Michel Bühler écrit en poste résistante
La Lettre à Menétrey est à la fois un livre d’amitié, de bourlingue, de nostalgie et de colère. Le meilleur de son auteur!
Michel Bühler n’a pas encore l’âge de compter plus d’amis dans l’autre
monde que sur cette terre que l’on sait parfois encore si jolie, et
pourtant il en arrive bel et bien, à l’approche de la soixantaine, à
mêler pas mal de nostalgie à sa soif de vivre. Le dernier texte qu’il
vient de publier en est d’ailleurs naturellement imprégné puisque, sous
la forme, très étoilée, d’une lettre à un ami cher qui lui a fait le
sale coup de disparaître, il va revenir sur les belles heures passées
ensemble dont chaque évocation fait réapparaître d’autres figures
disparues. Rien pour autant de la remémoration style ancien combattant
dans cette Lettre à Menétrey
qui se module à la fois comme le journal de bord d’un périple à travers
les années et les continents au fil duquel le
chanteur-écrivain-voyageur passe à tout moment du présent au passé ou
de son antre du XIVe arrondissement parisien à son pays natal
jurassien, en passant par le Hoggar, Santiago du Chili où Jérusalem
qu’il dit la plus belle ville du monde.
[…] À cet égard, la Lettre à Menétrey
va bien au-delà de la profession de foi: vers la mise en lumière de
mille petits faits et petits gestes humains qui modulent ce qu’on
pourrait dire le chant du monde et son partage fraternel. Ainsi
parle-t-il admirablement du bonheur rare et profond qu’il a éprouvé un
soir dans le désert, près de Tazrouk (en un lieu découvert par Menétrey
et sa première femme Anne-Catherine), où il s’est senti sur une planète
enfin sienne («Je grandissais jusqu’aux limites du paysage, j’étais le
paysage»), de même qu’il nous touche en évoquant sa mère nonagénaire
qui l’aide à «tenir debout», sa douce amie ou tous ceux que Georges
Haldas disait faire partie de la «société des êtres», avec une
franchise et un naturel sans ostentation, entre le tout proche et le
très lointain, le journal de ce matin et l’étoile de Menétrey…
JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures
Coup de cœur
Un cri du cœur qui nous rassure de l'humanité
Sous le stratus d'automne qui nous revient, et donc ses froidures, il
convient pour se réchauffer le cœur et le corps, et toutes affaires
cessantes, de se procurer Lettre à Menétrey,
le dernier bouquin de Michel Bühler. Et de le lire, à petites lampées
mais sans s'arrêter, comme on le ferait avec un marc de Gigondas, hors
d'âge si possible. Ou toute autre chose que l'on aime. Dans cette Lettre à Menétrey,
en effet, il y a de quoi faire danser les culs-de-jatte, rire les
grincheux et même pousser dans la rue celles et ceux qui n'aiment pas
en général se manifester. Entre ses deux antres, celui de
L'Auberson, dans le Jura vaudois, et celui de Paris, dans le XIVe,
Michel Bühler a écrit une longue missive à un ami «parti» il y a deux
ans, compagnon au long cours, partageur de voyages et de mondes refaits
inlassablement, frère de boire et de déboires, de moments chauds et,
parfois, de désespérance. Mais, d'une lettre adressée à un seul, ce
courrier devient universel, touche tout un chacun, embrasse le monde
entier ou presque, et décline tous les sentiments qui peuvent habiter
un humain. Humain. Voilà le mot magique, celui qui constitue le vrai
drapeau du poète vaudois, tout à la fois, compositeur, chanteur, homme
de théâtre et écrivain. Un humain qui appelle ses semblables à vivre de
«solidarité, de bonté et de compassion», qui pourfend le fric, ses
maîtres et ses valets, qui revendique ses coups de blues comme ses
coups de gueule, qui vous prend au plus profond de soi pour chanter la
beauté du monde, de la fraternité et de l'amour.
On dit Bühler rugueux et réservé. Et il l'est assurément. Du moins à
première vue. Derrière cette écorce, et ses chansons le disent, et son
bouquin le proclame, on a un homme fier, debout, charriant la tendresse
à plein torrent, dont la main peut être en même temps poing levé rageur
et caresse la plus douce, un homme si généreux que sa fréquentation ne
peut que nous améliorer.
BRUNO CLÉMENT, Le Courrier
Récit
Lettre à Menétrey par Michel Bühler
L’amitié est au centre de ce livre pudique dédié à l’ami disparu un
soir de juin à 68 ans. Pour l’auteur, poète et chanteur aussi,
originaire du «pays qui dort» – la Suisse –, il fut le compagnon de
tous les combats et des quatre cents coups. Michel Bühler déambule dans
les sentiers de la mémoire, prenant l’ami à témoin. Il «enrage et peste
devant le spectacle du monde», quand il évoque l’injustice qui règne
aux quatre coins de la planète où ils ont rencontré la fraternité,
découvert la fragilité des choses. Y défilent des paysages et des idées
bien en place. Et ses amis auxquels il réserve toute sa tendresse.
RUTH VALENTINI, Le Nouvel Observateur
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