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De 1997 à 2000: période de grande fécondité dans l’œuvre d’Alexandre Voisard.
Après l’heure du bilan, qui marque les trois derniers livres du volume
précédent, voici l’heure de l’autobiographique (l’autobiographie
proprement dite sera dans le volume 8 de L’Intégrale).
Relation au passé, la remémoration va de pair avec la quête à nouveau
reprise du rapport à soi, maintenant, et du rapport au monde, comme du
rapport à la poésie: dans Le Déjeu et Sauver sa trace (avec Le Muguet perdu), elle s’accompagne de réflexions sur la poésie et sur l’acte de créer, ce qui prolonge le bilan sur le mode réflexif.
Les Fables des orées et des rues, d’une veine plus distante et plus narquoise, puis les apostilles de Quelques fourmis sur la page apportent à l’œuvre le sceau, parfois secret, d’une sagesse de bon aloi.
ANDRÉ WYSS, directeur de la publication
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«N’ayez pas peur de la culture»
L’écrivain
et poète jurassien, 76 ans, vit dans une ferme retapée en France
voisine, sans ordinateur ni téléphone portable. Le sage appelle ses
compatriotes à «patauger dans l’utopie».
Prendre le
contre-pied d’une campagne électorale terne, ressassant le marasme
ambiant, l’impuissance devant l’exil des cerveaux, l’incapacité de
construire un projet de société. Partager le déjeuner avec un «autre»
Jurassien, qui a réussi. Une personnalité reconnue. Cela aurait pu être
le chef de l’entreprise romande de l’année, un cuisinier toqué ou un
sportif titré.
Ce sera avec Alexandre Voisard, 76 ans, écrivain et poète, membre de
l’Académie Mallarmé à Paris et de l’Académie européenne de poésie, Prix
Schiller en 1969, lauréat du Prix des lettres, des arts et des sciences
du gouvernement jurassien en 1991. Un chantre de la terre d’Ajoie.
Il a honoré l’invitation avec entregent, mais paraît avoir flairé un
«piège». L’entourloupe n’est peut-être pas loin lorsqu’un week-end de
Saint-Martin, où le cochon est roi, on déguste une entrecôte de cerf à
l’Hôtel du Bœuf à Courgenay. Quel regard le sage Alexandre Voisard, «le
premier poète écologiste après saint François d’Assise» comme il se
définit, porte-t-il sur un Jura pour lequel il s’est investi et qui
serait, à en croire le ministre Jean-François Roth, victime du syndrome
de Peter Pan, refusant de grandir et d’oser la modernité? Un Jura qui
se viderait de ses jeunes et de ses élites, «où le débat est en panne»,
ajoute spontanément Alexandre Voisard.
Et s’il était, lui, poète «exilé» en France voisine, l’archétype du
Jurassien conservateur, trop lié à sa ruralité, le regard rivé sur un
passé glorieux?
«Si vous proposez de manger, autant que ce soit agréable», coupe
Alexandre Voisard, peut-être pour éluder. Il a retenu une bonne table,
dans «son» Ajoie. L’écriteau du Bœuf, à Courgenay, fait saliver en
égrainant le menu de Saint-Martin pour le week-end. Nous sommes
vendredi midi, on se rabat sur le plat du jour. De la chasse. «Et un
vin de chez nous, du Clos des Cantons», commande le poète patriote.
«J’ai mangé le dernier cerf du pays, relate le conteur. C’était en
1954. Un notable de Porrentruy, Robert Conrad, avait tiré près de
Lucelle celui qui a été considéré comme le dernier cerf ayant vécu dans
les forêts jurassiennes. Il l’avait vendu au cafetier du Cerf à
Porrentruy. Et je figurais parmi sa clientèle.»
Alexandre Voisard entame son plat par les marrons et les choux. Au
risque de s’étrangler, surtout qu’on lui demande pourquoi, la retraite
arrivée, il est parti s’établir en France voisine. Aurait-il, comme
beaucoup d’autres Jurassiens, fui un pays qu’il dit aimer, mais qui se
mourrait?
«Déserteur! m’avait dit à l’époque mon ami le peintre Jean-François
Comment, sourit Alexandre Voisard. Ce sont les circonstances de la
vie.» Son épouse a hérité d’une vieille ferme de l’autre côté de la
frontière. Ils l’ont retapée et s’y sont installés.
«Ce n’est pas à proprement parler un exil. Ma maison de Courtelevant
est à un kilomètre de la frontière suisse et ajoulote. C’est le même
versant de la Basse-Allaine, la même terre de Bonfol, les mêmes cours
d’eau. Porrentruy reste ma base arrière. Je suis viscéralement attaché
à cette terre et à la communauté d’Ajoie.»
Alexandre Voisard ne parvient d’ailleurs à écrire que «chez lui», «les
pieds sur et dans la terre». A Paris, où il se rend régulièrement,
l’inspiration est autre. «Au bord de la Seine, je vois un panorama.»
Dans ses forêts jurassiennes, il s’imprègne des odeurs, des lumières,
des bruits, de l’eau. «Ça ne signifie pas que je suis insensible au
grouillement des villes», nuance-t-il, au moment d’aborder le pourquoi
de notre déjeuner: son regard sur son Jura.
Un long silence, une bouchée de poireaux, puis un morceau d’entrecôte
qui a refroidi. Alexandre Voisard, qui dit aimer manger et boire, «mais
très raisonnablement», tourne les yeux vers le dehors - «le spectacle
des feuilles mortes, c’est magnifique».
«Un peu en sommeil», lâche-t-il alors. Une formule ensuite expliquée:
«Les Jurassiens montrent qu’ils savent gérer leurs affaires. Ils ont un
pied dans la réalité. Mais l’autre flotte. On se hérisse trop devant
toute idée de changement.» Et de disserter sur le rejet du programme
«Pays ouvert», «un peu fumeux, mal vendu et mal expliqué». Mais il y
avait un élan. Alexandre Voisard voit ses compatriotes paralysés par le
scepticisme. «Les gens ont gardé un fond paysan. Ils subodorent
l’entourloupette, sont railleurs et craintifs. Très enchaînés à leur
clocher.»
La discussion dévie forcément sur la campagne électorale. «Avez-vous vu
comme on se méfie d’emblée de l’idée de rapprocher la Culture et
l’Economie dans un même département?» Alexandre Voisard est séduit
par cette audace, formulée par le radical Michel Probst. Son neveu.
Alexandre Voisard le soutient, même s’il est socialiste. Il a été
député du premier parlement jurassien en 1979, puis délégué cantonal à
la culture.
«Il faut dire aux Jurassiens: n’ayez pas peur de la culture. Elle
participera à la construction d’un pays nouveau.» Il ne tarit pas
d’éloges envers le projet d’Auditorium du chef d’orchestre Georges
Zaugg à Courgenay, dessiné par les architectes Herzog et de Meuron. Un
projet de salle de musique du dernier cri, doublé d’un objet
architectural de premier plan. Un projet exclusivement privé. «La
culture ne peut se développer sans l’implication de l’économie. Il faut
mobiliser le mécénat pour des projets ambitieux.»
Refusant d’apparaître comme le sage donneur de leçons, Alexandre
Voisard ne peut s’empêcher d’espérer voir jaillir «d’autres
auditoriums». D’autres projets «comme ça, qui allient économie et
culture, qui permettent le foisonnement intellectuel. Il faut accepter
de patauger dans les utopies. On pèche trop souvent par modestie, alors
on ne fait rien.»
Autre source d’inquiétude: le Jura paraît avoir perdu ses
intellectuels, si présents à la création du canton. «C’était lumineux,
il y avait une telle force», raconte le poète, comprenant que le
soufflé soit retombé. «C’est compréhensible qu’il n’y ait plus la même
force qu’à l’époque. Il y a maintenant la pénibilité du quotidien et
des obstacles à surmonter.» Il y avait aussi de grands hommes, à
l’époque. «Des carrures, dit Alexandre Voisard. L’enthousiasme et le
dynamisme, c’était aussi une question d’hommes. Je vois sans plaisir
que ceux d’aujourd’hui n’ont peut-être pas l’envergure des pionniers.»
Encore qu’Elisabeth Baume-Schneider, Michel Probst... susurre-t-il.
Une gorgée de Clos des Cantons, et Alexandre Voisard se ravise. «Les
Jurassiens ont les pieds sur terre, j’ai confiance en eux.» On revient
à la terre. Sa terre. Ses poèmes et ses récits qui la chantent. Sa
symbiose avec les humus, les champignons, les arbres. Son idéal
qui paraît si loin de la modernité urbaine.
«Je m’interroge sur ma situation décalée, mais pas cloisonnée. Dans
laquelle je me complais. Je n’ai ni ordinateur, ni téléphone portable.
Je n’éprouve pas le besoin d’être connecté. J’écris mes textes à la
main. Lorsqu’ils sont aboutis, je les transmets dactylographiés à mes
éditeurs. Je perçois une once de reproche, mais ça ne m’a fermé aucune
porte. J’ai conscience d’être un primitif, un sauvage un peu
instruit.» L’éditeur Bernard Campiche sort ces jours les volumes 3 et 4
(sur 8) de l’intégrale des écrits d’Alexandre Voisard.
La crème caramélisée lui convient mieux que la glace aux noix. Un petit
café, «pour la route». Et cette remarque: «J’aimerais qu’en me lisant,
on comprenne qui je suis, pourquoi je suis devenu celui-là.» Mais vous
ne lui ferez pas dire qu’il a tout juste, en flânant avec son chien,
chaque jour, dans la forêt, «en étroite communion avec le monde
sensible». Qui lui a permis de s’épanouir, de réussir et d’être
reconnu.
SERGE JUBIN, Le Temps
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Voisard tout entier, toujours libre et inventif
Quatre volumes d’œuvres poétiques en édition de poche et un nouveau recueil redessinent l’image du poète jurassien.
«On cueillera jusqu’à ce qu’on ne puisse plus cueillir», prophétisait en 1954 un poème d’Écrit sur un mur,
le premier livre d’Alexandre Voisard. Promesse tenue, puisque c’est
alors même que paraît la somme de ses œuvres poétiques que le poète
jurassien publie un nouveau recueil, De cime et d’abîme. On y
retrouve Voisard tout entier, sa rhétorique chantante et sibylline, ses
impératifs gravement saugrenus: «Entends le diapason et chante/toi qui
hésites à t’asseoir/entre la puce et le pou»; faune ou héros de
«légendes végétales», il choisit l’ortie pour miroir et le coquelicot
pour confident, rêve de «grandir en peuplier, vaquer en chat ou mûrir
en framboise». Prépubliée en revue en 1988, la petite suite intitulée
«Cartes postales de Calabri» est reprise ici, la gaieté primesautière
de ces neuf poèmes assombrie aujourd’hui par les deux proses liminaires
qui évoquent la mort prématurée de leur jeune dédicataire, le
petit-fils du poète. Auprès d’un très grand public, Voisard reste
avant tout le poète de la fin des années 1960, engagé de la cause
jurassienne. L’ample diction passionnée de L’Ode au pays qui ne veut pas mourir
a écrit une page d’histoire. Fort heureusement, les quatre volumes qui
cadastrent les territoires du poète (s’y ajouteront quatre volumes de
proses) offrent de quoi nuancer, compléter cette image bien trop
partielle. On y suivra notamment les nombreuses variations formelles
d’une poésie marquée du sceau fécond de quelques grandes admirations et
amitiés: Villon et les poètes de la Résistance, René Char et les
surréalistes, Maurice Chappaz et Pierre-Olivier Walzer... Au niveau
thématique, ainsi que le souligne André Wyss, qui a dirigé cette
«intégrale», Liberté à l’aube n’a certainement pas représenté
une rupture: «Tout simplement, ce qui attachait depuis toujours le
poète à son environnement en fait maintenant le porte-parole de ceux
qui comme lui sont attachés à cet environnement.» Au fil des ans, dans
la diversité même des formes et des thèmes qu’il explore - le
merveilleux dans Chronique du guet, l’enfance dans Une Enfance de fond en comble, l’amour dans La Claire Voyante, l’érotisme dans Toutes les vies vécues,
la mémoire et la réflexion dans les livres les plus récents – nous
frappe bien sûr chez Voisard la permanence de cette approche
visionnaire et païenne de son pays de buissons et de seigle, réservoir
inépuisable d’images et de rêveries. Loin de toute quête métaphysique,
cette poésie est pénétrée d’une autre allégeance, viscérale, qu’affirme
par exemple ce vers: «Liberté, ta rivière partout m’accompagne.»
MARION GRAF, Le Temps
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Alexandre
Voisard, poète autrefois engagé. Dans quoi, déjà? L’autonomie du Jura
suisse, «mon pays allongé sur l’ardoise des siècles». On se demande
avec condescendance si cela fait de la poésie ou de la bouillie
idéologique, et l’on a honte de son ignorance. C’est une œuvre
importante, lyrique, où se trouve le beau Liberté à l’aube,
paru en 1967 et repris dans le deuxième tome de cette très opportune
édition intégrale en format poche. En quatre volumes, l’intégrale
poétique de Voisard révèle un grand écrivain, un vrai enraciné,
autrement dit un authentique universel. Il faut absolument lire
l’ensemble.
JEAN-PIERRE DENIS, La Vie
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