Peu
à peu s’était insinué en moi, l’âge venant, le besoin obscur de baliser
ma route en amont afin que les miens, les tout premiers, soient enfin au clair
sur ce parcours maintes fois évoqué, à demi-mots, en poèmes sibyllins
ou à l’occasion énigmatiques. Puis la mort du père mit en branle une
remémoration tumultueuse, à laquelle je ne résisterais pas, qui
m’imposait de dire vrai avec les mots justes. Le récit qui en est
résulté n’est pas une confession désabusée mais l’évocation, sans fards
et à grands traits, d’aventures portées par une curiosité et une
exaltation incessantes. Il m’importait tout autant d’en appeler à des
origines familiales décidément discrètes pour qu’enfin ce qui pouvait
l’être de cette humble chronique soit quelque part consigné. La
mémoire rompt les amarres, défait ses liens et déferle? Voici le scribe
astreint à apaiser, ordonner et insérer dans une cohérence des
souvenirs désemparés survenant parfois en haillons effilochés, auxquels
il faut bien redonner figure. J’ai renoncé à vérifier «sur le terrain»
quelque détail que ce soit, de caractère topographique ou historique,
m’engageant ainsi à ne recourir qu’à ma seule souvenance, avec ses
trous et ses flous au milieu desquels je devais prendre parti. Ainsi,
certains détails anecdotiques pourront-ils paraître «arrangés», mais je
jure que mon récit est foncièrement sincère et de bout en bout
authentique.
ALEXANDRE VOISARD
Symphonie de la mémoire
Clé de voûte existentielle et poétique de l’œuvre d’Alexandre Voisard, Le Mot musique restitue une vie en verve et toute une époque.
La femme de sa vie, ses proches et ses amis l’appellent coco, et c’est
vrai que c’en est un drôle, loustic dès son adolescence et chenapan à
couteaux, jeune pillard des siens et saute-frontières du temps de
guerre risquant sa peau à des jeux très dangereux, que cet Alex
sacripant dont la chronique jurassienne accoutume de parler en termes
désormais légendaires, célébrant le poète national de l’indépendance
qui le vit lire ses poèmes devant de vastes foules.
On le savait pourtant: Alexandre Voisard n’a rien du Monument classé. Mais à lire Le Mot musique ou L’Enfance d’un poète,
voici la vie qui ressuscite, de toute une tribu d’Ajoie. Et c’est en
ces terres, entre Porrentruy et Belfort, dans la ferme de Courtelevant
où sa femme passa sa propre enfance, que le poète évoque son besoin de
se livrer. «Il y a très longtemps que je pensais à cette
autobiographie, pour rendre plus explicites les événements fondateurs à
travers lesquels j’ai passé», explique Alexandre Voisard. «Mon parcours
a toujours fait jaser. On avait conscience que j’avais eu un destin
singulier, et j’ai souvent eu la sensation d’être incompris. Or le
problème était d’extraire, de toute une profuse matière, ce qui est
réellement porteur de sens. Il y avait donc un grand travail de
décantation à faire. La mort du père, en 1998, a été une première
injonction à l’écriture, mais il m’a fallu des années pour trouver le
ton juste et la bonne distance.»
Si l’ouverture du livre est consacrée à la mort du père, puis à
l’évocation des figures hautes en couleur de ses aïeux Voisard et
Jolidon, Le Mot musique
est également un chant à la nature, nommée par le père comme l’Éternel
au jardin originel, et une façon pour l’écrivain de sentir ses racines.
«Mon enracinement dans ce pays remonte à ma première perception du
monde, dans une enfance de sauvageon marquée par la conscience
immédiate d’une solidarité entre les êtres et les choses. De tout
temps, j’ai tenté de conformer un paysage intérieur, qui s’est
constitué en moi, au paysage réel. Il y a là comme une espèce de
mystique d’appartenance. J’ai toujours eu le sentiment d’avoir de la
boue de mon pays sous mes talons. Ce pays c’est l’Ajoie, ou plus
précisément le flanc de la montagne, qui descend vers la plaine et les
rivières. C’est du flanc de la montagne que tout part : le rêve, le
regard et le corps.»
La nature, la musique et les autres
Outre la nature, célébrée avec quel lyrisme et quelle sensualité, la
musique, intensément vécue par le père, et réinvestie par le fils dans
le chant et la poésie, est un motif omniprésent des Mémoires
d’Alexandre Voisard. Autre thème essentiel de ce récit: la relation
avec les autres et l’amitié. Hommage fervent à ses parents (même si son
père et lui ont campé longtemps sur des positions opposées, l’auteur
montrant par ailleurs autant de verve ironique à l’égard des siens
qu’envers lui-même), Le Mot musique accorde une grande place à l’amitié et à ce que Voisard appelle plaisamment «l’université buissonnière des cafés».
«C’est cet ami que j’appelle Loiseau», précise encore l’écrivain, «qui
m’a le premier donné cette leçon, selon laquelle il me fallait être
homme avant d’être poète. Durant mon adolescence, ma singularité n’a
cessé de s’imposer de manière intempestive, puis j’ai appris à accepter
le sort commun et à concilier ma singularité et les exigences de la vie
sociale. Par la suite, la prise de conscience de l’identité jurassienne
a été déterminante dans ma relation avec la communauté. Dès la
publication de la fondatrice Anthologie jurassienne,
le patrimoine de notre littérature a été révélé, qui nous inscrivait
dans un ensemble. Ensuite, le peuple jurassien nous a pris à témoin,
nous autres écrivains, de sorte que nous ne pouvions nous dérober. Mais
c’est une autre histoire?»
De fait, Le Mot musique ou L’Enfance d’un poète,
livre des fondations, n’aborde pas la saga de l’indépendance
jurassienne telle que l’a vécue Alexandre Voisard. Le propos de ce
livre est à la fois plus intime et plus universel. Symphonie de la
mémoire, il inscrit l’enfance émerveillée et la folle jeunesse d’un
poète dans une lumière d’éternelle matinée.
Le chant de vivre
D’amont en aval, le torrent des mots étincelle.
La poésie romande est trop souvent corsetée, cultivée en serre par des
lettreux exsangues. Avec Alexandre Voisard, c’est une autre chanson,
nourrie de bonne sève et reliant l’individu au cosmos. La musique du
monde et celle des mots sont liées dès l’origine dans le récit de son
enfance. D’avoir entendu parler du «cœur de la terre» fait creuser
l’enfant et découvrir un fruit étrange, avec le sentiment sacré d’avoir
violé quelque secret. Puis de la première sève jaillissant de son corps
lui vient la sensation d’une appartenance plénière (une page
d’anthologie sur la divine surprise du sexe) que les sous-entendus d’un
curé ne terniront jamais, alors que la conscience inextinguible d’un
crime commis lui viendra du massacre d’un pauvre crapaud.
Scènes primitives ici fixées par de fortes images où tous se
retrouveront. Scènes ensuite d’un théâtre d’enfance et d’adolescence où
la pauvreté contraignant une grand-mère à voler son bois, l’incurie
d’une mère menant seule sa barque pendant que le père «couvre la
frontière», les frasques du jeune sauvage livré pour punition au
redressement d’une famille paysanne puis aux internats alémaniques,
s’intègrent dans le tableau foisonnant et savoureux de tout un pays.
Un ton en dessous, l’intermède genevois qui voit le jeune rebelle
s’égarer quelque temps dans un début de carrière théâtrale débouche sur
le retour de l’enfant prodigue, retrouvant sa place en
intendant-cuistot de la tribu et jetant, avec moult bons compères, de
nouvelles bases à la future carrière de poète.
JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures
Quand Voisard se livre
Peu à peu s’est insinué en lui, explique Alexandre Voisard, ce besoin
de mettre sur le papier ses souvenirs d’enfance et de jeune homme.
«L’évocation, sans fard et à grands traits, d’aventures portées par une
curiosité et une exaltation incessantes.» Portées surtout par une
écriture élégante et pleine de tendresse. Sous le récit de l’enfance,
on sent le poète ciselant ses mots. Avec de belles trouvailles. Comme
lorsqu’il évoque l’amitié – «la vraie vie» – en notant: «Je poursuivais
avec obstination les cours de mes universités d’auberge […] dans le
déchaînement anarchique de la parole». Au fil de ces mémoires intimes,
ce sont toutes les errances de l’enfance et de la jeunesse qui sont
mises à plat, expliquant assez limpidement le devenir d’Alexandre
Voisard, poète.
JACQUES STERCHI, La Liberté
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Voisard, poète de l’authenticité
Souvent qualifié de «poète de l’amour», «de la nature», ou «politique»,
Alexandre Voisard récuse toutes ces étiquettes, mais se dit fièrement
l’un des «poètes de la libération» du Jura. Né en 1930 d’un père
instituteur et d’une mère francmontagnarde, il signe aujourd’hui ce
récit autobiographique aux Éditions Bernard Campiche. Et ce que révèle Le Mot musique ou L’Enfance d’un poète,
c’est un conteur sincère qui se dévoile avec une vraie générosité. Le
décès de son père a mis en branle «une remémoration tumultueuse, à
laquelle je ne résisterais pas, qui m’imposait de dire vrai avec les
mots justes». L’auteur évoque son passé de façon profondément
touchante, dans une langue qui joue avec les sons comme d’un instrument
subtil. Et si les lieux, les dates, les détails ne sont pas vérifiés,
ce qui compte est cet aveu de totale sincérité: c’est son âme
qu’Alexandre Voisard dévoile ici.
ANNE PITTELOUD, Le Courrier
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Alexandre Voisard graine de vaurien
L’écrivain jurassien publie un magnifique récit autobiographique. Michel Audétat lui rend visite
Le regard s’arrête sur la couverture du livre. On observe ce garçon de
4 ou 5 ans accoudé à une fausse ruine de plâtre. Tête blonde. Joues
pleines. Costume des grands jours. Figé dans la pose, comme il
convenait de l’être quand on allait solennellement se faire tirer le
portrait chez les photographes de ce temps-là.
Puis, on lève les yeux et on retrouve Alexandre Voisard, 74 ans,
l’auteur de ce livre qui lui est venu comme une grande vague de
mémoire: Le Mot musique ou L’Enfance d’un poète.
«C’est moi sur la couverture, mais je ne me reconnais pas. C’est comme
le matin, quand je me vois dans la glace: je suis toujours étonné d’y
découvrir un quasi-vieillard, alors que je m’imagine plutôt comme un
homme mûr.» Alexandre Voisard ajoute un sourire à sa façon, à la fois
léger, amusé, vaguement désolé, un brin mélancolique, pas dupe des
illusions dont la vie fait commerce. Sur quoi, il remplit les verres.
Un peu plus tôt, il était venu chercher le journaliste à la gare de
Boncourt, où s’arrêtent la Suisse et les CFF. On passe donc la
frontière française en voiture. À Delle, on jette un coup d’œil sur la
gare que le jeune Voisard, il y a soixante ans de cela, a vue bombardée
par des chasseurs américains. Installé en territoire neutre, à
l’extrémité de son Ajoie natale, l’adolescent a éprouvé devant cette
première image de guerre une envie de traverser le miroir.
L’odeur de la poudre
Le Mot musique ou L’Enfance d’un poète
raconte cet épisode aux allures de passage initiatique. Pendant la
guerre, un treillis barbelé séparait l’Ajoie de la France. L’adolescent
réussit à le franchir, file de l’autre côté où l’histoire est en
marche, respire l’odeur de la poudre et rentre auréolé d’une audace qui
épate ses camarades. Alexandre Voisard semble tenir tout entier dans
cette scène: sans jamais s’être beaucoup éloigné de sa terre natale, il
apparaît d’abord comme un passeur de frontières, une espèce d’écrivain
contrebandier qui aime à se faufiler entre les ordres institués. Il
y a toujours, derrière les réalités ordinaires, un monde inconnu où se
perdre et se retrouver. Alexandre Voisard l’a su très tôt, enfant,
quand il s’allongeait sur les berges de l’Allaine ou à l’orée des
forêts. Liberté buissonnière qui lui fait découvrir l’alphabet des
plantes, l’arithmétique des senteurs, la science intime du vivant… Ce
furent ses véritables classes auxquelles s’ajouteront plus tard des
conversations débraillées, pleines de rires et d’amitié. «Mes
universités d’auberge», comme il dit.
À hauteur de fourmi, l’enfant découvre les passages secrets entre la
nature et les hommes que ses livres, par la suite, ne vont cesser
d’emprunter. Alexandre Voisard est aujourd’hui un écrivain qui se
promène nez au vent, en remplissant ses carnets et sa besace. De ses
maraudes, il ramène des feuilles mortes, des galets ou des écorces sur
lesquels il dépose délicatement des vers. À Courtelevant, petit village
de la Franche-Comté voisine et cousine de l’Ajoie, il habite avec sa
femme Thérèse une ferme rénovée où le visiteur découvre, disséminés un
peu partout, les témoignages humbles et émouvants de ces rencontres
entre les formes de la nature et celles de la parole poétique.
Mais il fut aussi une graine de vaurien. À sa mémoire remonte le
souvenir du jeune sauvageon qui n’écoutait pas ses professeurs et
désespérait ses parents. Le livre révèle un adolescent solitaire,
singulier. Il ment, vole, tient tête à l’autorité. De guerre lasse, son
père finit par l’envoyer «en résidence surveillée» dans une ferme. Les
durs labeurs du paysan l’attendent. Mais aussi les humiliations et les
taloches dont il sera payé en retour. En lisant alors Le Petit Chose,
il a l’impression de tomber sur un «frère de misère».
Avec cet enfant rebelle, le père aurait souhaité partager son amour de
la musique. Peine perdue, là encore. «As-tu fait ta musique
aujourd’hui?» Non, bien entendu: le petit Voisard fuit la discipline,
manque la rencontre avec cet art auquel tout le prédestinait, et en
éprouve aujourd’hui un regret toujours lancinant: «C’est sur le terrain
de la musique que j’ai raté l’amour filial. Mon père me tendait une
perche que je n’ai pas voulu saisir. Avec ce livre, je lui donne raison
de manière posthume.»
L’ombre d’un père
C’est cela qui touche dans Le Mot musique ou L’Enfance d’un poète:
ce dialogue à demi-mots avec l’ombre d’un père disparu en 1989, cette
mélodie élégiaque qui court le long des pages, ce manque autour duquel
le livre s’ordonne, tout en sachant ne pouvoir le combler. La
littérature ne compense rien, mais peut consoler: «Je crois m’être
soigné avec la poésie, admet Alexandre Voisard. Peut-être me suis-je
rapproché d’elle parce que je n’ai pas réussi à être musicien?» En
attendant d’être poète, le jeune Voisard doit cependant trouver un
métier. Faute de mieux, ce sera un apprentissage à la Poste. L’ennui
compact. Des temps blêmes qu’illuminent seulement l’amitié et la poésie
(René Char, Pierre Reverdy…). Le livre évoque encore l’armée qui le
consterne. Et, enfin, le départ pour Genève où Alexandre Voisard suit
les traces de son ami Maurice Aufair. Comme lui, il rêve de devenir
comédien, mais ne va connaître que les galères du métier, les
panouilles, la dèche, la faim. Et la nostalgie du pays qui le ramènera
bientôt vers les cafés de Porrentruy.
Les souvenirs du livre s’achèvent là: dans un estaminet enfumé où
l’événement du jour est l’arrivée d’une nouvelle serveuse. Il la nomme
ici Genièvre, et c’est Thérèse qu’il épouse en 1957. Une autre histoire
débute: «La passion politique nous prendrait cœur et âme. Et dans ce
tumulte naîtraient des poèmes comme autant d’enfants qui, tout
exigeants et fiers qu’ils fussent, se répandraient en cailloux blancs
sur leurs infinis chemins de ronde.» Dix ans plus tard, à Delémont, il
lira Liberté à l’aube devant vingt ou trente mille Jurassiens qui reprendront ses vers en chœur.
On semble très loin de cette agitation dans la ferme de Courtelevant.
«C’est vrai que la tentation du lyrisme était redoutable. J’ai compris
qu’elle faisait courir de gros risques à ma poésie: il ne fallait pas
que je me mette au diapason de la rue.» Rompant avec la poésie de
combat, il va prendre des chemins de traverse, se tourner vers la
prose, inventer des petits récits curieux, libérer une verve
fantaisiste et retrouver par là une cadence poétique plus intime.
Décidément, on aime chez Alexandre Voisard cet accord de la poésie avec
la prose des réalités ordinaires. Ce jour-là, Thérèse a cuisiné du
sanglier. On en reprend trois fois.
MICHEL AUDÉTAT, L’Hebdo
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Voisard: du galopin au poète
Dans le récit de son enfance, l’écrivain d’Ajoie nous donne l’un des plus beaux livres de cette fin d’année
L’Ajoie, Brigue et Genève, il y a ces trois fins fonds de la Suisse
dans le récit merveilleux qu’Alexandre Voisard nous donne de ses jeunes
années. Qui connaît les bois et les prés du Jura qui penchent vers la
France? Ils sont parcourus de chemins d’iris et de mésanges, de
framboises et de cornouillers. Un petit garçon y découvrit l’univers,
ses mystères et des grappes de mots.
Les rites de passage élèvent ce livre à la hauteur d’un mythe. Un
enchantement d’une enfance pose les fondements d’une œuvre. En vérité,
sa famille se débat dans la misère, père mobilisé, mère malade et
débordée, six gosses à l’étroit, dettes, estomacs creux.
Très absent, très présent, ce père pèse sur la conjoncture, sévère mais
éminemment pédagogue. L’instituteur apprend à ses enfants à nommer
exactement les plantes et les pédoncules. Il meule son fils aîné pour
qu’il fasse sa musique, mais le sauvageon se dérobe en ses propres
mélodies. Et le voilà, dans ses fabuleuses rêveries, qui finit par
filouter son papa. Cas pendable. Temps de violence. C’est la guerre,
Coco aime les couteaux et les armes. Folie! Le gamin s’infiltre en
douce dans la France voisine et salue dans sa boue l’armée de
libération. L’impossible petit Voisard est envoyé en pension, d’abord
chez des croquants qui le rossent, puis en internat, dans une Suisse
allemande laborieuse et muette. Le paysage de Brigue l’écrase. Il croit
mourir mais apprend l’allemand et l’italien. Un trésor caché de poèmes
le sauve.
Devenu postier, le garçon n’y tient plus. Après ses vingt ans il
s’enfuit à Genève. Deux ans, comédien occulte, il patauge dans la mare
humaine, connaît la faim, des femmes, l’impasse. Le retour en Ajoie,
enfin, ramène l’errant à la terre natale bien nommée. Le père semble
avoir pardonné. Pourtant, pas un mot d’éloge quand le jeune Alexandre
publie son premier (admirable) recueil de vers. Mais à Porrentruy un
clan entoure désormais le poète. Par ce livre, un large public va
découvrir Voisard. Il concilie la spontanéité de la narration ajoulote,
pleine déjà de saveurs, avec son usage prodigieux de la langue. Dans
l’ample et le soyeux, dans la sincérité sidérante et dans les facéties,
un grand musicien des mots raconte la condition des pauvres, la
sexualité, l’existence quotidienne des familles nombreuses, l’émergence
de la poésie, les amitiés qui comptent. Et il fait face au mal, au
crapaud qu’un jour le galopin découvrit et fit périr atrocement à coups
de couteau, persuadé dès lors qu’un jour «il devrait payer pour cela».
BERTIL GALLAND, Coopération
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Dans le terreau de l’enfance
Le poète Alexandre Voisard se livre dans un récit autobiographique, Le Mot musique.
Où l’on découvre un enfant espiègle, adepte de l’école buissonnière,
puis un jeune homme assidu aux cours de ses «universités d’auberge».
Une manière tendre et émouvante d’évoquer sa prime jeunesse et les
racines de son œuvre
Alexandre Voisard (né en 1930)
a rarement échappé aux étiquettes réductrices: poète politique, poète
de la nature, ou de l’amour. Au centre, toujours, la poésie, compagne
indéfectible d’une trajectoire peu commune, qui l’a notamment vu
participer à la «libération» du Jura. Récit autobiographique, Le Mot musique retrace avec tendresse et humour les débuts de ce parcours.
Point de départ du livre: la mort du père, un jour d’hiver 1989, qui
vaut des pages magnifiques. «Nous nous sommes aimés très tôt avant de
nous détester respectueusement dès que l’adolescence m’offrit les
ressources de la rébellion», résume Alexandre Voisard. Se met alors en
branle «une remémoration tumultueuse, à laquelle je ne résisterais pas,
qui m’imposait de dire vrai avec des mots justes».
En retraçant son enfance et son adolescence, Le Mot musique
permet de découvrir le terreau où le poète plonge ses racines. De
remonter aux sources de son attachement au Jura, à son pays et à sa
terre. De comprendre à quel point la nature a compté dès son plus jeune
âge, avant de devenir centrale dans son œuvre. Et, surtout, de trouver
un enfant puis un jeune homme qui a déjà le goût et le besoin de la
liberté. Sa jeunesse a en effet un parfum de rébellion, d’école
buissonnière, de découverte de la nature. Le futur poète se décrit
comme un «jeune sauvageon rêveur dans cette nature dont les mystères ne
s’épuisaient pas». Pendant la guerre, alors que son père est mobilisé,
il passe même régulièrement la frontière pour approcher les soldats,
voit des femmes tondues…
«Pas un métier»
Cette vie d’aventures n’a qu’un temps: en punition, le jeune homme se
voit placé dans une ferme, puis dans un internat à Brigue. Entre ces
épisodes, il découvre la poésie, Verlaine, Rimbaud, Éluard,
Apollinaire… Plus tard, ce sera René Char et Pierre Reverdy. Et cette
certitude: «Avec la poésie, je suis heureux! » Mais voilà, «poète n’est
pas un métier»... Alexandre Voisard passera donc par un travail à la
Poste, puis choisira le théâtre à Genève, où il connaît les affres de
la faim.
Durant ces années se développent des amitiés fondatrices (présentées
sous pseudonymes), des rencontres autour des tables de café: «Je
poursuivais avec obstination les cours de mes universités d’auberge. »
Puis vient le premier recueil de poèmes, accueilli à la maison par un
«Ah!... » paternel. Parce qu’«ici n’est pas la maison des compliments».
La suite, l’engagement politique pour la cause jurassienne (Liberté à l’aube, 1967) et l’œuvre en éclosion, c’est une autre histoire?
Dialogue pudique
Cette enfance d’un poète, Alexandre Voisard la trace d’une plume
légère, élégante. On sourit devant les frasques de ce gamin frondeur,
de ce chenapan aventurier. On s’émeut face à certaines images au
puissant pouvoir évocateur,comme celle du «cœur de la terre» que
l’enfant croit un jour avoir déterré.
Surtout, tout le livre est parcouru d’un dialogue pudique avec le père,
autour d’une phrase qui revient comme une antienne: «Et ta musique?»
Une phrase qui va bien au-delà de l’anecdote: «Si je devais d’un seul
mot illustrer l’amour difficile qui m’a uni au père autant qu’il m’en a
éloigné, c’est sans doute le mot musique qui me viendrait sous la
plume.»
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
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L’autobiographie du poète jurassien clôt l’année littéraire romande avec l’unanimité de la critique
Alexandre Voisard raconte la délinquance juvénile à la source de sa poésie et de sa musique
Un sacré sacripant, le poète de la liberté jurassienne à l’aube de sa vie. Dans son dernier écrit doublement intitulé Le Mot musique ou L’Enfance d’un poète
(paru chez Campiche), Alexandre Voisard clôt l’année littéraire avec
autant de bonheur qu’il livre un nouveau récit sous le sceau d’une
énigme: le mot inaudible prononcé par son père dans un ultime souffle
de vie. Comme si l’essentiel de la poésie résidait précisément dans
cette tentative extrême de désigner la vie – ou l’éternité. Cette
autobiographie révèle en outre la délinquance juvénile du poète dans
une relation névrotique au père et à toute forme d’autorité. Ce dont il
s’affranchira tout aussi in extremis par l’écriture.
Enraciné aux territoires du vent
Un sacré sacripant, notre poète national. Rien à voir avec les
humanités provinciales de l’écrivain essayiste Pierre-Olivier Walzer,
autobiographie raffinée de l’auteur de la Vie des saints du Jura. Ni saint ni cérébral, Alexandre Voisard lui devra tout de même ses premières publications. Rien à voir non plus avec ce Rue des Malvoisins 1,
entretien autobiographique et posthume du peintre-écrivain Pablo
Cuttat, alias Tristan Solier, gavé de culture classique tout comme son
frère poète Jean Cuttat
À l’image de l’autobiographie de Pablo, Alexandre Voisard aurait pu intituler son récit 38, route de Belfort,
mais son enfance à lui est enracinée dans d’autres territoires
appartenant bien davantage au vent qu’à la bourgeoisie brantrutaine.
D’abord, des territoires de repli: «En plein bois, j’étais tout à fait
à l’abri des censeurs [?], libre d’élans, de culbutes et de cris, pour
m’affirmer sauvageon rêveur dans cette nature dont les mystères ne
s’épuisaient pas.»
Une tribu indigente
Ensuite des territoires familiaux Les mythologies domestiques restent
des nœuds gordiens qu’il faut trancher tôt ou tard. Alexandre Voisard
comble les trous de cette mémoire tribale pour, précise-t-il, «baliser
ma route en amont afin que les miens, en tout premier, soient enfin au
clair»?
D’une écriture très sobre au style délicat le poète raconte la tribu
des Quéquans (de solides bonimenteurs comme cet oncle graveur de
montres et oiseleur qui disait avoir perdu la tête en même temps que
l’odorat). Une tribu emmaillée à l’indigence: le grand-père paternel
ancien légionnaire, lascar alcoolisé, soignait les chaudes pisses des
copains; les deux grands-mères aussi fécondes que la misère,
«Grand-maman des poules», sept enfants, veuve précoce du légionnaire,
habitant un logement modeste jouxtant un poulailler, et Grand-maman des
Dettes (Dédette, diminutif de Bernadette), six enfants, qui avait
épousé un certain Paul Jolidon venu en Ajoie criblé de dettes à cause
de la faillite de sa scierie à Soubey. En colporteur de graines, il fut
rendu à battre la campagne jurassienne pour survivre.
Le poète évoque aussi l’incurie de sa mère (fille du colporteur) qui
donnait libre cours à la vie buissonnière de l’enfant Coco (surnom
encore actuel d’Alexandre Voisard), surtout en l’absence du père,
officier mobilisé en couverture frontière. «Oh mère accent grave…»,
s’écrie le poète.
Le père, homme «harmonie»
Mais le père? Balise principale de la tribu, elle est la seule solide
pour l’enfant revêche. Alexandre-Eugène, dit Alex, est celui qui a
réussi malgré l’indigence légendaire de la famille. Instituteur à
Porrentruy, radical et anticlérical bien que catholique pratiquant, il
était pétri de musique. Pianiste à domicile, hautboïste à l’Orchestre
de la Ville, saxophoniste à la fanfare, il fut homme de société. Il
avait appris au poète à nommer les choses, lui ouvrant la voie aux mots
comme sa mère avait défriché l’univers des rêves: «Père enseignait que
chaque chose comme chaque être vivant sur la terre comme au ciel,
portait un nom qui le distinguait de tous les autres. Que chaque chose
nommée avait une importance et un rôle. Que tout ce qui avait un nom
devait être préservé. Et puisque ce monde avait dès lors un sens grâce
aux mots, il faudrait ne jamais les oublier.» Âme de la maison, le père
était homme d’harmonie, mais aussi un «passeur éblouissant» parmi les
contrebandiers et les braconniers.
Avait-il su détecter la dérive poétique et le sens de la transgression
très précoces de son fils? Tout petit, le fils lui avait demandé alors
qu’il jardinait ce qu’il y avait tout au fond de la terre. Le père
avait répondu: «Le cœur». Fouillant la terre à son tour, Coco trouva
une chose flasque et vivante. Paniqué, il prit cette chose pour le cœur
de la terre. «J’avais commis un sacrilège, pensait-il, j’avais dérangé
le cœur de la terre, j’avais attenté à l’ordre secret du monde». Un
jour, bien plus tard, un vers d’Éluard raviva la prostration enfantine.
«Nous approchons / La terre en a le cœur crispé.»
Un «miston» sacrilège
Le sens poétique ne s’accommode pas de la tranquillité. Il lui faut en
plus l’aventure. Coco devient un «miston» de première, un sacripant.
Imperméable à tout enseignement autre que celui de la nature, il y
passait ses jours en totale liberté avec une propension aux jeux
interdits. Surtout avec un couteau dont il ne se séparait jamais. Un
jour, il trancha de sa lame un crapaud tout vif. Nouveau sacrilège qui
lui laissera beaucoup d’amertume. Il sera la source de ses malheurs. De
ses errements futurs.
Un autre jour, il chipa le pistolet de son père, avec des cartouches,
incitant les autres à faire de même. Les délinquants armés jusqu’aux
dents se mirent à se tirer dessus au gros calibre comme dans un mauvais
western. Coco fut blessé, heureusement sans gravité.
Livré à lui-même dès le départ du père à la défense du pays, il apprit
à resquiller dans le train, à ouvrir portes et tiroirs, à piller
systématiquement la bibliothèque paternelle pour se faire de l’argent.
Il réussit même à lessiver le carnet d’épargne de sa sœur et le sien
soustraits du bureau paternel pour aller rejoindre les soldats du
général de Lattre positionnés de «l’autre côté» vers Delle et
Courtelevant d’où il repousserait l’Allernand. Le sortilège du crapaud
ne fonctionnait heureusement qu’à moitié. La Providence empêcha à un
millimètre de gâchette le jeune garçon armé d’un fusil et d’une grenade
allemands de faire feu sur une sentinelle suisse.
Coco dut payer ses frasques en privations de liberté. Placé dans une
ferme de Villars-sur-Fontenais, il fut humilié, exploité, battu.
Réfugié au Collège Saint-Charles de Porrentruy, il s’enfuit aussitôt,
échappant aux lourdes et ambiguës odeurs de soutane. Après un trimestre
à Zoug, il fut placé au Collège de Brigue. Il y connut l’enfermement
intégral de cet environnement carcéral et alpestre. «Je n’aurais pas
imaginé qu’un paysage puisse vous violenter à ce point», avoue-t-il. Il
finit sa Realschule, la dernière année scolaire, non sans avoir fugué
au moins une fois.
Un mot ambivalent
Son enfance s’acheva avec la perte du paradis ajoulot, de «ses forêts
profondes, ses rus jaillissant des flancs de la montagne et ses
rivières échevelées au long des plaines, ses villages étirés à n’en
plus finir». Alexandre Voisard gardera la réminiscence de cette
harmonie naturelle, «cette musique aigre et douce, ample et soyeuse,
étrange et cocasse qui enveloppe toutes choses et vibre entre les
clochers, les fils électriques et les hauts sapins jusqu’au ciel». Le
poète se demande alors si ses premières émotions ne lui vinrent pas
d’abord à l’oreille, «en caresses musicales, comme des appels d’amour
infiniment modulés en tous lieux». Voilà l’explication du titre de
l’ouvrage: Le Mot musique.
Un mot ambivalent qui désigne aussi bien nature que culture. Cette
culture que son père tentera vainement de lui induire. Elle se traduit
dans le récit par ce leitmotiv paternel incessant: «As-tu fait ta
musique?»
Par quoi Coco Voisard devint Alexandre Voisard
Alexandre Voisard évoquera encore – partie moins palpitante de
l’ouvrage – une descente aux enfers qui le mènera du Locle (il y
travaillait comme fonctionnaire postal) à Genève, où il tentera de
s’introduire dans les milieux du théâtre. Sans grand succès, à cause
d’un nouveau dénuement matériel qui le plongera au bord de la famine.
Au milieu du commun des humains, il s’accrocha pourtant aux lettrés qui
le firent entrer en culture – ce libraire de Neuchâtel, le neveu de
Ramuz; Morof, le comédien jurassien à Genève; cet ami de toute une vie
et journaliste à Paris qu’il appelle Loiseau; et puis P.-O. Walzer, et
le journaliste Paul Noir, ou encore Dédé Lachat, le doctorant éternel,
tous ceux qui, épris de liberté et de mots, fréquentaient l’Auberge
d’Ajoie bouillonnante de culture française. Jusqu’à cette serveuse
radieuse de beauté venant de Courtelevant et qui deviendra son épouse.
Grâce à l’interaction magnifique avec eux, Coco Voisard trouvera
l’accomplissement du poète. «Poète n’est pas un métier?» Pour la
première fois, son père n’eut pas raison. «Condamné à vivre à cause
d’une phrase en suspens» murmurée sans souffle par le père agonisant,
Alexandre Voisard lui offre aujourd’hui cette biographie comme une
musique posthume.
YVES-ANDRÉ DONZÉ, Le Quotidien jurassien
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Sous le titre Le Mot musique ou L'Enfance d'un poète, les éditions Campiche publient un récit autobiographique de l'écrivain jurassien.
C'est l'Ajoie qui est ici célébrée par un romancier à la veine rousseauiste.
Au fur et à mesure que l'on avance dans le récit d'Alexandre Voisard,
le rapport entre l'écriture et le monde s'affine jusqu'à devenir un
ample chant qui retentit sous ce titre mélodieux: Le Mot musique.
La musique de Voisard est polyphonique, comme peut l'être un chœur qui
réunit en les modulant de multiples voix. Voix de l'enfance, de
l'adolescence et de l'âge mûr célébrant ici la terre. Cette terre
suisse qui respire du côté du Jura et avec laquelle l'écrivain
entretient un rapport quasi charnel.
Poète national
Il y a chez cet homme, né en 1930 dans l'Ajoie, tout au nord du canton
du Jura, une fascination pour son pays, sa texture et sa chair. À tel
point qu'on l'appelle «poète national». Étiquette trop étriquée pour
quelqu'un qui donne à la petite Helvétie les dimensions d'une planète
où se bousculent des foules bigarrées et des rêves tout aussi colorés.
Ainsi, de l'Ajoie semble surgir le chant du monde qu'un Jean Giono
n'aurait pas renié. La nature est ici le personnage central de ce récit
autobiographique nourri d'une veine rousseauiste. Du moins dans ses
premiers chapitres où les paysages jurassiens sont décrits dans un élan
contemplatif.
De Porrentruy à Genève en passant par la Suisse alémanique, Voisard
trace donc le chemin de sa vie de poète, parsemée de fleurs et
d'embûches.
Au départ, on découvre un petit chenapan qui fuit l'école pour suivre
l'aventure buissonnière. Désespoir du père: son fils est un bon à rien.
Obstination du fils: il veut écrire des poèmes. Pari tenu. A l'arrivée
se dresse un auteur à l'écriture lumineuse, pure, limpide comme une eau
de roche.
Entre le début et la fin que d'illusions perdues, que de batailles
gagnées. Et au milieu, Genève, «au fin fond de la Suisse, au bout du
lac, bras ouverts au Rhône et au monde (...) une capitale, un
aboutissement, une Mecque».
L'expérience genevoise
La «Rome de Calvin» vaut alors au lecteur des pages d'une tendresse et
d'une drôlerie à faire fondre le plus rétif des protestants. C'est là,
dans cette citée vue comme une ville de perdition, que l'écrivain
engage ses conquêtes féminines. C'est là aussi qu'il suit les cours du
Conservatoire d'art dramatique où il retrouve Morof, alias Maurice
Aufair, un camarade de classe de Porrentruy.
Maurice Aufair, aujourd'hui comédien connu, est un pionnier des scènes romandes. Il se souvient de son copain Alexandre.
«Voisard, confie-t-il, m'a toujours paru comme un homme perdu en ville.
Genève n'était pas sa tasse de thé, pas plus que le Conservatoire
d'ailleurs. Je ne pense pas qu'il aurait pu devenir comédien. Il avait
un esprit dispersé propice à la poésie plutôt qu'aux métiers de la
scène qui exigent une concentration quotidienne intense».
L'élève-acteur que fut Voisard se perdait en rêveries. Ou alors il
s'abîmait dans des relations féminines sans lendemain. «Il draguait
beaucoup à Genève, poursuit Maurice Aufair dans un rire. Mais son
obsession première restait la littérature. C'est lui qui m'a fait
connaître Michaux, Char, Supervielle et tant d'autres».
GHANIA ADAMO, swissinfo
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Lecture en contrebande
Alexandre Voisard, auteur suisse romand d’une œuvre remarquable et
remarquée, poétique, nous livre une autobiographie dont le point de
départ est la mort du père, instituteur et musicien. Ce récit
chronologique, qui va de l’enfance à la maturité, ne cache rien des
faiblesses du narrateur, de ses relations conflictuelles avec le père,
garant de l’ordre, trop au goût du fils, mais aussi capable d’une belle
indulgence face à cet enfant qui se déclare poète. À 14 ans, il veut
participer à la Résistance et passe clandestinement de l’autre côté de
la frontière, au mépris du danger. Cette existence mouvementée,
traversée d’épisodes douloureux et de réels bonheurs, est racontée sans
esbroufe, mais avec beaucoup d’humanité et une modestie inattendue de
la part de quelqu’un qui a participé au plus près aux combats de ce
temps. La plus belle leçon de ce livre est celle recueillie auprès de
son ami, Jeannot Loiseau: «Je ne pourrai m’empêcher de trouver
lamentable qu’un homme qui se dit poète, donc un peu plus homme,
méprise les activités essentielles des autres et se croie assez grand
pour ne pas tremper avec joie et bonne conscience dans le labeur
commun». À la lecture de ce beau texte, réflexion sur ce qu’est une vie
d’homme, servie par une écriture sans concession, on peut penser qu’il
a magnifiquement illustré cet enseignement.
CHANTAL LORIDANT, Lettres-Frontière
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