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Le jardin face à la France est une forme de récit autobiographique, sans l’être totalement. Janine
Massard nous fait sentir, avec force et émotion, la vie quotidienne,
durant la dernière guerre mondiale, d’une petite ville suisse
tranquille, Rolle. Et pourtant, la guerre est tout près, de «l’autre
côté du lac».
Proche d’un Henri Debluë (Et Saint-Gingolph brûlait),
Janine Massard dresse le portrait d’un grand-père hors du commun, qui
ouvre les yeux de sa petite fille sur les désastres du monde, tout en
l’accueillant dans ce jardin qui restera un souvenir merveilleux dans
l’esprit de l'enfant. Dans son roman, Janne Massard évoque aussi les
«oubliés» de la prospérité suisse, ces travailleurs de la terre qui
peinent à s’en sortir économiquement et sont prêts à tous les
sacrifices pour y parvenir.
Il m’a fallu un
temps infini pour mettre des mots sur toutes ces choses, pressenties ou
ressenties. Elles sont revenues au moment où, glissant sur l’autre
versant de ma vie, je me suis retrouvée vivre dans une maison avec un
jardin face à la France. Une gargouille s’est mise à glouglouter, des
gouttes ont jailli sur ma figure pour se transformer en mots. J’ai
détourné mon oreille de ce surgissement pour échapper au bouillonnement
bredouillant. Je me suis alors tournée vers la terre et ce passé enfoui
m’a éclaté à la figure, il est remonté du plus profond de moi aussi, en
images précises ou tremblées, en même temps que je me remettais à
gratter cette terre, avec une sorte de furia, comme à cette époque
lointaine où je cherchais en elle les antipodes… car c’est en elle que
se sont fondus les morts, c’est par elle que j’entre en contact avec
eux et c’est vers elle que je retournerai un jour…
JANINE MASSARD
Janine Massard. Le Jardin face à la France.
Dans
ce jardin face à la France, une fillette de 4 ans connaît de grands
bonheurs et de fortes angoisses. 1943: sur l’autre rive, c’est la
guerre. La Suisse, «neutre mais encerclée», semble endormie. Le père
est au front. «Maman Rose» court vers l’hôpital où se meurt une grande
sœur. Seule la présence rassurante du grand-père donne au monde une
assise. S’il admire Pétain, comme beaucoup, il sait aussi accueillir un
fuyard endormi au pied du verger, ce «Moïse-sauvé-des-eaux» dans lequel
il reconnaît le sort des Huguenots, ses chers ancêtres. Plus tard, le
père reviendra, un petit frère naîtra, le grand-père retrouvera une
femme, «Granny-aux-bagues», trop citadine. Il faudra quitter le jardin
merveilleux pour un appartement en ville. Une vie plus tard, une femme
porte sur son enfance – la maison insalubre, la mère figée dans le
chagrin austère du protestantisme, les disputes des grandes personnes
d'alors – un regard éloigné, affectueux et lucide. Au chevet de sa mère
centenaire, elle s’est souvenue des mots du grand-père: «[Les morts]
finissent par revenir pour nous aider à vivre.» Comme l’avait fait,
dans l’enfance, la blanche apparition consolatrice de la sœur. Alors
cette femme a pensé: «Écrire, c'est tisser le temps.»
ISABELLE RÜF, Le Temps
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Le Jardin face à la France
On
avait laissé Janine Massard sur le palier, veuve de son mari et
assistant impuissante à la maladie de sa fille dans le bouleversant Comme si je n’avais pas traversé l’été (L’Aire). On la retrouve plongeant dans sa petite enfance rolloise, grimpant sur les arbres de son Jardin face à la France,
certains jours troublés des années 40. Ce récit de la réconciliation
avec la vie se construit à la manière d’une véritable enquête sur la
naissance de son histoire personnelle, ne laissant rien au hasard, ni
personnages, ni décors – la grande sœur malade, puis morte, le
grand-père huguenot, maman Rose, aimante et absente, la guerre, si
loin, si proche, le réfugié juif dans le jardin. Le déménagement pour
la ville clôt un chapitre, mais transforme Le Jardin face à la France en un pays poétique et fondateur qu’elle n’aura jamais vraiment quitté.
ISABELLE FALCONNIER, L’Hebdo
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Une enfance de l’autre côté de la guerre
Janine Massard évoque avec tendresse ses premières années dans un livre tout en clairs-obscurs.
Lauréate de nombreux prix, dont le Prix Schiller pour le récit autobiographique La petite monnaie des jours
(1986), Janine Massard est née à Rolle en 1939, où elle a grandi dans
un milieu protestant, austère et pauvre. Les thèmes de la précarité et
de l'exclusion nourrissent une partie de son œuvre, composée de
nouvelles, romans et essais. Sensible aux inégalités, portée par la
critique et l'ironie sociale, elle a en outre abordé la condition
féminine sous des angles divers. Après Trois mariages (1992), où mariage et amour ne vont pas toujours de pair, et Ce qui reste de Katharina (1997), où une femme regarde sa vie dans le rétroviseur après le décès de son fils, elle a publié Comme si je n'avais pas traversé l'été
(2001), roman bouleversant et jamais mélodramatique écrit à partir
d'une triple tragédie personnelle: la mort de son père, celle imminente
de son mari et le cancer de sa fille aînée.
Dans Le Jardin face à la France
, Janine Massard choisit également la forme romanesque pour évoquer son
enfance. Ayant rebaptisé la petite fille qu'elle était Gisèle, elle
fait «chausser des bottes de sept lieues à son grand-père», qui
reportait «sur ses petits-enfants l'affection que ses principes
l'avaient empêché de donner» à ses enfants. Même si elle réaménage,
voire réinvente ici le passé, elle n'en restitue pas moins l'atmosphère
de cette époque où la guerre était de «l'autre côté du lac». Largement
commentée par son grand-père, cette tragédie a plus de réalité pour
Gisèle que l'agonie de sa sœur aînée. Son père garde la frontière,
sa mère pleure ses malheurs, et la fillette se tourne vers son
grand-père qui lui ouvre une multitude de fenêtres sur le monde en lui
racontant des histoires, bibliques et historiques surtout. Ce «conteur
dans l'âme» est aussi un «autocrate», elle s'en rendra compte plus
tard, tout comme elle prendra conscience qu'il a éveillé en elle ce
sentiment torturant qu'est la culpabilité («une spécialité
protestante»). Gisèle reçoit par ailleurs ses premières leçons de
féminisme, et, apprivoisant les mots, s'empare de certaines expressions
protectrices («Va te faire cuire un œuf!»).
Incroyable sérieux de l'enfance
Janine
Massard excelle à restituer avec tendresse et humour l'incroyable
sérieux propre à l'enfance, âge de tâtonnements autour des mystères de
la vie, d'où des scènes délicieuses, telle celle de «la vraie queue du
Diable». En retrouvant son regard de fillette, la romancière mesure le
décalage entre la réalité (l'insalubrité de la maison familiale par
exemple) et ses perceptions d'alors, «où le merveilleux s'enlaçait au
quotidien», et où elle pensait habiter au milieu du jardin de la Belle
au Bois dormant.
ÉLISABETH VUST, 24 Heures
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Le jardin réconciliateur
Dans son dernier livre, la Vaudoise Janine Massard revient sur sa jeunesse et révèle une tendresse nouvelle. Rencontre.
La maison est charmante, perdue au bout d’un chemin qui descend vers le
port d’Ouchy. Le jardin, bien sûr, donne sur le lac. Bien sûr, car
c’est grâce à ce jardin que la rencontre a lieu. Dans Le Jardin face à la France,
l’écrivaine Janine Massard évoque avec sensibilité ses jeunes années à
Rolle, la guerre «en face» et quelques mystères de la vie toujours pas
résolus. Parfaitement ancrée dans son époque, Janine Massard manie
une écriture vive pour tisser des ponts entre fiction et réalité,
confronter le temps de la petite enfance et celui de la vieillesse
débutante, sans jamais perdre le fil de la lucidité. L’accent est
vaudois, le verbe précis, la dame aux yeux clairs a souvent le regard
qui s’échappe vers le Léman.
–
Enfant, vous avez vécu à Rolle, et tout votre univers tenait dans un
jardin. Aujourd’hui que vous êtes à Pully, vous retrouvez un jardin
face au lac. Vos souvenirs se sont-ils réveillés d’un coup?
– Pas
de manière aussi évidente. J’avais déjà écrit une nouvelle sur le
jardin de mon enfance. Mais lorsque les événements du G8 ont secoué
Évian en 2003, je me suis rendu compte que, en face, il se passait des
choses importantes. Vous savez, depuis ici, la nuit, le grand hôtel du
Royal avec ses lumières ressemble un peu à un paquebot. Le Léman peut
très vite se transformer en Méditerranée. Les distances changent, le
temps s’efface. Alors, bien sûr, j’ai repensé à la guerre, à la France
qui était encore plus proche depuis Rolle.
– Votre livre est un roman plutôt qu’un récit, pourquoi?
– Parce
que tout remontait à trop longtemps. Pour étayer des souvenirs
d’enfant, trop flous, je me suis replongée dans les archives de
l’époque. Relire différents journaux, notamment L’Illustré et La Feuille d’Avis,
a eu sur moi un effet de levier. C’était comme si je parcourais mon
journal intime. Ma mémoire revenait progressivement. Même des
expressions désuètes, employées par mon grand-père, me revenaient à
l’esprit. Alors, j’ai mêlé une trame romanesque au récit. Et puis un
témoignage n’est pas comme une pellicule cinématographique, il n’est
qu’une des multiples visions de la réalité. Ainsi, aujourd’hui, je ne
sais plus vraiment si mon grand-père était tel que je le décris.
– Ce grand-père, figure tutélaire de votre roman, apparaît comme le roi du jardin. Quelle importance revêt-il?
– Une
importance immense. Avec lui, j’ai renoué avec la vie. Ce roman est
celui de la réconciliation. J’ai dû apprendre à vivre avec une histoire
terrible. En peu de temps, j’ai perdu presque toute ma famille. Mon
père, puis mon mari d’un cancer foudroyant, ainsi qu’une de mes filles
après une agonie de six ans (lire Comme si je n’avais pas traversé l’été). En écrivant Le Jardin face à la France,
j’ai pensé à ma cadette. C’est pour elle que j’ai inventé l’histoire de
cette fillette qui perd sa sœur puînée. Je voulais lui dire la mort
d’un enfant, la mère qui traverse le deuil, et la peur de cette
dernière d’oublier l’enfant survivant. Le grand-père, pour moi, c’est
un peu l’unique piton auquel vous vous raccrochez lorsque vous êtes
suspendu dans le vide.
– Peut-on parler de continuité entre votre jardin d’aujourd’hui et celui de votre grand-père?
– Probablement. C’est comme une boucle. Et puis, il y a la lumière et les couleurs sur le lac qui n’ont pas changé.
CAROLINE GOZZI, Femina
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Souvenirs des temps de guerre
De l’autre côté du Léman, une Europe à feu et à sang, devinée par une enfant de 4 ans.
On se souvient de La Petite monnaie des jours, pour lequel elle avait obtenu, en 1986, le Prix Schiller; ou de Ce qui reste de Katharina, couronné en 1998 par le Prix de la Bibliothèque Pour Tous; ou encore du très prenant Comme si je n’avais pas traversé l’été, Prix Edouard-Rod il y a trois ans.
Aujourd’hui, elle publie Le Jardin face à la France (Bernard Campiche Éditeur). Il s’agit d’un roman, à forte connotation autobiographique, comme la plupart de ses récits.
La narratrice est, au début, une enfant de 4 ans. Elle va raconter
comment elle vécut les années 1943, 44, 45 dans la maison de ses
parents, à Rolle. Le lieu qu’elle aime, c’est le jardin d’où l’on
découvre la rive française du Léman.
L’art de l’écrivain
Faire vivre un personnage de cet âge en se plaçant à son point de vue
demande une grande maîtrise du style: l’adulte, qui tient la plume ou
tape sur son clavier, doit exprimer les sentiments de l’enfant, sans
jamais les déformer sous le poids de sa perspective propre, qui
pourtant reste présente.
Janine Massard a magnifiquement réussi ce pari. À quelques lignes de la
fin du livre, elle prête à son héroïne devenue grande cette réflexion
qui en est, somme toute, la clé: «J’ai enfoui cette petite enfance à la
manière d’un trésor qu’on retrouve ensuite avec éblouissement» –
éblouissement qu’elle a su communiquer à son lecteur.
Gisèle est la fille d’un paysan pauvre, constamment absent parce qu’il
est mobilisé, et d’une mère – « maman Rose » – sujette à de
perpétuelles angoisses que la fillette ne peut saisir. Un événement
dramatique marque la famille : la maladie, puis la mort de
Madeleine, la sœur aînée. Celle-ci ne quitte guère l’hôpital qui, pour
la cadette, devient un mystérieux «là-bas». Elle l’imaginera souvent,
revoyant sa silhouette dans un arbre ou au fond du jardin. Et, plus
tard, elle se rappellera: «Je ne comprenais rien aux blessures de maman
Rose, je ne voyais pas la vraie couleur de son deuil.»
Un grand-père huguenot
Le personnage central dans la vie de l’enfant est son grand-père
maternel. Il n’habite pas très loin et vient souvent aider aux travaux.
Avant sa retraite, il avait été un fonctionnaire bien-pensant de
l’entourage du préfet. Mais, s’il manifestait volontiers des penchants
conformistes et admirait Pétain de l’autre côté du lac, il était
sensible et humain. Ainsi il avait recueilli un réfugié juif,
«Moïse-sauvé-des-eaux» pour Gisèle, et l’avait caché pendant tout le
conflit, affichant toujours davantage sa répugnance pour le nazisme.
D’une vieille famille huguenote réfugiée en Suisse après la révocation
de l’Édit de Nantes, le grand-père connaît la Bible et se méfie des
«papistes».
Mais la fillette réfléchit par elle-même : alors qu’on lui dit que
les grenouilles sont des créatures que Dieu protège aussi, ce «Dieu,
dont on me parlait avec tant de respect, assistait sans broncher à des
massacres d’hommes, de femmes, d’enfants…».
Arrière-fond de guerre
Car la guerre, qui s’étend tout autour du pays, constitue
l’arrière-fond de cette existence enfantine. Et l’une des réussites de
ce roman est justement de montrer comme la «grande politique», que le
fillette ne peut comprendre et qui lui parvient par le biais de ses
préoccupations de gosse de quatre, cinq ou six ans, joue un rôle
essentiel dans la formation de la personnalité.
Et cela à travers « les fenêtres que grand-père avait ouvertes pour me laisser entrevoir le monde »
Ces « fenêtres » sont aussi bien la présence de
Moïse-sauvé-des-eaux que de « Granny-aux-bagues », la femme
avec qui, veuf, le grand-père s’est remarié et que Gisèle prend en
sympathie.
Et aussi cette autonomie qu’acquière la petite, grâce à la délicatesse
avec laquelle l’aïeule lui facilite l’accès à la réalité. Les étapes de
ce chemin, sur lequel l’accompagne sa cousine Jehanne qui participe à
la plupart de ses jeux, se poursuivent à travers de multiples
expériences enfantines, sur lesquelles nous n’avons pas la place de
nous étendre, mais qui font la saveur de ce beau livre. Pourtant la
première enfance prend fin. Le grand-père meurt et la famille doit
quitter la maison insalubre qu’elle habitait depuis longtemps. Le
déménagement, c’est la fermeture de la dernière fenêtre. Celle depuis
laquelle, blottie dans son jardin, l’enfant pouvait voir la rive
française. Mais cette fenêtre-là, pendant des années décisives, avait
gravé en elle son riche horizon fantasmatique.
MICHEL BUENZOD, Gauchebdo
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L’enfance, malgré tout
De l’autre côté du lac, c’est la guerre. Ici aussi, les «tremblements»
du conflit se font sentir, par exemple avec l’arrivée de ce réfugié,
surnommé Moïse-sauvé-des-eaux. Pour la petite Gisèle, Le Jardin face à la France
est surtout celui des découvertes et des jeux d’enfant. Son père est au
front, sa sœur est à l’hôpital, gravement malade, et sa mère la
délaisse quelque peu. Mais il y a ce grand-père, «conteur dans l’âme»,
qui lui fait découvrir le monde et la lecture. Dans ce roman
largement autobiographique, Janine Massard ne se contente pas de
raconter la vie quotidienne en Suisse, vue par une fillette, durant la
Seconde Guerre mondiale. Elle évoque avec subtilité le paradis de
l’enfance, même lorsqu’il a le goût de l’humidité d’une vieille maison,
des drames que l’on perçoit, des mots qu’on ne peut dire. Sans oublier
cette relation centrale entre Gisèle et son grand-père, dépeinte avec
une justesse sans faille.
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
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L’ombre du cerisier
Mille neuf cent quarante-cinq, la Suisse au milieu de l’Europe occupée,
le jardin au cœur des vignes, cerné au sud par la voie ferrée, un
chemin de terre à l’ouest, un champ de blé à l’est et en face, de
l’autre côté du lac Léman, la France mystérieuse. Hortus conclusus au
centre duquel se dresse, tel l’arbre de la connaissance, le cerisier,
entouré d’une mare et du creux matriciel sous la glycine. C’est le lieu
du roman du temps retrouvé, des images archétypiques qui vont ressurgir.
Aujourd’hui Gisèle, la narratrice, d’un autre jardin ensoleillé,
regarde le lac et la France, qui sont les mêmes et qui sont différents,
et revoit l’Eden de ses origines, son enfance de quatre à sept ans.
Quand elle gratte furieusement un carreau, elle se retrouve creusant la
terre (tel Alexandre Voisard dans son dernier livre) à la recherche de
sa sœur Madeleine, dont elle doute qu’elle soit allée au ciel, et
peut-être de l’absolu ou de miettes de vérité…
Gisèle, abandonnée par son père qui monte la garde aux frontières, en
butte à l’irritation permanente de sa mère, découvre le monde, les mots
et les choses, dans ce jardin, avec sa cousine Jehanne, autour du
cerisier magique, sur une branche duquel apparaît parfois, de manière
incompréhensible, Madeleine, dans la robe blanche qui fut son linceul.
C’est le grand-père maternel, vieil huguenot, qui lui tient lieu de
mentor, de protecteur, d’initiateur. Il va l’aider à affronter la vie,
lui raconter l’épopée du protestantisme, lui expliquer la guerre qui
les entoure, lui apprendre à lire. Elle sentira les secrets, les
mystères ou les subodorera, car le grand-père ne peut expliquer la
sexualité. La narratrice, toute en nuance, reconnaîtra coup sur coup,
d’abord à propos de la naissance de son petit frère, qu’elle n’avait
pas pu voir enfler le ventre de sa mère qui n’en parlait jamais, car
«une chose tue n’existe pas» puis peu après, ayant vu un voisin violer
une chèvre, bien que cela ne correspondît à aucune des théories
enseignées, qu’«on ne croit que ce que l’on voit». Elle apprend ainsi,
avec ou malgré ses proches, à se fier à ce qu’elle sent et qu’elle ne
s’explique qu’imparfaitement.
Si le bonheur en ce jardin est dès l’origine fissuré, la cruauté du
monde y pénètre, mort de Madeleine, renaissance de Moïse, pauvreté,
humilité et toute la résilience à l’œuvre dans les images pour
réchauffer cette silhouette maternelle glacée, par la suite les choses
s’accélèrent encore. Le remariage du grand-père, puis le déménagement
en ville et enfin la mort de l’aïeul, la longue suite de pertes qui
constituent toute vie pourraient sonner le glas de ces années
heureuses, mais, selon la promesse du grand-père, «les morts finissent
par revenir pour nous aider à vivre».
La pâte langagière intègre heureusement les mots savoureux de l’enfant,
du pays, de la tribu, de l’époque, les images de l’écrivain et les
symboles universels dans un récit au réalisme magique lumineux.
L’œuvre s’affirme, subtile, délicate et généreuse, non seulement riche
en force suggestive et explicative, mais réparatrice, capable de
réinstaurer un fragile équilibre du monde en transmutant les malheurs
et les misères par ce regard et cette écriture de poète thaumaturge.
Janine Massard nous donne ici son plus beau livre, tissé d’une grande
tendresse, d’une pudeur, d’une simplicité, d’un léger humour et d’une
juste distance qui se fondent pour induire un sentiment d’harmonie.
PIERRE YVES LADOR, Le Passe-Muraille No 67
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Un jardin d’enfance
Le jardin d’enfance d’une petite Gisèle de Rolle est le cadre d’une nouvelle évocation intimiste de Janine Massard dont La Petite Monnaie des jours (1985)
serait le premier pan de mémoire. Une bicoque moisie, une «hutte
burgonde», disait Maman Rose, assortie d’un jardin, d’une mare à
grenouilles et d’une serre à miracles, représentait le paradis de
Gisèle suivant les pas de son grand-père, magicien et grand initiateur
des choses du monde. En face, c’est la guerre avec ses inquiétantes
fumées, et Gisèle découvre, à travers les propos des adultes et
l’arrivée inopinée d’un réfugié juif français le malheur déversé par
«la sale bête». La petite Gisèle, un peu laissée à elle-même par sa
mère, éternellement endeuillée de la mort de sa fille aînée Madeleine,
écoute les histoires huguenotes du grand-père et capte les mots qui
volent au-dessus de sa tête: ligne Siegfried, Fridolins cuits-cuits et
autre kyrielle de noms de villes inconnues. Janine Massard nous livre
le monde au ras des cinq ou six ans de Gisèle, tout en comblant les
inévitables incompréhensions de l’enfant. Il y a dans ce jeune esprit
l’expérience de la mort de Madeleine et l’imagination porteuse
d’apparitions, l’absence du père mobilisé, la présence irremplaçable de
l’aïeul, seul point fiable dans ce monde inquiet. Le jardin partagé
avec la cousine Jehanne, l’apprentissage de la lecture, des fables
composent un univers où le magique supplée à la réalité. Le monde de
l’enfance est bousculé au moment de la «paix» avec le retour du père,
le remariage du grand-père et l’arrivée d’un petit frère. Obstinés à
rester dans leur bicoque, les parents sombres et austères, presque
toujours au bord de la misère noire, ne se résolvent que pressés par le
médecin et les proches à déménager en ville. C’est la fin du vert
paradis et, comme pour sceller définitivement l’enfance, la mort de
l’aïeul. Il y a de l’allégresse et du bonheur, de l’humour et du
caractère vif et indépendant chez Gisèle, petite fille chez qui
beaucoup peuvent se retrouver. Ce temps d’initiation intense, de
moisson de souvenirs lumineux et d’expériences importantes, éclairé par
l’aura du grand-père, est livré avec un bonheur de style délié, évitant
tout pathos. L’adulte, l’auteur peut-être, relit ces pages lointaines
avec quelque chose qui ressemble à de la gratitude.
MIREILLE SCHNORF, Vevey-Riviera
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Parler de soi: l’écrivain fait-il jamais autre chose, même
lorsqu’il chevauche l’aventure ou qu’il invente des personnages qui
semblent loin de lui? Moby Dick raconte Melville, et Emma Bovary
confesse Flaubert. Dès lors, pourquoi passer par la fiction?
Dans Le Jardin face à la France,
Janine Massard raconte dans un style à la fois vif et poétique la vie
quotidienne d’une famille, la sienne, durant les dernières années de la
Deuxième Guerre mondiale. «Il m’a fallu un temps infini, écrit-elle
en guise de préface, pour mettre des mots sur ces réalités, pressenties
ou ressenties. Elles sont revenues au moment où, glissant sur l’autre
versant de ma vie, je me suis retrouvée vivre dans une maison avec un
jardin face à la France. Une gargouille s’est mise à glouglouter, des
gouttes ont jailli sur ma figure pour se transformer en mots.»
Nous sommes en 1943, la narratrice qui a quatre ans regarde le monde de
son jardin et perçoit de l’autre côté du lac les grondements de la
guerre, alors qu’en Suisse «le mutisme ambiant tenait lieu de cohésion
nationale». Avec force parfois et émotion le plus souvent, les
souvenirs s’enchaînent: la mort de la soeur aînée, une première séance
de cinéma, le grand-père qui se remarie avec une Granny-aux-bagues, le
chien de M. Pilet-Golaz qui égorge les lapins, un petit frère
mystérieux qui arrive un jour on ne sait trop d’où, puis, en 1945: la
première piqûre de pénicilline, Churchill qui vient se reposer dans une
bourgade voisine et la découverte de l’amour des mots.
«Écrire, c’est tisser le temps», dit la narratrice à la fin du livre. Dans Le Jardin face à la France, Janine Massard le tisse avec bonheur.
JACQUES BOFFORD, Tell Magazine
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Janine Massard: Enfin les mots
Elle souligne en préambule à son nouveau livre «Il m’a fallu un temps
infini pour mettre des mots sur ces réalités, pressenties ou
ressenties. Elles sont revenues au moment où, glissant sur l’autre
versant de ma vie, je me suis retrouvée vivre dans une maison avec un
jardin face à la France.» Alors revient l’enfance, notamment au temps
de la guerre. La figure du grand-père, le premier juif que celui-ci
cache en Suisse, puis la Libération, etc. Roman aux douces tonalités du
souvenir, Le Jardin face à la France,
c’est l’Histoire pressentie au travers des histoires ressenties. Quand
l’actualité traverse avec brutalité parfois l’intimité de la vie et la
modifie à jamais.
JACQUES STERCHI, La Liberté et Le Courrier
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Le quotidien de l’écrivaine Janine Massard
Le Jardin face à la France
de Janine Massard, roman paru récemment aux Éditions Bernard Campiche,
nous emmène dans les pérégrinations de la vie d’une ville suisse
romande bien typique, Rolle: mais ce qui donne goût à ce récit, lui
apporte corps et âme, c’est la période de la Seconde Guerre mondiale,
avec à proximité la France secouée par toutes les peurs, les violences,
les souffrances. Si la Suisse n’a pas été touchée à proprement parler
directement par ce conflit, elle n’en a pas moins été transformée dans
son quotidien, avec une ambiance parfois soupçonneuse, délétère, qui
s’était installée avec les partisans cachés d’Hitler, avec certains
personnages faschisants qui se trouvaient proches du pouvoir… Janine
Massard va décrire dans son roman les rythmes de la vie quotidienne à
Rolle, avec ses interrogations, les vaticinations de la jeune enfance,
et cette inquiétude sur la guerre qui est là «de l’autre côté du lac».
Les petites gens. Janine Massard connaît bien Rolle puisqu’elle y est
née et y a grandi. L’auteure vaudoise, qui nous a déjà gratifiés de
différents récits, de nouvelles, excelle dans le roman et elle a
d’ailleurs reçu le Prix Schiller en 1986 pour La Petite Monnaie des jours.
Janine Massard a toujours porté un intérêt prononcé pour les petites
gens, les démunis, les esseulés, les misérables frappés par le destin:
son essai Terre noire d’usine,
qui reconstitue la réalité quotidienne de nos agriculteurs, paysans,
hommes de la terre, domestiques de campagne des régions industrielles
du Jura, a d’ailleurs reçu un écho très favorable et un accueil
chaleureux du public. Les classes sociales, les interférences entre les
diverses couches de la société, les schémas de comportement des
individus, les modèles proposés par nos sociétés, leur mode de
fonctionnement, leurs interconnexions… tous ces mécanismes et leurs
enchaînements causaux intéressent fortement l’auteure. Sans oublier
évidemment la psychologie des individus, les sentiments qui les
motivent et les mobilisent.
Dans Le Jardin face à la France,
Janine Massard nous donne à revivre toute une atmosphère, une ambiance
propre à une période de souci et d’inquiétude, mêlée à l’esprit
d’enfance. Elle nous parle par exemple de certaines personnes proches
qui s’en sont allées, de leur ensevelissement et de son grand-père qui
«disait à voix basse qu’il ne fallait pas se faire du souci avec les
morts, ils finissent toujours par revenir pour nous aider à vivre. Ces
mots de grand-père m’ont paru tellement ahurissants que je me demande
si je ne les ai pas rêvés…» Janine Massard parsème aussi son ouvrage de
petites histoires, qu’elle narre avec sensibilité et émotion, avec
également des descriptions poétiques et suaves d’une nature complice.
La famille, le jardin, la nature, le quotidien, autant de composantes
qui construisent un récit rythmé, enveloppé par une belle écriture, et
traversé d’humanité.
JEAN-MARC THEYTAZ, Le Nouvelliste
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Perle rare
Un livre comme un bijou, une perle de mémoire.
De sa petite enfance à Rolle, pendant la guerre, Gisèle a surtout gardé
le souvenir d’une vie paisible, malgré les privations. La gamine,
inconsciente du drame qui se jouait de l’autre côté du lac, se remémore
avec délices un grand-père dont l’amour, la culture et la générosité
gommaient tous les autres malheurs.
Au sortir de la guerre, la fillette doit grandir, dans tous les sens du
terme. La réalité est là, il faut s’y confronter. Les choses
s’arrangeaient pour le monde, mais Gisèle perdait son cocon qui partait
se lover à tout jamais dans les limbes du souvenir.
La romancière vaudoise séduit ici avec un récit d’une profonde poésie
et d’une touchante humanité. À lire à tout âge, pour se souvenir, pour
retrouver la vie quotidienne de l’époque, pour comprendre. Un vrai
cadeau.
CORINNE JAQUET, Journal de Veyrier
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Janine Massard : le jardin de l'enfance
Dans son bouleversant récit, Comme si je n'avais pas traversé l'été
(2001), Janine Massard interrogeait avec lucidité (et ironie) le poids
cruel du destin qui, en l'espace de quelques mois, lui avait enlevé son
mari, puis sa fille. Poursuivant aujourd'hui cette interrogation, mais
en amont, Janine Massard plonge son scalpel dans l'enfance. Récit d'une
réconciliation.
Un Jardin face à la France,
le dernier livre de Janine Massard, est une enquête fouillée, à la fois
singulière et commune, sur les années de guerre en Suisse romande. Et
plus particulièrement à Rolle, sur la côte vaudoise, où les parents de
la narratrice louent une maison on ne peut plus modeste. C'est le
regard d'une enfant de quatre ans, tout d'abord, qui ne comprend rien
aux cartes d'alimentation, aux passages des bombardiers, aux rouges
lueurs qu'elle aperçoit, le soir, sur l'autre rive, du côté d'Évian ou
de Thonon. Cette distance, qui nourrit le regard critique de la jeune
fille, est l'objet, peut-être, de tout le livre. Et sa raison d'être.
Comment la guerre – ce mot incompréhensible pour l'enfant – peut-elle
faire rage là-bas, juste de l'autre côté du lac? Et le destin de
l'Europe se jouer à quelques kilomètres seulement de la paisible
riviera vaudoise? Pour retrouver les sensations perdues, mettre des
mots sur les réalités pressenties ou ressenties, Janine Massard a
choisi de réinventer la maison de son enfance, et ce jardin magique qui
donnait sur le lac et la France (c'est-à-dire le monde en guerre des
adultes). «Une gargouille s'est mise à glouglouter, des gouttes ont
jailli sur ma figure pour se transformer en mots. J'ai détourné mon
oreille de ce surgissement pour échapper au bouillonnement
bredouillant. Je me suis alors tournée vers la terre et ce passé enfoui
m'a éclaté à la figure.»
Bien vite, cette maison s'est peuplées de fantômes. Ainsi
Moïse-sauvé-des-eaux, un réfugié juif ayant traversé le lac sur une
barque clandestine, qui est accueilli sinon comme un sauveur, du moins
comme le prochain qu'il faut sauver. Et ce grand-père, dont la haute
figure, hante tout le livre, calviniste rigoureux, pétainiste à ses
heures, obsédé par la persécution des huguenots, mais bon vivant et
surtout généreux!
Au fil des pages, la maison sur les hauteurs de Rolle revit. On y
retrouve Maman Rose, la mère effacée, obnubilée par la maladie de sa
fille Madeleine, qui habite à son tour la maison, l'espace d'un
week-end, mais comme un fantôme trop tôt promis à la mort. Et le père,
petit soldat défendant le pays, absent, donc, et presque effacé du
tableau familial. En même temps qu'elle recompose l'univers de
l'enfance, Janine Massard reconsidère le rôle de chacun. Ce grand-père,
justement, qui avait élevé ses enfants dans «une austérité dénuée de
tendresse», revit avec ses petits-enfants, auxquels il donne toute son
affection. En l'absence du père, c'est lui qui éduquera véritablement
la narratrice (magnifiques pages sur l'apprentissage de la lecture). Et
tiendra la famille à flot pendant toute la durée de la guerre.
Malgré les privations, les conditions désastreuses d'habitation (seule
la cuisine est chauffée en hiver, et les cabinets sont à l'autre bout
du jardin!), l'endroit est édénique aux yeux de l'enfant: c'est le
jardin des jeux et des premières découvertes, de la Nature triomphante,
de la sécurité face à la barbarie. Et quand, la guerre enfin terminée,
on proposera à la petite famille d'occuper un autre logement, moins
vétuste, ce sera pour la narratrice un véritable crève-cœur!
On l'aura compris: cette belle enquête sur l'enfance est le récit d'une
réconciliation. Avec son passé, avec sa famille, avec soi-même. Les
mots retrouvés, les images entrevues, les sensations, sont
véritablement fondateurs. En même temps que ses racines, Janine Massard
nous donne une vision historique de la Suisse plus forte et plus
personnelle que les clichés de la Commission Bergier.
JEAN-MICHEL OLIVIER, Scènes Magazine
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Le Jardin face à la France
Janine
Massard, qui est née à Rolle et vit actuellement à Pully, publie chez
Bernard Campiche, l’éditeur d’Orbe, le récit de la vie quotidienne
telle qu’elle fut vécue, dès 1943, et ressentie par une fillette
pendant la seconde Guerre mondiale, dans une bourgade tranquille du
bord du lac, face à la France; cette fillette est probablement
l’auteur elle-même.
Pour la plupart des
enfants, cette période fut lourde à vivre et difficile à
comprendre. Les pères, sous le gris-vert, furent évidemment affectés à
la garde de la frontière, le long du Jura lorsqu’il s’agissait de
Vaudois; les mères durent s’organiser, avec ou sans aide suivant
les époques, pour survivre financièrement et élever leur progéniture.
Heureusement, dans le cas particulier, la présence d’un merveilleux
grand-père et celle d’une cousine délurée et imaginative, domiciliée à
quelques minutes à pied, adoucirent quelque peu la malice des temps.
Pendant ce temps, entre la rive française et Rolle, lors de nuits sans
lune, des passeurs œuvraient pour permettre à des gens qui avaient sans
doute quelque bonne raison de mettre une frontière entre eux et
l’occupant, de trouver un havre de paix «sur Suisse», même si ce fut,
pour certains, fort temporaire (1). L’un d’eux, qui fut rebaptisé
Moïse-sauvé-des-eaux – on devine pourquoi –, intrigue la
narratrice; il fut trouvé par le grand-père, sous la glycine,
endormi au pied du mur; israélite, ce réfugié français retournera
dans son pays à la Libération, d’où il gagnera la Terre promise de ses
très lointains ancêtres; sera-t-il même de ceux qui participèrent
aux actes terroristes, préludes à l’indépendance de la terre d’Israël?
Sous l’angle littéraire, il nous apparaît qu’en dépit de l’écoulement
des années - plus de soixante -, l’auteur a su adroitement recréer, par
sa plume, l’atmosphère de l’époque, ses difficultés, ses joies aussi,
telles qu’elles pouvaient être vues, comprises et ressenties par une
fillette encore en âge préscolaire au début du récit; il ne faut
point douter qu’à l’écoute des adultes, même de petits enfants
enregistrèrent les événements à la mesure de leur compréhension.
Pour nos lecteurs d’Yverdon-les-Bains et du Balcon du Jura, signalons
aussi que Janine Massard publia, il y a quinze ans, un essai
d’ethnologie régionale, Terre noire d’usine, paysan-ouvrier dans le Nord vaudois au XXe siècle, qui eut alors un certain retentissement. Au
demeurant, l’œuvre littéraire de Janine Massard est abondante et
variée; plusieurs d’entre ses écrits ont été distingués par des
prix.
La couverture du livre reproduit une œuvre du peintre Charles Chinet, Paysage hivernal,
datée de 1993, qui est en parfaite adéquation avec le récit qu’il
illustre: on sait que cet artiste – proche de Vuillard et de
Bonnard – a éprouvait une prédilection marquée pour le port de Rolle
(cette cité dont il est natif, lui aussi), ses flottilles de bateaux de
pêche et de voiliers; pour les grèves du lac également, et
naturellement pour l’île de La Harpe, chère aux Rollois et aux
Bellettriens.
BERNARD VIRET, Journal de Sainte-Croix et Environs
(1)
Au début de l’année 1942, Pierre Mendès-France, ancien ministre du
gouvernement de Front populaire dirigé par Léon Blum), parvint à
s’évader à temps des geôles de l’Etat français de Pétain et
Laval; il gagnera Thonon puis sera débarqué sur la rive
vaudoise du Léman par un pêcheur savoyard, quelque part entre
Saint-Prix et Rolle. Ultérieurement, il se joindra, à Londres, aux
Forces françaises libres.
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Le Jardin face à la France
(2005) – À Rolle (où elle est née), Janine Massard fait revivre dans
ces pages, sensibles toujours, poétiques parfois, la vie des gens de
cette petite bourgade suisse. C'est la guerre. Le lac sépare et unit
deux rives, celle de ce côté-ci et celle de l'autre côté, la France.
Jardin préservé, la Suisse l'a été à sa manière, tout comme le jardin
lacustre de son grand-père où vit la petite fille, entre vives joies et
terribles angoisses. L’auteur retrouve ici un regard d'enfant pour
peindre le monde adulte et ses personnages colorés; mais, derrière la
fiction, surgit le regard de l'auteur lui-même qui éprouve le besoin,
par le prisme de l'écriture, de renouer avec une origine pour se
réconcilier avec la vie.
«À la saison des étourneaux que plus rien ne gênait puisque les
épouvantails et les feuilles à bruit avaient été retirés des vignes, au
moment où l'ombre commençait à s'attarder sur le jardin, des rumeurs
ont repris au sujet de Hitler: son chauffeur avait beau affirmer qu'il
était mort et bien mort, on le disait enfui avec Eva Braun, grâce à la
complicité d'une aviatrice, on le prétendait au Moyen-Orient, où la
Révolution irakienne lui avait promis l'accueil contre une conversion à
l'islam.»
Sur le blog de JEAN ROMAIN
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This is the second long autobiographical fiction by Massard, the author of short stories, novels, and essays, the first being La Petite Monnaie des jours (1985).
The present work draws on her childhood in the Vaud, across Lac Léman
from France, during and just after World War II. Gisèle, the narrator,
is four when the book opens and about six when it ends, and her
perspective provides the major interest. Recalling these events after
her hair has turned grey and most of the participants in the actions
have died, the grown-up Gisèle nevertheless manages to preserve the
child’s perspective, only occasionally inserting her adult view.
The book has two main unifying elements, one being Gisèle’s devout and
intelligent grandfather. He identifies strongly with the French
Huguenot ancestors who, despite having fled to Switzerland to practice
their religion after the revocation of the Edict of Nantes, maintained
a deep-seated French cultural identity. The other is the way of life of
the semi-rural Swiss living primarily from agriculture in the Lausanne
region during the economically difficult times of the war and his
aftermath. Her grandfather is the center of Gisèle’s world, especially
because her father has been called up to guard the Swiss borders. A
stern but not grim Calvinist, he imbues her with pride in her French
ancestors and makes her feel that their life is part of the larger
world, so that she sees « le monde du jardin » (30)
where her family grows fruits and vegetables to sell, and so that she
interprets events largely through her grandfather’s eyes. As the years
pass, grand-père becomes
less assertive, physically weaker, and more upset with the world around
him, but he remains a potent force even after he moves to a neighboring
town with his new wife. The life of the Vaudois painted in
this book is one of constant struggle offset by closeness to nature,
meaning the garden and its environs. Gisèle’s family lives in an
unsanitary, damp house with no comforts except a single water spigot,
and money is tight. Her prudish mother makes lace at night (presumably
to sell) after working all day in the garden and the house. The
German-speaking Vaudois distrust the Francophones, and vice
versa ; everyone gossips. Some gothic figures make an appearance,
including the handsome seducer, equated by some whith Hitler, and the
neighbor given to bestiality. An older sister dies, perhaps of
tuberculosis. A brother is born, though no one wants Gisèle to learn
where he came from. « Une chose tue n’existe pas : le déni
était entré dans ma tête, ai-je compris plus tard » (p.156), she
realizes as an adult. Much remains unspoken is the repressed household.
Gisèle is recalling her childhood to preserve a past which she thought
forgotten : « ce passé enfoui m’a éclaté à la figure »
(64). She also admits the she reinvents the past : « peu
importe que je fasse chausser des bottes de sept lieues à grand-père,
pour moi, c’était un géant détenteur de tous les pouvoirs » (201).
What defenses do we have against death, our own and those of the people
we love, besides fixing our memories in words and, if we are talented
and lucky, waeving them into books for posterity ? The story line
is episodic, the events – even the scandalous ones – are
recounted calmly, and most of the characters are fairly flat. Yet the
novel retains one’s interest due to its picture of a lost way of life
which had its charm as well as its discomforts and restrictions.
SUSAN PETIT, The French Review
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Fenêtre sur France: Janine Massard
Pendant
les années de la dernière guerre, dans un cadre modeste mais préservé,
et grâce à la présence rayonnante d’un grand-père habité par la beauté
du monde, une petite fille apprend la vie et ses mystères. Jusqu’au
jour, inéluctable, où bien des fenêtres doivent se fermer.
Au commencement était le jardin, des vignes, un champ de blé pour le
pain (car c’était la guerre), un ruisseau qui débordait souvent, la
voie ferrée, et, tout en bas, le lac. Pour veiller sur le tout, et sur
la petite fille de quatre ans, grand-père, descendant de huguenots et
maître des mystères et des mots. D’autres habitants encore dans ce
jardin, maman Rose et Madeleine, la petite malade, Hortense et Jehanne,
papa plus souvent sur la frontière qu’à la maison. La mort frappe très
tôt dans ce monde aux ressources limitées: Madeleine, l’aînée, de plus
en plus diaphane, finit par se dissoudre dans l’air, comme une fumée.
Mais comme une fumée, elle réapparaît de temps en temps sous les yeux
charmés et confiants de Gisèle, la narratrice de quatre ans, et de sa
cousine Jehanne. Mort et résurrection dans le paradis de la très petite
enfance.
Grand-père, vraie figure paternelle, initie la petite fille aux
merveilles de la lecture et de l’univers des contes; contemplateur
gourmand, il prépare l’enfant à savourer «tous ces instants de beauté
intacte comme aux premiers jours du monde» qui font la joie de
l’existence. Mais il représente aussi la loi et le respect des
traditions, et dispense des «sermons» pleins d’enseignement que Gisèle
écoute avec une attention flottante, mais qui se gravent de manière
indélébile dans sa mémoire et forgent peu à peu son être au monde.
La maison occupée par la famille de Gisèle est périodiquement au centre
de discussions animées, les uns (maman Rose et grand-père) n’y voyant
qu’une «maison sans étage ni cave, avec […] quatre murs juste posés sur
le sol, une masure avec des poutres pour retenir le torchis […] une
bicoque, une hutte burgonde», humide et insalubre, les autres (papa et
la petite fille) refusant bec et ongles de quitter ce paradis sur
terre… Mais à la fin de la guerre, il faut se résigner à fermer pour
toujours les volets de la maison, tandis que grand-père s’apprête à
clore sa dernière fenêtre.
Dans l’intervalle, il y a eu la guerre, comme en sourdine, dans ce lieu
fragile et cependant protégé que fut la Suisse entre 39 et 45, qui a
cru en une illusoire innocence, proche de celle de l’enfance. Des
déchirures, la mort de Madeleine, les larmes de maman Rose, la
découverte de la sexualité, dans ce tissu moiré comme l’eau du lac
avant l’orage, et l’émerveillement, bien des années plus tard, devant
cette pêche miraculeuse au fond de la mémoire: «Alors, j’ai enfoui
cette petite enfance à la manière d’un trésor qu’on retrouve ensuite
avec éblouissement.» La narratrice fait ainsi à nouveau l’expérience de
l’infaillibilité de la parole grand-paternelle: «Les morts finissent
par revenir pour nous aider à vivre.»
Le goût des mots pointe son nez dans l’exercice clandestin des surnoms,
lui aussi inspiré par le grand-père, qui le premier baptise l’homme qui
dormait à l’ombre de la glycine «Moïse-sauvé-des-eaux». Suivent
Ouaiouar, Granny-aux-bagues, Déception-de-sa-mère; ce dernier excite
particulièrement la verve de la narratrice et suscite l’émergence
jubilatoire du discours indirect libre: «On savait Déception-de-sa-mère
bouclé dans un pénitencier de haute sécurité. Malgré cela, les parents,
dont les enfants empruntaient des sentiers peu fréquentés, avaient
décidé d’organiser entre eux un accompagnement jusqu’aux grandes
vacances d’été, des fois qu’un détraqué se mettrait à faire de
l’imitation, juste pour avoir sa photo dans le journal à côté de celle
de Churchill, qui pouvait prévoir les idées traversant la tête d’un
simplet, d’un benêt et autre tapé ou badadia, tous gens de courte vue.»
Janine Massard est née à Rolle en 1939. En 1985, elle publie aux éditions d’En Bas La Petite Monnaie des jours,
préfacée par Gaston Cherpillod, gros succès de librairie. L’héroïne,
Jennifer, alter ego de Gisèle, vit désormais à la Grand-Rue, sous l’œil
attentif et médisant des «Parques». Vingt ans plus tard, l’écrivaine
fouille plus haut encore dans sa mémoire et met au jour le paradis
perdu que nous portons tous au fond de nous.
CATHERINE DUBUIS, Domaine public
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Le Jardin face à la France
Dans
ce jardin face à la France, une fillette de 4 ans connaît de grands
bonheurs et de fortes angoisses. 1943: sur l’autre rive, c’est la
guerre. La Suisse, «neutre mais encerclée», semble endormie. Le père
est au front. «Maman Rose» court vers l’hôpital où se meurt une grande
sœur. Seule la présence rassurante du grand-père donne au monde une
assise. S’il admire Pétain, comme beaucoup, il sait aussi accueillir un
fuyard endormi au pied du verger, ce «Moïse-sauvé-des-eaux» dans lequel
il reconnaît le sort des Huguenots, ses chers ancêtres. Plus tard, le
père reviendra, un petit frère naîtra, le grand-père retrouvera une
femme, «Granny-aux-bagues», trop citadine. Il faudra quitter le jardin
merveilleux pour un appartement en ville. Une vie plus tard, une femme
porte sur son enfance – la maison insalubre, la mère figée dans le
chagrin austère du protestantisme, les disputes des grandes personnes
d’alors – un regard éloigné, affectueux et lucide. Au chevet de sa mère
centenaire, elle s’est souvenue des mots du grand-père : «[Les
morts] finissent par revenir pour nous aider à vivre.» comme l’avait
fait, dans l’enfance, la blanche apparition consolatrice de la sœur.
Alors cette femme a pensé: «Écrire, c’est tisser le temps.»
ISABELLE RÜF, Le Temps
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