentiaire neuchâtelois. Il
souhaitait dédicacer son bouquin au Salon du Livre de Genève qui
s’ouvre mercredi et dans un camping situé près de la prison de Witzwil
(BE). C’est là qu’il est détenu.
Ces demandes peuvent surprendre, mais un condamné a le droit de
solliciter des congés. Il doit motiver sa requête, dire où il se
rendra, pour combien de temps, et qui il verra. La décision revient au
canton dont il dépend. Neuchâtel, dans le cas présent.
Le Service pénitentiaire neuchâtelois n’a pas donné son feu vert au
médecin. «Le service a dit qu’il ne pouvait pas cautionner qu’en cours
d’exécution de peine, mon client fasse la promotion de son livre de
manière publique, également en regard de la répercussion de ce dernier
sur les victimes, ses filles», explique Me Charles Munoz, avocat du
meurtrier.
Aurélien Schaller, chef du Service pénitentiaire, ne se prononce pas
sur le cas précis, mais rappelle que le Règlement concernant l’octroi
d’autorisations de sortie dit que «les autorités tiennent compte en
particulier des intérêts des victimes et des circonstances de
l’infraction commise».
Me Munoz comprend-il ce refus? «J’aurais préféré que les demandes de
mon client soient acceptées et qu’on observe sa façon de se comporter
en public. Il a déjà bénéficié de congés et cela s’est toujours
bien déroulé. Au-delà de cela, si mon client avait su que ses filles ne
voulaient pas entendre parler du livre, il n’aurait pas déposé de
demandes de congé. Il aime ses filles , cela ressort de l’ouvrage, et
il ne veut en acun cas les heurter.»
Le mal est pourtant fait. Me François Bohnet, avocat des proches de la
défunte, confie ainsi que «la famille ne saisit pas cette volonté
affirmée du meurtrier de médiatiser sa personne et ses actes, comme il
l’avait déjà fait dans la presse en mai 2010. Cette volonté laisse
craindre pour l’avenir, tant le condamné, en se mettant sur le devant
de la scène, ignore la souffrance des proches, qui ont besoin d’être
laissés en paix.»
On a serré la vis
Me Antonella Cereghetti, avocate de l’éditeur du livre, Bernard
Campiche, comprend «le souci de protéger les filles» du meurtrier, mais
elle constate que «depuis les affaires Marie et Adeline, on a serré la
vis en matière d’autorisation de sorties».
Mais le cas présent n’est-il pas limite? «Il faudrait connaître les
détails du dossier pour se prononcer. De manière plus générale, je
maintiens que dans les intérêts à prendre en considération entre
réinsertion, sécurité publique et protection des victimes, on oublie
qu’un tel congé aurait contribué à la réinsertion et que
réinsérer, c’est aussi assurer la sécurité publique à long terme.»
Ce que raconte le livre du médecin emprisonné
Il parle de sa vie derrière les barreaux, des détenus, de la
nourriture, de son travail à la bibliothèque, de l’aumônier, de ses
amis, des études qu’il mène. Mais dans son ouvrage de 250 pages, le
médecin revient également sur le meurtre son ex-femme en 2008. «Depuis
mon incarcération, je dissèque les moindres recoins de mon drame et mon
parcours de vie, cherchant inlassablement à comprendre», écrit-il.
Il aborde aussi les années qui ont précédé son acte, et c’est là que
surgit le malaise. «Je n’étais pas encore né que déjà, je dérangeais.
Je n’existais pas aux yeux de mes parents.» Des parents qui l’auraient
abandonné sur le plan affectif.
Il crée un lien entre cette carence et son épouse, qui avait obtenu le
divorce et refait sa vie. «Sans estime de soi, sans l’estime d’une
mère, sans estime pour ma mère, je n’avais pas d’estime pour Stéphanie,
non pas parce qu’elle m’avait trompé, mais parce qu’elle m’abandonnait
(…) Lorsque Stéphanie m’a reproché ma boulimie, j’ai basculé dans le
drame. La jalousie de la savoir avec un autre? Je ne pense pas. Je n’ai
pas besoin de posséder l’autre. Seulement d’être aimé. Ou mieux, de ne
pas être abandonné. Je vivais la rupture non pas comme un divorce, mais
comme un abandon. Ce n’est plus le cas actuellement.»
Le meurtrier écrit que sa démarche vise à «comprendre» son geste. La
barrière entre se comprendre et se chercher des excuses est ténue, et à
la lecture du livre, on n’est pas toujours certain qu’il ne la
franchisse pas.
FABIANO CITRONI, Le Matin Dimanche
Fin des «Malheurs de Campiche»
L’Omnibus a relaté dans son dernier numéro les Malheurs de Campiche, l’éditeur urbigène contraint par une décision de la justice neuchâteloise de ne pas diffuser l’ouvrage Prison ferme
déjà imprimé. Interrogé sur la suite judiciaire de cette affaire,
Bernard Campiche a dû refuser de nous répondre, tenu par les clauses
d’un accord de confidentialité. Après avoir pris contact avec l’avocate
de Bernard Campiche, Me Antonella Cereghetti, L’Omnibus est en mesure de confirmer que la diffusion de l’ouvrage pourra avoir lieu, dès que quelques passages auront été supprimés.
Cette opération sera rendue possible pour l’édition existante au
travers du retrait pur et simple de pages et l’ajout d’un feuillet.
supplémentaire. Dans les éditions ultérieures, la mise en page sera
revue pour tenir compte des suppressions acceptées tant par l’éditeur
que par l’auteur. L’un comme l’autre ne souhaitaient en effet pas
blesser ou mécontenter les filles de l’auteur Marcel Nicolet. C’est
donc tout prochainement que les aficionados des Editions Bernard
Campiche pourront lire la version expurgée de l’ouvrage Prison ferme.
OLIVIER GFELLER, L'Omnibus
Prison Ferme,
c’est l’histoire d’un homme incarcéré pour une peine de longue durée à
la prison de Bellevue, suite à un drame, le meurtre de son ex-épouse.
Vous êtes choqué. Lui aussi. Depuis le début. Et il l’est toujours. Par
contre, dans l’isolement de sa cellule, il cherche inlassablement à
comprendre et surtout à laisser un témoignage à ses filles. Si, un jour,
elles veulent le lire.
Un récit qui vous plonge dans l’intimité du coupable qui, jour après
jour, nuit après nuit, cherche des explications sur les chemins de la
résilience. Il vous fera aussi découvrir des détenus et des gardiens
sous un jour nouveau, très éloigné des clichés habituels. Ce récit
transpire le vécu de l’intérieur de la prison où très souvent la
réalité, même excessive, dépasse la fiction.
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