Une bonne partie du plaisir que donne L’Oiseau sur la table
ne doit rien à son auteur mais à celui qui a osé mettre en français ce
remarquable récit. Étant entendu que traduire c’est trahir, François
Conod a réussi une remarquable trahison, plus fidèle que bien des
traductions qui tiennent d’abord à respecter la lettre. …Disons que
le récit de Johannes Lips, l’homme aux oiseaux qui erre en ville de
Berne en observant ses congénères autant que les volatiles en tous
genres qui coexistent avec eux dans «la ville aux palais fédéraux»,
vous emmène dans une logique plus cohérente que celle des gens dits
normaux, vous entraîne, dans cette logique en dérapage, en une spirale
semblable à celle de la tour de la cathédrale de Berne, et vous
précipite dans un tourbillon d’interrogations sur vos plus chères
certitudes quant à la vie en général, à la vie en société, à votre vie
en particulier.
Disons que Vogt déploie une vision incroyablement décapante de notre
réalité quotidienne, celle qu’on ne voit plus par habitude…
Disons enfin que cet Oiseau sur la table
ne se laisse pas oublier après qu’on est arrivé à la fin où l’auteur
s’explique, où ce traître de François Conod s’explique lui aussi, ces
deux postfaces ajoutant encore au plaisir inquiet soulevé par le récit,
poussant le lecteur, comme le pigeon bernois, à se remettre à picorer
ici et là des passages du texte pour ne pas quitter trop tôt l’univers
ironique et tendrement féroce de Walter Vogt.
JACQUES POGET, L’Illustré
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