JANINE MASSARD

L’HÉRITAGE ALLEMAND

Roman
200 pages. Prix: CHF 34.–
ISBN 978-2-88241-224-9

Traduction russe:
«Nemietskoye nasledie»
Traduction d’Irina Volevitch
Moscou: Text, 2013


Biographie


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Janine Massard: between History and Personal story

French speaking Swiss novelist Janine Massard, author of L’Héritage allemand, which will be published in Russian at Text publishing company, will speak about how the history reflects in personal life story of every person and her family, in particular.
Born in 1939 in Rolle in the canton of Vaud in a working class family, Janine Massard’s work is partly autobiographic and driven by a strong social and historic thinking. She won, among other prizes, the Schiller Prize in 1986 for La Petite Monnaie des Jours. This book follows the story of a poor young girl escaping her fate through education in the 1950s. Author of short stories, tales and novels, Janine Massard also worked on regional ethnology with Terre noire d’usine, paysan ouvrier dans le Nord vaudois au XXe siecle. Trois mariages, analyse de l'institution du mariage à travers les générations et les diverses couches sociales, published by the Editions de l'Aire was rewarded with the Prix des écrivains vaudois. She also received the Prix Rod for Comme si je n'avais pas traverse l'été, her eighth novel.
In L’Héritage allemand, Janine Massard asks herself which shadow the nazi past of Heinrich Honorius can cast on the dramatic family history. Her latest novel, Gens du Lac is about the history of the small town of Rolle during World War 2 and the fishermen who acted as people smuggler between France and Switzerland.

Texte publié à l’occasion de la
FOIRE DU LIVRE DE MOSCOU


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Heide, Allemande, mariée en Suisse dès 1935, sait peu de choses sur ce que son frère, membre de la SS, a fait durant la guerre, en Ukraine notamment. Prisonnier des Français à la capitulation, il se marie et participe au miracle économique allemand. Si sa sœur l’a toujours imaginé en brave, elle ne peut s’empêcher de s’interroger en constatant que sa descendance, comme celle de son frère, est frappée de maladies graves ou mortelles.
D’étranges fantasmagories fleurissent sur le non-dit mais c’est Léa, sa belle-fille, durement touchée collatéralement, qui, à force d’obstination, obtiendra une forme de réponse aux questions que tous les protagonistes de cette tragédie se sont un jour posé.

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Les secrets de l’oncle allemand


Dans L’Héritage allemand, Janine Massard se demande quelle ombre le passé nazi de Heinrich Honorius fait planer sur la destinée familiale dramatique.

Dans la famille, il y a Heide, née Allemande, mariée à un Suisse depuis 1935. Son fils Marc, qui a épousé Léa. Nadia, qui a épousé Reto. La mère de Heide, maîtresse femme qui détestait Hitler et avait envoyé sa fille Heide dans un pensionnat suisse, loin des croix gammées affichées dans les rues de sa ville.
Et Heinrich, enfin, frère de Heide. Aspiré dès sa quinzième année par les Hitlerjugend, puis par la SS, qui l’envoya sur le front de l’Est, en Ukraine, où il perdit un œil et l’usage d’une jambe. Fait prisonnier des Français, il revint pour se fondre dans l’anonymat d’une vie de comptable ordinaire, se maria, fit un fils, acheta une Coccinelle.
«Sans les événements qui se sont succédé une bonne vingtaine d’années après son trépas, Heinrich Honorius aurait erré dans les consciences des vivants puis serait tombé en déshérence, à l’extinction de sa descendance.» Mais voilà, les morts et les infirmes se succèdent après lui. Léa voit sa fille et son mari mourir du cancer. Le fils de Heinrich est gentiment demeuré. Il se marie tout de même, et met au monde une fille handicapée, avant de mourir à quarante ans. À cinq ans, la fille de Nadia tombe malade du cancer, avant que Nadia elle-même ne se fasse opérer d’un cancer du sein. Un sourd galop fait trembler la terre sous les pieds des vivants. L’ombre d’une malédiction germe dans leur tête, d’une punition divine pour les crimes commis avant eux, et l’impression persistante de devoir se battre contre des ombres gluantes.

Le mystère de l’Ukraine

Alors Léa se met en tête de retracer l’évolution de cette branche allemande greffée sur sa vie, et commence à gratter derrière l’élégance lisse de Heinrich, dit Onkelhaha. Des véritables activités de HH pendant la guerre, personne ne sait rien, personne n’a jamais voulu le savoir. Heide s’était persuadée que son frère avait dû se retrouver boulanger ou brancardier dans l’armée, lui qui était si gentil. Mais tout le monde voyait qu’il n’était pas rentré intact, au-delà de l’œil de verre. Heide disait qu’il fallait oublier tout cela, pour «permettre à la vie ordinaire de prendre le dessus».
De Janine Massard, il y a beaucoup dans ce livre réparateur dont elle dit qu’il a «surgi avec une violence incroyable». La configuration familiale de Léa ressemble à la sienne: l’écrivaine a perdu, ainsi qu’elle le raconte dans Comme si je n’avais pas traversé l’été, un mari et une fille du cancer à quelques mois d’intervalle. Et le travail de la gardienne de la mémoire collective qu’elle entreprend ici est le sien depuis toujours: La Petite Monnaie des jours racontait sa jeunesse dans le milieu ouvrier de l’après-guerre. Terre noire d’usine reconstituait la réalité des domestiques de campagne du Jura industriel. Trois mariages décortiquait cette institution à travers plusieurs générations. Ce qui reste de Katarina faisait le point sur la vie d’une femme, Allemande née en 1918, manipulée par sa mère jusqu’à ce qu’elle épouse un Suisse, après le décès de son fils. En 2005, Le Jardin face à la France restituait le quotidien d’une petite ville suisse, Rolle, durant la dernière guerre mondiale. À chaque fois, des portraits d’individus et de leur siècle, une manière exigeante et clairvoyante d’imbriquer les destins individuels dans les soubresauts et les états d’âme de l’époque.

Le destin des morts

L’Héritage allemand est du même acabit, porté par une urgence poétique nouvelle, un questionnement rude jeté à la face du destin. Sommes-nous coupables des crimes de nos aïeux? Méritons-nous nos malheurs? Non, répond Janine Massard, qui n’aime pas l’expression «se faire coller un destin», cette «hypothèse calviniste qui pèse sur vous». Mais on ne peut s’empêcher d’y penser jusqu’à l’obsession. On peut savoir d’où l’on vient, plus qu’où l’on va. Lorsqu’elle lit Les Bienveillantes, elle sent que l’oncle, de là où il est, veut qu’elle parle pour lui, le remette dans le monde, libérant sa conscience, et celle de ses descendants. Elle veut le croire: les morts ont besoin de nous.

ISABELLE FALCONNIER, In: «Sélection les meilleurs romans de la rentrée», L’Hebdo

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Le Poids de l’héritage


Et si les crimes d’un aïeul nazi poursuivaient toute sa descendance, même indirecte, par le truchement d’une série de cancers mortels? Si l’on ne se remettait jamais complètement des affres de la guerre juste parce qu’un grand-oncle, un frère y ont pris part? Parce qu’il y a de la culpabilité, même inconsciente. Et que l’on se doute bien – même si d’aucuns préfèrent l’occulter – que cette guerre là-bas, en Russie, en Ukraine, n’a pas été une promenade de santé et la célébration de la fraternité des peuples… C’est l’étrange questionnement que Janine Massard installe au cœur de son nouveau roman, L’Héritage allemand. Heide, éloignée du régime nazi par sa mère, réfugiée en Suisse, mais dont le frère a fait la guerre sans états d’âme, se voit confrontée aux décès successifs de son fils, de sa petite-fille, aux malheurs conjugaux de sa fille, etc.
Certes Yvette Z’Graggen avait déjà brillamment évoqué cette culpabilité à distance dans Ciel d’Allemagne ou Matthias Berg. Chez Janine Massard, l’élégante truculence de l’écriture tourne autour de ce thème, mais évoque plus généralement la réaction des êtres confrontés à la maladie mortelle, à la mort d’un enfant, aux décès en série. Bref, à l’incompréhensible, à l’insoutenable. D’où le retour sur soi, le déchirement intérieur et des questions basculant peu à peu dans l’irrationnel. Comme si l’erreur historique, la faute, instillaient leurs métastases dans des corps innocents. Parce que les morts se vengeraient…
Très habilement, Janine Massard poursuit sa réflexion à travers trois générations. S’interrogeant aussi sur ces raisons qui nous empêchent de vivre, nous tuent à petit feu. Et pourquoi dans une famille, l’un des petits-enfants échappe à toute maladie, à toute culpabilité, devenant un brillant médecin en rompant avec ses parents. Un roman familial, humain, qui séduira par son écriture vive, inventive, tour à tour détachée et empathique.

JACQUES STERCHI, La Liberté


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Le nouveau roman de la Vaudoise nous fait vivre, par la voix d’une narratrice proche d’elle, les séquelles d’un secret de famille lié au passé nazi d’un de ses membres. Qu’a fait l’oncle Heinrich Honorius sous son uniforme SS sur le front russe ? Sa sœur Heide a toujours voulu se le cacher, mais la vérité va refaire surface alors que Léa, épouse de Marc, fils de Heide, vit elle-même de dures épreuves. Avec autant de sensibilité que de verve sarcastique, brossant quelques beaux portraits dans la foulée, Janine Massard poursuit une œuvre de mémoire des plus estimables.

KARINE FANKHAUSER, «Mon choix», 24 Heures

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Coupable de ses aînés?


C’est une histoire de famille peu ordinaire. Celle de Heide, une Allemande mariée en Suisse en 1935. Son frère a fait la guerre sous l’uniforme SS. Elle sait peu de choses de cette période, veut croire qu’il était boulanger ou brancardier. Toujours est-il qu’une malédiction semble frapper leur descendance. Les maladies graves se multiplient, y compris chez les jeunes enfants. Heide en vient à s’interroger: et s’ils payaient les crimes de leurs aînés?
Après Le Jardin face à la France (2005), Janine Massard continue de se pencher sur la période trouble de la Seconde Guerre mondiale. Par le biais de cette famille, elle s’interroge sur la culpabilité et le prix à payer pour les fautes de nos aïeux. Sur les non-dits, aussi, que Léa, la belle-fille de Heide, cherchera à percer en fouillant le passé. D’une plume alerte, Janine Massard tisse les fils de ces existences blessées. C’est à la foi habile, prenant et mystérieux.

ÉRIC BULLIARD, La Gruyère

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Payons-nous les méfaits de nos aïeux?
Basée sur beaucoup de vécu, une fiction ambiguë comme la vie.


Heide, fille suisse d’une Allemande qui s’exila en 1935, et sa belle-fille Léa affrontent, chacune à sa façon, l’énigme de la malédiction qui décime la famille. Nommant, pas par hasard, « barbaromes » ces cancers qui emportent enfants et petits-enfants, Heide protège d’abord la réputation de l’oncle élégant et bon, adjudant SS dont on a toujours dit qu’il avait traversé la guerre comme téléphoniste. Sa mémoire hante les (sur)vivants, puisque les morts ont besoin d’eux…
Après Le Jardin face à la France, une enfance durant la guerre, Janine Massard poursuit sa méditation active et invite à y entrer. Car elle raconte d’abord une histoire ; loin de désincarnés présentoirs à idées, les protagonistes respirent l’épaisseur de l’existence. Si les idées sont là, fortes, elles sont aussi contradictoires, aussi riches d’incertitudes que la vie elle-même. Au travers de mille détails du quotidien, les protagonistes – des femmes au premier plan, les hommes seulement décrits par elles – tracent des pistes de réflexion. Le banal, parfois le trivial – Heide pète avec jubilation et en tire un de ses « proverbes ouzbeks » surréalistes ! –, est l’occasion d’interroger la société actuelle et ses modes de vie.
Drame et angoisse, ironie féroce et humour salvateur, Janine Massard embrasse quatre générations et tisse dans ce récit une sorte de chronique de la Suisse actuelle, illustration tracée à la pointe sèche. On y retrouve les grands thèmes de la vie de l’auteur, éclairés sans complaisance. Dans un style à la fois visuel et distancé, la romancière tricote une histoire à fortes résonances familiales, puisqu’elle a identifié un oncle de son mari sur d’authentiques photos de SS impliqués dans la « Shoah par balles » en Ukraine. De même que Léa tombe sur des documents qui lui permettent de forger une clef plausible à l’énigme existentielle.

Droit à la contradiction

Les multiples ouvertures à des phénomènes inexplicables se heurtent au rationalisme de Janine Massard, qu’elle n’abjure nullement, sans pour autant minimiser le mystère. Ce récit lui a été donné, dit-elle, et a quelque chose de médiumnique. Croit-elle au monde parallèle ainsi entrevu ? Elle rit, revendique hautement le droit à la contradiction intérieure et en appelle à l’humour russe sous Staline : « On ne croit pas en Dieu, c’est entendu ; mais on en tient compte… »

JACQUES POGET, 24 Heures

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Une page littéraire
Entretien avec Geneviève Bridel

Ce matin, Geneviève Bridel, vous nous proposez le nouveau roman d’une auteure suisse romande, Janine Massard, connue des lecteurs pour ses livres qui décrivent sans indulgence les travers de notre société ou les défauts de certaines institutions, on pense par exemple à Trois mariages. Alors ce nouveau livre s’intitule L’Héritage allemand et j’imagine, Geneviève, qu’il faut prendre le mot non pas au sens «magot» mais plutôt au sens figuré du terme…
G. Bridel: …Oui absolument, parce que c’est du «nazisme», du poids du nazisme dont il s’agit dans ce livre, puisque le livre raconte la vie d’une famille suisse romande d’aujourd’hui, mais dont la grand-mère était allemande et avait un frère, l’oncle Heinrich Honorius, qui lui avait fait la guerre en Ukraine en tant que SS. Mais je serais tentée de dire que le quart du roman n’est pas dans le titre du livre, c’est presque un peu trompeur même si évidemment la question du non-dit, du refus de la culpabilité, de la volonté aussi de certains personnages du livre de savoir quel était véritablement le passé de cet homme est très présente dans le récit. En fait, c’est plutôt un livre sur la mort ou sur la manière dont la perte de ceux qu’on aime nous égare, nous bousille le cœur, l’âme et aussi la raison pour ne pas dire carrément la santé mentale. Et cette mort-là, elle frappe aujourd’hui, elle porte le nom de cancer, elle frappe dans la même famille, elle s’acharne à tel point que ceux des membres de cette famille qui restent vivants, eux, sont loin d’être en bon état, en tout cas psychiquement. Forcément, me direz-vous, le deuil vous transforme et on n’en sort pas indemne. Mais nous non plus, on ne sort pas bien, il faut le dire, du roman de Janine Massard, parce que c’est un livre qui nous déboussole. Il y a à tout moment la folle du logis qui tourne dans différentes têtes des personnages du livre et qui nous embrouille nous-même en tant que lecteur. Il y a vraiment une confusion de l’esprit, j’ose dire, qui est dérangeante parce qu’on la sent contagieuse, on éprouve presque le vertige de la folie en la lisant.

En tout cas, c’est un déboussolement que vous nous transmettez bien, Geneviève, mais pardonnez-moi de me raccrocher au récit pour revenir à cette famille dont une branche est allemande, un oncle a été SS, si j’ai bien compris, et plusieurs de ses membres meurent donc du cancer. Mais, quel rapport avec le passé nazi de l’oncle?
G. Bridel: Eh bien justement, le rapport que seul un esprit touché, abîmé je dirais presque par la présence de la mort peut imaginer. Celui de la faute qui rejaillirait après coup sur la descendance de l’oncle, celui de la violence qui a causé tant de morts. Et ce lien, c’est la belle-fille de la grand-mère allemande en question, donc la femme de son fils si vous me suivez, qui l’établit, qui le pressent. Elle s’appelle Léa, elle a perdu coup sur coup son mari et sa fille du cancer que la grand-mère se refuse de nommer «cancer» ou «carcinome» et surnomme le «barbarome», et ce mot résonne particulièrement dans ce contexte de l’enquête que, plus tard, après la mort de ceux qu’elle aime, va mener Léa pour savoir quel était véritablement le passé de cet oncle. Et il y a une citation qui reflète les idées qui tourbillonnent dans la tête de cette veuve, qui est aussi une mère orpheline de son enfant: «Du silence est venu le vent des morts, ce souffle étrange s’est posé où il a pu. Il est sorti des fosses, de la terre remuée par la faute d’une cruauté qui renvoyait ces actes aux temps d’avant l’humanité. Le vent des morts s’était alors élevé au-dessus des plaines infinies d’Ukraine, il avait traversé la durée et poussé des graines qui s’étaient accrochées aux branches des arbres, se posant même sur celles des généalogiques…» Ce qui est bizarre dans ce livre, c’est que c’est précisément la grand-mère allemande qui a trouvé ce mot de «barbarome» alors que c’est elle qui repeint toujours en rose le passé de l’oncle Heinrich, son frère, et qui ne veut pas entendre parler de cruauté, de barbarie… Ces échos que se renvoient ces deux femmes dans le roman, qui, toutes deux, sont touchées dans leur cœur et leur esprit par la perte de leur enfant, ces prémonitions, ces perceptions de quelque chose d’autre que le hasard dans ce qui les frappe, c’est ce qui me fait dire que le livre tourne entièrement sur comment on traverse la mort de ceux qu’on aime.

Vous voulez dire que, finalement, le poids de L’Héritage allemand, ben finalement ce n’est pas très important?
G. Bridel: Non, parce que c’est une explication, un semblant de sens auquel il faut se raccrocher, de ces explications qu’on trouve pour ne pas se fracasser la tête contre les murs quand des drames comme celui-ci vous frappent, et c’est surtout une des formes incompréhensibles que prend le chagrin, un des chemins qu’il emprunte de manière anarchique et, ça, Janine Massard nous le fait ressentir extrêmement bien à travers une écriture qui ne fait rien pour gommer la confusion, au contraire… Parce que la mort déconstruit ce qui reste, en tout cas c’est qu’on constate en refermant le livre.

GENEVIÈVE BRIDEL, «Une page littéraire», RSR «La Première»

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Des questons déchirantes

Janine Massard poursuit son exploration des destins familiaux en suivant le tracé de feu et de mort qui, de l’Allemagne nazie, court dans le «flux des générations» d’une arborescence helvétique. Histoire de destin, emblématique, mythique, qui fait songer à Eschyle ou à Shakerspeare, pour ne pas parler de la Bible. «Que son sang retombe sur nous et nos enfants!», «Les parents ont mangé les raisins verts et les enfants ont les dents agacées».
C’est ce qu’on est amené à articuler en suivant l’histoire de ce couple allemand du début du XXe siècle, donnant naissance à un fils, Heinrich Honorius (HaHa), rapidement aspiré par la «Hitlerjugend», et à une fille, Heide, que la mère, bien inspirée, envoie étudier en Suisse où elle la rejoindra.

Un pur SS

Devenu «Scharführer» sur le front de l’Est, HaHa, pur SS, est cependant auréolé par les siens d’une réputation de bon garçon, boulanger ou brancardier dans les troupes. Après la guerre, dont il ne dira rien, HaHa se marie mais son fils atteint de méningite reste bizarre et invivable, et sa fille ne vivra pas longtemps. C’est ensuite dans la famille que se manifesteront les désastres en cascade. Cancers d’enfants et d’adultes qui déciment «le flux des générations» auquel s’accroche Heide jusqu’à la déraison.

Malédiction familiale, loi des séries?

Il faudra du temps et beaucoup de souffrances pour qu’une femme, qui a perdu fille et mari, se pose les questions déchirantes d’une malédiction familiale. Peut-on raisonnablement rendre l’oncle HaHa responsable de ce malheur à répétition? Doit-on invoquer la loi des séries? La génétique a-t-elle une réponse? C’est ce que cherchera à savoir un petit-fils rescapé en entreprenant des études médicales.

Un livre douloureux

Le livre est lourd, douloureux, mais les questions qu’il laisse ouvertes vont bien au-delà de l’anecdote familiale.
L’écriture de Janine Massard ouvre au scalpel toutes les plaies familiales, puis s’étend un peu longuement, sur les archives, lettres retrouvées dans un carton, qui définissent plus clairement le vrai profil du SS HaHa.

MIREILLE CALLU, Vevey-Hebdo

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Une malédiction familiale

Mettre des mots sur «les furies qui tremblent en elle»: telle est l’obsession de Heide, allemande d’origine, mais installée en Suisse depuis la guerre, qui s’interroge sur l’étrange malédiction qui touche sa famille, et celle de son frère, ancien officier de la SS. En effet, dans l’une et l’autre branche familiale, les maladies graves ou mortelles se multiplient, frappant tantôt la fille ou le fils, tantôt les petites-filles. Pourquoi un tel acharnement? Y aurait-il une raison à cette malédiction familiale?
On reconnaît ici les thèmes chers à Janine Massard (née à Rolle en 1939): la famille en proie à cet ennemi intime et terrifiant qu’est la maladie, qui sert de révélateur aux relations humaines; la soif de vivre inextinguible; l’interrogation du passé qui éclaire le présent. Si Comme si je n’avais pas traversé l’été, roman très autobiographique publié en 2001, était un acte de résistance contre la mort aveugle qui frappe ses proches (le père, le mari, la fille), L’Héritage allemand est un livre de méditation et d’élucidation. De fantasmagories, aussi, car toutes les femmes qui peuplent le roman cherchent à comprendre, par le dialogue et la rêverie, ce qui leur arrive. «Il y avait eu des mots comme… la faute collective, tous ne paieront pas, beaucoup d’innocents seront touchés, mon père a dit ça à la fin de la guerre quand on a découvert tous les crimes… Il croyait si fort au châtiment qu’il était convaincu que trois générations seraient nécessaires aux Allemands pour se faire pardonner…»
On sent Janine Massard marquée par la lecture des Bienveillantes, de Jonathan Littell. À son tour, la romancière interroge les crimes du passé: et si toute sa famille portait le poids des crimes commis par son frère? Si le destin se vengeait aujourd’hui sur ses proches, victimes innocentes, mais porteuses du même sang criminel? Belle-fille de Heide, Léa s’interroge, et se révolte aussi : «qu’avait-elle fait pour être ainsi punie? Le scénario d’un syndrome du châtiment, subséquent aux crimes jamais avoués d’Onkelhaha, s’était incarné quand des pics de douleur l’avaient fait vaciller.»
On le voit: avec son Héritage allemand, Janine Massard nous entraîne dans des abîmes vertigineux. Qu’hérite-t-on avec le sang de ses aïeux? La maladie vient-elle venger un passé inavouable? Et que peut-on faire face à cette malédiction? Sondant avec lucidité les personnages qu’elle met en scène (presque tous féminins), Janine Massard creuse le mal jusqu’à sa racine. Le passé empoisonne l’existence des vivants, d’autant plus que ce passé est occulte. Il faut lutter contre la maladie, en même temps que reconnaître la source du mal. Dans cette quête poignante de vérité, Janine Massard ne triche pas, comme à son habitude: quitte à se brûler les ailes ou les yeux, elle cherche une lumière qui soulage, mais aussi qui aveugle. Elle va jusqu’au bout du chemin, non sans humour, ni compassion.

Blog de
JEAN-MICHEL OLIVIER

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L’Héritage allemand

Ce nouveau roman de Janine Massard est, comme l’auteur elle-même l’indique, « un peu particulier ». Venant après Le Jardin face à la France, il doit être perçu comme une tapisserie de vies tissée tout au long de trois-quarts de siècle. Commençant avant même la prise du pouvoir par Adolf Hitler en Allemagne, ces pages relatent les péripéties qui jalonnent la vie d’une famille dont l’un des membres, enrôlé dès l’adolescence dans les Jeunesses hitlériennes, revêtit pendant la guerre l’uniforme noir des Waffen SS.
Cet homme, c’est Heinrich Honorius, dit Onkelhaha {Haha pour les initiales de Heinrich et Honorius, bien sûr}, qui revint vivant du front de l’Est et qui, quoique handicapé, sut après la guerre se réinsérer dans la vie civile ; comptable, il mènera jusqu’à son décès la vie ordinaire et respectable de la plupart des Allemands de sa génération, participant comme eux  à ce qu’à à l’époque on qualifia de « miracle économique allemand ».
Onkelhaha  n’apparaît directement que fort peu dans le roman ; on se le représenterait plutôt comme une sorte de  « statue du commandeur », dès lors que, après sa mort, plusieurs de ses proches, issus des parentèles suivantes décèdent de maladies lourdes ou sont victimes d’affections graves :  une malédiction pèserait-elle sur cette famille ? Elle les frappe alors que l’oncle est trépassé depuis une vingtaine d’années déjà.  Kunigunde, la mère de cet homme au passé nazi, marqua d’emblée sa réprobation envers les nouveaux maîtres du Troisième Reich allemand, prenant même la précaution d’envoyer sa fille Heide en Suisse pour y étudier et - comme elle l’avait pressenti- y rencontrer puis y épouser un Helvète de bonne souche ;  cette Heide eut un fils et une fille qui, à leur tour, fondèrent un foyer.
Chacun des membres de cette famille éclatée, les uns restés dans la Bundesrepublik, d’autres qui restèrent isolés pendant deux générations dans ce que l’on désigna longtemps, à l’Ouest, par le terme Ostzone jusqu’à la réunification survenue après la chute du Mur, et ceux qui s’étaient établis ou étaient nés en Suisse, tous, donc, qui avaient connu ou du moins entendu parler de l’Onkelhaha, pensaient que cet homme gentil et si affable avait passé correctement à travers l’épreuve de la guerre, qu’il en avait même subi les affres, par chance sans dommages majeurs, physiques ou psychiques ; l’oncle y avait certes laissé un œil et l’usage d’une jambe, mais chacun des membres de sa parentèle admettait implicitement qu’à l’armée, il avait été affecté à des fonctions honorables, téléphoniste, brancardier ou boulanger.
Mais la multiplication, dans la famille, de décès dus au cancer principalement, ou la survenance d’affections n’ayant pas entraîné la mort, nécessitèrent toutefois des traitements lourds et mutilants, conduisit Heide et sa belle-fille Léa à s’interroger sur une possible relation de causalité entre le comportement réel de l’oncle ex-SS et les malheurs qui frappèrent les générations suivantes, jusqu’à son propre fils qui fut un « demeuré »...
Heide mourra sans avoir pu élucider l’énigme du rapport de causalité entre le comportement présumé criminel, ou du moins soudainement pressenti, de l’oncle sur le front de l’Est ; la conviction s’enracina dans son for intérieur qu’une telle relation existait bel et bien, alors même qu’elle avait imaginé un brave soldat sans tâche et sans reproche. Ses réflexions la conduisirent même à imaginer un néologisme pour qualifier ces maladies :  le terme barbarome - une réelle trouvaille ! - associe la barbarie qui a régné sur l’Europe pendant toutes ces années et les tumeurs malignes qui emportèrent une partie de sa descendance {On s’est pris des cancers, c’est la faute à Hitler…}. C’est Léa qui, rapprochant les documents laissés par sa belle-mère et les témoignages accablants recueillis beaucoup lus tard par un prêtre, en Ukraine, devenue terre de massacres systématiques perpétrés par les SS et même aidés par des soldats de la Wehrmacht, finira par se convaincre de la culpabilité de Onkelhaha.  
Ce roman nous enseigne que « le silence des morts serait moins pesant si l’on avait pu se parler avant ». Nul doute qu’il retiendra l’attention de ses lectrices et de ses lecteurs. On soulignera aussi, sur le plan purement littéraire, au moins deux vigoureux portraits de femmes ainsi que les trouvailles d’une écriture ironique, parfois même sarcastique.

BERNARD VIRET, Journal de Sainte-Croix

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«L’écriture m'a sauvé la vie»

Janine Massard affronte par le biais de la forme romancée une mémoire douloureuse à porter, doublée d’une tragédie de famille. Dialogue autour de «L’Héritage allemand».

Pourquoi appelez-vous votre chat «Monsieur»?
Janine Massard. J’ai dit ça, moi? (Elle sourit) J’aime bien personnaliser un peu les animaux. Des fois, je l’appelle «Monsieur le Comte» aussi. Cela fait partie de mon côté un peu excentrique.

C’est ce côté excentrique qui vous a permis, avant la trentaine, de plaquer les lettres?
J’ai commencé des études et j’ai eu une petite fille, Véronique. Mais n’ayant ni les moyens ni une grand-maman pour la garder, j’ai décidé de garder mon enfant moi-même. C’est à cette époque que j’ai ressenti le besoin impérieux d’écrire.

Vous avez toujours cru en votre carrière d’écrivain?
Dès le début, je sentais une force en moi qui me poussait vers l’écriture. Mais quand je racontais autour de moi que j’écrivais, on disait: «Et ça rapporte?» Les gens ne comprennent pas que l’on écrive parce que l’on a envie de raconter des histoires. Alors on finit par une certaine pureté, on écrit pour la beauté du geste.

«L’Héritage allemand» n’a pas été écrit pour la beauté du geste. Vous avez attendu avant de l’écrire.
Oui. Oui, j’ai attendu. Il n’est pas sorti comme ça, mais à partir du moment où j’ai empoigné le sujet, tout est allé très vite. C’est un livre qui résulte d’un vécu extrêmement douloureux, d’une chose que j’ai dû traverser, une chose que j’ai dû apprendre à dominer… c’est-à-dire la confrontation avec une tragédie qui m’a été… (elle hésite). Écoutez, je ne sais pas, qui m’a été imposée. J’étais en fait impliquée là-dedans, mais en même temps… Peut-être que l’écriture m’a sauvée. Certainement.

L’enquête menée par l’héroïne du livre, est-ce la vôtre?
Oui. La forme romancée m’a permis d’avoir une distance vis-à-vis de la chose, et de construire ce livre comme un puzzle, avec deux centres: le premier autour de l’héroïne, Heide, et l’autre autour de Léa.

En somme, la forme romanesque vous a protégée.
La forme romanesque permet de dire la douleur différemment. Et de la dire de manière plus complète que si l’on faisait une sorte de témoignage à la première personne.

Pourrait-on dire aussi que les rouages de la tragédie qui se déroule dans votre roman sont ceux de votre tragédie personnelle?
Écoutez, j’avais fait de cette tragédie un premier livre, Comme si je n’avais pas traversé l’été. J’y parlais uniquement de la tragédie que j’avais vécue dans ma vie: la mort d’une jeune fille, sa mort annoncée, et en plein milieu de cette maladie, mon mari qui meurt aussi. (Silence) Pendant toutes ces années d’angoisse, je me souviens d’avoir tapé du pied et d’avoir dit, un jour, de manière tout à fait irrationnelle: «Ce sont les crimes de l’oncle nazi qui nous retombent dessus.»

On ressent votre colère. Mais vous la maîtrisez.
On ne peut pas engueuler la destinée, alors on ressent de la colère! Et comment ne pas tomber dans l’irrationnel, quand vous voyez le fils de cet oncle, papa d’une petite fille débile, mourir lui-même à 43 ans? Comment expliquer cette accumulation de calamités sur une même branche généalogique?

La figure de cet oncle apparaît dans votre roman sous les traits du frère de l’héroïne. Qui était cet oncle?
Je ne sais pas grand-chose, si ce n’est qu’il était engagé au sein des troupes allemandes sur le front de l’Est, en Ukraine. Comme il n’y a pas eu de camp de concentration en Ukraine, l’opinion publique a longtemps cru qu’il n’y avait pas eu de génocide. En réalité, ce sont des «difficultés techniques», la proximité du front, qui ont empêché l’installation de chambres à gaz ou la déportation à Treblinka ou à Auschwitz. Alors les juifs, enfants compris, ont été exécutés, balle par balle.

Votre oncle a participé à la «Shoah par balles»?
Il est resté en Ukraine jusqu’en 1943. Ceux qui exécutaient la besogne n’étaient ni les cerveaux de la Shoah ni les officiers de haut rang, mais bien ceux qui étaient en bas de l’échelle. Comme mon oncle.

Comment expliquer la discrétion de l’histoire à ce sujet?
Par le silence complet de la génération allemande qui a participé à la guerre. Il fallait survivre. Mais la troisième génération après le nazisme s’est montrée beaucoup plus critique vis-à-vis de ce qui s’est passé. Une femme médecin allemande me disait que, jusque dans les années 1980, ceux qui étaient au pouvoir et qui avaient les capacités de faire marcher les usines, de commander, de mener des hommes, «c’étaient les mêmes mais avec une autre casquette». À Nuremberg, on a puni les hauts responsables: mais on a oublié les petites mains.

Dans quel état émergez-vous de l’écriture de ce livre?
Quel que soit cet état, tout cela devait sortir de moi. C’est le métier. Ce livre est issu d’un véritable jaillissement. J’ai refait ma mémoire à la lumière de la tragédie que j’ai vécue. (Silence) J’avais l’impression que je prenais une rampe, et que je glissais. C’était très étrange.

Vous sentez-vous libérée?
Je ne sais pas…

PABLO DAVILA, Coopération

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Quand les morts parlent

Le passé, on voudrait parfois lui tisser une toile et serrer… jusqu’à ce qu’il se rende. En creux de la langue si poétique de Janine Massard se loge une interrogation raide comme la mort: jusqu’où sommes-nous victimes – ou coupables – des actions de nos ancêtres?
Afin de circonscrire cette question, l’écrivaine de Rolle, qui s’est fait une spécialité des histoires liées à un contexte historique, campe celle d’une famille d’origine allemande. Voici Heide, sœur d’un officier SS et fille d’une femme de poigne qui avait Hitler en horreur. Son fils Marc épousera la Suissesse Léa. C’est elle, cherchant à se libérer, qui s’applique à fouiller l’héritage.
Se libérer de quoi? De la malédiction des maladies frappant la descendance. «J’ai l’impression que des furies irascibles s’acharnent à détruire la branche allemande», s’exclamera Léa en une sorte de cri étouffé, ravalé, qui semblait sorti de l’abdomen. Pour finalement se demander: «Et si cette violence répondait à un passé inavouable? Et si ces maladies faisaient partie d’un processus s’étalant sur des années, suivant une logique qui échappe aux vivants et réconforte les morts?»
À force d’idéaliser le bonheur fraternel, Heide avait fini par faire l’impasse sur les activités de son frère Heinrich si doux et si gentil pendant la guerre; au pire avait-il probablement fini brancardier ou boulanger. Sauf son œil de verre, stigmate inquiétant, ces cancers, qui se succèdent en rafales dans la descendance. Et les furies soudaines qui font trembler la belle-fille qui se souvient des mots de son père: «Il croyait si fort au châtiment qu’il était convaincu que trois générations seraient nécessaires aux Allemands pour se faire pardonner.»
Répondant à l’appel d’un oncle qui, de l’autre monde, lui demanderait de parler, Janine Massard le fait renaitre au nôtre. Et toutes les victimes de sa famille (qui ressemble singulièrement à celle de Léa). Et le lecteur, par la résonnance en lui qu’il trouvera immanquablement dans ce roman poignant.

SERGE BIMPAGE, Le Protestant


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