Deux livres d’Alexandre Voisard d’un même coup, cet automne: des nouvelles avec L’Adieu aux abeilles et de la poésie: Fables des orées et des rues – comme pour signer doublement le « métier » désormais acquis. «Ancien»,
Alexandre Voisard l’est sans doute d’une certaine façon. Mais dans
quelle forme d’exil peut-il se trouver après une si longue carrière de
poète – parfois même officialisé à son grand dam – et les
reconnaissances multiples de la francophonie? Les poèmes, ici, ont
l’air de s’appuyer de la pointe des orteils sur le passé, les ancêtres
et les mots des ancêtres; cependant, ils sont aussi les mots de
l’enfant Alexandre, les mots de tout le monde, ceux des comptines, des
chansons, et de la sagesse communément populaire. Ancêtre à son tour,
il se sent étrangement le même que jadis, mais seule la mémoire fait
encore un lien, une mémoire qui rassemble, qui voit enfin clair et qui
fait parfois drastiquement le compte des contraires, mais pour les
faire fleurir en poète; ainsi, «amour» peut s’opposer à «haine», mais
également à «désespoir». Et les «feuilles mortes» riment avec «porte»:
ouvert / fermé, vie / mort, ombre / lumière. Ce ne sont là que
quelques exemples des lieux découverts sur ce sommet de vie où Voisard
décide d’en revenir au plus simple (et au plus une projection
fallacieuse vers le futur: «J’ai pénétré la légende des ancêtres /
aussi loin que le peut / un poète éclos à la rosée… / J’ai dû composer
avec un soleil voyou / pour pouvoir débattre / avec mon ombre
réhabilitée sans moi…»).
MONIQUE LAEDERACH, La Liberté
Alexandre Voisard dans un dialogue sans fin avec les vrais anges croisés sur sa route.
«Dans cet enfantement (du pays), je ne serai qu’un léger, qu’un
irréductible remous», écrivait le poète patriote Alexandre Voisard dans
les années de braise jurassiennes. Cette braise, le souffle du poète la
ravive sans fin. Tant qu’il y aura un souffle éclateront des mots, des
phrases, des poèmes, de nouvelles affabulations fleuriront des
recueils. Viennent ainsi de sortir aux éditions Campiche deux beaux
objets, deux publications, une de nouvelles, L’Adieu aux abeilles, l’autre de poésie, Fables des orées et des rues.
L’une pour dévoiler une surprenante fragilité, l’autre pour maintenir
le remous, assurer un chant pur des deux rives du réel et de
l’imaginaire. Dans un retournement dont Voisard a le secret, on
comprend que la réalité se trouve du côté du poème. Un sapin?
«Faites-en donc une artère principale», s’était exclamé le poète
(présenté et commenté dans le tome III de l’Histoire de la littérature en Suisse romande, chez Payot Lausanne en 1998). Or, «Plus on vole haut plus la route est étroite», expliquait le poète de Fables des orées et des rues
en «avant-dire». C’est pour mieux «rattraper l’aventure… Celle qui est
d’ici. Dans le plus proche», rectifie le préfacier poète fribourgeois
Jean-Dominique Humbert. Dans une continuité tenace, «l’Artiste… /
dans le désarroi des oiseaux migrants /… s’en remet pour l’avenir aux
liturgies de la flore / aux jurisprudences de la faune…» Alexandre
Voisard n’en finit pas non plus de poser la parole comme viatique, «de
hameaux secs en métropoles délavées». Et dans un crescendo annoncé, il
réfute timidement son doute entre Chien et loup, un poème pouvant sceller la totalité de l’œuvre:
«Que celui qui ignore tout / des entrevues secrètes du jour et de la
nuit / jette un œil frais et serein / à la fente de la première prune
s’irisant / de tous les mauves du ciel au couchant / et que ce fou pris
au piège dise alors / si le sel originel sur sa langue / a toujours ce
même goût d’innocence / que chacun se plaît à invoquer.» C’est une
manière aussi de retourner au carreau de lumière, «d’entrouvrir aux
mots têtus la chatière » et contredire sa prose de L’Adieu aux abeilles:
«La vie après tout, n’est que cette braise qui s’amenuise, toujours
moins d’incandescence et davantage de cendres». Tant qu’il y aura du
souffle, et tant pis pour lui, Alexandre Voisard vivra donc en poésie.
Au sens où l’entend la poétesse Andrée Chédid pour qui «vivre en
poésie, ce n’est pas renoncer; c’est se garder à la lisière de
l’apparent et du réel sachant qu’ils ne pourront jamais réconcilier ni
circonscrire.»
YVES-ANDRÉ DONZÉ, Le Quotidien jurassien
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