Janine Massard: between History and Personal story
French speaking Swiss novelist Janine Massard, author of L’Héritage allemand,
which will be published in Russian at Text publishing company, will
speak about how the history reflects in personal life story of every
person and her family, in particular.
Born in 1939 in Rolle in the canton of Vaud in a working class family,
Janine Massard’s work is partly autobiographic and driven by a strong
social and historic thinking. She won, among other prizes, the Schiller
Prize in 1986 for La Petite Monnaie des Jours.
This book follows the story of a poor young girl escaping her fate
through education in the 1950s. Author of short stories, tales and
novels, Janine Massard also worked on regional ethnology with Terre noire d’usine, paysan ouvrier dans le Nord vaudois au XXe siecle. Trois mariages,
analyse de l'institution du mariage à travers les générations et les
diverses couches sociales, published by the Editions de l'Aire was
rewarded with the Prix des écrivains vaudois. She also received the
Prix Rod for Comme si je n'avais pas traverse l'été, her eighth novel.
In L’Héritage allemand, Janine
Massard asks herself which shadow the nazi past of Heinrich Honorius
can cast on the dramatic family history. Her latest novel, Gens du Lac
is about the history of the small town of Rolle during World War 2 and
the fishermen who acted as people smuggler between France and
Switzerland.
Texte publié à l’occasion de la FOIRE DU LIVRE DE MOSCOU
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Heide,
Allemande, mariée en Suisse dès 1935, sait peu de choses sur ce que son
frère, membre de la SS, a fait durant la guerre, en Ukraine notamment.
Prisonnier des Français à la capitulation, il se marie et participe au
miracle économique allemand. Si sa sœur l’a toujours imaginé en brave,
elle ne peut s’empêcher de s’interroger en constatant que sa
descendance, comme celle de son frère, est frappée de maladies graves
ou mortelles. D’étranges fantasmagories fleurissent sur le
non-dit mais c’est Léa, sa belle-fille, durement touchée
collatéralement, qui, à force d’obstination, obtiendra une forme de
réponse aux questions que tous les protagonistes de cette tragédie se
sont un jour posé.
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Les secrets de l’oncle allemand
Dans L’Héritage allemand, Janine Massard se demande quelle ombre le passé nazi de Heinrich Honorius fait planer sur la destinée familiale dramatique.
Dans
la famille, il y a Heide, née Allemande, mariée à un Suisse depuis
1935. Son fils Marc, qui a épousé Léa. Nadia, qui a épousé Reto. La
mère de Heide, maîtresse femme qui détestait Hitler et avait envoyé sa
fille Heide dans un pensionnat suisse, loin des croix gammées affichées
dans les rues de sa ville.
Et Heinrich, enfin, frère de Heide. Aspiré dès sa quinzième année par les Hitlerjugend,
puis par la SS, qui l’envoya sur le front de l’Est, en Ukraine, où il
perdit un œil et l’usage d’une jambe. Fait prisonnier des Français, il
revint pour se fondre dans l’anonymat d’une vie de comptable ordinaire,
se maria, fit un fils, acheta une Coccinelle. «Sans les événements
qui se sont succédé une bonne vingtaine d’années après son trépas,
Heinrich Honorius aurait erré dans les consciences des vivants puis
serait tombé en déshérence, à l’extinction de sa descendance.» Mais
voilà, les morts et les infirmes se succèdent après lui. Léa voit sa
fille et son mari mourir du cancer. Le fils de Heinrich est gentiment
demeuré. Il se marie tout de même, et met au monde une fille
handicapée, avant de mourir à quarante ans. À cinq ans, la fille de
Nadia tombe malade du cancer, avant que Nadia elle-même ne se fasse
opérer d’un cancer du sein. Un sourd galop fait trembler la terre sous
les pieds des vivants. L’ombre d’une malédiction germe dans leur tête,
d’une punition divine pour les crimes commis avant eux, et l’impression
persistante de devoir se battre contre des ombres gluantes.
Le mystère de l’Ukraine
Alors Léa se met en tête de retracer l’évolution de cette branche
allemande greffée sur sa vie, et commence à gratter derrière l’élégance
lisse de Heinrich, dit Onkelhaha.
Des véritables activités de HH pendant la guerre, personne ne sait
rien, personne n’a jamais voulu le savoir. Heide s’était persuadée que
son frère avait dû se retrouver boulanger ou brancardier dans l’armée,
lui qui était si gentil. Mais tout le monde voyait qu’il n’était pas
rentré intact, au-delà de l’œil de verre. Heide disait qu’il fallait
oublier tout cela, pour «permettre à la vie ordinaire de prendre le
dessus». De Janine Massard, il y a beaucoup dans ce livre
réparateur dont elle dit qu’il a «surgi avec une violence incroyable».
La configuration familiale de Léa ressemble à la sienne: l’écrivaine a
perdu, ainsi qu’elle le raconte dans Comme si je n’avais pas traversé l’été,
un mari et une fille du cancer à quelques mois d’intervalle. Et le
travail de la gardienne de la mémoire collective qu’elle entreprend ici
est le sien depuis toujours: La Petite Monnaie des jours racontait sa jeunesse dans le milieu ouvrier de l’après-guerre. Terre noire d’usine reconstituait la réalité des domestiques de campagne du Jura industriel. Trois mariages décortiquait cette institution à travers plusieurs générations. Ce qui reste de Katarina
faisait le point sur la vie d’une femme, Allemande née en 1918,
manipulée par sa mère jusqu’à ce qu’elle épouse un Suisse, après le
décès de son fils. En 2005, Le Jardin face à la France
restituait le quotidien d’une petite ville suisse, Rolle, durant la
dernière guerre mondiale. À chaque fois, des portraits d’individus et
de leur siècle, une manière exigeante et clairvoyante d’imbriquer les
destins individuels dans les soubresauts et les états d’âme de l’époque.
Le destin des morts
L’Héritage allemand
est du même acabit, porté par une urgence poétique nouvelle, un
questionnement rude jeté à la face du destin. Sommes-nous coupables des
crimes de nos aïeux? Méritons-nous nos malheurs? Non, répond Janine
Massard, qui n’aime pas l’expression «se faire coller un destin», cette
«hypothèse calviniste qui pèse sur vous». Mais on ne peut s’empêcher
d’y penser jusqu’à l’obsession. On peut savoir d’où l’on vient, plus
qu’où l’on va. Lorsqu’elle lit Les Bienveillantes, elle sent
que l’oncle, de là où il est, veut qu’elle parle pour lui, le remette
dans le monde, libérant sa conscience, et celle de ses descendants.
Elle veut le croire: les morts ont besoin de nous.
ISABELLE FALCONNIER, In: «Sélection les meilleurs romans de la rentrée», L’Hebdo
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Le Poids de l’héritage
Et
si les crimes d’un aïeul nazi poursuivaient toute sa descendance, même
indirecte, par le truchement d’une série de cancers mortels? Si l’on ne
se remettait jamais complètement des affres de la guerre juste parce
qu’un grand-oncle, un frère y ont pris part? Parce qu’il y a de la
culpabilité, même inconsciente. Et que l’on se doute bien – même si
d’aucuns préfèrent l’occulter – que cette guerre là-bas, en Russie, en
Ukraine, n’a pas été une promenade de santé et la célébration de la
fraternité des peuples… C’est l’étrange questionnement que Janine
Massard installe au cœur de son nouveau roman, L’Héritage allemand.
Heide, éloignée du régime nazi par sa mère, réfugiée en Suisse, mais
dont le frère a fait la guerre sans états d’âme, se voit confrontée aux
décès successifs de son fils, de sa petite-fille, aux malheurs
conjugaux de sa fille, etc.
Certes Yvette Z’Graggen avait déjà brillamment évoqué cette culpabilité à distance dans Ciel d’Allemagne ou Matthias Berg.
Chez Janine Massard, l’élégante truculence de l’écriture tourne autour
de ce thème, mais évoque plus généralement la réaction des êtres
confrontés à la maladie mortelle, à la mort d’un enfant, aux décès en
série. Bref, à l’incompréhensible, à l’insoutenable. D’où le retour sur
soi, le déchirement intérieur et des questions basculant peu à peu dans
l’irrationnel. Comme si l’erreur historique, la faute, instillaient
leurs métastases dans des corps innocents. Parce que les morts se
vengeraient… Très habilement, Janine Massard poursuit sa réflexion
à travers trois générations. S’interrogeant aussi sur ces raisons qui
nous empêchent de vivre, nous tuent à petit feu. Et pourquoi dans une
famille, l’un des petits-enfants échappe à toute maladie, à toute
culpabilité, devenant un brillant médecin en rompant avec ses parents.
Un roman familial, humain, qui séduira par son écriture vive,
inventive, tour à tour détachée et empathique.
JACQUES STERCHI, La Liberté
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Le
nouveau roman de la Vaudoise nous fait vivre, par la voix d’une
narratrice proche d’elle, les séquelles d’un secret de famille lié au
passé nazi d’un de ses membres. Qu’a fait l’oncle Heinrich Honorius
sous son uniforme SS sur le front russe ? Sa sœur Heide a toujours
voulu se le cacher, mais la vérité va refaire surface alors que Léa,
épouse de Marc, fils de Heide, vit elle-même de dures épreuves. Avec
autant de sensibilité que de verve sarcastique, brossant quelques beaux
portraits dans la foulée, Janine Massard poursuit une œuvre de mémoire
des plus estimables.
KARINE FANKHAUSER, «Mon choix», 24 Heures
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Coupable de ses aînés?
C’est
une histoire de famille peu ordinaire. Celle de Heide, une Allemande
mariée en Suisse en 1935. Son frère a fait la guerre sous l’uniforme
SS. Elle sait peu de choses de cette période, veut croire qu’il était
boulanger ou brancardier. Toujours est-il qu’une malédiction semble
frapper leur descendance. Les maladies graves se multiplient, y compris
chez les jeunes enfants. Heide en vient à s’interroger: et s’ils
payaient les crimes de leurs aînés?
Après Le Jardin face à la France
(2005), Janine Massard continue de se pencher sur la période trouble de
la Seconde Guerre mondiale. Par le biais de cette famille, elle
s’interroge sur la culpabilité et le prix à payer pour les fautes de
nos aïeux. Sur les non-dits, aussi, que Léa, la belle-fille de Heide,
cherchera à percer en fouillant le passé. D’une plume alerte, Janine
Massard tisse les fils de ces existences blessées. C’est à la foi
habile, prenant et mystérieux.
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
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Payons-nous les méfaits de nos aïeux?
Basée sur beaucoup de vécu, une fiction ambiguë comme la vie.
Heide,
fille suisse d’une Allemande qui s’exila en 1935, et sa belle-fille Léa
affrontent, chacune à sa façon, l’énigme de la malédiction qui décime
la famille. Nommant, pas par hasard, « barbaromes » ces
cancers qui emportent enfants et petits-enfants, Heide protège d’abord
la réputation de l’oncle élégant et bon, adjudant SS dont on a toujours
dit qu’il avait traversé la guerre comme téléphoniste. Sa mémoire hante
les (sur)vivants, puisque les morts ont besoin d’eux…
Après Le Jardin face à la France,
une enfance durant la guerre, Janine Massard poursuit sa méditation
active et invite à y entrer. Car elle raconte d’abord une
histoire ; loin de désincarnés présentoirs à idées, les
protagonistes respirent l’épaisseur de l’existence. Si les idées sont
là, fortes, elles sont aussi contradictoires, aussi riches
d’incertitudes que la vie elle-même. Au travers de mille détails du
quotidien, les protagonistes – des femmes au premier plan, les hommes
seulement décrits par elles – tracent des pistes de réflexion. Le
banal, parfois le trivial – Heide pète avec jubilation et en tire un de
ses « proverbes ouzbeks » surréalistes ! –, est
l’occasion d’interroger la société actuelle et ses modes de vie.
Drame et angoisse, ironie féroce et humour salvateur, Janine Massard
embrasse quatre générations et tisse dans ce récit une sorte de
chronique de la Suisse actuelle, illustration tracée à la pointe sèche.
On y retrouve les grands thèmes de la vie de l’auteur, éclairés sans
complaisance. Dans un style à la fois visuel et distancé, la romancière
tricote une histoire à fortes résonances familiales, puisqu’elle a
identifié un oncle de son mari sur d’authentiques photos de SS
impliqués dans la « Shoah par balles » en Ukraine. De même
que Léa tombe sur des documents qui lui permettent de forger une clef
plausible à l’énigme existentielle.
Droit à la contradiction
Les multiples ouvertures à des phénomènes inexplicables se heurtent au
rationalisme de Janine Massard, qu’elle n’abjure nullement, sans pour
autant minimiser le mystère. Ce récit lui a été donné, dit-elle, et a
quelque chose de médiumnique. Croit-elle au monde parallèle ainsi
entrevu ? Elle rit, revendique hautement le droit à la
contradiction intérieure et en appelle à l’humour russe sous
Staline : « On ne croit pas en Dieu, c’est entendu ;
mais on en tient compte… »
JACQUES POGET, 24 Heures
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Une page littéraire
Entretien avec Geneviève Bridel
Ce
matin, Geneviève Bridel, vous nous proposez le nouveau roman d’une
auteure suisse romande, Janine Massard, connue des lecteurs pour ses
livres qui décrivent sans indulgence les travers de notre société ou
les défauts de certaines institutions, on pense par exemple à Trois mariages. Alors ce nouveau livre s’intitule L’Héritage allemand et j’imagine, Geneviève, qu’il faut prendre le mot non pas au sens «magot» mais plutôt au sens figuré du terme…
G. Bridel:
…Oui absolument, parce que c’est du «nazisme», du poids du nazisme dont
il s’agit dans ce livre, puisque le livre raconte la vie d’une famille
suisse romande d’aujourd’hui, mais dont la grand-mère était allemande
et avait un frère, l’oncle Heinrich Honorius, qui lui avait fait la
guerre en Ukraine en tant que SS. Mais je serais tentée de dire que le
quart du roman n’est pas dans le titre du livre, c’est presque un peu
trompeur même si évidemment la question du non-dit, du refus de la
culpabilité, de la volonté aussi de certains personnages du livre de
savoir quel était véritablement le passé de cet homme est très présente
dans le récit. En fait, c’est plutôt un livre sur la mort ou sur la
manière dont la perte de ceux qu’on aime nous égare, nous bousille le
cœur, l’âme et aussi la raison pour ne pas dire carrément la santé
mentale. Et cette mort-là, elle frappe aujourd’hui, elle porte le nom
de cancer, elle frappe dans la même famille, elle s’acharne à tel point
que ceux des membres de cette famille qui restent vivants, eux, sont
loin d’être en bon état, en tout cas psychiquement. Forcément, me
direz-vous, le deuil vous transforme et on n’en sort pas indemne. Mais
nous non plus, on ne sort pas bien, il faut le dire, du roman de Janine
Massard, parce que c’est un livre qui nous déboussole. Il y a à tout
moment la folle du logis qui tourne dans différentes têtes des
personnages du livre et qui nous embrouille nous-même en tant que
lecteur. Il y a vraiment une confusion de l’esprit, j’ose dire, qui est
dérangeante parce qu’on la sent contagieuse, on éprouve presque le
vertige de la folie en la lisant.
En tout
cas, c’est un déboussolement que vous nous transmettez bien, Geneviève,
mais pardonnez-moi de me raccrocher au récit pour revenir à cette
famille dont une branche est allemande, un oncle a été SS, si j’ai bien
compris, et plusieurs de ses membres meurent donc du cancer. Mais, quel
rapport avec le passé nazi de l’oncle?
G. Bridel:
Eh bien justement, le rapport que seul un esprit touché, abîmé je
dirais presque par la présence de la mort peut imaginer. Celui de la
faute qui rejaillirait après coup sur la descendance de l’oncle, celui
de la violence qui a causé tant de morts. Et ce lien, c’est la
belle-fille de la grand-mère allemande en question, donc la femme de
son fils si vous me suivez, qui l’établit, qui le pressent. Elle
s’appelle Léa, elle a perdu coup sur coup son mari et sa fille du
cancer que la grand-mère se refuse de nommer «cancer» ou «carcinome» et
surnomme le «barbarome», et ce mot résonne particulièrement dans ce
contexte de l’enquête que, plus tard, après la mort de ceux qu’elle
aime, va mener Léa pour savoir quel était véritablement le passé de cet
oncle. Et il y a une citation qui reflète les idées qui tourbillonnent
dans la tête de cette veuve, qui est aussi une mère orpheline de son
enfant: «Du silence est venu le vent des morts, ce souffle étrange s’est
posé où il a pu. Il est sorti des fosses, de la terre remuée par la
faute d’une cruauté qui renvoyait ces actes aux temps d’avant
l’humanité. Le vent des morts s’était alors élevé au-dessus des plaines
infinies d’Ukraine, il avait traversé la durée et poussé des graines qui
s’étaient accrochées aux branches des arbres, se posant même sur celles
des généalogiques…» Ce qui est bizarre dans ce livre, c’est que c’est
précisément la grand-mère allemande qui a trouvé ce mot de «barbarome»
alors que c’est elle qui repeint toujours en rose le passé de l’oncle
Heinrich, son frère, et qui ne veut pas entendre parler de cruauté, de
barbarie… Ces échos que se renvoient ces deux femmes dans le roman,
qui, toutes deux, sont touchées dans leur cœur et leur esprit par la
perte de leur enfant, ces prémonitions, ces perceptions de quelque
chose d’autre que le hasard dans ce qui les frappe, c’est ce qui me
fait dire que le livre tourne entièrement sur comment on traverse la
mort de ceux qu’on aime.
Vous voulez dire que, finalement, le poids de L’Héritage allemand, ben finalement ce n’est pas très important?
G. Bridel:
Non, parce que c’est une explication, un semblant de sens auquel il
faut se raccrocher, de ces explications qu’on trouve pour ne pas se
fracasser la tête contre les murs quand des drames comme celui-ci vous
frappent, et c’est surtout une des formes incompréhensibles que prend
le chagrin, un des chemins qu’il emprunte de manière anarchique et, ça,
Janine Massard nous le fait ressentir extrêmement bien à travers une
écriture qui ne fait rien pour gommer la confusion, au contraire… Parce
que la mort déconstruit ce qui reste, en tout cas c’est qu’on constate
en refermant le livre.
GENEVIÈVE BRIDEL, «Une page littéraire», RSR «La Première»
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Des questons déchirantes
Janine
Massard poursuit son exploration des destins familiaux en suivant le
tracé de feu et de mort qui, de l’Allemagne nazie, court dans le «flux
des générations» d’une arborescence helvétique. Histoire de destin,
emblématique, mythique, qui fait songer à Eschyle ou à Shakerspeare,
pour ne pas parler de la Bible. «Que son sang retombe sur nous et nos
enfants!», «Les parents ont mangé les raisins verts et les enfants ont
les dents agacées». C’est ce qu’on est amené à articuler en suivant
l’histoire de ce couple allemand du début du XXe siècle, donnant
naissance à un fils, Heinrich Honorius (HaHa), rapidement aspiré par la
«Hitlerjugend», et à une fille, Heide, que la mère, bien inspirée,
envoie étudier en Suisse où elle la rejoindra.
Un pur SS
Devenu
«Scharführer» sur le front de l’Est, HaHa, pur SS, est cependant
auréolé par les siens d’une réputation de bon garçon, boulanger ou
brancardier dans les troupes. Après la guerre, dont il ne dira rien,
HaHa se marie mais son fils atteint de méningite reste bizarre et
invivable, et sa fille ne vivra pas longtemps. C’est ensuite dans la
famille que se manifesteront les désastres en cascade. Cancers
d’enfants et d’adultes qui déciment «le flux des générations» auquel
s’accroche Heide jusqu’à la déraison.
Malédiction familiale, loi des séries?
Il faudra du temps et beaucoup de souffrances pour qu’une femme, qui a
perdu fille et mari, se pose les questions déchirantes d’une
malédiction familiale. Peut-on raisonnablement rendre l’oncle HaHa
responsable de ce malheur à répétition? Doit-on invoquer la loi des
séries? La génétique a-t-elle une réponse? C’est ce que cherchera à
savoir un petit-fils rescapé en entreprenant des études médicales.
Un livre douloureux
Le livre est lourd, douloureux, mais les questions qu’il laisse ouvertes vont bien au-delà de l’anecdote familiale.
L’écriture de Janine Massard ouvre au scalpel toutes les plaies
familiales, puis s’étend un peu longuement, sur les archives, lettres
retrouvées dans un carton, qui définissent plus clairement le vrai
profil du SS HaHa.
MIREILLE CALLU, Vevey-Hebdo
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Une malédiction familiale
Mettre
des mots sur «les furies qui tremblent en elle»: telle est l’obsession
de Heide, allemande d’origine, mais installée en Suisse depuis la
guerre, qui s’interroge sur l’étrange malédiction qui touche sa
famille, et celle de son frère, ancien officier de la SS. En effet,
dans l’une et l’autre branche familiale, les maladies graves ou
mortelles se multiplient, frappant tantôt la fille ou le fils, tantôt
les petites-filles. Pourquoi un tel acharnement? Y aurait-il une raison
à cette malédiction familiale? On reconnaît ici les thèmes chers à
Janine Massard (née à Rolle en 1939): la famille en proie à cet ennemi
intime et terrifiant qu’est la maladie, qui sert de révélateur aux
relations humaines; la soif de vivre inextinguible; l’interrogation du
passé qui éclaire le présent. Si Comme si je n’avais pas traversé l’été,
roman très autobiographique publié en 2001, était un acte de résistance
contre la mort aveugle qui frappe ses proches (le père, le mari, la
fille), L’Héritage allemand est un livre de méditation et
d’élucidation. De fantasmagories, aussi, car toutes les femmes qui
peuplent le roman cherchent à comprendre, par le dialogue et la
rêverie, ce qui leur arrive. «Il y avait eu des mots comme… la faute
collective, tous ne paieront pas, beaucoup d’innocents seront touchés,
mon père a dit ça à la fin de la guerre quand on a découvert tous les
crimes… Il croyait si fort au châtiment qu’il était convaincu que trois
générations seraient nécessaires aux Allemands pour se faire pardonner…»
On sent Janine Massard marquée par la lecture des Bienveillantes,
de Jonathan Littell. À son tour, la romancière interroge les crimes du
passé: et si toute sa famille portait le poids des crimes commis par
son frère? Si le destin se vengeait aujourd’hui sur ses proches,
victimes innocentes, mais porteuses du même sang criminel? Belle-fille
de Heide, Léa s’interroge, et se révolte aussi : «qu’avait-elle fait
pour être ainsi punie? Le scénario d’un syndrome du châtiment,
subséquent aux crimes jamais avoués d’Onkelhaha, s’était incarné quand
des pics de douleur l’avaient fait vaciller.»
On le voit: avec son Héritage allemand,
Janine Massard nous entraîne dans des abîmes vertigineux.
Qu’hérite-t-on avec le sang de ses aïeux? La maladie vient-elle venger
un passé inavouable? Et que peut-on faire face à cette malédiction?
Sondant avec lucidité les personnages qu’elle met en scène (presque
tous féminins), Janine Massard creuse le mal jusqu’à sa racine. Le
passé empoisonne l’existence des vivants, d’autant plus que ce passé
est occulte. Il faut lutter contre la maladie, en même temps que
reconnaître la source du mal. Dans cette quête poignante de vérité,
Janine Massard ne triche pas, comme à son habitude: quitte à se brûler
les ailes ou les yeux, elle cherche une lumière qui soulage, mais aussi
qui aveugle. Elle va jusqu’au bout du chemin, non sans humour, ni
compassion.
Blog de JEAN-MICHEL OLIVIER
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L’Héritage allemand
Ce nouveau roman de Janine Massard est, comme l’auteur elle-même l’indique, « un peu particulier ». Venant après Le Jardin face à la France,
il doit être perçu comme une tapisserie de vies tissée tout au long de
trois-quarts de siècle. Commençant avant même la prise du pouvoir par
Adolf Hitler en Allemagne, ces pages relatent les péripéties qui
jalonnent la vie d’une famille dont l’un des membres, enrôlé dès
l’adolescence dans les Jeunesses hitlériennes, revêtit pendant la guerre l’uniforme noir des Waffen SS.
Cet homme, c’est Heinrich Honorius, dit Onkelhaha {Haha
pour les initiales de Heinrich et Honorius, bien sûr}, qui revint
vivant du front de l’Est et qui, quoique handicapé, sut après la
guerre se réinsérer dans la vie civile ; comptable, il mènera
jusqu’à son décès la vie ordinaire et respectable de la plupart des
Allemands de sa génération, participant comme eux à ce qu’à à
l’époque on qualifia de « miracle économique allemand ».
Onkelhaha
n’apparaît directement que fort peu dans le roman ; on se le
représenterait plutôt comme une sorte de « statue du
commandeur », dès lors que, après sa mort, plusieurs de ses
proches, issus des parentèles suivantes décèdent de maladies lourdes ou
sont victimes d’affections graves : une malédiction
pèserait-elle sur cette famille ? Elle les frappe alors que
l’oncle est trépassé depuis une vingtaine d’années déjà.
Kunigunde, la mère de cet homme au passé nazi, marqua d’emblée sa
réprobation envers les nouveaux maîtres du Troisième Reich allemand,
prenant même la précaution d’envoyer sa fille Heide en Suisse pour y
étudier et - comme elle l’avait pressenti- y rencontrer puis y épouser
un Helvète de bonne souche ; cette Heide eut un fils et une
fille qui, à leur tour, fondèrent un foyer.
Chacun des membres de cette famille éclatée, les uns restés dans la Bundesrepublik, d’autres qui restèrent isolés pendant deux générations dans ce que l’on désigna longtemps, à l’Ouest, par le terme Ostzone
jusqu’à la réunification survenue après la chute du Mur, et ceux qui
s’étaient établis ou étaient nés en Suisse, tous, donc, qui avaient
connu ou du moins entendu parler de l’Onkelhaha, pensaient que
cet homme gentil et si affable avait passé correctement à travers
l’épreuve de la guerre, qu’il en avait même subi les affres, par chance
sans dommages majeurs, physiques ou psychiques ; l’oncle y avait
certes laissé un œil et l’usage d’une jambe, mais chacun des membres de
sa parentèle admettait implicitement qu’à l’armée, il avait été affecté
à des fonctions honorables, téléphoniste, brancardier ou boulanger.
Mais la multiplication, dans la famille, de décès dus au cancer
principalement, ou la survenance d’affections n’ayant pas entraîné la
mort, nécessitèrent toutefois des traitements lourds et mutilants,
conduisit Heide et sa belle-fille Léa à s’interroger sur une possible
relation de causalité entre le comportement réel de l’oncle ex-SS et
les malheurs qui frappèrent les générations suivantes, jusqu’à son
propre fils qui fut un « demeuré »...
Heide mourra sans avoir pu élucider l’énigme du rapport de causalité
entre le comportement présumé criminel, ou du moins soudainement
pressenti, de l’oncle sur le front de l’Est ; la conviction
s’enracina dans son for intérieur qu’une telle relation existait bel et
bien, alors même qu’elle avait imaginé un brave soldat sans tâche et
sans reproche. Ses réflexions la conduisirent même à imaginer un
néologisme pour qualifier ces maladies : le terme barbarome
- une réelle trouvaille ! - associe la barbarie qui a régné sur
l’Europe pendant toutes ces années et les tumeurs malignes qui
emportèrent une partie de sa descendance {On s’est pris des cancers, c’est la faute à Hitler…}.
C’est Léa qui, rapprochant les documents laissés par sa belle-mère et
les témoignages accablants recueillis beaucoup lus tard par un prêtre,
en Ukraine, devenue terre de massacres systématiques perpétrés par les
SS et même aidés par des soldats de la Wehrmacht, finira par se
convaincre de la culpabilité de Onkelhaha. Ce roman
nous enseigne que « le silence des morts serait moins pesant si
l’on avait pu se parler avant ». Nul doute qu’il retiendra
l’attention de ses lectrices et de ses lecteurs. On soulignera aussi,
sur le plan purement littéraire, au moins deux vigoureux portraits de
femmes ainsi que les trouvailles d’une écriture ironique, parfois même
sarcastique.
BERNARD VIRET, Journal de Sainte-Croix
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«L’écriture m'a sauvé la vie»
Janine
Massard affronte par le biais de la forme romancée une mémoire
douloureuse à porter, doublée d’une tragédie de famille. Dialogue
autour de «L’Héritage allemand».
Pourquoi appelez-vous votre chat «Monsieur»?
Janine Massard. J’ai dit ça, moi? (Elle sourit)
J’aime bien personnaliser un peu les animaux. Des fois, je l’appelle
«Monsieur le Comte» aussi. Cela fait partie de mon côté un peu
excentrique.
C’est ce côté excentrique qui vous a permis, avant la trentaine, de plaquer les lettres?
J’ai
commencé des études et j’ai eu une petite fille, Véronique. Mais n’ayant
ni les moyens ni une grand-maman pour la garder, j’ai décidé de garder
mon enfant moi-même. C’est à cette époque que j’ai ressenti le besoin
impérieux d’écrire.
Vous avez toujours cru en votre carrière d’écrivain?
Dès
le début, je sentais une force en moi qui me poussait vers l’écriture.
Mais quand je racontais autour de moi que j’écrivais, on disait: «Et ça
rapporte?» Les gens ne comprennent pas que l’on écrive parce que l’on a
envie de raconter des histoires. Alors on finit par une certaine pureté,
on écrit pour la beauté du geste.
«L’Héritage allemand» n’a pas été écrit pour la beauté du geste. Vous avez attendu avant de l’écrire.
Oui.
Oui, j’ai attendu. Il n’est pas sorti comme ça, mais à partir du moment
où j’ai empoigné le sujet, tout est allé très vite. C’est un livre qui
résulte d’un vécu extrêmement douloureux, d’une chose que j’ai dû
traverser, une chose que j’ai dû apprendre à dominer… c’est-à-dire la
confrontation avec une tragédie qui m’a été… (elle hésite).
Écoutez, je ne sais pas, qui m’a été imposée. J’étais en fait impliquée
là-dedans, mais en même temps… Peut-être que l’écriture m’a sauvée.
Certainement.
L’enquête menée par l’héroïne du livre, est-ce la vôtre?
Oui.
La forme romancée m’a permis d’avoir une distance vis-à-vis de la
chose, et de construire ce livre comme un puzzle, avec deux centres: le
premier autour de l’héroïne, Heide, et l’autre autour de Léa.
En somme, la forme romanesque vous a protégée.
La
forme romanesque permet de dire la douleur différemment. Et de la dire
de manière plus complète que si l’on faisait une sorte de témoignage à
la première personne.
Pourrait-on dire aussi que les rouages de la tragédie qui se déroule dans votre roman sont ceux de votre tragédie personnelle?
Écoutez, j’avais fait de cette tragédie un premier livre, Comme si je n’avais pas traversé l’été.
J’y parlais uniquement de la tragédie que j’avais vécue dans ma vie: la
mort d’une jeune fille, sa mort annoncée, et en plein milieu de cette
maladie, mon mari qui meurt aussi. (Silence) Pendant toutes ces
années d’angoisse, je me souviens d’avoir tapé du pied et d’avoir dit,
un jour, de manière tout à fait irrationnelle: «Ce sont les crimes de
l’oncle nazi qui nous retombent dessus.»
On ressent votre colère. Mais vous la maîtrisez.
On
ne peut pas engueuler la destinée, alors on ressent de la colère! Et
comment ne pas tomber dans l’irrationnel, quand vous voyez le fils de
cet oncle, papa d’une petite fille débile, mourir lui-même à 43 ans?
Comment expliquer cette accumulation de calamités sur une même branche
généalogique?
La figure de cet oncle apparaît dans votre roman sous les traits du frère de l’héroïne. Qui était cet oncle?
Je
ne sais pas grand-chose, si ce n’est qu’il était engagé au sein des
troupes allemandes sur le front de l’Est, en Ukraine. Comme il n’y a
pas eu de camp de concentration en Ukraine, l’opinion publique a
longtemps cru qu’il n’y avait pas eu de génocide. En réalité, ce sont
des «difficultés techniques», la proximité du front, qui ont empêché
l’installation de chambres à gaz ou la déportation à Treblinka ou à
Auschwitz. Alors les juifs, enfants compris, ont été exécutés, balle
par balle.
Votre oncle a participé à la «Shoah par balles»?
Il
est resté en Ukraine jusqu’en 1943. Ceux qui exécutaient la besogne
n’étaient ni les cerveaux de la Shoah ni les officiers de haut rang,
mais bien ceux qui étaient en bas de l’échelle. Comme mon oncle.
Comment expliquer la discrétion de l’histoire à ce sujet?
Par
le silence complet de la génération allemande qui a participé à la
guerre. Il fallait survivre. Mais la troisième génération après le
nazisme s’est montrée beaucoup plus critique vis-à-vis de ce qui s’est
passé. Une femme médecin allemande me disait que, jusque dans les
années 1980, ceux qui étaient au pouvoir et qui avaient les capacités
de faire marcher les usines, de commander, de mener des hommes,
«c’étaient les mêmes mais avec une autre casquette». À Nuremberg, on a
puni les hauts responsables: mais on a oublié les petites mains.
Dans quel état émergez-vous de l’écriture de ce livre?
Quel
que soit cet état, tout cela devait sortir de moi. C’est le métier. Ce
livre est issu d’un véritable jaillissement. J’ai refait ma mémoire à
la lumière de la tragédie que j’ai vécue. (Silence) J’avais l’impression que je prenais une rampe, et que je glissais. C’était très étrange.
Vous sentez-vous libérée?
Je ne sais pas…
PABLO DAVILA, Coopération
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Quand les morts parlent
Le
passé, on voudrait parfois lui tisser une toile et serrer… jusqu’à ce
qu’il se rende. En creux de la langue si poétique de Janine Massard se
loge une interrogation raide comme la mort: jusqu’où sommes-nous
victimes – ou coupables – des actions de nos ancêtres? Afin de
circonscrire cette question, l’écrivaine de Rolle, qui s’est fait une
spécialité des histoires liées à un contexte historique, campe celle
d’une famille d’origine allemande. Voici Heide, sœur d’un officier SS
et fille d’une femme de poigne qui avait Hitler en horreur. Son fils
Marc épousera la Suissesse Léa. C’est elle, cherchant à se libérer, qui
s’applique à fouiller l’héritage.
Se libérer de quoi? De la malédiction des maladies frappant la
descendance. «J’ai l’impression que des furies irascibles s’acharnent à
détruire la branche allemande», s’exclamera Léa en une sorte de cri
étouffé, ravalé, qui semblait sorti de l’abdomen. Pour finalement se
demander: «Et si cette violence répondait à un passé inavouable? Et si
ces maladies faisaient partie d’un processus s’étalant sur des années,
suivant une logique qui échappe aux vivants et réconforte les morts?»
À force d’idéaliser le bonheur fraternel, Heide avait fini par faire
l’impasse sur les activités de son frère Heinrich si doux et si gentil
pendant la guerre; au pire avait-il probablement fini brancardier ou
boulanger. Sauf son œil de verre, stigmate inquiétant, ces cancers, qui
se succèdent en rafales dans la descendance. Et les furies soudaines
qui font trembler la belle-fille qui se souvient des mots de son père:
«Il croyait si fort au châtiment qu’il était convaincu que trois
générations seraient nécessaires aux Allemands pour se faire pardonner.»
Répondant à l’appel d’un oncle qui, de l’autre monde, lui demanderait
de parler, Janine Massard le fait renaitre au nôtre. Et toutes les
victimes de sa famille (qui ressemble singulièrement à celle de Léa).
Et le lecteur, par la résonnance en lui qu’il trouvera immanquablement
dans ce roman poignant.
SERGE BIMPAGE, Le Protestant
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