Tout
lecteur attentif se doit de prendre garde à la citation liminaire sous
les auspices de laquelle un auteur place son livre: pour Le Fil espagnol, Élisabeth Horem a significativement choisi un passage de Terre des vents
où Gerhard Meier compare son roman à un tapis artisanal, «avec des
motifs et des couleurs qui se répétaient, avec des correspondances et
des réminiscences, de manière à former un tout, une reproduction de la
vie». Cette référence n’a rien de gratuit, la probité de l’auteur du Ring,
Prix Georges-Nicole 1994 et Prix Michel Dentan 1995, lui interdisant du
reste de se payer de mots. Après la rêverie africaine de Congo-Océan
(1996), ce troisième roman témoigne de sa sûreté à se jouer avec
aisance des difficultés d’un récit en apparence pourtant très simple. …Le
glissement de l’une à l’autre histoire, ou de l’une à l’autre image
initiale (le grappin, la terrasse), s’opère au milieu du chapitre 25
par un changement de typographie, juste assez visible pour être repéré. …Commencé
par une rêverie «à partir de rien», ce roman vaut par son art subtil de
la narration, ses bribes de phrases ou ses images qui reviennent, à
chaque fois semblables et à chaque fois différentes, comme si une
histoire ne pouvait jamais se raconter d’un seul point de vue,
forcément réducteur, mais qu’elle devait rester ouverte à tous les
possibles. En témoigne le projet final formé par Julio, le petit
Français, de retrouver Maria et de «reconstruire ensemble nos histoires
incomplètes – cependant qu’au-dehors une averse grise battra les vitres
et que sur le dallage inégal de la terrasse le vent troublera dans les
flaques le reflet des balustres».
ISABELLE MARTIN, Le Temps
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