À petite touches, l’auteur revient sur les méandres de sa
jeunesse de rebelle. La vie était dure, l’argent rare et il fallait
nourrir six enfants. Les «Anecdotes» racontent quelques événements
parfois assez peu glorieux d’un jeune homme qui, au grand dam de sa
famille, ne sera «que» poète et écrivain.
Le livre raconte combien, au travers des incompréhensions et des
difficultés de l’existence, demeure ce lien intangible qui le lie à son
père. Avec des souvenirs et des regrets, l’auteur glorifie cet homme à
qui il doit tant et à qui il n’a pas su parler quand il était encore
temps.
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
Au moment des luttes pour l’indépendance du canton du Jura,
dans les années 1970, les poèmes d’Alexandre Voisard ont rassemblé les
espoirs de tout un peuple qui les proclamait par cœur. Il a par la
suite occupé des fonctions au sein du nouveau gouvernement.
Aujourd’hui, à quatre-vingts ans, le «poète coupé en deux» s’est
éloigné de la politique. Dans ce «roman à bâtons rompus», il dessine en
petites proses légères, parfois mélancoliques, souvent drôles, des
souvenirs d’enfance, des regrets et des désirs, la mémoire familiale.
Le livre s’achève par une lettre au père, une réconciliation posthume,
affectueuse et lucide. L’art de Voisard – sens de la litote, sentiment
de la nature, humour, concision – se retrouve entier dans ce «roman»
vrai.
ISABELLE RÜF, Le Phare
Des hauts et des bas
Une suite d’anecdotes, de souvenirs. Des «glanures», écrit Alexandre
Voisard en avant-propos. Où il explique le titre: d’une opération de
1986, il a gardé une cicatrice à travers l’abdomen. «Mais on vous a
coupé en deux!», s’exclama plus tard une «accorte personne» en la
découvrant. Comme un symbole d’un poète tiraillé «entre le haut et le
bas».
Les brefs textes du Poète coupé en deux
oscillent entre ce pôle. Aux souvenirs d’enfance, où la figure du père
est très présente, aux réflexions sur la musique et les mots succèdent
des anecdotes toutes simples, jusqu’au pipi et caca. À quatre-vingt-un
ans, Alexandre Voisard se retourne sur son passé sans en occulter des
versants triviaux. Qui n’auraient pas grand intérêt s’ils n’étaient
contrebalancés par de riches envolées: «J’en ai désormais la
conviction: les couleurs (et les poissons) font certes rêver, mais ce
sont les mots (et les oiseaux) qui font voyager.»
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
Cocottes, femmes, seins, fantômes… Père
Sorti tout juste de presse, Le Poète coupé en deux, Un roman à bâtons rompus, d’Alexandre Voisard, se lit d’une seule traite.
Titre dicté par les circonstances de la vie d’Alexandre Voisard ainsi
que par, explique-t-il, le ressenti d’un déchirement entre deux pôles
(des aspirations élevées et une trivialité), son dernier livre arbore
une couverture un peu trop pétante à son goût. Elle est néanmoins très
parlante. On ne dévoilera pas l’anecdote qui a dicté cette coupure en
deux illustrée par des cartes à jouer, le lecteur s’en délectera
d’entrée de jeu, dans les premières pages de l’ouvrage qui, comme son
sous-titre l’indique, propose «à bâtons rompus» une somme d’écrits très
courts, sans ordre chronologique existentiel, dépassant rarement les
deux pages, voire se contentant au minimum de quelques lignes, jusqu’à
aboutir à l’exception finale. Cette dernière est une lettre émouvante
adressée à son père. «Je l’ai écrite, dit-il, à mes quatre-vingts ans,
c’était à l’usage de mes proches et je me suis dit que ça pouvait
trouver une place dans ce livre-là, ça fait même une espèce de point
d’orgue.»
L’épine au cœur
Au fil de pensées, d’anecdotes, d’annotations ou de citations
rapportées, une émotion forte sourd au gré de l’évocation récurrente du
père, vivant ou disparu. Dans ce petit livre, il n’y a pas de solution
à un éventuel secret, à un non-dit qui affleure parfois se rapportant à
cet homme. «Le mystère est questionnement. Le mystère demeuré mystère
est une épine au cœur», écrit Voisard. À la curiosité de la
journaliste, il renvoie les mots de la «discrétion totale». «Depuis le
moment où moi je me suis émancipé dans le mariage, narre-t-il sur le
ton sage du conteur, je suis devenu aux yeux de mon père quelqu’un de
respectable. Il ne se serait jamais permis de violer cette intimité.
J’osais le questionner sur des choses, pas forcément domestiques, mais
inversement lui était très discret vis-à-vis de moi. On ne s’est pas
ouverts l’un à l’autre, dans mon âge d’homme en tout cas.»
— Comment ce livre a-t-il été fabriqué? Ces pensées, ces anecdotes, comment ont-elles été répertoriées?
— Quand j’ai écrit mon autobiographie, Le Mot Musique ou l’enfance
d’un poète (paru en 2004), j’ai laissé tomber beaucoup de
choses, beaucoup d’anecdotes qui seraient venues grossir le volume et
compliquer l’histoire, mais néanmoins ça restait proche de moi, je les
avais en moi, je me suis dit que je les reprendrai, mais je ne savais
pas sous quelle forme. En tout cas, certaines de ces anecdotes qui sont
des confessions autobiographiques authentiques sont venues comme ça, au
fil du temps, je les transcrivais, j’essayais de les raconter au premier
degré, le plus simplement possible. En dehors de ça, ou entre, ce
travail d’inventaire, de cheminements de jeunesse – je suis un être
intuitif, sensitif – des réflexions me venaient sur le roman, mon
attitude dans la vie, la vie quotidienne (…) C’est un autre portrait de
moi-même que je donne là, c’est un supplément à un livre préexistant,
ça complète le tableau, y compris mon embarras pour les cocottes en
papier ou des choses comme ça, qui sont des annotations, comme des
travellings de cinéma qui se posent tout à coup sur un détail, un
décor, le détail d’une main, d’un personnage… Ces petites réflexions ont
panaché les confessions que j’avais à faire.
— Dans votre expression, votre
poésie, il y a une communion avec la beauté naturelle, les fleurs sont
nommées sans détour, toutes les réalités… Bref, la vraie question
serait, et Dieu dans tout cela?
— Oh moi, j’ai une foi de charbonnier, je ne suis pas un militant de
l’adoration divine. Je crois qu’on en a besoin… Moi, j’ai besoin de
cette transcendance, je ne pouvais imaginer qu’il n’y a pas quelque
chose qui nous attire mystérieusement, quelque chose qu’on ne connaît
pas, qui nous invite tout le temps, constamment, au dépassement…
— Y aurait-il quelque chose après la mort?
— Je n’en sais rien. Je pense, oui, qu’il se passe quelque chose avec
nous, après ce qu’on appelle la mort. Mais, de quel ordre?… Je n’y
comprends rien et je n’ai pas envie d’imaginer quelque chose, c’est
pour ça dans le fond, moi ce qui m’intéresse le plus, c’est le réel.
Si Le Poète coupé en deux se
lit passionnément et d’une seule traite, son créateur le considère
quant à lui comme un roman fait de discontinuité, voire de heurts, et
qui peut se consulter dans le désordre. Ce roman qui n’en serait pas un
s’accompagne d’ailleurs, à la fin, d’un inventaire ludique et
alphabétique selon des mots choisis par l’auteur tels que:
anecdote (il y en a sept), caca (deux), cocottes (un), fantômes (une),
femmes (quatre), fusil (un), musique (six), miettes (un), seins
(quatre), viande (deux), prière (un), secrets, etc. jusqu’à cette page
141 qui, dérogeant à l’amusante liste, annonce Lettre à mon père qui ne
m’a connu qu’en chenapan et en père de famille, un texte d’une petite
dizaine de pages. Quelques morceaux choisis:
Portrait: «À voir les
portraits photographiques de mon père, jeune instituteur de vingt-cinq
ans, je lui trouve une étonnante ressemblance avec le Rainer-Maria
Rilke du début du siècle. Plus tard, photographié dans la force de
l’âge, il aura un certain air d’Errol Flynn, acteur américain de
l’époque qui incarna Robin des Bois. Pur fantasme, peut-être. Mais
quels troublants transferts…» Page 45
Mots, 1: «Soudain mon père s’exclamait: “Oh! celui-là, ce taborniau…” Et aussitôt ma stupéfaction (muette) d’enfant.» Page 36
Mots, 2: «J’en ai
désormais la conviction: les couleurs (et les poissons) font certes
rêver, mais ce sont les mots (et les oiseaux) qui font voyager.» Page
127
Cocottes: «Je n’ai jamais su faire des cocottes en papier. J’en ai été longtemps navré.» Page 51
PASCALE STOCKER, Le Quotidien jurassien
J’ai
voulu faire. J’ai fait. J’ai omis de faire. J’aurais pu faire
autrement. Ne rien faire aurait été la pire illusion. Faire son chemin.
Faire sa pelote. Faire sa vie, oh! Ai-je entrevu un chemin de Damas?
Mais où? Mais quand? Il m’est arrivé, ayant fait, de défaire. Je n’ai
jamais défait sans avoir fait. Je ne me suis pas fait d’amis chez ceux
qui disent «laissons faire les choses». J’ai tourné le dos.
ALEXANDRE VOISARD
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